Hâtef d’Ispahan, «Deux Odes mystiques»

dans « Journal asiatique », sér. 1, vol. 11, p. 344-355

dans «Jour­nal asia­tique», sér. 1, vol. 11, p. 344-355

Il s’agit des odes mys­tiques d’Ahmad Hâ­tef d’Ispahan 1, poète per­san du XVIIIe siècle apr. J.-C. Dans le siècle de dé­ca­dence où vi­vait ce char­mant poète, la cor­rup­tion du goût de­ve­nait de jour en jour plus pro­fonde. Le titre si re­cher­ché de «roi des poètes» («malik-os-cho’arâ» 2) était ac­cordé non plus au ta­lent, mais à la flat­te­rie; si bien que, se­lon le mot in­gé­nieux d’un orien­ta­liste 3, le «roi des poètes» n’était plus que le «poète des rois». La Cour des pe­tits princes, celle des Af­cha­rides et des Zend, re­ten­tis­sait du ra­mage de trois ou quatre cents flat­teurs, «brillants per­ro­quets mor­dillant du sucre dans leur bec», pour par­ler le lan­gage du temps. Parmi cette foule de ri­meurs obs­curs, on ren­contre avec sur­prise un poète vé­ri­table, un seul : Hâ­tef d’Ispahan. Il doit sa re­nom­mée sur­tout aux odes mys­tiques, com­po­sées de «strophes en re­frain» («tardji’-bend» 4), qui sont des strophes se ter­mi­nant avec la même rime, sauf le der­nier vers ou le «re­frain», qui a une rime dif­fé­rente. «[Ces] odes sont gé­né­ra­le­ment goû­tées en Perse et semblent avoir mé­rité l’attention de quelques per­sonnes aux­quelles leurs études et leurs voyages ont rendu fa­mi­lières les mœurs et la poé­sie des Orien­taux; elles y ont re­mar­qué une grâce par­ti­cu­lière de style, une grande élé­va­tion d’esprit et une liai­son d’idées que l’on trouve ra­re­ment dans les gha­zels les plus re­nom­més, et même dans les odes du cé­lèbre Hâ­fez», ex­plique Jo­seph-Ma­rie Jouan­nin 5. Hâ­tef y chante le plus sou­vent le «Bien-Aimé», le «Vieillard», l’«Éter­nel» avec tout le mys­ti­cisme, avec toutes les conven­tions de la secte sou­fie à la­quelle il ap­par­tient, mais dans un style d’une rare sim­pli­cité, dans un lan­gage tendre et ému, porté au plus haut de­gré de per­fec­tion; en un mot, avec une grâce qui man­quait à ses contem­po­rains.

«une grande élé­va­tion d’esprit et une liai­son d’idées que l’on trouve ra­re­ment dans les gha­zels les plus re­nom­més»

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière de Hâ­tef d’Ispahan :
«Je ren­con­trai un jour dans une église une jeune et belle chré­tienne; je lui dis : “Ô toi qui es la maî­tresse de mon cœur…
Quoi! Tu n’as point en­core trouvé le che­min de l’unité de Dieu? Jusques à quand la honte de la tri­nité dans un seul?
Com­ment peux-tu don­ner les noms de Père, de Fils et d’Esprit saint au Dieu unique en son es­sence?”
Elle ou­vrit alors ses douces lèvres pour me ré­pondre, et laissa cou­ler ces pa­roles à tra­vers le plus char­mant sou­rire :
“Si tu connais vrai­ment les mys­tères de l’unité de Dieu, ne te per­mets pas de nous trai­ter ca­lom­nieu­se­ment d’impies…
La soie change-t-elle de na­ture, parce que tu l’appelles bro­cart, sa­tin et taf­fe­tas?”
Nous par­lions en­core, quand tout à coup la cloche du temple pro­clama à grand bruit ces pa­roles sa­crées :
“Oui, il est unique, il n’y a que lui; lui seul existe; il n’y a de di­vi­nité que Jé­ho­vah”
» 6.

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  1. En per­san احمد هاتف اصفهانی. Par­fois trans­crit Ah­med Hâ­tif Is­fa­hâni ou Aḥmad Hā­tef Eṣfahāni. Haut
  2. En per­san ملک‌الشعرا. Haut
  3. Jo­seph von Ham­mer-Purg­stall. Haut
  1. En per­san ترجیع‌بند. Par­fois trans­crit «tarjí‘-band». Haut
  2. p. 344. Haut
  3. p. 352-353. Haut