Il s’agit d’Abou’ltayyib 1, surnommé Moténabbi 2, orgueilleux poète de Cour, rendu célèbre en servant différents princes arabes, en chantant leurs hauts faits et leurs bienfaits, en se brouillant avec eux, en se vengeant par des satires des louanges qu’il leur avait données auparavant. Ses poèmes ont quelquefois de la beauté dans leur éloquence ; mais, plus souvent encore, ils ne brillent que par ce singulier mélange d’insolence et de politesse, de bassesse et d’orgueil qui distingue les courtisans ; cet art de plaire aux grands en se moquant d’eux. Si l’on en croit ses rivaux, ce poète était le fils d’un simple porteur d’eau dans la ville de Koufa (en Irak), quoiqu’il se vantât beaucoup de sa noblesse. Dès sa jeunesse, il fut tourmenté par une ambition incommensurable, réconfortée par les succès de sa poésie, qui était payée très chèrement par les princes auxquels il s’attachait. Bientôt, la tête lui tourna, et il crut pouvoir passer à un aussi juste titre pour prophète en vers, que Mahomet l’avait été en prose ; cela lui valut le surnom de Moténabbi (« celui qui se prétend prophète »). Mais, enfin, quand il se vit dans l’impossibilité de réaliser cet idéal ; quand le temps et les occasions le détrompèrent en le rappelant à une vie si brève, si ordinaire, si fatalement humaine ; quand il songea que des pans entiers de son ambitieuse nature resteraient à jamais ensevelis dans l’ombre, ce fut un débordement d’une amertume sans pareille. « De là, cet amour-propre qui, au lieu de rechercher à bien faire pour gagner l’estime d’autrui et devenir altruisme, se transforme en égoïsme haineux et malveillant à l’égard des autres [ou en] joie quand ils ont échoué », dit M. Joseph Daher 3. Témoin les vers suivants où il dit aux hommes tout le mépris et toute la haine qu’ils lui inspirent : « Je critique les petites gens de ce siècle, car le plus docte d’entre eux est un crétin, le plus énergique un lâche, le plus noble un chien, le plus clairvoyant un aveugle, le plus vigilant un loir, et le plus courageux un singe ».
soi
sujet
« Abou ṭ-Ṭayyib al-Motanabbî, un poète arabe du Xe siècle : essai d’histoire littéraire »
Il s’agit d’Abou’ltayyib 1, surnommé Moténabbi 2, orgueilleux poète de Cour, rendu célèbre en servant différents princes arabes, en chantant leurs hauts faits et leurs bienfaits, en se brouillant avec eux, en se vengeant par des satires des louanges qu’il leur avait données auparavant. Ses poèmes ont quelquefois de la beauté dans leur éloquence ; mais, plus souvent encore, ils ne brillent que par ce singulier mélange d’insolence et de politesse, de bassesse et d’orgueil qui distingue les courtisans ; cet art de plaire aux grands en se moquant d’eux. Si l’on en croit ses rivaux, ce poète était le fils d’un simple porteur d’eau dans la ville de Koufa (en Irak), quoiqu’il se vantât beaucoup de sa noblesse. Dès sa jeunesse, il fut tourmenté par une ambition incommensurable, réconfortée par les succès de sa poésie, qui était payée très chèrement par les princes auxquels il s’attachait. Bientôt, la tête lui tourna, et il crut pouvoir passer à un aussi juste titre pour prophète en vers, que Mahomet l’avait été en prose ; cela lui valut le surnom de Moténabbi (« celui qui se prétend prophète »). Mais, enfin, quand il se vit dans l’impossibilité de réaliser cet idéal ; quand le temps et les occasions le détrompèrent en le rappelant à une vie si brève, si ordinaire, si fatalement humaine ; quand il songea que des pans entiers de son ambitieuse nature resteraient à jamais ensevelis dans l’ombre, ce fut un débordement d’une amertume sans pareille. « De là, cet amour-propre qui, au lieu de rechercher à bien faire pour gagner l’estime d’autrui et devenir altruisme, se transforme en égoïsme haineux et malveillant à l’égard des autres [ou en] joie quand ils ont échoué », dit M. Joseph Daher 3. Témoin les vers suivants où il dit aux hommes tout le mépris et toute la haine qu’ils lui inspirent : « Je critique les petites gens de ce siècle, car le plus docte d’entre eux est un crétin, le plus énergique un lâche, le plus noble un chien, le plus clairvoyant un aveugle, le plus vigilant un loir, et le plus courageux un singe ».