Takeyama, «La Harpe de Birmanie : roman»

éd. Le Serpent à plumes, coll. Motifs, Paris

éd. Le Ser­pent à plumes, coll. Mo­tifs, Pa­ris

Il s’agit de «La Harpe de Bir­ma­nie» («Bi­ruma no ta­te­goto» 1) de M. Mi­chio Ta­keyama 2, au­teur ja­po­nais, tra­duc­teur d’Albert Schweit­zer, de Frie­drich Nietzsche, de Tho­mas Mann…, pro­fes­seur d’allemand au Ly­cée su­pé­rieur d’Ichikô qui as­su­rait, avant-guerre, la for­ma­tion des élites. M. Ta­keyama na­quit à Ôsaka. Mais c’est à Séoul, en Co­rée co­lo­niale, que s’écoula son en­fance. Sa fa­mille y te­nait la suc­cur­sale d’une grande banque ja­po­naise. Pour ses études, il jeta son dé­volu sur la pres­ti­gieuse Uni­ver­sité de Tô­kyô. Rien de plus na­tu­rel, sauf que son père le des­ti­nait à la Fa­culté de droit. Au lieu de cela, il s’inscrivit à la Fa­culté des lettres, dé­par­te­ment de lit­té­ra­ture al­le­mande, sans consul­ter son père, qui, l’apprenant, lui dit avec dé­pit : «J’ai perdu l’un de mes fils» 3. Son di­plôme en poche, M. Ta­keyama par­tit en Al­le­magne, pour deux ans, en 1927. Ber­lin, avec son in­hu­ma­nité, son agi­ta­tion sté­rile, son culte de la dis­ci­pline, sa «bar­ba­rie», lui dé­plut. Notre au­teur sen­tait l’atmosphère suf­fo­cante de «cette es­pèce de nou­veau Moyen Âge» (Hein­rich Mann) qui sem­blait pré­pa­rer l’orage du na­zisme. Il mul­ti­plia ses ex­cur­sions en France — un pays qui cor­res­pon­dait bien mieux à ses propres idéaux : «Chaque fois qu’il en tra­ver­sait la fron­tière, son mo­ral re­mon­tait» (M. Su­ke­hiro Hi­ra­kawa). Quand plus tard, lors de la Se­conde Guerre mon­diale, le mi­nis­tère de l’Éducation im­pé­rial re­com­manda la fin de tout en­sei­gne­ment en fran­çais, M. Ta­keyama aida à main­te­nir les cours dans cette langue au Ly­cée su­pé­rieur d’Ichikô et il écri­vit «L’Allemagne : un nou­veau Moyen Âge?» («Doitsu : ata­ra­shiki Chû­sei?» 4), un es­sai ou­ver­te­ment an­ti­nazi. Mais si la pos­té­rité n’oublia pas tout à fait ses ef­forts cou­ra­geux, tou­te­fois elle les tint pour vains. Et c’est «La Harpe de Bir­ma­nie» qui lui donna la cé­lé­brité. Pu­blié en feuille­ton dans un ma­ga­zine pour en­fants de 1947 à 1948, ce ro­man fut en­suite po­pu­la­risé par le ci­néma en 1956 et 1985 et par la té­lé­vi­sion en 1986. «La Harpe de Bir­ma­nie» est un vi­brant hymne à la paix, où un ca­po­ral ja­po­nais échange son fu­sil contre une harpe. Dé­guisé en Bir­man et en moine, il de­vient peu à peu les deux : «Ar­rié­rés? Les Bir­mans? Il m’arrive sou­vent de pen­ser que nous, les Ja­po­nais, nous sommes bien plus bar­bares qu’eux… Eh oui! il est cer­tain que nous pos­sé­dons les ou­tils de la ci­vi­li­sa­tion, mais qu’en avons-nous fait? Une guerre dé­vas­ta­trice, qui nous a me­nés jusqu’ici et qui a causé chez les Bir­mans de ter­ribles souf­frances» 5. Re­non­çant à ren­trer au Ja­pon, le ca­po­ral dé­cide seule­ment de si­gni­fier, une der­nière fois, aux siens sa pré­sence, en jouant de sa harpe, ca­ché dans un im­mense boud­dha dont les yeux semblent les fixer. Chan­tant en chœur avec lui, les sol­dats com­prennent que «l’homme connu sous le nom de ca­po­ral Mi­zu­shima n’existe plus» 6.

«nous pos­sé­dons les ou­tils de la ci­vi­li­sa­tion, mais qu’en avons-nous fait?»

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style de M. Ta­keyama : «Les adeptes du boud­dhisme, ras­sem­blant tout leur cou­rage, se sont in­fligé toutes sortes de pé­ni­tences et de mor­ti­fi­ca­tions dans le but de sai­sir la vé­rité. Leur vaillance n’est pas moindre que celle des sol­dats. Leur ba­taille consiste à faire tom­ber une in­vi­sible for­te­resse spi­ri­tuelle. Pour ce faire, comme je vous l’ai déjà dit, cer­tains vont jusqu’à ram­per presque nus dans les neiges de l’Himalaya. Pour notre part, nous, les Ja­po­nais, nous n’avons pas consa­cré des ef­forts suf­fi­sam­ment vi­gou­reux à ce com­bat spi­ri­tuel. Nous avons même consi­déré que cette voie était de peu d’importance. Ce qui avait de la va­leur pour nous était uni­que­ment les ca­pa­ci­tés d’un homme et ce qu’il pou­vait réa­li­ser; et nous ne re­gar­dions pas quelle sorte d’homme il était au fond, ou quelle était sa pé­né­tra­tion de vue face au monde et face à la vie hu­maine. L’accomplissement de son hu­ma­nité, la dou­ceur, la pa­tience, la pro­fon­deur, la sain­teté» 7.

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Hein­rich Mann, «Sie­ben Jahre : Chro­nik der Ge­dan­ken und Vorgänge» (éd. P. Zsol­nay, Ber­lin) 8
  • Mi­chel Ro­bert, «Mau­rice Bé­jart, une vie : der­niers en­tre­tiens» (éd. L. Pire, Bruxelles).
  1. En ja­po­nais «ビルマの竪琴». Par­fois tra­duit «La Harpe bir­mane». Haut
  2. En ja­po­nais 竹山道雄. Haut
  3. En ja­po­nais «息子を一人失った». Haut
  4. En ja­po­nais «独逸・新しき中世?» Haut
  1. p. 91. Haut
  2. p. 266. Haut
  3. p. 275. Haut
  4. «Sept An­nées» («Sie­ben Jahre») est un re­cueil d’articles de cri­tique, d’essais et de dis­cours par l’infatigable po­lé­miste Hein­rich Mann, dont s’est ins­piré M. Ta­keyama. Cer­tains sont écrits en fran­çais. Haut