Mot-clefHoàng Xuân Nhị

au­teur • tra­duc­teur ou tra­duc­trice

«Chansons jaillies de l’âme du peuple [vietnamien]»

dans « Plaintes de la femme d’un guerrier » (éd. Sudestasie, Paris), p. 93-113

dans «Plaintes de la femme d’un guer­rier» (éd. Su­des­ta­sie, Pa­ris), p. 93-113

Il s’agit d’une an­tho­lo­gie de la lit­té­ra­ture po­pu­laire du Viêt-nam. Long­temps dé­dai­gnée par les let­trés, parce qu’elle ne me­nait pas aux car­rières man­da­ri­nales, cette lit­té­ra­ture avait tou­jours été culti­vée par l’effort ano­nyme du peuple. Ainsi donc, à côté de la lit­té­ra­ture of­fi­cielle, qui chan­tait en vers sa­vants les hommes et les choses de la Chine, il exis­tait une lit­té­ra­ture po­pu­laire, en grande par­tie orale, qui ex­pri­mait sous une forme tan­tôt naïve et simple, tan­tôt nar­quoise et vo­lon­tiers hu­mo­ris­tique, l’âme po­pu­laire du Viêt-nam. «Tan­dis que les let­trés s’enfermaient dans leur tour d’ivoire et se plai­saient à com­po­ser des vers chi­nois qui, ici, res­semblent bien aux vers la­tins, ou à com­men­ter les vieux clas­siques, le peuple tra­vaillait à for­mer la langue et à pro­duire cette riche lit­té­ra­ture po­pu­laire com­po­sée de dic­tons, de pro­verbes, de sen­tences, de dis­tiques, de phrases, lo­cu­tions et ex­pres­sions plus ou moins as­so­nan­cées por­tant des al­lu­sions aux faits du passé ou aux cou­tumes lo­cales, et sur­tout de chan­sons, de ces belles et douces chan­sons qui s’élèvent les nuits d’été du fond des paillotes ou de l’immensité des ri­zières et des étangs et semblent se ré­per­cu­ter dans l’espace jusqu’à la cime fris­son­nante des bam­bous. Elles sont, ces chan­sons, d’un charme in­fini, d’une sua­vité pro­fonde. Qui­conque a en­tendu une fois chan­ter par des re­pi­queuses de riz du delta ton­ki­nois ou des sam­pa­nières de la ri­vière de Huê des chan­sons comme celle-ci :

Mon­tagne, ô mon­tagne, pour­quoi êtes-vous si haute?
Vous ca­chez le so­leil et vous me ca­chez le vi­sage de mon bien-aimé!

n’oubliera ja­mais cet ac­cent d’indéfinissable mé­lan­co­lie la­mar­ti­nienne qui ré­vèle le fonds de poé­sie de la race, en même temps qu’il montre l’excellence de la langue ca­pable d’exprimer de tels sen­ti­ments», dit très bien Phạm Quỳnh

Đặng Trần Côn, Đoàn Thị Điểm et Hoàng Xuân Nhị, «Plaintes de la femme d’un guerrier»

éd. Sudestasie, Paris

éd. Su­des­ta­sie, Pa­ris

Il s’agit des «Plaintes de la femme d’un guer­rier» 1Chinh phụ ngâm» 2), poème viet­na­mien (XVIIIe siècle apr. J.-C.) où sont ex­pri­mées les dou­leurs d’une femme sé­pa­rée de son mari par la guerre, en même temps que les dé­cep­tions éter­nelles d’une hu­ma­nité as­pi­rant aux simples joies de l’amour. Bien que ces «Plaintes» ne soient pas un pam­phlet an­ti­mi­li­ta­riste, elles prennent un tel ac­cent d’impuissant déses­poir, elles sont si sin­cères dans leur in­quié­tude, qu’elles sus­citent une aver­sion ins­tinc­tive contre la guerre. On ra­conte que cer­tains sol­dats, en les en­ten­dant chan­ter, dé­ser­taient :

«Sur les champs de car­nage, la vie aven­tu­reuse du sol­dat
N’est que trop sem­blable à la cou­leur des feuilles!
» 3

Écrites d’abord en chi­nois clas­sique par Đặng Trần Côn, ces «Plaintes» furent en­suite adap­tées en viet­na­mien par une femme cé­lèbre, Đoàn Thị Điểm, et en­fin en fran­çais par un écri­vain in­jus­te­ment ou­blié, M. Hoàng Xuân Nhị. Tous les trois étaient Viet­na­miens; tous les trois vi­vaient des époques trou­blées, des époques qui ar­ra­chaient les jeunes gens à leurs foyers; et les scènes dé­chi­rantes dont ils étaient les té­moins, en­traient pour quelque chose dans leur ins­pi­ra­tion. De Đặng Trần Côn, nous ne sa­vons rien de vrai­ment bien pré­cis, si­non qu’il com­posa son poème dans une pé­riode de luttes in­tes­tines entre les sei­gneurs du Nord et du Sud. Tout le monde le li­sait et l’admirait, et quelques-uns al­laient jusqu’à dire : «Toute son in­tel­li­gence se ma­ni­feste dans ce long poème. L’auteur vi­vra en­core trois ans tout au plus» 4. Cette pro­phé­tie fut mal­heu­reu­se­ment réa­li­sée : Đặng Trần Côn mou­rut, en ef­fet, trois ans plus tard, poussé, semble-t-il, au sui­cide. Quant à la poé­tesse Đoàn Thị Điểm, sur­nom­mée Hồng Hà («Re­flets-Roses»), nous n’avons d’autres ren­sei­gne­ments sur elle que ceux four­nis par son orai­son fu­nèbre : «En agi­tant son pin­ceau pour dé­crire les pay­sages, elle ex­prima des sen­ti­ments très pro­fonds… ca­pables d’émouvoir même les Im­mor­tels… Hé­las! elle n’avait pas de de­meure stable… Ma­riée seule­ment après la tren­taine, elle quitta la terre la qua­ran­taine pas­sée. Sa voix et sa phy­sio­no­mie res­tèrent in­con­nues; ses œuvres ar­tis­tiques — sans écho; elle par­tit sans aver­tir sa vieille mère. N’est-ce pas que le des­tin est bi­zarre? Le ciel est-il donc in­juste?»

  1. Par­fois tra­duit «La Com­plainte de l’épouse du guer­rier», «Chant de la femme du com­bat­tant» ou «Plaintes d’une femme dont le mari est parti pour la guerre». Haut
  2. En chi­nois «征婦吟». Haut
  1. p. 46. Haut
  2. Dans Bùi Văn Lăng, «Pré­face à “Com­plainte de la femme d’un guer­rier”», p. II. Haut