Amaru, « Anthologie érotique »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du re­cueil poé­tique que les Hin­dous ap­pellent « La Cen­tu­rie d’Amaru » (« Ama­ruśa­taka »1). On at­tri­bue au roi Amaru2, un roi mys­té­rieux et dif­fi­ci­le­ment iden­ti­fiable du Ca­che­mire (VIIe siècle apr. J.-C.), cette cen­taine de stances sen­suelles et tendres qui semblent au­tant d’étincelles jaillies du flam­beau même de l’Amour. Les plai­sirs amou­reux, avec aussi leurs que­relles et bou­de­ries, sui­vies de ré­con­ci­lia­tions ra­pides, voilà les thèmes ha­bi­tuels de cette an­tho­lo­gie qui sou­tien­drait, sans trop de désa­van­tage, le pa­ral­lèle avec le plus sin­cère et le plus par­fait des ly­riques la­tins : Ca­tulle. Les cri­tiques hin­dous en gé­né­ral et Ânan­da­vard­hana3 en par­ti­cu­lier exaltent l’habileté ex­cep­tion­nelle avec la­quelle Amaru a concen­tré, dans chaque strophe, des beau­tés dignes de poèmes bien plus longs, ainsi que l’émotion sym­pa­thique et vi­brante avec la­quelle il a re­pré­senté des ta­bleaux, des at­ti­tudes, des mo­ments pi­quants ou at­ten­dris­sants dans les re­la­tions entre l’homme et la femme. Il existe à ce su­jet une lé­gende : l’âme d’Amaru, par une ac­tion ma­gique (« par le pou­voir du yoga »), se se­rait lo­gée dans le corps de cent femmes, et ce se­rait dans ces trans­mi­gra­tions qu’il au­rait été ini­tié à tous les mys­tères de l’Amour. Cette lé­gende agréable prouve, du moins, le grand cas que ses com­pa­triotes font de ses poé­sies, et la vé­rité avec la­quelle il a su rendre toutes les nuances d’une pas­sion qui, à ce qu’il pa­raît, est aussi vi­ve­ment sen­tie sur les bords du Gange, que sur ceux de la Seine : « Ce­lui qui n’a pas lu “La Cen­tu­rie” d’Amaru », dit Louis Énault4, « ne connaît pas toute la lit­té­ra­ture sans­crite ; un côté cu­rieux, une face pro­fon­dé­ment ori­gi­nale de la pen­sée hin­doue lui aura tou­jours échappé. Je ne pré­tends point que “La Cen­tu­rie” ait l’importance poé­tique du “Râ­mâyaṇa”, la por­tée re­li­gieuse des Vé­das, ou le grand in­té­rêt his­to­rique du “Ma­hâb­hâ­rata”. Ce se­rait beau­coup trop dire. Mais Amaru nous fait pé­né­trer dans une Inde nou­velle, dont nous n’avions pas même le soup­çon : l’Inde char­mante, vive, spi­ri­tuelle, vo­lup­tueuse et pas­sion­née. Amaru, ce n’est plus le brah­mane ab­sorbé dans la contem­pla­tion de Dieu… c’est un homme !… Aussi, parce qu’il parle le lan­gage que com­prennent tous ceux que la pas­sion a ra­va­gés, ou seule­ment ef­fleu­rés… il est lu avec un égal plai­sir sur les rives de la Seine ou sur les bords du Gange, à l’ombre des pa­godes de Delhi ou dans un bou­doir pa­ri­sien ».

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises de « La Cen­tu­rie », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle d’Antoine-Léonard de Chézy5.

« लग्ना नांशुकपल्लवे भुजलता न द्वारदेशेऽपिता
नो वा पादतले तया निपतितं तिष्ठेति नोक्तं वचः ।
काले केवलमम्बुदातिमलिने गन्तुं प्रवृत्तः शठः
तन्व्या बाष्पजलौघकल्पितनदीपूरेण बद्धः प्रियः ॥
 »
— Poème dans la langue ori­gi­nale

« Sans s’attacher aux franges de sa robe, sans étendre la main pour em­pê­cher sa sor­tie, sans tom­ber à ses pieds, sans avoir même pro­noncé ce simple mot : “De­meure !” elle jette seule­ment sur lui ses beaux yeux pleins de tris­tesse ; et cet amant dont le temps le plus af­freux ne pou­vait ar­rê­ter le dé­part, voilà qu’il se sent tout à coup re­tenu par les larmes de sa maî­tresse comme par un fleuve dé­bordé. »
— Poème dans la tra­duc­tion de Chézy

« La liane de ses bras ne s’est pas at­ta­chée
Au côté du man­teau ;
Elle n’a pas barré le seuil,
Elle n’est pas tom­bée au sol
Et n’a pas dit “De­meure !”
Sous un ciel as­som­bri de l’essaim des nuages,
Le cruel s’apprêtait au dé­part.
La belle,
Du tor­rent de ses larmes em­plis­sant des fos­sés,
A re­tenu son bien-aimé. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Alain Re­bière (éd. UNESCO-Gal­li­mard, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’Orient, Pa­ris)

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  1. En sans­crit « अमरुशतक ». Au­tre­fois trans­crit « Ama­ru­ça­taka » ou « Amaru Sha­taka ». Haut
  2. En sans­crit अमरु. Par­fois trans­crit Ama­rou. Haut
  3. En sans­crit आनन्दवर्धन. Haut
  1. « His­toire de la lit­té­ra­ture des Hin­dous », p. 60-61. Haut
  2. Le pseu­do­nyme dont An­toine-Léo­nard de Chézy fait choix pour sa tra­duc­tion est si­gni­fi­ca­tif : il se donne le nom d’Apudy (« sans pu­deur »). Haut