Il s’agit d’Évariste-Désiré, chevalier de Parny, poète et créole qui doit la meilleure partie de sa renommée à ses « Élégies » érotiques et ses « Chansons madécasses » (XVIIIe siècle). Chateaubriand les savait par cœur, et il écrivit à l’homme dont les vers faisaient ses délices pour lui demander la permission de le voir : « Parny me répondit poliment ; je me rendis chez lui, rue de Cléry. Je trouvai un homme assez jeune encore, de très bon ton, grand, maigre, le visage marqué de petite vérole. Il me rendit ma visite ; je le présentai à mes sœurs. Il aimait peu la société et il en fut bientôt chassé par la politique… Je n’ai point connu d’écrivain qui fût plus semblable à ses ouvrages : poète et créole, il ne lui fallait que le ciel de l’Inde, une fontaine, un palmier et une femme. Il redoutait le bruit, cherchait à glisser dans la vie sans être aperçu… et n’était trahi dans son obscurité que par… sa lyre »1. Mais le premier trait distinctif du « seul poète élégiaque que la France ait encore produit », comme l’appelait Chateaubriand2, était sa bonté et sa sympathie. Sensible partout aux malheurs de l’humanité, Parny déplorait le sort de l’Inde affamée, ravagée par la politique de l’Angleterre, et celui des Noirs dans les colonies de la France dont la nourriture était « saine et assez abondante », mais qui avaient la pioche à la main depuis quatre heures du matin jusqu’au coucher du soleil : « Non, je ne saurais me plaire », écrivait-il3 de l’île de la Réunion, qui était son île natale — « non, je ne saurais me plaire dans un pays où mes regards ne peuvent tomber que sur le spectacle de la servitude, où le bruit des fouets et des chaînes étourdit mon oreille et retentit dans mon cœur. Je ne vois que des tyrans et des esclaves, et je ne vois pas mon semblable. On troque tous les jours un homme contre un cheval : il est impossible que je m’accoutume à une bizarrerie si révoltante ».
« Je ne vois que des tyrans et des esclaves, et je ne vois pas mon semblable »
Parny donnait surtout des larmes à la condition des esclaves madécasses sur son île natale. Leur patrie était le Madagascar qui se trouvait à plus de deux cents lieues de là ; ils s’imaginaient cependant entendre au loin le chant des coqs et reconnaître la fumée du foyer de leurs parents. Ils s’échappaient quelquefois au nombre de douze ou de quinze, enlevaient une pirogue et s’abandonnaient sur les flots. Ils y laissaient presque toujours la vie ; et c’était peu de chose quand on avait perdu la liberté. Quelques-uns cependant arrivaient à destination, mais leurs compatriotes les massacraient « disant qu’ils revenaient d’avec les Blancs ». Qu’on lise dans les « Lettres » de Parny le détail de leurs malheurs, et on comprendra que ce n’est pas sans sincérité, ni sans connaissance de cause, que le poète entreprit de prêter sa voix à ces esclaves qui n’en avaient pas.
Voici un passage qui donnera une idée du style des « Chansons madécasses » : « Ô ma mère ! ton sein m’a portée ; je suis le premier fruit de tes amours ; qu’ai-je fait pour mériter l’esclavage ? J’ai soulagé ta vieillesse ; pour toi, j’ai cultivé la terre ; pour toi, j’ai cueilli des fruits ; pour toi, j’ai fait la guerre aux poissons du fleuve ; je t’ai garantie de la froidure ; je t’ai portée durant la chaleur, sous des ombrages parfumés ; je veillais sur ton sommeil et j’écartais de ton visage les insectes importuns. Ô ma mère ! que deviendras-tu sans moi ? L’argent que tu vas recevoir ne te donnera pas une autre fille ; tu périras dans la misère, et ma plus grande douleur sera de ne pouvoir te secourir. Ô ma mère ! ne vends point ta fille unique »4.
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- Dix des « Élégies », lues par René Depasse [Source : Littérature audio].
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- Catriona Seth, « Évariste Parny (1753-1814) : créole, révolutionnaire, académicien » (éd. Hermann, coll. de la République des lettres-Études, Paris)
- Catriona Seth, « Les “Chansons madécasses” de Parny : une poésie des origines aux origines du poème en prose » dans « Aux origines du poème en prose français (1750-1850) » (éd. H. Champion, coll. Époque moderne et contemporaine, Paris), p. 447-457.
- « Mémoires d’outre-tombe », liv. IV, ch. XII.
- « Essai historique sur les révolutions », liv. I, part. 1, ch. XXII.