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Chateaubriand, «Voyages en Amérique et en Italie. Tome II»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Voyage en Ita­lie» et autres œuvres de Fran­çois René de Cha­teau­briand, au­teur et po­li­tique fran­çais, père du ro­man­tisme chré­tien. Le mal, le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne mo­nar­chie, de l’ancienne aris­to­cra­tie, il se plaça contre la Ré­vo­lu­tion fran­çaise, dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la fa­mille de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mé­lan­co­lie mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au sou­ve­nir de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large so­leil». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la réa­lité dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette vie», écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune pen­sée ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la re­li­gion chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec cha­leur et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses en­fants, ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le scep­ti­cisme de mon “Es­sai sur les Ré­vo­lu­tions”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son em­pri­son­ne­ment. Ces deux voix sor­ties du tom­beau, cette mort qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Haut
  1. «Études his­to­riques». Haut

Chateaubriand, «Voyages en Amérique et en Italie. Tome I»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Voyage en Amé­rique» et autres œuvres de Fran­çois René de Cha­teau­briand, au­teur et po­li­tique fran­çais, père du ro­man­tisme chré­tien. Le mal, le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne mo­nar­chie, de l’ancienne aris­to­cra­tie, il se plaça contre la Ré­vo­lu­tion fran­çaise, dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la fa­mille de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mé­lan­co­lie mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au sou­ve­nir de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large so­leil». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la réa­lité dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette vie», écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune pen­sée ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la re­li­gion chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec cha­leur et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses en­fants, ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le scep­ti­cisme de mon “Es­sai sur les Ré­vo­lu­tions”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son em­pri­son­ne­ment. Ces deux voix sor­ties du tom­beau, cette mort qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Haut
  1. «Études his­to­riques». Haut

Judith Gautier, «Œuvres complètes. Tome II»

éd. Classiques Garnier, coll. Bibliothèque du XIXᵉ siècle, Paris

éd. Clas­siques Gar­nier, coll. Bi­blio­thèque du XIXe siècle, Pa­ris

Il s’agit de «Fleurs d’Orient» et autres œuvres de Ju­dith Gau­tier 1, femme de lettres fran­çaise (XIXe-XXe siècle). Fille de Théo­phile Gau­tier, elle fut peut-être le chef-d’œuvre de son père. Ce der­nier fa­çonna cette âme d’enfant, comme on fa­çonne l’argile, et l’embellit de toute la pu­reté ro­ma­nesque et de toute la chas­teté fière dont il prô­nait le culte. De son sa­lon, qui réunis­sait tout ce que Pa­ris avait de poètes et de ro­man­ciers, il lui fit une sorte de ber­ceau, au fond du­quel il se plut à la voir gran­dir. En­fin, il pré­dis­posa cette âme au rêve, en lui ou­vrant les livres de l’orientalisme. En ce temps, l’Orient, soit comme image soit comme pen­sée, était de­venu une oc­cu­pa­tion gé­né­rale pour les sa­vants au­tant que pour les ar­tistes, comme ex­plique Hugo 2 : «Les études orien­tales n’ont ja­mais été pous­sées si avant. Au siècle de Louis XIV, on était hel­lé­niste; main­te­nant on est orien­ta­liste. Il y a un pas de fait. Ja­mais tant d’intelligences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de l’Asie». Très vite, Ju­dith re­con­nut l’Orient comme une se­conde pa­trie, dont les images, les cadres, la mu­sique, la so­no­rité des noms vinrent em­preindre toutes ses pen­sées, toutes ses rê­ve­ries. Chez les poètes de la Chine et chez les prêtres de l’Inde, elle dé­cou­vrait sa phi­lo­so­phie ca­chée, sa propre phi­lo­so­phie, qu’elle ne s’était pas dite en­core; et dans les ré­cits de voyage au Ja­pon, elle re­voyait ses rêves et tout un Éden déjà presque fa­mi­lier. Alors, elle peu­pla cet Éden d’amantes et d’amants aux cœurs aussi purs que le sien et de nobles fi­gures ir­réelles. Hugo, au­quel elle en­voya son pre­mier ro­man, écrit ceci de­puis l’exil : «J’ai lu votre “Dra­gon im­pé­rial”. Quel art puis­sant et gra­cieux que le vôtre!… Al­ler en Chine, c’est presque al­ler dans la lune; vous nous faites faire ce voyage si­dé­ral. On vous suit avec ex­tase, et vous fuyez dans le bleu pro­fond du rêve, ai­lée et étoi­lée». Elle vé­cut dans un tel monde étoilé, à me­sure qu’elle le créait. Du nôtre, elle ne connut rien ou n’en vou­lut rien connaître. «Pa­ris est pour elle une ca­pi­tale loin­taine qu’elle n’a même point le dé­sir de vi­si­ter un jour. Les formes y manquent de splen­deur et de mys­tère; les mai­sons en sont grises; la foule en est terne… Elle ignore; mais par une in­tui­tive conscience de pro­phé­tesse, elle de­vine des lai­deurs qu’elle veut igno­rer, et s’en dé­tourne comme d’un ruis­seau, pour évi­ter la boue… Elle est ja­lou­se­ment en­fer­mée dans une sorte de cloître qu’elle a for­ti­fié d’indifférence», ra­conte Ed­mond Ha­rau­court.

  1. Éga­le­ment connue sous le sur­nom de Ju­dith Wal­ter, ainsi que sous le nom de femme ma­riée de Ju­dith Men­dès (1866-1874). Haut
  1. «Les Orien­tales». Haut

Judith Gautier, «Œuvres complètes. Tome I»

éd. Classiques Garnier, coll. Bibliothèque du XIXᵉ siècle, Paris

éd. Clas­siques Gar­nier, coll. Bi­blio­thèque du XIXe siècle, Pa­ris

Il s’agit du «Dra­gon im­pé­rial» et autres œuvres de Ju­dith Gau­tier 1, femme de lettres fran­çaise (XIXe-XXe siècle). Fille de Théo­phile Gau­tier, elle fut peut-être le chef-d’œuvre de son père. Ce der­nier fa­çonna cette âme d’enfant, comme on fa­çonne l’argile, et l’embellit de toute la pu­reté ro­ma­nesque et de toute la chas­teté fière dont il prô­nait le culte. De son sa­lon, qui réunis­sait tout ce que Pa­ris avait de poètes et de ro­man­ciers, il lui fit une sorte de ber­ceau, au fond du­quel il se plut à la voir gran­dir. En­fin, il pré­dis­posa cette âme au rêve, en lui ou­vrant les livres de l’orientalisme. En ce temps, l’Orient, soit comme image soit comme pen­sée, était de­venu une oc­cu­pa­tion gé­né­rale pour les sa­vants au­tant que pour les ar­tistes, comme ex­plique Hugo 2 : «Les études orien­tales n’ont ja­mais été pous­sées si avant. Au siècle de Louis XIV, on était hel­lé­niste; main­te­nant on est orien­ta­liste. Il y a un pas de fait. Ja­mais tant d’intelligences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de l’Asie». Très vite, Ju­dith re­con­nut l’Orient comme une se­conde pa­trie, dont les images, les cadres, la mu­sique, la so­no­rité des noms vinrent em­preindre toutes ses pen­sées, toutes ses rê­ve­ries. Chez les poètes de la Chine et chez les prêtres de l’Inde, elle dé­cou­vrait sa phi­lo­so­phie ca­chée, sa propre phi­lo­so­phie, qu’elle ne s’était pas dite en­core; et dans les ré­cits de voyage au Ja­pon, elle re­voyait ses rêves et tout un Éden déjà presque fa­mi­lier. Alors, elle peu­pla cet Éden d’amantes et d’amants aux cœurs aussi purs que le sien et de nobles fi­gures ir­réelles. Hugo, au­quel elle en­voya son pre­mier ro­man, écrit ceci de­puis l’exil : «J’ai lu votre “Dra­gon im­pé­rial”. Quel art puis­sant et gra­cieux que le vôtre!… Al­ler en Chine, c’est presque al­ler dans la lune; vous nous faites faire ce voyage si­dé­ral. On vous suit avec ex­tase, et vous fuyez dans le bleu pro­fond du rêve, ai­lée et étoi­lée». Elle vé­cut dans un tel monde étoilé, à me­sure qu’elle le créait. Du nôtre, elle ne connut rien ou n’en vou­lut rien connaître. «Pa­ris est pour elle une ca­pi­tale loin­taine qu’elle n’a même point le dé­sir de vi­si­ter un jour. Les formes y manquent de splen­deur et de mys­tère; les mai­sons en sont grises; la foule en est terne… Elle ignore; mais par une in­tui­tive conscience de pro­phé­tesse, elle de­vine des lai­deurs qu’elle veut igno­rer, et s’en dé­tourne comme d’un ruis­seau, pour évi­ter la boue… Elle est ja­lou­se­ment en­fer­mée dans une sorte de cloître qu’elle a for­ti­fié d’indifférence», ra­conte Ed­mond Ha­rau­court.

  1. Éga­le­ment connue sous le sur­nom de Ju­dith Wal­ter, ainsi que sous le nom de femme ma­riée de Ju­dith Men­dès (1866-1874). Haut
  1. «Les Orien­tales». Haut

Chateaubriand, «Mémoires d’outre-tombe. Tome II»

éd. Gallimard, coll. Quarto, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Quarto, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires d’outre-tombe» de Fran­çois René de Cha­teau­briand, au­teur et po­li­tique fran­çais, père du ro­man­tisme chré­tien. Le mal, le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne mo­nar­chie, de l’ancienne aris­to­cra­tie, il se plaça contre la Ré­vo­lu­tion fran­çaise, dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la fa­mille de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mé­lan­co­lie mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au sou­ve­nir de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large so­leil». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la réa­lité dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette vie», écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune pen­sée ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la re­li­gion chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec cha­leur et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses en­fants, ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le scep­ti­cisme de mon “Es­sai sur les Ré­vo­lu­tions”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son em­pri­son­ne­ment. Ces deux voix sor­ties du tom­beau, cette mort qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Haut
  1. «Études his­to­riques». Haut

Chateaubriand, «Mémoires d’outre-tombe. Tome I»

éd. Gallimard, coll. Quarto, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Quarto, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires d’outre-tombe» de Fran­çois René de Cha­teau­briand, au­teur et po­li­tique fran­çais, père du ro­man­tisme chré­tien. Le mal, le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne mo­nar­chie, de l’ancienne aris­to­cra­tie, il se plaça contre la Ré­vo­lu­tion fran­çaise, dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la fa­mille de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mé­lan­co­lie mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au sou­ve­nir de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large so­leil». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la réa­lité dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette vie», écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune pen­sée ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la re­li­gion chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec cha­leur et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses en­fants, ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le scep­ti­cisme de mon “Es­sai sur les Ré­vo­lu­tions”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son em­pri­son­ne­ment. Ces deux voix sor­ties du tom­beau, cette mort qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Haut
  1. «Études his­to­riques». Haut

Saulcy, «Les Derniers Jours de Jérusalem»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Der­niers Jours de Jé­ru­sa­lem» de Louis-Fé­li­cien Cai­gnart de Saulcy, dit Fé­lix de Saulcy, sa­vant et voya­geur fran­çais. Il na­quit en 1807. Sa fa­mille vou­lait en faire un sol­dat, un ca­pi­taine, et la for­ma­tion scien­ti­fique, né­gli­gée dans son en­fance, al­lait être rat­tra­pée avec peine. Mais il ai­mait les mon­naies an­tiques et il pre­nait un réel plai­sir au dé­chif­fre­ment des ca­rac­tères énig­ma­tiques, à l’exhumation des langues dis­pa­rues. Peu à peu, la nu­mis­ma­tique, l’archéologie et la lin­guis­tique oc­cu­pèrent tout son es­prit, si bien qu’à l’âge de trente-cinq ans il était élu membre de l’Académie des ins­crip­tions. L’érudit sur­passa le sol­dat, sans l’effacer d’ailleurs, et c’est l’instinct de dé­cou­vrir, de tou­cher à tout — ins­tinct très do­mi­nant chez lui — qui dé­ter­mina son par­cours : «Son es­prit cu­rieux se trou­vait mal à l’aise dans les voies trop frayées : il avait la pas­sion des dé­cou­vertes, l’instinct et — j’oserai dire, pour me ser­vir de la fa­mi­lia­rité ha­bi­tuelle de son lan­gage, la dé­man­geai­son de la di­vi­na­tion», dit un contem­po­rain 1. Il se­rait trop long de ci­ter les ou­vrages de fond ou ar­ticles de syn­thèse qui sor­tirent de la plume de Saulcy au cours de sa longue car­rière sa­vante, et dont le nombre ne s’élève pas à moins de 389. On trouve son nom à une place ho­no­rable ou brillante au mi­lieu des dis­cus­sions sur la nu­mis­ma­tique des croi­sades; sur l’étude des textes pu­niques et phé­ni­ciens; sur l’alphabet des Ber­bères; sur la chro­no­lo­gie as­sy­rienne; sur l’archéologie dans les terres bi­bliques; sur les ins­crip­tions cu­néi­formes, etc. Comme on peut le voir, il avait l’habitude de ne pas s’attacher trop long­temps au même su­jet. En étu­diant une ma­tière in­con­nue, il trou­vait sans ef­fort ni fa­tigue le nœud de la ques­tion et il le tran­chait — et, peut-être par­fois, ha­chait — de l’épée. La vé­rité lui ap­pa­rais­sait du pre­mier coup ou elle ne lui ap­pa­rais­sait ja­mais.

  1. Henri Wal­lon. Haut

Saulcy, «Carnets de voyage en Orient (1845-1869)»

éd. Presses universitaires de France, Paris

éd. Presses uni­ver­si­taires de France, Pa­ris

Il s’agit des «Car­nets de voyage en Orient» de Louis-Fé­li­cien Cai­gnart de Saulcy, dit Fé­lix de Saulcy, sa­vant et voya­geur fran­çais. Il na­quit en 1807. Sa fa­mille vou­lait en faire un sol­dat, un ca­pi­taine, et la for­ma­tion scien­ti­fique, né­gli­gée dans son en­fance, al­lait être rat­tra­pée avec peine. Mais il ai­mait les mon­naies an­tiques et il pre­nait un réel plai­sir au dé­chif­fre­ment des ca­rac­tères énig­ma­tiques, à l’exhumation des langues dis­pa­rues. Peu à peu, la nu­mis­ma­tique, l’archéologie et la lin­guis­tique oc­cu­pèrent tout son es­prit, si bien qu’à l’âge de trente-cinq ans il était élu membre de l’Académie des ins­crip­tions. L’érudit sur­passa le sol­dat, sans l’effacer d’ailleurs, et c’est l’instinct de dé­cou­vrir, de tou­cher à tout — ins­tinct très do­mi­nant chez lui — qui dé­ter­mina son par­cours : «Son es­prit cu­rieux se trou­vait mal à l’aise dans les voies trop frayées : il avait la pas­sion des dé­cou­vertes, l’instinct et — j’oserai dire, pour me ser­vir de la fa­mi­lia­rité ha­bi­tuelle de son lan­gage, la dé­man­geai­son de la di­vi­na­tion», dit un contem­po­rain 1. Il se­rait trop long de ci­ter les ou­vrages de fond ou ar­ticles de syn­thèse qui sor­tirent de la plume de Saulcy au cours de sa longue car­rière sa­vante, et dont le nombre ne s’élève pas à moins de 389. On trouve son nom à une place ho­no­rable ou brillante au mi­lieu des dis­cus­sions sur la nu­mis­ma­tique des croi­sades; sur l’étude des textes pu­niques et phé­ni­ciens; sur l’alphabet des Ber­bères; sur la chro­no­lo­gie as­sy­rienne; sur l’archéologie dans les terres bi­bliques; sur les ins­crip­tions cu­néi­formes, etc. Comme on peut le voir, il avait l’habitude de ne pas s’attacher trop long­temps au même su­jet. En étu­diant une ma­tière in­con­nue, il trou­vait sans ef­fort ni fa­tigue le nœud de la ques­tion et il le tran­chait — et, peut-être par­fois, ha­chait — de l’épée. La vé­rité lui ap­pa­rais­sait du pre­mier coup ou elle ne lui ap­pa­rais­sait ja­mais.

  1. Henri Wal­lon. Haut

Chateaubriand, «Mélanges littéraires»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Mé­langes lit­té­raires» de Fran­çois René de Cha­teau­briand, au­teur et po­li­tique fran­çais, père du ro­man­tisme chré­tien. Le mal, le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne mo­nar­chie, de l’ancienne aris­to­cra­tie, il se plaça contre la Ré­vo­lu­tion fran­çaise, dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la fa­mille de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mé­lan­co­lie mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au sou­ve­nir de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large so­leil». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la réa­lité dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette vie», écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune pen­sée ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la re­li­gion chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec cha­leur et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses en­fants, ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le scep­ti­cisme de mon “Es­sai sur les Ré­vo­lu­tions”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son em­pri­son­ne­ment. Ces deux voix sor­ties du tom­beau, cette mort qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Haut
  1. «Études his­to­riques». Haut

Galland, «Les “Mille et une Nuits” : contes arabes. Tome III»

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des «Mille et une Nuits» («Alf layla wa-layla» 1), contes arabes. Ra­re­ment, la ri­chesse de la nar­ra­tion et les tré­sors de l’imagination ont été dé­pen­sés dans une œuvre avec plus de pro­di­ga­lité; et ra­re­ment, une œuvre a eu une réus­site plus écla­tante que celle des «Mille et une Nuits» de­puis qu’elle a été trans­por­tée en France par l’orientaliste An­toine Gal­land au com­men­ce­ment du XVIIIe siècle. De là, elle a im­mé­dia­te­ment rem­pli le monde de sa re­nom­mée, et de­puis, son suc­cès n’a fait que croître de jour en jour, sans souf­frir ni des ca­prices de la mode ni du chan­ge­ment des goûts. Quelle ex­tra­or­di­naire fé­con­dité dans ces contes! Quelle va­riété! Avec quel in­épui­sable in­té­rêt on suit les aven­tures en­chan­te­resses de Sind­bad le Ma­rin ou les mer­veilles opé­rées par la lampe d’Aladdin : «C’est dans l’Orient même que l’enfance du genre hu­main se montre avec toute sa grâce et toute sa naï­veté», dit Édouard Gaut­tier d’Arc 2. «On y cher­che­rait en vain ou ces teintes mé­lan­co­liques du Nord, ou ces al­lu­sions sé­rieuses et pro­fondes [des] Grecs. [Ici], on voit que l’imagination ne s’est mise en œuvre que pour se créer à elle-même des plai­sirs… Ces gé­nies qu’elle a pro­duits, vont ré­pan­dant par­tout les perles, l’or, les dia­mants; ils élèvent en un ins­tant des pa­lais su­perbes; ils livrent à ce­lui qu’ils fa­vo­risent, des hou­ris 3 en­chan­te­resses; ils l’accablent, en un mot, de toutes les jouis­sances, sans qu’il se donne au­cune peine pour les ac­qué­rir. Il faut aux Orien­taux un bon­heur fa­cile et com­plet; ils le veulent sans nuages, comme le so­leil qui les éclaire.»

  1. En arabe «ألف ليلة وليلة». Au­tre­fois trans­crit «Alef léï­lét oué-léï­lét», «Alef lei­let we lei­let», «Alef leila wa leila» ou «Alf laila wa-laila». Haut
  2. Pré­face à l’édition de 1822-1823. Haut
  1. Beau­tés cé­lestes qui, se­lon le Co­ran, se­ront les épouses des fi­dèles. Haut

Galland, «Les “Mille et une Nuits” : contes arabes. Tome II»

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des «Mille et une Nuits» («Alf layla wa-layla» 1), contes arabes. Ra­re­ment, la ri­chesse de la nar­ra­tion et les tré­sors de l’imagination ont été dé­pen­sés dans une œuvre avec plus de pro­di­ga­lité; et ra­re­ment, une œuvre a eu une réus­site plus écla­tante que celle des «Mille et une Nuits» de­puis qu’elle a été trans­por­tée en France par l’orientaliste An­toine Gal­land au com­men­ce­ment du XVIIIe siècle. De là, elle a im­mé­dia­te­ment rem­pli le monde de sa re­nom­mée, et de­puis, son suc­cès n’a fait que croître de jour en jour, sans souf­frir ni des ca­prices de la mode ni du chan­ge­ment des goûts. Quelle ex­tra­or­di­naire fé­con­dité dans ces contes! Quelle va­riété! Avec quel in­épui­sable in­té­rêt on suit les aven­tures en­chan­te­resses de Sind­bad le Ma­rin ou les mer­veilles opé­rées par la lampe d’Aladdin : «C’est dans l’Orient même que l’enfance du genre hu­main se montre avec toute sa grâce et toute sa naï­veté», dit Édouard Gaut­tier d’Arc 2. «On y cher­che­rait en vain ou ces teintes mé­lan­co­liques du Nord, ou ces al­lu­sions sé­rieuses et pro­fondes [des] Grecs. [Ici], on voit que l’imagination ne s’est mise en œuvre que pour se créer à elle-même des plai­sirs… Ces gé­nies qu’elle a pro­duits, vont ré­pan­dant par­tout les perles, l’or, les dia­mants; ils élèvent en un ins­tant des pa­lais su­perbes; ils livrent à ce­lui qu’ils fa­vo­risent, des hou­ris 3 en­chan­te­resses; ils l’accablent, en un mot, de toutes les jouis­sances, sans qu’il se donne au­cune peine pour les ac­qué­rir. Il faut aux Orien­taux un bon­heur fa­cile et com­plet; ils le veulent sans nuages, comme le so­leil qui les éclaire.»

  1. En arabe «ألف ليلة وليلة». Au­tre­fois trans­crit «Alef léï­lét oué-léï­lét», «Alef lei­let we lei­let», «Alef leila wa leila» ou «Alf laila wa-laila». Haut
  2. Pré­face à l’édition de 1822-1823. Haut
  1. Beau­tés cé­lestes qui, se­lon le Co­ran, se­ront les épouses des fi­dèles. Haut

Chateaubriand, «Le Génie du christianisme. Tome IV»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Gé­nie du chris­tia­nisme» de Fran­çois René de Cha­teau­briand, au­teur et po­li­tique fran­çais, père du ro­man­tisme chré­tien. Le mal, le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne mo­nar­chie, de l’ancienne aris­to­cra­tie, il se plaça contre la Ré­vo­lu­tion fran­çaise, dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la fa­mille de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mé­lan­co­lie mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au sou­ve­nir de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large so­leil». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la réa­lité dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette vie», écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune pen­sée ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la re­li­gion chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec cha­leur et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses en­fants, ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le scep­ti­cisme de mon “Es­sai sur les Ré­vo­lu­tions”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son em­pri­son­ne­ment. Ces deux voix sor­ties du tom­beau, cette mort qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Haut
  1. «Études his­to­riques». Haut

Chateaubriand, «Le Génie du christianisme. Tome III»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Gé­nie du chris­tia­nisme» de Fran­çois René de Cha­teau­briand, au­teur et po­li­tique fran­çais, père du ro­man­tisme chré­tien. Le mal, le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne mo­nar­chie, de l’ancienne aris­to­cra­tie, il se plaça contre la Ré­vo­lu­tion fran­çaise, dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la fa­mille de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mé­lan­co­lie mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au sou­ve­nir de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large so­leil». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la réa­lité dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette vie», écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune pen­sée ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la re­li­gion chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec cha­leur et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses en­fants, ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le scep­ti­cisme de mon “Es­sai sur les Ré­vo­lu­tions”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son em­pri­son­ne­ment. Ces deux voix sor­ties du tom­beau, cette mort qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Haut
  1. «Études his­to­riques». Haut