Il s’agit de l’« Expédition de la baie d’Hudson (1782) » et autres souvenirs de Pierre-Bruno-Jean de La Monneraye. La célébrité du grand voyage autour du monde de La Pérouse est cause que ses précédents exploits sont restés dans l’ombre. La rude expédition menée par lui et ses compagnons en 1782 contre les forts anglais de la baie d’Hudson lors de la guerre soutenue par la France pour l’indépendance des États-Unis est peu connue. Des papiers de première importance relatifs à ces faits, entre autres le « Journal de navigation » de La Pérouse, n’ont été édités qu’en 2012, après un oubli de 230 ans. Et encore, leur éditeur craignant — je ne sais trop comment ni pourquoi — d’alimenter « le mythe d’une expédition dans des mers inconnues, en réalité fréquentées depuis longtemps… — vision trop française des événements », n’a-t-il exposé que les défauts et tu tous les mérites de ce « raid » — expédition pourtant délicate, dans des mers difficiles, dont La Pérouse s’était acquitté en marin consommé et en homme alliant les sentiments d’humanité avec les exigences du devoir. « Rien », dit cet éditeur dans un jugement sévère, pour ne pas dire injuste1, « ne permet de penser que les résultats de la campagne dans la baie d’Hudson aient pu avoir les moindres conséquences décisives… [Chez les Anglais] ce petit désastre semble avoir été bien supporté, y compris par la hiérarchie de la Compagnie… Tous les responsables avaient retrouvé leur poste l’année suivante ». La Pérouse s’était faufilé à travers des brumes presque continuelles, qui ne lui permettaient que rarement d’observer la hauteur du soleil. Il avait navigué à l’estime. Il avait triomphé des éléments ligués contre lui. Il avait rasé les établissements anglais, complètement isolés sur ces rivages lointains ; mais il n’avait pas oublié en même temps les égards qu’on doit au malheur. Ayant laissé la vie sauve aux vaincus, il leur avait cédé une quantité suffisante de vivres, de poudre et de plomb, afin qu’ils pussent être en état de rejoindre les leurs. À ce geste humanitaire, il en avait ajouté encore un autre. Dans le fort d’York Factory, il avait découvert les journaux d’exploration de Samuel Hearne pour le compte de la Compagnie d’Hudson. Il les avait rendus intacts à leur auteur à la condition que celui-ci les fît imprimer et publier dès son retour en Angleterre.
commandant presque toujours vainqueur dans ses missions
On voit par tous ces traits que La Pérouse ne se distinguait pas seulement comme commandant presque toujours vainqueur dans ses missions ; il se recommandait par sa clémence et sa générosité. « Parce qu’elle peut être perçue comme un signe de faiblesse, la magnanimité n’a pas toujours bonne presse chez les gens de guerre et de pouvoir. En sus d’être une belle vertu, la clémence envers… le vaincu peut pourtant sourire [et être favorable] à celui qui la pratique. Sans ce respect de l’adversaire, La Pérouse ne serait peut-être jamais devenu le grand explorateur qu’il a été »2. Ce sont ces qualités personnelles qui enflammèrent Chateaubriand assistant à Brest en août 1783 au retour victorieux de l’escadre française3 : « Les vaisseaux manœuvraient sous voile, se couvraient de feux… présentaient la poupe, la proue, le flanc, s’arrêtaient en jetant l’ancre au milieu de leur course ou continuaient à voltiger sur les flots. Rien ne m’a jamais donné une plus haute idée de l’esprit humain… Tout Brest accourut. Des chaloupes se détachent de la flotte… Les officiers dont elles sont remplies, le visage brûlé par le soleil, avaient cet air étranger qu’on apporte d’un autre hémisphère, et je ne sais quoi de gai, de fier, de hardi, comme des hommes qui venaient de rétablir l’honneur du pavillon national… Mon oncle me montra La Pérouse dans la foule, nouveau Cook dont la mort [sera] le secret des tempêtes. J’écoutais tout, je regardais tout, sans dire une parole ; mais la nuit suivante, plus de sommeil ! Je la passais à livrer en imagination des combats ou à découvrir des terres inconnues ». Ce sont elles aussi qui retinrent l’attention de deux professeurs de Napoléon Bonaparte, Joseph Lepaute Dagelet et Louis Monge, qui sollicitèrent et obtinrent la faveur d’aller courir les mers avec La Pérouse, sans avoir pu toutefois faire admettre leur élève. « Dans le courant de 1784 », rapporte Alexandre des Mazis, camarade de Bonaparte, « il fut question du voyage de M. de La Pérouse… Bonaparte aurait bien voulu déployer son énergie dans une si belle entreprise ; mais Darbaud eut seul la préférence. On ne put admettre un plus grand nombre d’élèves. »4
Voici un passage qui donnera une idée de la manière de La Monneraye : « Nous arrivâmes (20 juin) sur le banc de Terre-Neuve que nous coupâmes. Le temps et l’état de la mer nous permit d’y pêcher, et nous y prîmes quelques belles morues fraîches, dont nous nous régalâmes. Là, nous apprîmes ce qu’il était difficile de nous cacher5 : que notre expédition était pour la baie d’Hudson afin d’y détruire, s’il était possible, les établissements des Anglais dans cette partie du Nouveau Monde… Notre route nous élevant de plus en plus au Nord, nous rencontrâmes les brumes les plus épaisses, conservant autant que nous le pouvions la vue du “Sceptre” qui, lorsque nous nous perdions dans la brume, faisait sonner sa cloche, battre la caisse ou tirer des coups de canon »6.
Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF
- Édition partielle de 1888 [Source : Google Livres]
- Édition partielle de 1888 ; autre copie [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Édition partielle de 1888 ; autre copie [Source : University of British Columbia (UBC) Library]
- Édition partielle de 1888 bis [Source : Canadiana].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Alain Frerejean, « Napoléon face à la mort » (éd. L’Archipel, Paris)
- Arnaud de La Grange, « Lapérouse, métamorphose du guerrier en explorateur » dans « Le Figaro », 11.VIII.2020
- François Valentin, « Voyages et Aventures de Lapérouse, 11e édition » (XIXe siècle) [Source : Google Livres].
- « Lapérouse et ses Compagnons dans la baie d’Hudson », p. 138.
- M. Arnaud de La Grange.
- « Mémoires d’outre-tombe », liv. II, ch. VII.