Il s’agit des odes mystiques d’Ahmad Hâtef d’Ispahan 1, poète persan du XVIIIe siècle apr. J.-C. Dans le siècle de décadence où vivait ce charmant poète, la corruption du goût devenait de jour en jour plus profonde. Le titre si recherché de « roi des poètes » (« malik-os-cho’arâ » 2) était accordé non plus au talent, mais à la flatterie ; si bien que, selon le mot ingénieux d’un orientaliste 3, le « roi des poètes » n’était plus que le « poète des rois ». La Cour des petits princes, celle des Afcharides et des Zend, retentissait du ramage de trois ou quatre cents flatteurs, « brillants perroquets mordillant du sucre dans leur bec », pour parler le langage du temps. Parmi cette foule de rimeurs obscurs, on rencontre avec surprise un poète véritable, un seul : Hâtef d’Ispahan. Il doit sa renommée surtout aux odes mystiques, composées de « strophes en refrain » (« tardji’-bend » 4), qui sont des strophes se terminant avec la même rime, sauf le dernier vers ou le « refrain », qui a une rime différente. « [Ces] odes sont généralement goûtées en Perse et semblent avoir mérité l’attention de quelques personnes auxquelles leurs études et leurs voyages ont rendu familières les mœurs et la poésie des Orientaux ; elles y ont remarqué une grâce particulière de style, une grande élévation d’esprit et une liaison d’idées que l’on trouve rarement dans les ghazels les plus renommés, et même dans les odes du célèbre Hâfez », explique Joseph-Marie Jouannin 5. Hâtef y chante le plus souvent le « Bien-Aimé », le « Vieillard », l’« Éternel » avec tout le mysticisme, avec toutes les conventions de la secte soufie à laquelle il appartient, mais dans un style d’une rare simplicité, dans un langage tendre et ému, porté au plus haut degré de perfection ; en un mot, avec une grâce qui manquait à ses contemporains.
« une grande élévation d’esprit et une liaison d’idées que l’on trouve rarement dans les ghazels les plus renommés »
Voici un passage qui donnera une idée de la manière de Hâtef d’Ispahan :
« La nuit dernière, je me rendis dans le quartier du marchand de vin, le cœur agité et brûlant du feu de l’amour.
Je vis une belle et brillante assemblée ; le président de ce banquet était le vieux marchand de vin ;
Ses serviteurs se tenaient debout sur plusieurs rangs ; les buveurs étaient assis épaule contre épaule…
Je m’avançai poliment et dis : “Ô toi, dont le cœur est le séjour de l’ange Sorûsh,
Je suis un amant affligé et nécessiteux ; vois ma tristesse et efforce-toi de la guérir”.
Le vieillard me dit, en souriant d’un air moqueur : “Ô toi, qui as pour esclave le vieillard de l’intelligence,
Où es-tu, où sommes-nous ? À cause de la honte que tu lui inspires, la fille de la vigne [c’est-à-dire le vin] a revêtu un voile de verre” » 6.
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- Édition et traduction partielles de Charles Defrémery (1856) [Source : Bibliothèque nationale de France]
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- Édition et traduction partielles de Charles Defrémery (1856) ; autre copie [Source : Digital Library of India (DLI)]
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Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « Anthologie persane (XIe-XIXe siècle) ; préparée par Henri Massé » (éd. Payot, coll. Bibliothèque historique, Paris)
- Charles Barbier de Meynard, « La Poésie en Perse : leçon d’ouverture faite au Collège de France, le 4 décembre 1876 » (XIXe siècle) [Source : Bibliothèque nationale de France].