Il s’agit de la nouvelle « Ḍâini » 1 (« Le Champ de la poitrine fendue », ou littéralement « La Sorcière ») de Târâśankar Bandyopâdhyây 2, écrivain hindou, également connu sous le nom simplifié de Târâśankar Banerji 3. Le Bengale occidental où Bandyopâdhyây naquit en 1898, était une contrée sèche et pittoresque au cœur de laquelle la vie conservait son caractère rural. Bandyopâdhyây y passa une enfance liée à la terre, ou comme on disait autrefois, attachée à la glèbe. Combien de fois ses camarades de classe le virent debout sur un chemin de campagne ou près d’une maison de pisé, absorbé dans la contemplation du petit village de cultivateurs ! Les moindres choses faisaient sur lui les plus grandes impressions : les fleurs de bhanti, de kastouri, de nayantara rouges et blanches qui s’épanouissaient dans les endroits en friche, des deux côtés des sentiers ; la jungle de basilic sauvage qui embaumait l’air ; les femmes qui lavaient leur vaisselle de cuivre dans les mares ; les hommes qui allaient aux champs. Dans ces paysans simples, Bandyopâdhyây voyait beaucoup d’humanité. Il aimait leur langage, la sagesse que leur avait enseignée la pauvreté, leur bonté sans fard, leur âme vive. « Le champ et la maison, tels sont les deux espaces où résident tous les soins et tous les labeurs de la vie », dit-il 4. Après avoir pris une part active au mouvement pour l’indépendance, à une époque où la jeunesse indienne se réveillait du joug étranger, Bandyopâdhyây fut arrêté par les Anglais et resta un an derrière les barreaux. Une fois libéré, il décida de se consacrer à la littérature et de mettre son talent d’écrivain au service des petites gens. Dans sa vaste œuvre, qui compte une quarantaine de romans et une centaine de nouvelles, il montra le vrai visage de l’Inde — le visage rural — en le donnant à voir avec ses beautés et avec ses blessures. « Bandyopâdhyây est un humaniste dans la tradition des romanciers du début du XXe siècle », dit Mme France Bhattacharya 5, « et il fit sien, toute sa vie, le dit du poète Caṇḍî-dâs : “L’homme est la plus grande des vérités. Il n’y a rien au-delà” ».
« Le champ et la maison, tels sont les deux espaces où résident tous les soins et tous les labeurs de la vie »
Voici un passage qui donnera une idée du style de « Ḍâini » : « Sur les sables mouvants, à l’ombre des manguiers, une hutte isolée faisait face au champ. Sa porte ouvrait sur une étroite véranda couverte de chaume. La vieille y restait assise sans bouger, et fixait son regard sur le champ de la poitrine fendue. Elle n’avait que peu d’occupations : balayer sa maison, enduire le sol de bouse de vache, aller mendier sa nourriture. Pour cela, il lui suffisait de se présenter à quelques portes. Les habitants qui la craignaient lui faisaient l’aumône généreusement. Dès qu’elle avait reçu un kilo de riz, elle arrêtait sa tournée et reprenait le chemin de sa maison » 6.
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Jean Clément, « Les Relations familiales dans le Bengale rural, à travers le roman néo-réaliste bengali » (éd. Société des études linguistiques et anthropologiques de France, coll. Langues et Civilisations à tradition orale, Paris).