« Sublimes Paroles et Idioties de Nasr Eddin Hodja : tout Nasr Eddin ou presque »

éd. Phébus, coll. Libretto, Paris

éd. Phé­bus, coll. Li­bretto, Pa­ris

Il s’agit des plai­san­te­ries de Nas­red­din Hodja 1, pro­duc­tions lé­gères de la qui tiennent une place qui ne leur est dis­pu­tée par au­cun autre ou­vrage. On peut même dire qu’elles consti­tuent, à elles seules, un genre spé­cial : le genre plai­sant. L’immense po­pu­la­rité ac­cor­dée, dans sa pa­trie, au Hodja et à ses fa­cé­ties ex­tra­va­gantes per­met de voir en lui la per­son­ni­fi­ca­tion même de cette belle hu­meur jo­viale, sou­vent ef­fron­tée, dé­dai­gnant toutes les conve­nances, har­die jusqu’à l’impudence, mais spi­ri­tuelle, mor­dante, ma­li­cieuse, par­fois grosse d’enseignements, qui fait la base de la conver­sa­tion turque. Ici, point de ces mé­ta­phores am­bi­tieuses dont les let­trés orien­taux peuvent, seuls, ap­pré­cier le mé­rite; point de ces longues pé­riodes où la so­phis­ti­ca­tion et la des ex­pres­sions font perdre à l’auteur le fil de son . Au lieu de ces or­ne­ments qui troublent le com­mun des mor­tels, on trouve de la bonne et franche gaieté; un simple, concis et na­tu­rel; une verve naïve dont les éclairs in­at­ten­dus com­mandent le aux gens les plus comme aux plus igno­rants, trop heu­reux de dé­ri­der leurs fronts sou­cieux, de dis­traire la mo­no­to­nie de leurs ré­flexions, de trom­per l’ennui de leurs veilles. «Il est peu pro­bable de trou­ver dans le en­tier», dit un  2, «un hé­ros du qui jouisse d’un tel in­té­rêt ou qui at­tire d’une telle force l’attention d’auteurs et de lec­teurs que Nas­red­din Hodja… La forme ser­rée qui en­ve­loppe l’idée des [] aide à les re­te­nir fa­ci­le­ment dans la et à les dif­fu­ser… Il faut ajou­ter éga­le­ment que le per­son­nage de Nas­red­din Hodja marche sur les che­mins pous­sié­reux de l’Anatolie, dans les steppes de l’ et du Tad­ji­kis­tan et dans les de [la pé­nin­sule bal­ka­nique] avec un dé­faut inné, ayant trou­blé plu­sieurs fois les et les folk­lo­ristes : il s’agit du ca­rac­tère contra­dic­toire du hé­ros qui est re­pré­senté tan­tôt comme un sot en trois lettres peu pers­pi­cace et im­pré­voyant, tan­tôt comme un pré­voyant et juste; en tant que juge, il rend des équi­tables; en tant que dé­fen­seur des ac­cu­sés, il tranche des em­brouillés que les juges of­fi­ciels ne sont pas ca­pables de ju­ger.»

Alors, Nas­red­din est-il réel­le­ment idiot? Ou bien fait-il sem­blant de l’être pour trom­per ceux qu’il ren­contre sur son che­min? Ou bien en­core se sert-il de sa naï­veté pour mon­trer aux gens que ce sont eux les idiots, pous­sant leurs in­co­hé­rences jusqu’au bout pour en ré­vé­ler l’absurdité? Il est tout cela en même . Es­piègle et pro­fond, sa­vant et igno­rant, bon et cruel, ce sage fou nous ap­prend la , en nous fai­sant rire de lui, de nous et de tout. «Il se place ainsi dans la même li­gnée qu’un autre sage fou, le phi­lo­sophe Dio­gène, qui en­cou­ra­geait ses élèves, entre autres le­çons… à s’affranchir de l’importance in­con­si­dé­rée ac­cor­dée aux .» 3

dans la même li­gnée qu’un autre sage fou, le phi­lo­sophe Dio­gène

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style des «Su­blimes Pa­roles et Idio­ties de Nasr Ed­din Hodja : tout Nasr Ed­din ou presque» 4 : «Un jour, Nas­red­din, de ga­gner un peu d’argent, dé­cide de don­ner des le­çons de kurde, dont il ne connaît d’ailleurs que quelques mots.

Son pre­mier élève est un mar­chand qui se rend au Kur­dis­tan pour ses af­faires.

 Ap­prends- des mots qui me se­ront utiles dans mon voyage, pour com­men­cer. Com­ment dit-on “soupe chaude”, par exemple, puisque je des­cen­drai à l’auberge?

 “Soupe chaude” se dit “arsh”, ré­pond Nas­red­din sans hé­si­ter.

 Quoi? fait l’élève, étonné, un seul mot pour dire “soupe chaude”! Je se­rais cu­rieux de sa­voir com­ment on dit “soupe froide”.

 Il n’y a pas de mot pour cela, ré­pond Nas­red­din.

 Et pour­quoi donc?

 Parce que les Kurdes dé­testent man­ger la soupe froide» 5.

Téléchargez ces enregistrements sonores au format M4A

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Vé­lit­chko Valt­chev, «Nas­red­din Hodja et Cer­tains Pro­blèmes de l’ chez les peuples d’» dans «Stu­dies in Tur­kish Folk­lore, in ho­nor of » (éd. Mac­cal­lum, coll. In­diana Uni­ver­sity Tur­kish Stu­dies, Bloo­ming­ton), p. 210-222.
  1. En Nas­red­din Hoca. On le dé­signe éga­le­ment comme Mulla (Molla) Nas­red­din, c’est-à-dire Maître Nas­red­din. Par­fois trans­crit Nas­re­din, Nas­ra­din, Nas­ri­din, Nas­ret­tin, Nas­tra­din, Nas­tra­tin, Nas­ret­din, Nas­rud­din, Nassr Ed­din ou Nazr-ed-din. Icône Haut
  2. M. Vé­lit­chko Valt­chev. Icône Haut
  3. MM. Ilios Kot­sou et Mat­thieu Ri­card. Icône Haut
  1. Ce vo­lume réunit trois re­cueils qui déjà avaient été pu­bliés sé­pa­ré­ment : «Su­blimes Pa­roles et Idio­ties de Nasr Ed­din Hodja», «Hautes Sot­tises de Nasr Ed­din Hodja» et «Di­vines In­sa­ni­tés de Nasr Ed­din Hodja». Icône Haut
  2. p. 172. Icône Haut