Il s’agit du « Dragon impérial » et autres œuvres de Judith Gautier1, femme de lettres française (XIXe-XXe siècle). Fille de Théophile Gautier, elle fut peut-être le chef-d’œuvre de son père. Ce dernier façonna cette âme d’enfant, comme on façonne l’argile, et l’embellit de toute la pureté romanesque et de toute la chasteté fière dont il prônait le culte. De son salon, qui réunissait tout ce que Paris avait de poètes et de romanciers, il lui fit une sorte de berceau, au fond duquel il se plut à la voir grandir. Enfin, il prédisposa cette âme au rêve, en lui ouvrant les livres de l’orientalisme. En ce temps, l’Orient, soit comme image soit comme pensée, était devenu une occupation générale pour les savants autant que pour les artistes, comme explique Hugo2 : « Les études orientales n’ont jamais été poussées si avant. Au siècle de Louis XIV, on était helléniste ; maintenant on est orientaliste. Il y a un pas de fait. Jamais tant d’intelligences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de l’Asie ». Très vite, Judith reconnut l’Orient comme une seconde patrie, dont les images, les cadres, la musique, la sonorité des noms vinrent empreindre toutes ses pensées, toutes ses rêveries. Chez les poètes de la Chine et chez les prêtres de l’Inde, elle découvrait sa philosophie cachée, sa propre philosophie, qu’elle ne s’était pas dite encore ; et dans les récits de voyage au Japon, elle revoyait ses rêves et tout un Éden déjà presque familier. Alors, elle peupla cet Éden d’amantes et d’amants aux cœurs aussi purs que le sien et de nobles figures irréelles. Hugo, auquel elle envoya son premier roman, écrit ceci depuis l’exil : « J’ai lu votre “Dragon impérial”. Quel art puissant et gracieux que le vôtre !… Aller en Chine, c’est presque aller dans la lune ; vous nous faites faire ce voyage sidéral. On vous suit avec extase, et vous fuyez dans le bleu profond du rêve, ailée et étoilée ». Elle vécut dans un tel monde étoilé, à mesure qu’elle le créait. Du nôtre, elle ne connut rien ou n’en voulut rien connaître. « Paris est pour elle une capitale lointaine qu’elle n’a même point le désir de visiter un jour. Les formes y manquent de splendeur et de mystère ; les maisons en sont grises ; la foule en est terne… Elle ignore ; mais par une intuitive conscience de prophétesse, elle devine des laideurs qu’elle veut ignorer, et s’en détourne comme d’un ruisseau, pour éviter la boue… Elle est jalousement enfermée dans une sorte de cloître qu’elle a fortifié d’indifférence », raconte Edmond Haraucourt.
Ce cloître dont parle si bien Haraucourt, était l’appartement de style japonais, rue de Washington, où Judith établit son salon à partir de 1885 et où elle vécut retirée en elle-même. Elle y passait des mois de suite, écrivant, lisant, jouant de la musique, rêvant de la Perse, de l’Inde, de la Chine, du Japon. Les heureux élus qui y étaient admis chaque dimanche, formaient un cénacle assidu et dévoué, qui la regardait comme un objet de culte, et non comme une personne vivante. Ils prenaient plaisir à l’écouter, quand, tout en caressant l’irascible Mousmé ou le diabolique Satan (c’étaient ses chats), ou tout en prenant sa glissante Juliette (c’était sa couleuvre), ou en maniant quelque amulette, elle faisait des efforts pour rassembler ses idées. Outre ses amis, on y voyait des hôtes de passage, des ministres ou même des Empereurs venus d’Asie. Celui d’Annam était l’objet, dans son salon, de presque tout un cérémonial. C’est par Pierre Louÿs qu’elle fit la connaissance de ce prince oriental, à qui l’on doit l’inscription en caractères chinois gravée sur la tombe de Judith : « La lumière du ciel arrive » (« Ri lai tian »3). Mais poussons la porte du salon et entrons ! Nous sommes dans un petit capharnaüm sous les toits, bas de plafond, encombré de livres de toute sorte, jetés nonchalamment sur de superbes manuscrits de Hugo et des lettres galantes : « Fille de poète, femme de poète, vous êtes vous-même une reine ; plus qu’une reine, une muse… », « J’embrasse vos ailes… »4 Les invités s’entassaient comme ils le pouvaient au milieu de ce bric-à-brac, à l’ombre d’un Bouddha doré, plongé dans une méditation éternelle. Devant une cheminée couverte de chinoiseries, Heredia déclamait des sonnets non encore imprimés, et du fond mystérieusement obscur du salon, où trônait une inestimable photographie de Wagner, encadrée et dédicacée, s’élevaient les harmonies nouvelles de Widor ou de Bénédictus, jouées divinement au piano par les compositeurs en personne, cependant que la maîtresse du logis, vêtue d’un kimono, continuait à discourir sur cet Orient qu’elle n’avait jamais visité autrement qu’en esprit, tout peuplé de chimères et de pétales de fleurs.
cet Orient qu’elle n’avait jamais visité autrement qu’en esprit
Voici un passage qui donnera une idée du style du « Dragon impérial » : « Le pavillon du Repos de la Terre, où séjourne la douce Impératrice tartare aux grands pieds, s’adosse à une colline artificielle, la gravit de ses toits échelonnés, puis, fantasque, s’incline vers l’un des deux lacs miroitants… Çà et là, des balustrades de terrasses et des rebords de galeries s’interrompent pour laisser descendre les marches lisses d’un escalier de marbre. Devant des portails légers s’accroupissent des lions de jaspe aux crinières de métal fin, des tigres aux larges faces de bois doré. Des grues démesurées et des cigognes aux vastes ailes éployées dominent des pilastres bizarrement contournés. Dans de grandes caisses de jade vert s’épanouissent, par touffes splendides, des pivoines, des camélias, des cactus ; et parmi les fleurs, des parfums précieux brûlent sans trêve sur de larges trépieds de bronze. Partout les couleurs éclatent, radieuses : sur les plates-formes, sur les murailles, sur les colonnes, sur la jonque lente qui passe sous l’un des ponts. Chaque kiosque est un écrin »5.
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- « Le Dragon impérial » (1893) [Source : Canadiana]
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- « Le Dragon impérial » (1869) ; autre copie [Source : Google Livres]
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- « Le Dragon impérial » (1869) ; autre copie [Source : Bibliothèque nationale de France]
- « Le Dragon impérial » (éd. électronique) [Source : Wikisource]
- « Iskender : histoire persane » (1894) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- « Iskender : histoire persane » (1894) ; autre copie [Source : Google Livres]
- « Iskender : histoire persane » (1894) ; autre copie [Source : Google Livres]
- « Iskender : histoire persane » (1886) [Source : Bibliothèque nationale de France]
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- « L’Usurpateur, ou la Sœur du soleil » (1897) [Source : Canadiana]
- « L’Usurpateur, ou la Sœur du soleil » (1887) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- « L’Usurpateur, ou la Sœur du soleil » (1883). Tome I [Source : Bibliothèque nationale de France]
- « L’Usurpateur, ou la Sœur du soleil » (1883). Tome II [Source : Bibliothèque nationale de France]
- « L’Usurpateur, ou la Sœur du soleil » (1875). Tome I [Source : Google Livres]
- « L’Usurpateur, ou la Sœur du soleil » (1875). Tome II [Source : Bibliothèque nationale de France]
- « L’Usurpateur, ou la Sœur du soleil » (1875). Tome II ; autre copie [Source : Google Livres]
- « L’Usurpateur, ou la Sœur du soleil » (éd. électronique) [Source : Wikisource]
- « Lucienne » (1877) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- « Lucienne » (1877) ; autre copie [Source : Google Livres]
- « Lucienne » (éd. électronique) [Source : Wikisource]
- « Isoline • La Fleur-serpent » (1882) [Source : Bibliothèque nationale de France]…
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- « Lucienne », lu par ~Cocotte [Source : Littérature audio].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Edmond Haraucourt, « Le Petit Théâtre [fondé par Mme Judith Gautier] » dans « Le Gaulois », 28 mai 1898, p. 1 [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Albert de Pouvourville, « Judith Gautier » dans « Le Gaulois », 29 décembre 1917, p. 2 [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Joanna Richardson, « Judith Gautier » (éd. Seghers, Paris).