Mizubayashi, « Mélodie : chronique d’une passion »

éd. Gallimard, coll. L’Un et l’Autre, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. L’Un et l’Autre, Pa­ris

Il s’agit de « Mé­lo­die : chro­nique d’une pas­sion » de M. Akira Mi­zu­baya­shi, un Ja­po­nais d’expression fran­çaise (XXIe siècle). À l’âge de dix-huit ans, ra­conte M. Mi­zu­baya­shi, les écrits in­times de M. Ari­masa Mori pro­vo­quèrent chez lui « un bou­le­ver­se­ment, un séisme in­té­rieur d’une force in­éga­lée »1 et l’orientèrent d’une fa­çon dé­ci­sive vers le fran­çais et la culture qui en est in­dis­so­ciable. M. Mori avait été le pre­mier qui avait vu, dans cette langue et cette culture, une re­traite pro­vi­soire où chaque Ja­po­nais pou­vait pui­ser des forces nou­velles pour faire ad­ve­nir un jour un État meilleur ; le pre­mier qui avait fait le vœu so­len­nel de re­faire sa vie, de re­com­men­cer de zéro, en s’appropriant en­tiè­re­ment cette ci­vi­li­sa­tion fran­çaise qui n’était pas la sienne, mais qu’il vé­né­rait. Dans « Ba­bi­ron no na­gare no ho­tori nite »2, sous-ti­tré en fran­çais « Sur les fleuves de Ba­by­lone », M. Mori avait écrit : « Je dois avan­cer dans l’effort d’appropriation hum­ble­ment, pe­tit à pe­tit, même si j’ai à peine le ni­veau d’un pe­tit éco­lier ou d’un ga­min d’école ma­ter­nelle. Que les pa­roles pro­duites dans et à tra­vers la langue fran­çaise fi­nissent par de­ve­nir équi­va­lentes à la chose, tel est pour moi l’objectif à at­teindre. C’est seule­ment à ce mo­ment-là que le fond des choses se ré­vé­lera sous un nou­veau jour, s’incarnera dans une nou­velle vie ; un monde nou­veau poin­dra. Si je réus­sis à éprou­ver, un tant soit peu, ce sen­ti­ment-là, c’est ga­gné ! Pour le reste, je dois ap­prendre comme un en­fant ». Ainsi donc, de­vant l’exigence de la langue fran­çaise, qui lui ap­pa­rais­sait comme un moyen d’atteindre « le fond des choses », M. Mori avait ac­cepté — acte in­ouï pour un in­tel­lec­tuel formé au Ja­pon et en­sei­gnant à la pres­ti­gieuse Uni­ver­sité de Tô­kyô — de tout ré­ap­prendre et de se re­con­naître dans la fi­gure si­dé­rante d’« un pe­tit éco­lier ». M. Mi­zu­baya­shi fut frappé comme par la foudre par ce texte. À peine avait-il lu le pas­sage dont j’ai ex­trait les lignes pré­cé­dentes, qu’il crut y en­tendre un ap­pel à naître à « une nou­velle vie » par l’apprentissage du fran­çais ; à pen­ser au­tre­ment son rap­port à l’autre, au monde ; à s’arracher à sa langue na­tale, aux codes du confor­misme, de la sou­mis­sion, du res­pect im­posé qu’elle vé­hi­cu­lait ; à goû­ter au plai­sir de la li­berté : « Le texte de Mori me de­man­dait, de­puis la hau­teur in­soup­çon­née d’un dis­cours phi­lo­so­phique et sur un ton aus­tère dé­fiant toute at­ti­tude vel­léi­taire, si j’étais prêt à me lan­cer dans une telle aven­ture… ; à m’offrir le luxe ou le risque d’une deuxième nais­sance, d’une se­conde vie im­pure, hy­bride, sans doute plus longue, plus aléa­toire, plus ex­po­sée à des ébran­le­ments im­pré­vi­sibles, plus obs­ti­né­ment ques­tion­neuse que la pre­mière — [au­to­suf­fi­sante], peu­plée de cer­ti­tudes, ten­dan­ciel­le­ment re­pliée sur elle-même et, par cela même, par­fois in­fa­tuée d’elle-même. Ma ré­ponse fut, sans une se­conde d’hésitation, oui ! »3

naître à « une nou­velle vie » par l’apprentissage du fran­çais

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style de « Mé­lo­die : chro­nique d’une pas­sion » : « Mais ma­ni­fes­te­ment, l’homme a suivi le che­min de Des­cartes et non ce­lui de Rous­seau. Il est ainsi par­venu à la tech­nos­cience toute-puis­sante. Nous vi­vons à l’époque de l’industrialisation de l’élevage et de ce qu’on ap­pelle la zoo­tech­nie, science de l’exploitation des ma­chines ani­males. Nous me­su­rons la dis­tance in­fi­nie qui sé­pare notre sen­si­bi­lité d’aujourd’hui de celle de Rous­seau, lorsque nous li­sons les lignes sui­vantes ex­traites du livre II d’“Émile” : “Homme pi­toyable ! tu com­mences par tuer l’animal, et puis tu le manges, comme pour le faire mou­rir deux fois. Ce n’est pas as­sez : la chair morte te ré­pugne en­core, tes en­trailles ne peuvent la sup­por­ter ; il la faut trans­for­mer par le feu, la bouillir, la rô­tir, l’assaisonner de drogues qui la dé­guisent : il te faut des char­cu­tiers, des cui­si­niers, des rô­tis­seurs, des gens pour t’ôter l’horreur du meurtre et t’habiller des corps morts, afin que le sens du goût, trompé par ces dé­gui­se­ments, ne re­jette point ce qui lui est étrange, et sa­voure avec plai­sir des ca­davres dont l’œil même eût eu peine à souf­frir l’aspect” »4.

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  1. « Une Langue ve­nue d’ailleurs », p. 28. Haut
  2. En ja­po­nais « バビロンの流れのほとりにて », in­édit en fran­çais. Haut
  1. « Une Langue ve­nue d’ailleurs », p. 30-31. Haut
  2. p. 83-84. Haut