Il s’agit de « La Guerre du feu » et autres récits préhistoriques de Joseph-Henri Rosny. Sous le pseudonyme de Rosny se masque la collaboration littéraire entre deux frères : Joseph-Henri-Honoré Boëx et Séraphin-Justin-François Boëx. Ils naquirent, l’aîné en 1856, le jeune en 1859, d’une famille française, hollandaise et espagnole installée en Belgique. Ces origines diverses, leur instinct de curiosité, un âpre amour de la lutte — les Rosny étaient d’une rare vigueur musculaire —, leur hantise de la préhistoire, et jusque la fascination qu’exerçaient sur eux les terres inhospitalières et sauvages, firent naître chez eux le rêve de rejoindre les tribus indiennes qui hantaient encore les étendues lointaines du Canada. Londres d’abord et Paris ensuite n’étaient dans leur tête qu’une escale ; mais le destin les y fixa pour la vie et fit d’eux des prisonniers de ces villes tentaculaires que les Rosny allaient fouiller en profondeur, avec toute la passion que suscitent des contrées inconnues, des contrées humaines et brutales. Ils pénétrèrent dans les faubourgs sordides ; ils connurent les fournaises, les usines, les fabriques farouches et repoussantes, crachant leurs noires fumées dans le ciel, les dépotoirs à perte de vue, autour desquels grouillaient des hommes de fer et de feu. Cette vision exaltait les Rosny jusqu’aux larmes : « Le front contre sa vitre, il contemplait le faubourg sinistre, les hautes cheminées d’usine, avec l’impression d’une tuerie lente et invincible. Aurait-on le temps de sauver les hommes ?… De vastes espérances balayaient cette crainte » 1. À jamais égarés des horizons canadiens, les Rosny se consolèrent en créant une poétique des banlieues, à laquelle on doit leurs meilleures pages. L’impression qu’un autre tire d’une forêt vierge, d’une savane, d’une jungle, d’un abîme d’herbes, de ramures et de fauves, ils la tirèrent, aussi vierge, de l’étrange remous de la civilisation industrielle. Le sifflement des sirènes, le retentissement des enclumes, la rumeur des foules devint pour eux un bruit aussi religieux que l’appel des cloches. L’aspect féroce, puissant des travailleurs, à la sortie des ateliers, leur évoqua les temps primitifs où les premiers hommes se débattaient dans des combats violents contre les forces élémentaires de la nature. Dans leurs romans aux décors suburbains, qui rejoignent d’ailleurs leurs récits préhistoriques et scientifiques, puisqu’ils se penchent sur « tout l’antique mystère » 2 des devenirs de la vie — dans leurs romans, dis-je, les Rosny font voir que « la forêt vierge et les grandes industries ne sont pas des choses opposées, ce sont des choses analogues » ; qu’un « morceau de Paris, où s’entasse la grandeur de nos semblables, doit faire palpiter les artistes autant que la chute du Rhin à Schaffhouse » 3 ; que l’œuvre des hommes est non moins belle et monstrueuse que celle de la nature — ou plutôt, il est impossible de séparer l’une de l’autre.
roman
genre littéraire
Rosny, « La Vague rouge : roman de mœurs révolutionnaires »
Il s’agit de « La Vague rouge » de Joseph-Henri Rosny. Sous le pseudonyme de Rosny se masque la collaboration littéraire entre deux frères : Joseph-Henri-Honoré Boëx et Séraphin-Justin-François Boëx. Ils naquirent, l’aîné en 1856, le jeune en 1859, d’une famille française, hollandaise et espagnole installée en Belgique. Ces origines diverses, leur instinct de curiosité, un âpre amour de la lutte — les Rosny étaient d’une rare vigueur musculaire —, leur hantise de la préhistoire, et jusque la fascination qu’exerçaient sur eux les terres inhospitalières et sauvages, firent naître chez eux le rêve de rejoindre les tribus indiennes qui hantaient encore les étendues lointaines du Canada. Londres d’abord et Paris ensuite n’étaient dans leur tête qu’une escale ; mais le destin les y fixa pour la vie et fit d’eux des prisonniers de ces villes tentaculaires que les Rosny allaient fouiller en profondeur, avec toute la passion que suscitent des contrées inconnues, des contrées humaines et brutales. Ils pénétrèrent dans les faubourgs sordides ; ils connurent les fournaises, les usines, les fabriques farouches et repoussantes, crachant leurs noires fumées dans le ciel, les dépotoirs à perte de vue, autour desquels grouillaient des hommes de fer et de feu. Cette vision exaltait les Rosny jusqu’aux larmes : « Le front contre sa vitre, il contemplait le faubourg sinistre, les hautes cheminées d’usine, avec l’impression d’une tuerie lente et invincible. Aurait-on le temps de sauver les hommes ?… De vastes espérances balayaient cette crainte » 1. À jamais égarés des horizons canadiens, les Rosny se consolèrent en créant une poétique des banlieues, à laquelle on doit leurs meilleures pages. L’impression qu’un autre tire d’une forêt vierge, d’une savane, d’une jungle, d’un abîme d’herbes, de ramures et de fauves, ils la tirèrent, aussi vierge, de l’étrange remous de la civilisation industrielle. Le sifflement des sirènes, le retentissement des enclumes, la rumeur des foules devint pour eux un bruit aussi religieux que l’appel des cloches. L’aspect féroce, puissant des travailleurs, à la sortie des ateliers, leur évoqua les temps primitifs où les premiers hommes se débattaient dans des combats violents contre les forces élémentaires de la nature. Dans leurs romans aux décors suburbains, qui rejoignent d’ailleurs leurs récits préhistoriques et scientifiques, puisqu’ils se penchent sur « tout l’antique mystère » 2 des devenirs de la vie — dans leurs romans, dis-je, les Rosny font voir que « la forêt vierge et les grandes industries ne sont pas des choses opposées, ce sont des choses analogues » ; qu’un « morceau de Paris, où s’entasse la grandeur de nos semblables, doit faire palpiter les artistes autant que la chute du Rhin à Schaffhouse » 3 ; que l’œuvre des hommes est non moins belle et monstrueuse que celle de la nature — ou plutôt, il est impossible de séparer l’une de l’autre.
Pamuk, « Les Nuits de la peste : roman »
Il s’agit du roman « Les Nuits de la peste » (« Veba Geceleri ») de M. Orhan Pamuk, écrivain turc pour lequel le centre du monde est Istanbul, non seulement parce qu’il y a passé toute sa vie, mais aussi parce que toute sa vie il en a raconté les recoins les plus intimes. En 1850, Gustave Flaubert, en arrivant à Istanbul, frappé par la gigantesque bigarrure de cette ville, par le côtoiement de « tant d’individualités séparées, dont l’addition formidable aplatit la vôtre », avait écrit que Constantinople deviendrait « plus tard la capitale de la Terre » 1. Cette naïve prédiction n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de disparaître, et la capitale de perdre son nom de Constantinople, vidée de ses Grecs, ses Arméniens, ses Juifs. À la naissance de M. Pamuk, tout juste un siècle après le séjour de Flaubert, Istanbul, en tant que ville mondiale, n’était plus qu’une ombre crépusculaire et vivait les jours les plus faibles, les moins glorieux de ses deux mille ans d’histoire. La douce tristesse de ses rues fanées et flétries, de son passé tombé en disgrâce perçait de toute part ; elle avait une présence visible dans le paysage et chez les gens ; elle recouvrait tel un brouillard « les vieilles fontaines brisées ici et là, taries depuis des années, les boutiques de bric et de broc apparues… aux abords immédiats des vieilles mosquées…, les trottoirs sales, tout tordus et défoncés…, les vieux cimetières égrenés sur les hauteurs…, les lampadaires falots », dit M. Pamuk 2. Parce que cette tristesse était causée par le fait d’être des rejetons d’un ancien Empire, les Stambouliotes préféraient faire table rase du passé. Ils arrachaient des pierres aux murailles et aux vénérables édifices afin de s’en servir pour leurs propres constructions. Détruire, brûler, ériger à la place un immeuble occidental et moderne était leur manière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour effacer le souvenir douloureux d’une ancienne maîtresse, se débarrasse en hâte des vêtements, des bijoux, des photographies et des meubles. Au bout du compte, ce traitement de choc et ces destructions par le feu ne faisaient qu’accroître le sentiment de tristesse, en lui ajoutant le ton du désespoir et de la misère. « L’effort d’occidentalisation », dit M. Pamuk 3, « ouvrit la voie… à la transformation des intérieurs domestiques en musées d’une culture jamais vécue. Des années après, j’ai éprouvé toute cette incongruité… Ce sentiment de tristesse, enfoui définitivement dans les tréfonds de la ville, me fit prendre conscience de la nécessité de construire mon propre imaginaire, si je ne voulais pas être prisonnier… » Un soir, après avoir poussé la porte de la maison familiale, franchi le seuil et longuement marché dans ces rues qui lui apportaient consolation et réconfort, M. Pamuk rentra au milieu de la nuit et s’assit à sa table pour restituer quelque chose de leur atmosphère et de leur alchimie. Le lendemain, il annonça à sa famille qu’il serait écrivain.
Ôgai, « Le Jeune Homme : roman »
Il s’agit du « Jeune Homme » (« Seinen » 1) de Mori Ôgai 2, médecin militaire, haut fonctionnaire, romancier. Aucun intellectuel de l’ère Meiji ne résume peut-être mieux qu’Ôgai les changements incessants d’intensité qui bouleversèrent la société japonaise en l’espace de quelques décennies, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant. L’œuvre d’Ôgai et les événements mêmes de sa vie peuvent être lus comme un témoignage du processus douloureux qui transforma le pays d’un régime semi-féodal, tel qu’il était encore à la chute du shôgunat, en une nation capable de rivaliser de plain-pied avec les puissances mondiales. Se retrouvent chez lui tous les traits typiques de « l’homme nouveau » de Meiji partagé entre service scrupuleux de l’État, héritage de la morale du passé et engouement pour les modèles de pensée importés d’Europe. Son séjour d’étude en Allemagne, ainsi que les arrêts qu’il fit en France, coïncidèrent avec sa découverte d’une autre conception des connaissances humaines : « Tout ce qui est humain [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nouvelles, des théories nouvelles surgissent sur la scène du monde et y deviennent actives, dans la mesure où la plus novatrice même de ces théories est le produit des connaissances humaines… aussi extravagante soit-[elle], nous en nous en portons, peu ou prou, les germes au cœur de nos [propres] pensées » 3. De retour au Japon, l’engagement constant d’Ôgai à diffuser littératures, sciences et philosophies étrangères montre quelle empreinte ineffaçable l’universalisme européen avait laissée en ce descendant d’une lignée de samouraïs. Ses lourdes obligations professionnelles (il cumula les fonctions d’inspecteur général des Services de santé et de directeur du Bureau médical du ministère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dévouer, avec le plus noble esprit d’altruisme et une énergie infatigable, à la traduction d’innombrables nouvelles, poésies, pièces de théâtre : Daudet, Gœthe, Schnitzler, Schmidtbonn, Heine, Lenau, Byron, Poe, Ibsen, Strindberg, Kouzmine, Tourguéniev, Lermontov, Andreïev, Dostoïevski, Tolstoï… « À présent », se félicita-t-il 4, « la littérature raffinée de l’Ouest est entrée dans nos terres en même temps que ses principes philosophiques ultimes ». Bien que fidèle au régime impérial, Ôgai en souhaitait l’évolution. Il partageait l’inquiétude et défendait l’audace des intellectuels, comme en témoignent son pamphlet « La Tour du silence » (« Chimmoku no tô » 5) et les conseils qu’il osa donner à Hiraide Shû, l’avocat des accusés de l’affaire Kôtoku qui, comme l’affaire Dreyfus en France, suscita la réprobation générale. Il fut, enfin, le premier grand auteur du Japon moderne.
Ôgai, « Vita sexualis, ou l’Apprentissage amoureux du professeur Kanai Shizuka »
Il s’agit de « Vita sexualis » 1 de Mori Ôgai 2, médecin militaire, haut fonctionnaire, romancier. Aucun intellectuel de l’ère Meiji ne résume peut-être mieux qu’Ôgai les changements incessants d’intensité qui bouleversèrent la société japonaise en l’espace de quelques décennies, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant. L’œuvre d’Ôgai et les événements mêmes de sa vie peuvent être lus comme un témoignage du processus douloureux qui transforma le pays d’un régime semi-féodal, tel qu’il était encore à la chute du shôgunat, en une nation capable de rivaliser de plain-pied avec les puissances mondiales. Se retrouvent chez lui tous les traits typiques de « l’homme nouveau » de Meiji partagé entre service scrupuleux de l’État, héritage de la morale du passé et engouement pour les modèles de pensée importés d’Europe. Son séjour d’étude en Allemagne, ainsi que les arrêts qu’il fit en France, coïncidèrent avec sa découverte d’une autre conception des connaissances humaines : « Tout ce qui est humain [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nouvelles, des théories nouvelles surgissent sur la scène du monde et y deviennent actives, dans la mesure où la plus novatrice même de ces théories est le produit des connaissances humaines… aussi extravagante soit-[elle], nous en nous en portons, peu ou prou, les germes au cœur de nos [propres] pensées » 3. De retour au Japon, l’engagement constant d’Ôgai à diffuser littératures, sciences et philosophies étrangères montre quelle empreinte ineffaçable l’universalisme européen avait laissée en ce descendant d’une lignée de samouraïs. Ses lourdes obligations professionnelles (il cumula les fonctions d’inspecteur général des Services de santé et de directeur du Bureau médical du ministère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dévouer, avec le plus noble esprit d’altruisme et une énergie infatigable, à la traduction d’innombrables nouvelles, poésies, pièces de théâtre : Daudet, Gœthe, Schnitzler, Schmidtbonn, Heine, Lenau, Byron, Poe, Ibsen, Strindberg, Kouzmine, Tourguéniev, Lermontov, Andreïev, Dostoïevski, Tolstoï… « À présent », se félicita-t-il 4, « la littérature raffinée de l’Ouest est entrée dans nos terres en même temps que ses principes philosophiques ultimes ». Bien que fidèle au régime impérial, Ôgai en souhaitait l’évolution. Il partageait l’inquiétude et défendait l’audace des intellectuels, comme en témoignent son pamphlet « La Tour du silence » (« Chimmoku no tô » 5) et les conseils qu’il osa donner à Hiraide Shû, l’avocat des accusés de l’affaire Kôtoku qui, comme l’affaire Dreyfus en France, suscita la réprobation générale. Il fut, enfin, le premier grand auteur du Japon moderne.
Ôgai, « L’Oie sauvage »
Il s’agit de « L’Oie sauvage » (« Gan » 1) de Mori Ôgai 2, médecin militaire, haut fonctionnaire, romancier. Aucun intellectuel de l’ère Meiji ne résume peut-être mieux qu’Ôgai les changements incessants d’intensité qui bouleversèrent la société japonaise en l’espace de quelques décennies, entre la fin du XIXe siècle et le début du suivant. L’œuvre d’Ôgai et les événements mêmes de sa vie peuvent être lus comme un témoignage du processus douloureux qui transforma le pays d’un régime semi-féodal, tel qu’il était encore à la chute du shôgunat, en une nation capable de rivaliser de plain-pied avec les puissances mondiales. Se retrouvent chez lui tous les traits typiques de « l’homme nouveau » de Meiji partagé entre service scrupuleux de l’État, héritage de la morale du passé et engouement pour les modèles de pensée importés d’Europe. Son séjour d’étude en Allemagne, ainsi que les arrêts qu’il fit en France, coïncidèrent avec sa découverte d’une autre conception des connaissances humaines : « Tout ce qui est humain [trouve] comme un écho en nous ; de sorte que, si des idées nouvelles, des théories nouvelles surgissent sur la scène du monde et y deviennent actives, dans la mesure où la plus novatrice même de ces théories est le produit des connaissances humaines… aussi extravagante soit-[elle], nous en nous en portons, peu ou prou, les germes au cœur de nos [propres] pensées » 3. De retour au Japon, l’engagement constant d’Ôgai à diffuser littératures, sciences et philosophies étrangères montre quelle empreinte ineffaçable l’universalisme européen avait laissée en ce descendant d’une lignée de samouraïs. Ses lourdes obligations professionnelles (il cumula les fonctions d’inspecteur général des Services de santé et de directeur du Bureau médical du ministère de l’Armée de terre) ne l’empêchèrent pas de se dévouer, avec le plus noble esprit d’altruisme et une énergie infatigable, à la traduction d’innombrables nouvelles, poésies, pièces de théâtre : Daudet, Gœthe, Schnitzler, Schmidtbonn, Heine, Lenau, Byron, Poe, Ibsen, Strindberg, Kouzmine, Tourguéniev, Lermontov, Andreïev, Dostoïevski, Tolstoï… « À présent », se félicita-t-il 4, « la littérature raffinée de l’Ouest est entrée dans nos terres en même temps que ses principes philosophiques ultimes ». Bien que fidèle au régime impérial, Ôgai en souhaitait l’évolution. Il partageait l’inquiétude et défendait l’audace des intellectuels, comme en témoignent son pamphlet « La Tour du silence » (« Chimmoku no tô » 5) et les conseils qu’il osa donner à Hiraide Shû, l’avocat des accusés de l’affaire Kôtoku qui, comme l’affaire Dreyfus en France, suscita la réprobation générale. Il fut, enfin, le premier grand auteur du Japon moderne.
Pham Duy Khiêm, « Ma Mère : roman »
Il s’agit de « Ma Mère » de M. Pham Duy Khiêm 1, écrivain vietnamien d’expression française. Né en 1908, orphelin de bonne heure, M. Pham Duy Khiêm dut à ses efforts assidus de remporter, au lycée Albert-Sarraut de Hanoï, tous les prix d’excellence. Après le baccalauréat classique, qu’il fut le premier Vietnamien à passer, il partit en France terminer ses études, en pauvre boursier. Sa situation d’étudiant sans foyer, originaire des colonies, eut un contrecoup affectif à travers un amour impossible avec une jeune Parisienne nommée Sylvie. Sous le pseudonyme de Nam Kim, il évoqua avec beaucoup de sensibilité dans « Nam et Sylvie » la naissance de cette passion qui paraissait d’emblée vouée à l’échec. Cet amour déboucha surtout sur un attachement immuable à la France, et M. Pham Duy Khiêm ne rentra au Viêt-nam qu’avec une lourde appréhension, presque une angoisse, qu’il faut être né sur un sol étranger pour comprendre : « Aucun homme », dit-il 2, « ne peut, sans une certaine mélancolie, s’éloigner pour toujours peut-être d’un lieu où il a beaucoup vécu, qu’il s’agisse ou non d’un pays comme la France, d’une ville comme Paris. Si par la même occasion il se sépare de ses années d’étudiant et de sa jeunesse, ce n’est pas une tristesse vague qu’il ressent, mais un déchirement secret ». À la veille de la Seconde Guerre, par un geste que plusieurs de ses compatriotes prirent très mal et que peu d’entre eux imitèrent, M. Pham Duy Khiêm s’engagea dans l’armée française. Ses amis lui écrivirent pour lui en demander les raisons ; il les exposa dans « La Place d’un homme : de Hanoï à La Courtine » : « Il y a péril, un homme se lève — pourquoi lui demander des raisons ? C’est plutôt à ceux qui se tiennent cois à fournir les raisons qu’ils auraient pour s’abstenir », dit-il 3. « Je n’aime pas la guerre, je n’aime pas la vie militaire ; mais nous sommes en guerre, et je ne saurais demeurer ailleurs. Il ne s’agit point d’un choix entre France et Annam. Il s’agit seulement de savoir la place d’un [homme] comme moi, en ce moment. Elle est ici ; et je dois l’occuper, quelque dangereuse qu’elle soit ».
Novalis, « Henri d’Ofterdingen, “Heinrich von Ofterdingen” »
Il s’agit d’« Henri d’Ofterdingen » (« Heinrich von Ofterdingen ») de Novalis, romantique allemand, ancêtre lointain du symbolisme (XVIIIe siècle). Le comte de Platen écrit dans ses « Journaux » 1 : « On est pour les romantiques allemands, [mais] moi, j’aime les Anciens. On m’a lu un jour une poésie de Novalis, dont je n’ai pas compris une seule syllabe ». Il est vrai que l’œuvre de Novalis est l’une des plus énigmatiques, l’une des moins compréhensibles de la poésie allemande ; elle est, d’un bout à l’autre, un code secret, un chiffre dont la clef s’appelle Sophie von Kühn, dite Sophie de Kühn. C’est au cours d’une tournée administrative, en 1795, que Novalis rencontra, au château de Grüningen 2, cette toute jeune fille, un peu femme déjà, en qui devait s’incarner son idéal ; elle n’avait pas encore treize printemps. Il tomba aussitôt sous son charme et bientôt il se fiança avec elle. Entre ce jeune homme rêveur et cette « fleur bleue » (« blaue Blume ») qui s’ouvrait à la vie, suivant le mot de Novalis, naquit une idylle aussi insolite que brève. Sophie mourait à peine deux ans plus tard, en 1797, après de cruelles souffrances causées par une tumeur. Sa fragile et angélique figure, sur laquelle la douleur et surtout l’ombre solennelle de la mort avaient répandu une précoce maturité, laissa à Novalis un souvenir impérissable et funèbre. « Le soir s’est fait autour de moi », dit-il trois jours plus tard 3, « pendant que je regardais se lever l’aurore de ma vie. » Si ensuite son étude favorite devint la philosophie, c’est qu’elle s’appelait au fond comme sa bien-aimée : Sophie. Si ensuite il se déclara fervemment chrétien, c’est que, dans le déchaînement des malheurs de Sophie, il crut reconnaître ceux de Jésus. Elle était, pour lui, l’être céleste qui était venu réaliser un idéal jusque-là vaguement pressenti et rêvé, et maintenant contemplé dans sa réalité :
« Descendons », dit-il 4, « vers la tendre Fiancée,
Vers notre Bien-Aimé Jésus !
Venez, l’ombre du soir s’est éployée
Douce aux amants par le deuil abattus… »
Gogol, « Œuvres complètes »
Il s’agit des « Âmes mortes » (« Miortvyïé douchi » 1) et autres œuvres de Nicolas Gogol 2. L’un des informateurs du vicomte de Vogüé pour « Le Roman russe », un vieil homme de lettres 3, témoignant du fait que Gogol était devenu le modèle de la prose, comme Pouchkine — celui de la poésie, avait déclaré en français : « Nous sommes tous sortis du “Manteau” de Gogol » 4. Cette formule a bien plu. Elle a été ensuite traduite par plusieurs journaux russes, tant elle est devenue connue et « la chose de tous ». On connaît moins Gogol lui-même qui, à plusieurs égards, était un homme privé et mystérieux. On peut le dire, il y avait en lui quelque chose du démon. Un pouvoir surnaturel faisait étinceler ses yeux ; il semblait par moments que l’irrationnel et l’effrayant le pénétraient de part en part et imprimaient sur ses œuvres une marque ineffaçable. Si, par la suite, la littérature russe s’est signalée par une certaine exaltation déréglée, tourmentée, une certaine contradiction intérieure, une psychose guettant constamment, cachée au tournant ; si elle a même favorisé ce type de caractères, elle a suivi en tout cela l’exemple de Gogol. Cet auteur mi-russe, mi-ukrainien avait une nature double et vivait dans un monde dédoublé — le monde réel et le monde des rêves loufoques, terrifiants. Et non seulement ces deux mondes parallèles se rencontraient, mais encore ils se contorsionnaient et se confondaient d’une façon extravagante dans son esprit délirant, « comme deux piliers, qui se reflètent dans l’eau, se livrent aux contorsions les plus folles quand les remous de l’onde s’y prêtent » 5. C’est « Le Nez » (« Nos » 6), anagramme du « Rêve » (« Son » 7), où ce génie si particulier de Gogol s’est déployé librement pour la toute première fois. Que l’on pense au début de la nouvelle : « À son immense stupéfaction, il s’aperçut que la place que son nez devait occuper ne présentait plus qu’une surface lisse ! Tout alarmé, Kovaliov se fit apporter de l’eau et se frotta les yeux avec un essuie-mains : le nez avait bel et bien disparu ! » Voilà que toutes les fondations du réel vacillent, mais le fonctionnaire gogolien est à peine conscient de ce qui lui arrive. Confronté à une ville absurde et fantasmagorique, un « Gogolgrad » inquiétant, où le diable lui-même allume les lampes et éclaire les choses pour les montrer sous un aspect illusoire et trompeur, ce petit homme grugé, floué avance à tâtons dans la brume, en s’accrochant orgueilleusement et puérilement à ses fonctions bureaucratiques. « La ville a beau lui jouer les tours les plus pendables, le berner ou le châtrer momentanément, ce personnage caméléonesque et insignifiant ne renonce jamais à s’incruster, à s’enraciner, fût-ce dans l’inexistant. [Il] restera chatouilleux sur son grade et ses prérogatives jusqu’à [sa] dissolution complète dans le non-être… Inchangé, il réapparaîtra chez un Kafka », dit très bien M. Georges Nivat.
- En russe « Мёртвые души ». Parfois transcrit « Mjortwyje duschi », « Mertwyja duschi », « Mjortwye duschi », « Mertwya duschi », « Myortvyye dushi », « Miortvyye dushi », « Mjortvye dusi », « Mertvye duši », « Mèrtvyia doûchi », « Miortvia douchi », « Meurtvia douchi » ou « Mertviia douchi ».
- En russe Николай Гоголь. Parfois transcrit Nikolaj Gogol, Nikolaï Gogol ou Nicolaï Gogol.
- Sans doute Dmitri Grigorovitch, comme une remarque à la page 208 du « Roman russe » le laisse penser : « M. Grigorovitch, qui tient une place honorée dans les lettres…, m’a confirmé cette anecdote ».
- « Le Roman russe », p. 96.
« Le Bois sec refleuri : roman coréen »
Il s’agit du « Bois sec refleuri », dont le titre original en coréen est « Chant de Sim Ch’ŏng » (« Simch’ŏng-ga » 1) ou « Histoire de Sim Ch’ŏng » 2 (« Simch’ŏng-jŏn » 3). C’est d’abord un très vieux conte, devenu un roman au XVIIIe siècle, puis une pièce de spectacle chanté (« p’ansori »). En voici l’histoire. Un dignitaire de la Cour coréenne, nommé Sim Hyŏn 4, voit plusieurs personnes mortes de faim sur la voie publique. Il en fait part au roi, qui est en train de donner un grand banquet, et il se permet de critiquer devant lui les gouverneurs de province : « Qui est-ce qui paie les frais de vos distractions ? », dit-il 5. « C’est votre peuple. Et les gouverneurs, au lieu de faire leur devoir, mènent joyeuse vie ». Les gouverneurs mis en cause ne se laissent pas accabler : ils forgent une lettre pleine de trahisons et de complots, qu’ils signent du nom de Sim Hyŏn. Le roi, le croyant coupable, l’exile dans une île lointaine. Ce qui chagrine par-dessus tout Sim Hyŏn, c’est l’idée que sa femme ne va pas supporter ce lieu désert. Elle y meurt, en effet, trois jours après avoir mis au monde une fille, nommée Sim Ch’ŏng. Le malheureux, tout en pleurs, voit bientôt fondre sur lui un nouveau malheur. Il devient aveugle. Sa plus grande amertume, c’est de ne pas pouvoir contempler les traits de sa fille. C’est qu’elle grandit. Elle vient d’atteindre sa treizième année. La nuit, elle se consacre à l’étude. Et le jour, elle mendie de maison en maison, pour assurer l’entretien de son père infortuné. Un jour, elle ne rentre pas à l’heure prévue. Très inquiet, l’aveugle se hasarde hors de sa maison. S’appuyant sur son bâton, il se met en route ; mais arrivé au bord d’un lac qui se trouve près de là, il fait un faux pas et tombe à l’eau. Un bonze, vivant isolé dans ces solitudes, accourt et le retire de l’eau. Il promet à Sim Hyŏn que s’il lui apporte trois cents sacs de riz, il recouvrera sa vue en même temps que sa situation à la Cour. L’aveugle consent. Ayant appris la chose, sa fille se vend à des marchands, contre trois cents sacs de riz, pour être leur victime. Car, dans cette époque très ancienne et très barbare, les marchands qui faisaient voile pour le besoin de leur commerce avaient coutume de sacrifier une jeune vierge aux dieux de la mer, croyant obtenir leur protection et conjurer le péril. « Le moment du sacrifice est venu » 6, disent-ils à Sim Ch’ŏng lorsque le bateau a gagné le large. « Purifiez votre corps, revêtez-vous de vos plus beaux habits ! » La vierge est placée en face d’un brûle-parfum. Puis, les prières terminées, sans manifester la moindre émotion, elle se jette résolument à la mer ; mais tandis que le bateau s’éloigne, Sim Ch’ŏng, qui pense mourir en l’espace de quelques secondes, s’aperçoit avec stupéfaction qu’elle est en vie. Les dieux de la mer, touchés par sa piété filiale, s’apprêtent à la récompenser…
Tokutomi, « Plutôt la mort : roman japonais »
Il s’agit du roman japonais « Hototogisu » 1 de Tokutomi Roka 2, de son vrai nom Tokutomi Kenjirô 3. Ayant grandi dans l’ombre de son frère aîné, Tokutomi Sohô, directeur du « Kokumin no Tomo » 4 (« L’Ami de la nation » 5) et du « Kokumin Shimbun » 6 (« Journal de la nation »), c’est dans les colonnes de ces périodiques que Tokutomi publia ses premiers articles littéraires, qui mirent en vue son pseudonyme de Roka (« fleur de roseau » 7). En outre, dans les mêmes colonnes, parut en feuilleton entre novembre 1898 et mai 1899 son « Hototogisu » (« Le Coucou »). Réuni ensuite en volume, ce roman connut un succès phénoménal et fut traduit en vingt langues européennes sous les titres les plus divers : « Plutôt la mort », « Nami-ko », etc. Les événements de ce roman roulaient sur une histoire vraie, à laquelle étaient venues s’ajouter les broderies de Tokutomi. Ils se passaient dans un Japon aux victoires retentissantes, où tout ou presque était devenu occidentalisé et moderne — réseaux télégraphiques, chemins de fer, armée, marine de guerre — tout, à l’exception de la condition de la femme qui restait dans beaucoup de cas, en vertu de préjugés cruels et surannés, l’esclave de la belle-famille où elle entrait par le mariage. L’héroïne principale de « Hototogisu » se nomme Nami-ko. Elle est épousée par Takeo, jeune lieutenant de vaisseau, qui s’en va combattre au loin en la laissant au pouvoir terrible de sa belle-mère. Celle-ci, apprenant que Nami-ko est phtisique, décide de la faire répudier et oblige le père de la jeune fille, l’illustre général Kataoka, à la reprendre. S’ensuit l’indignation du général qui recueille chez lui sa fille, et la construction qu’il fait faire d’un pavillon, dans un endroit tranquille de son parc, pour y soigner la phtisique, laquelle meurt moins de sa maladie que de ses illusions perdues. Revenu des manœuvres militaires, Takeo, qui aime Nami-ko, vient pleurer sur sa tombe. Il n’a d’autre consolation que de relire la lettre d’adieu qu’elle lui a écrite, et dans laquelle elle l’assure de son amour : « Mon corps va redevenir poussière. Quant à mon esprit, il sera toujours auprès de toi ». Incapable de surmonter sa douleur, le malheureux se tient là, lorsque le vieux général survient. À sa vue, Takeo se recule : « Mais, à l’instant même, une main fébrile s’emparait violemment de la sienne ; il leva les yeux et vit le général Kataoka le visage baigné de larmes. Ils se regardèrent, muets, quelques instants. “Takeo-san, moi aussi, j’ai bien souffert !” Ils se tenaient l’un près de l’autre, la main dans la main, et leurs larmes à tous deux coulèrent sur le bord de la tombe » 8. Les deux soldats, laissant au cimetière l’objet de leurs regrets, s’en vont ensemble en devisant ; et c’est un dénouement tout à fait ingénu, subtil et profond.
Mizubayashi, « Âme brisée : roman »
Il s’agit d’« Âme brisée » de M. Akira Mizubayashi, un Japonais d’expression française (XXIe siècle). À l’âge de dix-huit ans, raconte M. Mizubayashi, les écrits intimes de M. Arimasa Mori provoquèrent chez lui « un bouleversement, un séisme intérieur d’une force inégalée » 1 et l’orientèrent d’une façon décisive vers le français et la culture qui en est indissociable. M. Mori avait été le premier qui avait vu, dans cette langue et cette culture, une retraite provisoire où chaque Japonais pouvait puiser des forces nouvelles pour faire advenir un jour un État meilleur ; le premier qui avait fait le vœu solennel de refaire sa vie, de recommencer de zéro, en s’appropriant entièrement cette civilisation française qui n’était pas la sienne, mais qu’il vénérait. Dans « Babiron no nagare no hotori nite » 2, sous-titré en français « Sur les fleuves de Babylone », M. Mori avait écrit : « Je dois avancer dans l’effort d’appropriation humblement, petit à petit, même si j’ai à peine le niveau d’un petit écolier ou d’un gamin d’école maternelle. Que les paroles produites dans et à travers la langue française finissent par devenir équivalentes à la chose, tel est pour moi l’objectif à atteindre. C’est seulement à ce moment-là que le fond des choses se révélera sous un nouveau jour, s’incarnera dans une nouvelle vie ; un monde nouveau poindra. Si je réussis à éprouver, un tant soit peu, ce sentiment-là, c’est gagné ! Pour le reste, je dois apprendre comme un enfant ». Ainsi donc, devant l’exigence de la langue française, qui lui apparaissait comme un moyen d’atteindre « le fond des choses », M. Mori avait accepté — acte inouï pour un intellectuel formé au Japon et enseignant à la prestigieuse Université de Tôkyô — de tout réapprendre et de se reconnaître dans la figure sidérante d’« un petit écolier ». M. Mizubayashi fut frappé comme par la foudre par ce texte. À peine avait-il lu le passage dont j’ai extrait les lignes précédentes, qu’il crut y entendre un appel à naître à « une nouvelle vie » par l’apprentissage du français ; à penser autrement son rapport à l’autre, au monde ; à s’arracher à sa langue natale, aux codes du conformisme, de la soumission, du respect imposé qu’elle véhiculait ; à goûter au plaisir de la liberté : « Le texte de Mori me demandait, depuis la hauteur insoupçonnée d’un discours philosophique et sur un ton austère défiant toute attitude velléitaire, si j’étais prêt à me lancer dans une telle aventure… ; à m’offrir le luxe ou le risque d’une deuxième naissance, d’une seconde vie impure, hybride, sans doute plus longue, plus aléatoire, plus exposée à des ébranlements imprévisibles, plus obstinément questionneuse que la première — [autosuffisante], peuplée de certitudes, tendanciellement repliée sur elle-même et, par cela même, parfois infatuée d’elle-même. Ma réponse fut, sans une seconde d’hésitation, oui ! »
Vigny, « Œuvres complètes. Tome IX. Les Consultations du Docteur-Noir, part. 2. Daphné »
Il s’agit de « Daphné » d’Alfred de Vigny, poète français à la destinée assez triste. Seul — ou presque seul — de tous les romantiques, il n’a pas fait école. On ne l’a pas suivi dans ses démarches littéraires. On l’a remarqué sans en rien dire à personne, sans qu’au surplus il s’en plaignît lui-même. Il était né cinq ans avant Victor Hugo, sept ans après Lamartine. Mais tandis que les noms de ces deux géants remplissaient toutes les bouches, ce n’étaient pas ses « Poésies », mais un assez mauvais drame — « Chatterton » en 1835 — qui tirait ce poète, pour quelques jours à peine, de sa retraite un peu mystérieuse, de sa sainte solitude où il rentrait aussitôt. À quoi cela tient-il ? À ses défauts d’abord, dont il faut convenir. Souvent, ses productions manquent de forte couleur et de relief. Aucune n’est avortée, mais presque toutes sont languissantes et maladives. Leur étiolement, comme celui de toutes les générations difficiles en vase clos, vient de ce qu’elles ont séjourné trop longtemps dans l’esprit de leur auteur. Il ne les a créées qu’en s’isolant complètement dans son silence, comme dans une tour inaccessible : « [Ses] poésies sont nées, non comme naissent les belles choses vivantes — par une chaude génération, mais comme naissent les… choses précieuses et froides, les perles, les coraux… avec lesquels elles ont de l’affinité — par agglutination, cohésion lente, invisible condensation », déclare un critique 1. « L’exécution de Vigny souvent brillante et toujours élégante n’a pas moins quelque chose d’habituellement pénible et de laborieux… Et d’une manière générale, jusque dans ses plus belles pièces, jusque dans “Éloa”, jusque dans “La Maison du berger”, sa liberté de poète est perpétuellement entravée par je ne sais quelle hésitation ou quelle impuissance d’artiste », ajoute un autre critique 2. Cependant, cette hésitation est le fait d’un homme qui se posait les questions supérieures et qui éprouvait la vie. Et quelle que fût la portée — ou médiocre ou élevée — de son esprit, cet esprit vivait au moins dans les hautes régions de la pensée : « Pauvres faibles que nous sommes, perdus par le torrent des pensées et nous accrochant à toutes les branches pour prendre quelques points [d’appui] dans le vide qui nous enveloppe ! », dit-il 3. Et aussi : « J’allume mes bougies et j’écris, mes yeux en sont brûlés. Je les éteins ; reviennent les souvenirs… ; et les larmes, que j’ai la force de cacher aux vivants dans la journée, reprennent leur cours. Enfin arrive la lumière du jour »