Jayadeva, « “Gita govinda”, Le Chant du berger : poème »

dans « Théologie hindoue » (XIXᵉ siècle), p. 244-266

dans « hin­doue» (XIXe siècle), p. 244-266

Il s’agit du «Gîta go­vinda» 1Le Chant du bou­vier»), pièce à la fois chan­tée et dan­sée en l’ de Kṛṣṇa. Ce que l’on sait sur Jaya­deva 2, qui est l’auteur de cette pièce (XIIe siècle apr. J.-C.), se borne à des . On ra­conte qu’à la de ses pa­rents, le poète se mit en route vers le de Ja­gan­nâ­tha avec l’intention d’y ado­rer Kṛṣṇa. En che­min, ce­pen­dant, il tomba d’inanition, ac­ca­blé par la du . Un bou­vier, qui gar­dait son trou­peau aux alen­tours, l’aperçut et vint le se­cou­rir en lui of­frant du lait caillé. Lorsque Jaya­deva ar­riva en­fin au temple, quelle ne fut pas sa sur­prise quand il vit, à la place de la sta­tue de Ja­gan­nâ­tha, le jeune qu’il ve­nait de quit­ter! Com­pre­nant à l’instant que son sau­veur était en Kṛṣṇa, il en conçut l’idée du «Gîta go­vinda». On pré­tend éga­le­ment que le poète hé­si­tait un jour à écrire un vers sus­cep­tible de , et avant de prendre une dé­ci­sion, il pré­para la page, puis des­cen­dit se bai­gner à la ri­vière. Pen­dant ce , Kṛṣṇa lui-même ayant pris les traits de Jaya­deva, écri­vit sur la page le vers qui avait em­bar­rassé Jaya­deva, laissa le ou­vert et se re­tira. Lorsque Jaya­deva re­vint et qu’il vit cela, il fut étonné et in­ter­ro­gea sa femme à ce su­jet. Elle lui dit : «Vous êtes re­venu et avez écrit ce vers : quel autre que vous au­rait tou­ché à votre car­net?» 3 Jaya­deva, très tou­ché par cet évé­ne­ment, alla dans la fo­rêt, où il vit un arbre éton­nant : sur chaque feuille de cet arbre étaient des du «Gîta go­vinda».

la des­cente de Kṛṣṇa dans la fo­rêt parmi les bou­vières

Le su­jet du «Gîta go­vinda», c’est la des­cente de Kṛṣṇa dans la fo­rêt parmi les bou­vières. «De tous les mythes de l’Inde, le plus beau sans , le plus chargé de si­gni­fi­ca­tions dé­vo­tion­nelles et , ce­lui où s’épanchent le mieux, non seule­ment les des sens, mais aussi celles du cœur, c’est [cette] des­cente de Kṛṣṇa», dit Mme Mar­gue­rite Your­ce­nar 4. «Le pas­teur cé­leste s’égare dans les bois, char­mant des sons de sa flûte les bêtes, les dé­mons, les . Les “go­pîs”, les tendres va­chères, se pressent au­tour de lui dans les hal­liers où paît leur bé­tail. Le , qui est par­tout, sa­tis­fait à la fois ses mille amantes; cha­cune, si on ose ici dé­tour­ner de son sens un vers cé­lèbre, l’a pour seule et toutes l’ont en en­tier 5».

Il n’existe pas moins de cinq tra­duc­tions fran­çaises du «Gîta go­vinda», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de -Eu­gène La­mai­resse.

«अक्ष्णोर्निक्षिपदंजनम् श्रवणयोस्तापिङ्च्छगुच्छावलीम्
मूर्ध्नि श्यामसरोजदाम कुचयोः कस्तूरिकापत्रकम् ।
धूर्तानामभिसारसंभ्रम जुषाम् विष्वङ्निकुञ्जे सखि
ध्वान्तम् नीलनिचोलचारु सुदृशाम् प्रत्यङ्गमालिङ्गति ॥
काश्मीरगौरवपुषामभिसारिकाणाम्
आबद्धरेखमभितो रुचिमङ्जरीभिः ।
एतत्तमालदलनीलतमम् तमिस्रम्
तत्प्रेमहेमनिकषोपलताम् तनोति ॥
»
— Pas­sage dans la ori­gi­nale

«Voici main­te­nant que la re­vêt d’atours faits pour l’amoureux mys­tère les nom­breuses jou­ven­celles qui se hâtent vers le ren­dez-vous; elle met du noir à leurs beaux yeux; elle fixe les feuilles du noir “ta­mâla” der­rière leurs oreilles; elle en­tre­mêle à l’ébène de leurs che­veux l’azur foncé du lys d’ et sau­poudre de musc leurs seins pal­pi­tants. Le de la nuit, noir comme la pierre de touche, éprouve main­te­nant l’ de leur et est sillonné de lignes lu­mi­neuses par les éclairs de leur beauté qui sur­passent ceux de la beauté des Ca­che­mi­riennes les plus éblouis­santes.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de La­mai­resse

«On di­rait que la nuit
Met du khôl noir à leurs pau­pières,
Et que les du lau­rier noir
Font des bou­quets à leurs oreilles;
Les lo­tus bleus se tressent
Sur leurs deux fronts comme des nattes,
Et le musc peint sur leurs poi­trines
Des des­sins de fleurs et de feuilles.
Là, dans chaque buis­son,
On di­rait que la nuit re­couvre
De son man­teau les jou­ven­celles
Cou­rant aux ren­dez-vous se­crets!
Leurs en­duits de sa­fran clair
Illu­minent la nuit;
Elles vont, im­pa­tientes,
Trou­ver leurs amants clan­des­tins.
Et la nuit ré­pand ses té­nèbres
Pour jau­ger la va­leur
De l’or dont est forgé
L’amour brillant qui les en­traîne!»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. “Gîta-go­vinda”», éd. UNESCO-du Ro­cher, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Textes sa­crés, Pa­ris-Mo­naco)

«Ver­sant sur leurs yeux du col­lyre, sur leurs oreilles des touffes de “tâpiṅcchas” en guir­lande, sur leur tête un cha­pe­let de lo­tus bleus, sur leurs seins des feuilles de musc, ô mon amie, les té­nèbres par­tout dans la hutte, jo­lies comme une tu­nique sombre, em­brassent membre par membre les belles lu­briques, pal­pi­tantes d’aller au ren­dez-vous.

Le sa­fran jau­nit les beau­tés qui courent au ren­dez-vous; sur elles, un trait est tracé par les lignes de pier­re­ries; alors, plus sombres que la feuille du “ta­mâla”, les té­nèbres sont pour l’or de leur amour une pierre de touche.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Gas­ton Cour­tillier («Le “Gīta-go­vinda” : pas­to­rale», éd. E. Le­roux, coll. Bi­blio­thèque orien­tale el­zé­vi­rienne, Pa­ris)

«Far­dant leurs yeux de khôl, le soir
Forme pour elles des guir­landes
De fleurs de “ta­mâ­las” qui pendent
À leurs oreilles et de
Lo­tus qu’il pique dans leurs tresses.
Tan­dis que sur leurs seins des mo­tifs de musc naissent,
Sous son beau man­teau sombre, ô ma chère, par­tout
Dans les bois, membre par membre, la nuit obs­cure
Em­brasse ces beau­tés qui vont au ren­dez-vous
Le cœur fré­mis­sant de luxure.
Elles courent vers leur amant
Les membres jau­nis de sa­fran
Et par­se­més de gemmes claires.
La nuit s’étend, comme une pierre
De touche, tes­tant l’or de leurs amours et plus
Obs­cure en­cor qu’un “ta­mâla” feuillu.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Do­mi­nique Wohl­schlag («“Gîta-go­vinda”, l’Ode au di­vin va­cher», éd. de l’Aire, Lau­sanne)

«L’obscurité, qui jette le col­lyre sur les yeux, les grappes de fleurs du “ta­mâla” en guir­lande sur les oreilles, les tresses de nym­phéas bleus au­tour des fronts et les pein­tures avec le sa­fran sur les seins; l’obscurité, pa­rée de son man­teau noir, em­brasse de tous cô­tés dans le bos­quet et membre à membre, ô mon amie, les char­mantes et co­quettes , dont le cœur se pré­ci­pite aux ren­dez-vous.

Cette nuit, plus sombre que la feuille du “ta­mâla” et par­tout sillon­née de raies lu­mi­neuses par les brillants an­neaux des pieds, est comme une pierre de touche, qui éprouve l’or de la ten­dresse des femmes et montre si leur gen­tille per­sonne, toute jau­nie par le vé­gé­tal que l’on re­cueille en Kâsh­mîre, est exacte au ren­dez-vous.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Hippolyte Fauche («Le “Gita-go­vinda” et le “Ri­tou-san­hara”», XIXe siècle)

«Col­ly­rium ocu­lis, au­ri­bus serta flo­rum “ta­mâ­la­rum”, fronti tæ­niam fus­ca­rum nym­phæa­rum, pa­pil­lis fi­gu­ram musco pic­tam im­po­nens ca­ligo, quod­cumque am­plec­ti­tur mem­brum puel­la­rum cal­li­da­rum, se­cu­tu­leia­rum, corde fes­ti­na­ta­rum.

Nox hæc, fo­liis “ta­mâlæ” longe atrior, per quam un­de­cumque ra­dian­ti­bus puel­la­rum mo­ni­li­bus la­mina quasi au­rea ex­ten­di­tur, tan­quam la­pis Ly­dius, ex­pe­ri­men­tum fa­cit amo­ris in se­cu­tu­leiis, qua­rum cor­pora Kâ­ç­mî­rensi croco si­mi­lia sunt.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de Chris­tian Las­sen («“Gîta go­vinda” : drama ly­ri­cum», XIXe siècle)

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. En «गीत गोविन्द». Au­tre­fois trans­crit «Geet go­vinda», «Geeta go­vinda», «Gi­ta­go­winda», «Ghita go­vinda» ou «Guîta go­vinda». Icône Haut
  2. En sans­crit जयदेव. Au­tre­fois trans­crit Jai­dev, Jaya­dev, Dscha­ja­de­vas ou Djaya­déva. Icône Haut
  3. Dans , « de la lit­té­ra­ture hin­doui et hin­dous­tani, 2e édi­tion. Tome II», p. 72. Icône Haut
  1. «Sur quelques thèmes éro­tiques et mys­tiques de la “Gita-go­vinda”», p. 7-8. Icône Haut
  2. Ré­fé­rence aux «Feuilles d’automne» de  :
    «Ô l’amour d’une mère! — amour que nul n’oublie!…
    Cha­cun en a sa part, et tous l’ont tout en­tier!
    ». Icône Haut