Mot-clefvietnamien

pays, gen­tilé ou langue

«Contes et Légendes annamites»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit d’une an­tho­lo­gie de la lit­té­ra­ture po­pu­laire du Viêt-nam. Long­temps dé­dai­gnée par les let­trés, parce qu’elle ne me­nait pas aux car­rières man­da­ri­nales, cette lit­té­ra­ture avait tou­jours été culti­vée par l’effort ano­nyme du peuple. Ainsi donc, à côté de la lit­té­ra­ture of­fi­cielle, qui chan­tait en vers sa­vants les hommes et les choses de la Chine, il exis­tait une lit­té­ra­ture po­pu­laire, en grande par­tie orale, qui ex­pri­mait sous une forme tan­tôt naïve et simple, tan­tôt nar­quoise et vo­lon­tiers hu­mo­ris­tique, l’âme po­pu­laire du Viêt-nam. «Tan­dis que les let­trés s’enfermaient dans leur tour d’ivoire et se plai­saient à com­po­ser des vers chi­nois qui, ici, res­semblent bien aux vers la­tins, ou à com­men­ter les vieux clas­siques, le peuple tra­vaillait à for­mer la langue et à pro­duire cette riche lit­té­ra­ture po­pu­laire com­po­sée de dic­tons, de pro­verbes, de sen­tences, de dis­tiques, de phrases, lo­cu­tions et ex­pres­sions plus ou moins as­so­nan­cées por­tant des al­lu­sions aux faits du passé ou aux cou­tumes lo­cales, et sur­tout de chan­sons, de ces belles et douces chan­sons qui s’élèvent les nuits d’été du fond des paillotes ou de l’immensité des ri­zières et des étangs et semblent se ré­per­cu­ter dans l’espace jusqu’à la cime fris­son­nante des bam­bous. Elles sont, ces chan­sons, d’un charme in­fini, d’une sua­vité pro­fonde. Qui­conque a en­tendu une fois chan­ter par des re­pi­queuses de riz du delta ton­ki­nois ou des sam­pa­nières de la ri­vière de Huê des chan­sons comme celle-ci :

Mon­tagne, ô mon­tagne, pour­quoi êtes-vous si haute?
Vous ca­chez le so­leil et vous me ca­chez le vi­sage de mon bien-aimé!

n’oubliera ja­mais cet ac­cent d’indéfinissable mé­lan­co­lie la­mar­ti­nienne qui ré­vèle le fonds de poé­sie de la race, en même temps qu’il montre l’excellence de la langue ca­pable d’exprimer de tels sen­ti­ments», dit très bien Phạm Quỳnh

Pham Duy Khiêm, «Ma Mère : roman»

manuscrit

ma­nus­crit

Il s’agit de «Ma Mère» de M. Pham Duy Khiêm 1, écri­vain viet­na­mien d’expression fran­çaise. Né en 1908, or­phe­lin de bonne heure, M. Pham Duy Khiêm dut à ses ef­forts as­si­dus de rem­por­ter, au ly­cée Al­bert-Sar­raut de Ha­noï, tous les prix d’excellence. Après le bac­ca­lau­réat clas­sique, qu’il fut le pre­mier Viet­na­mien à pas­ser, il par­tit en France ter­mi­ner ses études, en pauvre bour­sier. Sa si­tua­tion d’étudiant sans foyer, ori­gi­naire des co­lo­nies, eut un contre­coup af­fec­tif à tra­vers un amour im­pos­sible avec une jeune Pa­ri­sienne nom­mée Syl­vie. Sous le pseu­do­nyme de Nam Kim, il évo­qua avec beau­coup de sen­si­bi­lité dans «Nam et Syl­vie» la nais­sance de cette pas­sion qui pa­rais­sait d’emblée vouée à l’échec. Cet amour dé­bou­cha sur­tout sur un at­ta­che­ment im­muable à la France, et M. Pham Duy Khiêm ne ren­tra au Viêt-nam qu’avec une lourde ap­pré­hen­sion, presque une an­goisse, qu’il faut être né sur un sol étran­ger pour com­prendre : «Au­cun homme», dit-il 2, «ne peut, sans une cer­taine mé­lan­co­lie, s’éloigner pour tou­jours peut-être d’un lieu où il a beau­coup vécu, qu’il s’agisse ou non d’un pays comme la France, d’une ville comme Pa­ris. Si par la même oc­ca­sion il se sé­pare de ses an­nées d’étudiant et de sa jeu­nesse, ce n’est pas une tris­tesse vague qu’il res­sent, mais un dé­chi­re­ment se­cret». À la veille de la Se­conde Guerre, par un geste que plu­sieurs de ses com­pa­triotes prirent très mal et que peu d’entre eux imi­tèrent, M. Pham Duy Khiêm s’engagea dans l’armée fran­çaise. Ses amis lui écri­virent pour lui en de­man­der les rai­sons; il les ex­posa dans «La Place d’un homme : de Ha­noï à La Cour­tine» : «Il y a pé­ril, un homme se lève — pour­quoi lui de­man­der des rai­sons? C’est plu­tôt à ceux qui se tiennent cois à four­nir les rai­sons qu’ils au­raient pour s’abstenir», dit-il 3. «Je n’aime pas la guerre, je n’aime pas la vie mi­li­taire; mais nous sommes en guerre, et je ne sau­rais de­meu­rer ailleurs. Il ne s’agit point d’un choix entre France et An­nam. Il s’agit seule­ment de sa­voir la place d’un [homme] comme moi, en ce mo­ment. Elle est ici; et je dois l’occuper, quelque dan­ge­reuse qu’elle soit».

  1. En viet­na­mien Phạm Duy Khiêm. Haut
  2. «Nam et Syl­vie», p. 3. Haut
  1. «La Place d’un homme : de Ha­noï à La Cour­tine», p. 12 & 120. Haut

«Histoire de Quỳnh»

dans « Bulletin de la Société d’enseignement mutuel du Tonkin », vol. 7, nº 2, p. 153-199

dans «Bul­le­tin de la So­ciété d’enseignement mu­tuel du Ton­kin», vol. 7, nº 2, p. 153-199

Il s’agit de la ver­sion viet­na­mienne de «La Lé­gende de Xieng Mieng» («hnăṅ̄ jyṅ hmyṅ» 1). Entre fa­cé­tie, co­mé­die bur­lesque et hu­mour im­pu­dique, don­nant lieu à une sa­tire ef­fron­tée de la so­ciété féo­dale, «La Lé­gende de Xieng Mieng» ren­ferme des épi­sodes d’une plai­san­te­rie certes peu dé­cente, mais à la­quelle se plaisent les cam­pa­gnards du Sud-Est asia­tique. Ceux qui la jugent sé­vè­re­ment de­vraient son­ger à Gui­gnol, à Till l’Espiègle ou aux ou­vrages d’un Ra­be­lais. En réa­lité, il y a là-de­dans une gouaille ro­buste et op­ti­miste, et les per­son­nages qui en font les frais sont des types d’hommes dé­tes­tés par le peuple des cam­pagnes : le char­la­tan, le man­da­rin cor­rompu, le let­tré igno­rant, le bonze dé­bau­ché, jusqu’à l’Empereur de Chine; tous des vices per­son­ni­fiés, vic­times des farces et des at­ti­tudes pro­vo­cantes de Xieng Mieng. Com­ment ca­rac­té­ri­ser ce der­nier? Quelque chose comme un mau­vais plai­sant, un ba­te­leur, un his­trion au­quel on ac­cor­dait beau­coup d’insolence et de ruse. Il jouait le rôle des fous de nos an­ciens rois. D’ailleurs, se­lon la ver­sion lao­tienne, il était le bouf­fon même de la Cour du roi de Tha­vaa­raa­va­dii. Je dis «se­lon la ver­sion lao­tienne», car comme dit M. Jacques Né­pote 2, «cette his­toire n’est pas un iso­lat : elle se re­trouve dans la plu­part des pays d’Asie du Sud-Est, et avec le même suc­cès, le hé­ros por­tant seule­ment un nom dif­fé­rent : Si Tha­non Say au Siam, Thmenh Chey 3 au Cam­bodge, Trạng Quỳnh au Viêt-nam, Ida Ta­laga à Bali, et bien d’autres en­core». Le roi de Tha­vaa­raa­va­dii, donc, était resté long­temps sans en­fant. Il eut en­fin un fils; mais les as­tro­logues pré­dirent que le prince mour­rait en sa dou­zième an­née, à moins que le roi n’adoptât un en­fant né à la même heure que son fils. Et le roi d’adopter Xieng Mieng, en­fant de basse ex­trac­tion qui de­vint le double af­freux du prince.

  1. En lao­tien «ໜັງສືຊຽງໝ້ຽງ». Par­fois trans­crit «Sieng Mieng», «Siang Miang», «Xiang Miang», «Xien-Mien», «Sieng Hmieng₂» ou «jyṅ hmyṅ». Haut
  2. «Va­ria­tions sur un thème du bouf­fon royal en Asie du Sud-Est pé­nin­su­laire». Haut
  1. «Thmenh le Vic­to­rieux». Par­fois trans­crit Tmeñ Jai, Tmen Chéi ou Tmenh Chey. Haut

Nguyễn Trãi, «Proclamation sur la pacification des Ngô, “Bình Ngô đại cáo”»

dans « Nguyễn Trãi, l’une des plus belles figures de l’histoire et de la littérature vietnamiennes » (éd. en Langues étrangères, Hanoï)

dans «Nguyễn Trãi, l’une des plus belles fi­gures de l’histoire et de la lit­té­ra­ture viet­na­miennes» (éd. en Langues étran­gères, Ha­noï)

Il s’agit de la «Grande Pro­cla­ma­tion de la pa­ci­fi­ca­tion des Chi­nois» 1Bình Ngô đại cáo») de Nguyễn Trãi, let­tré viet­na­mien (XIVe-XVe siècle) qui mar­qua de son gé­nie po­li­tique et mi­li­taire la guerre d’indépendance me­née contre les Chi­nois. Son père, Nguyễn Phi Khanh, était grand man­da­rin à la Cour. Quand les ar­mées chi­noises des Ming en­va­hirent le pays, il fut ar­rêté avec plu­sieurs autres di­gni­taires et en­voyé en exil à Nan­kin. Nguyễn Trãi sui­vit le cor­tège des pri­son­niers jusqu’à la fron­tière. Bra­vant le joug, les en­traves et les coups de ses geô­liers, le grand man­da­rin or­donna à son fils : «Tu ne dois pas pleu­rer la sé­pa­ra­tion d’un père et de son fils. Pleure sur­tout l’humiliation de ton peuple. Quand tu se­ras en âge, venge-moi!» 2 Nguyễn Trãi gran­dit. Il tint la pro­messe so­len­nelle faite à son père, en ras­sem­blant le peuple en­tier au­tour de Lê Lợi, qui chassa les Ming avant de de­ve­nir Em­pe­reur du Viêt-nam. Hé­las! la dy­nas­tie des Lê ainsi fon­dée prit vite om­brage des conseils et de la no­to­riété de Nguyễn Trãi. Écarté d’une Cour qu’il ve­nait de conduire à la vic­toire, notre pa­triote se fit er­mite et poète : «Je ne cours point après les hon­neurs ni ne re­cherche les pré­bendes; [je] ne suis ni joyeux de ga­gner ni triste de perdre. Les eaux ho­ri­zonnent ma fe­nêtre, les mon­tagnes — ma porte. Les poèmes em­plissent mon sac, l’alcool — ma gourde… Que reste-t-il de ceux que l’ambition ta­lon­nait sans ré­pit? Des tombes à l’abandon sous l’herbe épaisse» 3. Toute sa vie, Nguyễn Trãi eut cette seule pré­oc­cu­pa­tion : l’amour de la pa­trie qui, dans son cœur, était in­sé­pa­rable de l’amour du peuple. Res­tant as­sis, ser­rant une froide cou­ver­ture sur lui, il pas­sait des nuits sans som­meil, son­geant com­ment re­le­ver le pays et pro­cu­rer au peuple une paix du­rable après ces longues guerres : «Dans mon cœur, une seule pré­oc­cu­pa­tion sub­siste : les af­faires du pays. Toutes les nuits, je veille jusqu’aux pre­miers tin­te­ments de cloche» 4. On tient gé­né­ra­le­ment la «Grande Pro­cla­ma­tion de la pa­ci­fi­ca­tion des Chi­nois» pour le chef-d’œuvre de Nguyễn Trãi, dans le­quel, aujourd’hui en­core, chaque Viet­na­mien re­con­naît avec émo­tion l’une des sources les plus ra­fraî­chis­santes de son iden­tité na­tio­nale : «Notre pa­trie, le Grand Viêt, de­puis tou­jours, était terre de vieille culture. Terre du Sud, elle a ses fleuves, ses mon­tagnes, ses mœurs et ses cou­tumes dis­tincts de ceux du Nord…» Mais son «Re­cueil de poèmes en langue na­tio­nale» qui dé­crit, avec par­fois une teinte d’amertume, les charmes de la vie ver­tueuse et so­li­taire, et qui change en ta­bleaux en­chan­teurs les scènes de la na­ture sau­vage et né­gli­gée, m’apparaît comme étant le plus réussi et le plus propre à être goûté d’un pu­blic étran­ger.

  1. Par­fois tra­duit «Grande Pro­cla­ma­tion au su­jet de la vic­toire sur les Ngô» ou «Grande Pro­cla­ma­tion sur la pa­ci­fi­ca­tion des Ngô». Haut
  2. Dans Dương Thu Hương, «Les Col­lines d’eucalyptus : ro­man». Haut
  1. «Re­cueil de poèmes en langue na­tio­nale», p. 200. Haut
  2. id. p. 132. Haut

Tản Đà (Nguyễn Khắc Hiếu), «Le Petit Rêve : roman»

éd. Decrescenzo, coll. Roman, Fuveau

éd. De­cres­cenzo, coll. Ro­man, Fu­veau

Il s’agit du «Pe­tit Rêve» («Giấc mộng con») de Nguyễn Khắc Hiếu, poète, ro­man­cier et jour­na­liste viet­na­mien (XIXe-XXe siècle) qui se donna le sur­nom de Tản Đà, en as­so­ciant le nom de la mon­tagne Tản Viên à ce­lui de la ri­vière Đà près des­quelles il na­quit. Sa mère l’éleva seule. Bien qu’égarée dans le quar­tier mal famé des chan­teuses, c’était une ex­cel­lente can­ta­trice, une ar­tiste re­cher­chée, et même très ver­sée en lit­té­ra­ture. Il hé­rita d’elle cette ca­dence, cette har­mo­nie mu­si­cale dont il se dis­tin­gua. Au­tant en prose, il était d’un es­prit mal­adroit et lourd; au­tant en poé­sie, il sa­vait ti­rer de la langue viet­na­mienne, si mu­si­cale en elle-même, un ef­fet in­égalé. «Ses poé­sies, pu­bliées dans la presse et trans­mises de bouche à l’oreille, do­mi­naient sans par­tage jusqu’à l’avènement de la “Nou­velle poé­sie” au dé­but des an­nées 1930…», dit Mme Nguyen Phuong Ngoc 1. «La sim­pli­cité des mots, proche des chants po­pu­laires… la sin­cé­rité des sen­ti­ments ex­pri­més, une… poé­tique exempte de dis­cours mo­ra­li­sa­teur — tout cela est sans doute le se­cret du suc­cès de Tản Đà dans une so­ciété co­lo­niale en tran­si­tion.» Mais le mé­pris ab­solu de l’argent pré­ci­pita Tản Đà au comble de la mi­sère. Il était pro­digue et ai­mait la bonne chère, quoiqu’il — ou parce qu’il — était tou­jours dans le be­soin. À tra­vers ses poches per­cées s’engouffrait le peu qui de­vait pour­voir à sa femme et ses huit en­fants. Un jour, après des de­mandes ré­ité­rées et pres­santes de son pro­prié­taire pour payer le loyer, Tản Đà dut se rendre à Saï­gon pour se pro­cu­rer la somme né­ces­saire. Mais vers onze heures du soir, il re­vint avec un ca­nard rôti, une bou­teille de rhum, et quelques autres vic­tuailles. Dès la porte, il dit à ses amis sur un ton déses­péré : «Tout est perdu!» Ils lui de­man­dèrent ce qui n’allait pas, et il ré­pon­dit avec aplomb : «Je n’ai pu em­prun­ter que vingt piastres, tout à fait in­suf­fi­santes pour payer le loyer. Aussi ai-je pré­féré ache­ter quelque chose à boire, ce qui nous a coûté un peu plus de dix piastres» 2. Voici la ma­nière dont il s’exprime dans un poème in­ti­tulé «En­core ivre» («Lại say») : «Je sais bien que c’est mal de tom­ber dans l’ivresse. Tant pis! Je re­con­nais mon tort, mais ne puis m’empêcher… Ne vois-je pas la Terre ivre qui roule sur elle-même, et le So­leil dont le vi­sage ru­ti­lant tra­hit l’ivresse? Qui en rit?»

  1. «Pré­face au “Pe­tit Rêve”». Haut
  1. «Poèmes», p. 11. Haut

Nguyễn Đình Chiểu, «“Dương Từ Hà Mậu” : un pamphlet longtemps censuré»

éd. J. Ouaknine, Montreuil-sous-Bois

éd. J. Ouak­nine, Mon­treuil-sous-Bois

Il s’agit du «Dương Từ-Hà Mậu» de Nguyễn Đình Chiểu, éga­le­ment connu sous le sur­nom de Đồ Chiểu («le ba­che­lier Chiểu»), poète viet­na­mien, confu­cia­niste en­gagé. Il na­quit au vil­lage de Tân Thới for­mant ac­tuel­le­ment l’un des quar­tiers de Saï­gon. En 1847, il se ren­dit à la ca­pi­tale Hué avec l’intention de se pré­sen­ter au concours de li­cen­cié, qui de­vait avoir lieu deux ans plus tard. Mais la nou­velle de la mort de sa mère, sur­ve­nue entre-temps, lui causa une telle dou­leur qu’ayant aban­donné toute idée de pas­ser le concours, il re­nonça à la gloire lit­té­raire et re­tourna dans son vil­lage pour se li­vrer en­tiè­re­ment au deuil. Ce­pen­dant, en cours de route, un se­cond mal­heur le frappa : il de­vint aveugle; et mal­gré les soins don­nés par les mé­de­cins, ses yeux ne purent être sau­vés. À son re­tour, les vil­la­geois ne l’en prièrent pas moins d’ouvrir une école sur ce qu’ils avaient en­tendu dire de ses hautes connais­sances. Ce fut pro­ba­ble­ment vers cette époque qu’il lut — ou plu­tôt se fit lire par quelques étu­diants — le traité chi­nois in­ti­tulé «Ma­nuel de l’Ouest»; et voyant, dans ce qui y était dit, une in­ci­ta­tion à pro­mou­voir les de­voirs d’attachement et de re­con­nais­sance non seule­ment en­vers nos pa­rents, mais en­vers tous les hommes — au re­bours des boud­dhistes qui cher­chaient à s’en dé­ta­cher — il y puisa le su­jet d’un poème mo­ra­li­sa­teur : le «Lục Vân Tiên». Il le fit suivre bien­tôt d’un pam­phlet en vers : le «Dương Từ-Hà Mậu», met­tant en scène deux per­son­nages : un boud­dhiste Dương Từ et un ca­tho­lique Hà Mậu; mais le dis­cours y est quel­que­fois si âpre­ment et si vio­lem­ment an­ti­re­li­gieux, qu’il est désap­prouvé par ceux mêmes qui en par­tagent les convic­tions confu­céennes.

Pham Duy Khiêm, «Nam et Sylvie : roman»

éd. Plon, Paris

éd. Plon, Pa­ris

Il s’agit de «Nam et Syl­vie» de M. Pham Duy Khiêm 1, écri­vain viet­na­mien d’expression fran­çaise. Né en 1908, or­phe­lin de bonne heure, M. Pham Duy Khiêm dut à ses ef­forts as­si­dus de rem­por­ter, au ly­cée Al­bert-Sar­raut de Ha­noï, tous les prix d’excellence. Après le bac­ca­lau­réat clas­sique, qu’il fut le pre­mier Viet­na­mien à pas­ser, il par­tit en France ter­mi­ner ses études, en pauvre bour­sier. Sa si­tua­tion d’étudiant sans foyer, ori­gi­naire des co­lo­nies, eut un contre­coup af­fec­tif à tra­vers un amour im­pos­sible avec une jeune Pa­ri­sienne nom­mée Syl­vie. Sous le pseu­do­nyme de Nam Kim, il évo­qua avec beau­coup de sen­si­bi­lité dans «Nam et Syl­vie» la nais­sance de cette pas­sion qui pa­rais­sait d’emblée vouée à l’échec. Cet amour dé­bou­cha sur­tout sur un at­ta­che­ment im­muable à la France, et M. Pham Duy Khiêm ne ren­tra au Viêt-nam qu’avec une lourde ap­pré­hen­sion, presque une an­goisse, qu’il faut être né sur un sol étran­ger pour com­prendre : «Au­cun homme», dit-il 2, «ne peut, sans une cer­taine mé­lan­co­lie, s’éloigner pour tou­jours peut-être d’un lieu où il a beau­coup vécu, qu’il s’agisse ou non d’un pays comme la France, d’une ville comme Pa­ris. Si par la même oc­ca­sion il se sé­pare de ses an­nées d’étudiant et de sa jeu­nesse, ce n’est pas une tris­tesse vague qu’il res­sent, mais un dé­chi­re­ment se­cret». À la veille de la Se­conde Guerre, par un geste que plu­sieurs de ses com­pa­triotes prirent très mal et que peu d’entre eux imi­tèrent, M. Pham Duy Khiêm s’engagea dans l’armée fran­çaise. Ses amis lui écri­virent pour lui en de­man­der les rai­sons; il les ex­posa dans «La Place d’un homme : de Ha­noï à La Cour­tine» : «Il y a pé­ril, un homme se lève — pour­quoi lui de­man­der des rai­sons? C’est plu­tôt à ceux qui se tiennent cois à four­nir les rai­sons qu’ils au­raient pour s’abstenir», dit-il 3. «Je n’aime pas la guerre, je n’aime pas la vie mi­li­taire; mais nous sommes en guerre, et je ne sau­rais de­meu­rer ailleurs. Il ne s’agit point d’un choix entre France et An­nam. Il s’agit seule­ment de sa­voir la place d’un [homme] comme moi, en ce mo­ment. Elle est ici; et je dois l’occuper, quelque dan­ge­reuse qu’elle soit».

  1. En viet­na­mien Phạm Duy Khiêm. Haut
  2. «Nam et Syl­vie», p. 3. Haut
  1. «La Place d’un homme : de Ha­noï à La Cour­tine», p. 12 & 120. Haut

Pham Duy Khiêm, «La Place d’un homme : de Hanoï à La Courtine»

éd. Plon, Paris

éd. Plon, Pa­ris

Il s’agit de «La Place d’un homme : de Ha­noï à La Cour­tine» de M. Pham Duy Khiêm 1, écri­vain viet­na­mien d’expression fran­çaise. Né en 1908, or­phe­lin de bonne heure, M. Pham Duy Khiêm dut à ses ef­forts as­si­dus de rem­por­ter, au ly­cée Al­bert-Sar­raut de Ha­noï, tous les prix d’excellence. Après le bac­ca­lau­réat clas­sique, qu’il fut le pre­mier Viet­na­mien à pas­ser, il par­tit en France ter­mi­ner ses études, en pauvre bour­sier. Sa si­tua­tion d’étudiant sans foyer, ori­gi­naire des co­lo­nies, eut un contre­coup af­fec­tif à tra­vers un amour im­pos­sible avec une jeune Pa­ri­sienne nom­mée Syl­vie. Sous le pseu­do­nyme de Nam Kim, il évo­qua avec beau­coup de sen­si­bi­lité dans «Nam et Syl­vie» la nais­sance de cette pas­sion qui pa­rais­sait d’emblée vouée à l’échec. Cet amour dé­bou­cha sur­tout sur un at­ta­che­ment im­muable à la France, et M. Pham Duy Khiêm ne ren­tra au Viêt-nam qu’avec une lourde ap­pré­hen­sion, presque une an­goisse, qu’il faut être né sur un sol étran­ger pour com­prendre : «Au­cun homme», dit-il 2, «ne peut, sans une cer­taine mé­lan­co­lie, s’éloigner pour tou­jours peut-être d’un lieu où il a beau­coup vécu, qu’il s’agisse ou non d’un pays comme la France, d’une ville comme Pa­ris. Si par la même oc­ca­sion il se sé­pare de ses an­nées d’étudiant et de sa jeu­nesse, ce n’est pas une tris­tesse vague qu’il res­sent, mais un dé­chi­re­ment se­cret». À la veille de la Se­conde Guerre, par un geste que plu­sieurs de ses com­pa­triotes prirent très mal et que peu d’entre eux imi­tèrent, M. Pham Duy Khiêm s’engagea dans l’armée fran­çaise. Ses amis lui écri­virent pour lui en de­man­der les rai­sons; il les ex­posa dans «La Place d’un homme : de Ha­noï à La Cour­tine» : «Il y a pé­ril, un homme se lève — pour­quoi lui de­man­der des rai­sons? C’est plu­tôt à ceux qui se tiennent cois à four­nir les rai­sons qu’ils au­raient pour s’abstenir», dit-il 3. «Je n’aime pas la guerre, je n’aime pas la vie mi­li­taire; mais nous sommes en guerre, et je ne sau­rais de­meu­rer ailleurs. Il ne s’agit point d’un choix entre France et An­nam. Il s’agit seule­ment de sa­voir la place d’un [homme] comme moi, en ce mo­ment. Elle est ici; et je dois l’occuper, quelque dan­ge­reuse qu’elle soit».

  1. En viet­na­mien Phạm Duy Khiêm. Haut
  2. «Nam et Syl­vie», p. 3. Haut
  1. «La Place d’un homme : de Ha­noï à La Cour­tine», p. 12 & 120. Haut

«Nguyễn Bỉnh Khiêm, porte-parole de la sagesse populaire : le “Bạch-vân am quốc-ngữ thi-tập”»

dans « Bulletin de la Société des études indochinoises », vol. 49, nº 4

dans «Bul­le­tin de la So­ciété des études in­do­chi­noises», vol. 49, nº 4

Il s’agit du «Re­cueil des poèmes en langue na­tio­nale de la Re­traite des nuages blancs» («Bạch Vân quốc ngữ thi tập») de Nguyễn Bỉnh Khiêm 1 (XVe-XVIe siècle apr. J.-C.). L’époque où vé­cut Nguyễn Bỉnh Khiêm vit une guerre ci­vile par­ta­ger le Viêt-nam en deux. L’usurpation du trône des Lê par les Mạc amena de longues dé­cen­nies de troubles, au cours des­quelles s’opposèrent les par­ti­sans des deux dy­nas­ties. Mi­nistre in­tègre et grand poète, Nguyễn Bỉnh Khiêm sut se main­te­nir au-des­sus de la mê­lée. Sa pro­fonde culture, son mé­pris des hon­neurs, son amour du peuple, sa sa­gesse, sa ré­pu­ta­tion de de­vin, en­fin, en im­po­saient à tous les clans po­li­tiques, qui ve­naient le consul­ter dans son er­mi­tage rus­tique, ap­pelé Re­traite des nuages blancs (Bạch Vân 2). «Qui pour­suit les hon­neurs se sou­met à leurs chaînes; seule la vie dans la re­traite pro­cure des joies mer­veilleuses», di­sait Nguyễn Bỉnh Khiêm (poème 9). Pré­fé­rant la libre in­sou­ciance, il se sen­tait étran­ger à tous les biens; gloire et ri­chesse ne l’imprégnaient plus. Sa for­tune en­tière te­nait dans ce coin de na­ture, dans cet er­mi­tage loin de «la pous­sière rose du monde» (poème 55). Comme ser­vi­teurs, il ne lui res­tait que quelques «ran­gées d’orangers et de man­da­ri­niers» (poème 55); comme amis fi­dèles, que «les monts et les fleuves de chez nous» (poème 1); comme lampe al­lu­mée, que «la lune, à la porte» (poème 73). Lorsqu’il avait soif, il bu­vait le thé des col­lines, tout fu­mant de va­peur. Avait-il chaud? Il s’asseyait près de la fe­nêtre ou­verte sur la vé­randa. Ainsi s’écoulaient ses jours bien­heu­reux et lé­gers. «La­bou­rer pour man­ger, creu­ser pour boire, se conten­ter de son sort; quant aux af­faires de ce monde, ne pas sa­voir si l’on en est aux Han, ou bien aux Ts’in» : telle fut sa de­vise (poème 55). Il laissa à sa mort de nom­breux poèmes en chi­nois clas­sique; mais c’est le «Re­cueil des poèmes en langue na­tio­nale de la Re­traite des nuages blancs» qui a rendu im­mor­tel le sou­ve­nir de cet homme qui a tout fait pour se faire ou­blier. «Poète qui fuit les abs­trac­tions, Nguyễn Bỉnh Khiêm est sur­tout le phi­lo­sophe de l’art de vivre, non certes de l’opportunisme, ni même du dé­sir de tran­quillité à tout prix, mais d’un cer­tain “ins­tinct du bon­heur” fondé sur la sa­gesse, le res­pect et l’amour d’autrui, la vie en com­mu­nion avec la na­ture… Comme Nguyễn Trãi, il était un adepte du [zen]. Mais, tan­dis que Nguyễn Trãi pui­sait dans la mé­di­ta­tion des forces pour l’action, Nguyễn Bỉnh Khiêm, lui, contem­plait en spec­ta­teur les évé­ne­ments ex­té­rieurs, as­pi­rant seule­ment à jouer le rôle d’observateur, [ou] tout au plus, ce­lui de conseiller»

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de Trạng Trình («le pre­mier doc­teur Trình»). Haut
  1. Nom em­prunté à «L’Œuvre com­plète» de Tchouang-tseu : «En temps de paix, le saint prend part à la pros­pé­rité de tous; en temps de trouble, il cultive sa vertu et se re­tire dans l’oisiveté. Au bout de mille ans, fa­ti­gué de ce monde, il le quitte, monte vers le ciel, che­vauche les nuages blancs». Haut

Hô Chi Minh (Nguyên Ai Quôc), «Le Procès de la colonisation française et Autres Textes de jeunesse»

éd. Le Temps des cerises, Pantin

éd. Le Temps des ce­rises, Pan­tin

Il s’agit du «Pro­cès de la co­lo­ni­sa­tion fran­çaise», des «Re­ven­di­ca­tions du peuple an­na­mite» et autres textes de jeu­nesse d’Hô Chi Minh 1. Ainsi que l’a re­mar­qué un bio­graphe d’Hô Chi Minh 2, «tout ce qui touche à la vie du fu­tur pré­sident de la Ré­pu­blique dé­mo­cra­tique du Viêt-nam jusqu’en 1941 est frag­men­taire, ap­proxi­ma­tif, contro­versé». À ce jour, au­cune étude sys­té­ma­tique n’a été en­tre­prise, au­cune pu­bli­ca­tion ex­haus­tive n’a été faite sur la pé­riode pa­ri­sienne du cé­lèbre ré­vo­lu­tion­naire viet­na­mien, pé­riode pour­tant dé­ci­sive en ce qui concerne sa for­ma­tion idéo­lo­gique — la vie dans un en­tre­sol de la rue du Mar­ché-des-Pa­triarches, la fré­quen­ta­tion as­si­due de la Bi­blio­thèque na­tio­nale, «où il s’installait de 10 à 17 heures, presque chaque jour» 3, les mee­tings guet­tés par la po­lice, les ar­ticles pour «L’Humanité», «La Re­vue com­mu­niste», «Le Li­ber­taire», etc., en­fin, la fon­da­tion du «Pa­ria», jour­nal an­ti­co­lo­nia­liste, dont il fut à la fois le di­rec­teur et le plus fé­cond des contri­bu­teurs 4. Les dates mêmes de cette pé­riode sont pleines d’obscurités, si étrange que cela puisse pa­raître, s’agissant d’une des per­son­na­li­tés les plus en vue de tout le XXe siècle. Re­joi­gnit-il Pa­ris en 1917, comme le sup­posent la plu­part de ses bio­graphes, ou en 1919, an­née de ses pre­miers ar­ticles si­gnés? En tout cas, la pre­mière ré­vé­la­tion qu’il eut en ar­ri­vant, c’est qu’en France aussi il y avait des ou­vriers ex­ploi­tés — des gens qui pou­vaient prendre parti pour le peuple viet­na­mien. C’est là que lui vint à l’esprit cette image de la sang­sue ca­pi­ta­liste, si fa­meuse de­puis «Le Pro­cès» : «Le ca­pi­ta­lisme est une sang­sue ayant une ven­touse ap­pli­quée sur le pro­lé­ta­riat de la mé­tro­pole, et une autre sur le pro­lé­ta­riat des co­lo­nies. Si l’on veut tuer la bête, on doit cou­per les deux ven­touses à la fois». Alors, il s’attacha aux pro­lé­taires fran­çais par le double lien de l’intérêt et de l’affection; et le jour où, après de longues dé­cen­nies, la sé­pa­ra­tion fa­tale, in­évi­table, se fit entre les co­lo­ni­sa­teurs et les co­lo­ni­sés, la France per­dit en lui un su­jet, mais conserva un ami, un al­lié, un confrère. «En se ré­cla­mant de la pro­tec­tion du peuple fran­çais», dit Hô Chi Minh dans «Les Re­ven­di­ca­tions du peuple an­na­mite», «le peuple an­na­mite, bien loin de s’humilier, s’honore au contraire : car il sait que le peuple fran­çais re­pré­sente la li­berté et la jus­tice, et ne re­non­cera ja­mais à son su­blime idéal de fra­ter­nité uni­ver­selle. En consé­quence, en écou­tant la voix des op­pri­més, le peuple fran­çais fera son de­voir en­vers la France et en­vers l’humanité».

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de Nguyên Ai Quôc. «Nguyên, c’est le pa­tro­nyme le plus ré­pandu en An­nam…; “Ai”, le pré­fixe qui si­gni­fie l’affection; “Quôc”, la pa­trie», dit M. Jean La­cou­ture. Au­tre­fois trans­crit Nguyen Ai Quac. Haut
  2. M. Jean La­cou­ture. Haut
  1. Louis Rou­baud, «Viêt-nam : la tra­gé­die in­do­chi­noise; suivi d’autres écrits sur le co­lo­nia­lisme». Haut
  2. Les contri­bu­teurs du «Pa­ria» se com­po­saient en­tiè­re­ment de mi­li­tants ori­gi­naires des co­lo­nies, qui ve­naient, bé­né­vo­le­ment, après leurs heures de tra­vail. Haut

«L’Expérience poétique et l’Itinéraire spirituel de Hàn Mạc Tử»

éd. Đường Mới (La Voie nouvelle), Paris

éd. Đường Mới (La Voie nou­velle), Pa­ris

Il s’agit de M. Nguyễn Trọng Trí, plus connu sous le sur­nom de Hàn Mặc Tửl’Homme du Pin­ceau et de l’Encre» 1), poète viet­na­mien. Né à Lệ Mỹ, quar­tier ca­tho­lique de la ville de Đồng Hới, il re­çut à sa confir­ma­tion le nom de Fran­çois Trí. D’après son frère, il fut un gar­çon vi­gou­reux, es­piègle et tur­bu­lent, pas­sionné d’exercices phy­siques, jusqu’au jour où, se bai­gnant comme il avait cou­tume de le faire, il fut em­porté au large et faillit se noyer. Dès lors, il de­vint crain­tif et ta­ci­turne, et s’enferma dans la bi­blio­thèque de la ville, au point que ses amis le sur­nom­mèrent «l’opiomane des livres». Bien­tôt le jour­na­lisme lit­té­raire le tenta, et quit­tant la mai­son fa­mi­liale, il par­tit à Saï­gon. Mais à la fin de l’année 1936, il constata avec stu­peur l’apparition des pre­miers symp­tômes de la lèpre. Au mal­heur de l’implacable réa­lité d’une ma­la­die ré­pu­tée in­cu­rable s’ajouta pour M. Hàn Mặc Tử la cruelle né­ces­sité de re­non­cer au ma­riage qu’il pro­je­tait. Fai­sant ap­pel à la mé­de­cine tra­di­tion­nelle, fuyant les contrôles sa­ni­taires, ne don­nant plus signe de vie à ses pa­rents et amis, le ma­lade s’isola suc­ces­si­ve­ment dans dif­fé­rents gîtes de mi­sère. C’était un grand ef­fort pour lui d’écrire de ses mains ré­trac­tées; il fris­son­nait de froid; il dé­li­rait. Avant sa mort, il ré­di­gea de nom­breux poèmes, qui peuvent être di­vi­sés en deux pé­riodes dis­tinctes : du­rant la pre­mière, le poète chanta l’amour — un amour trop sou­vent char­nel, qui sen­tait le dé­sir frus­tré et l’appétit in­as­souvi; du­rant la se­conde, tout op­po­sée à l’autre, il chanta avec fer­veur la beauté de la re­li­gion chré­tienne. «Tous les poètes en ce monde doivent se concen­trer en Dieu et y pui­ser leur ins­pi­ra­tion», dit-il quelque part 2. «Le poète n’est pas un homme or­di­naire. In­vesti d’une mis­sion di­vine, il doit uti­li­ser ses ta­lents pour glo­ri­fier l’Être Su­prême et ré­vé­ler aux hommes la beauté de la poé­sie afin qu’ils puissent s’en rendre compte et en jouir. Les poètes qui ne savent pas mettre leur ta­lent au ser­vice du Bien et du Beau en se­ront pri­vés en vertu d’une sanc­tion di­vine, au su et au vu de tout le monde.» Le mou­rant fut fi­na­le­ment em­mené à la lé­pro­se­rie de Qui Hòa, et mal­gré les soins les plus at­ten­tifs qui lui furent pro­di­gués par les sœurs de Saint-Fran­çois d’Assise, il ren­dit l’âme le 11 no­vembre 1940. Un poème en fran­çais, tracé à grand-peine, trouvé dans ses vê­te­ments, re­mer­ciait le dé­voue­ment in­las­sable de ces re­li­gieuses : «Anges du ciel, anges de Dieu, anges de Paix et de Gaieté… ver­sez avec ef­fu­sion les ver­tus, le cou­rage et le bon­heur parmi les ser­vantes de Dieu. — Fran­çois Trí».

  1. On ren­contre aussi la gra­phie Hàn Mạc Tử qui si­gni­fie «l’Homme der­rière le Ri­deau Glacé». Haut
  1. Lettre in­ti­tu­lée «Quan niệm thơ» et adres­sée à son ami Hoàng Trọng Miên. Haut

«Hàn Mặc Tử : un malheureux prodige»

dans « Des Poètes de ma terre lointaine » (éd. Publibook, Paris), p. 23-43

dans «Des Poètes de ma terre loin­taine» (éd. Pu­bli­book, Pa­ris), p. 23-43

Il s’agit de M. Nguyễn Trọng Trí, plus connu sous le sur­nom de Hàn Mặc Tửl’Homme du Pin­ceau et de l’Encre» 1), poète viet­na­mien. Né à Lệ Mỹ, quar­tier ca­tho­lique de la ville de Đồng Hới, il re­çut à sa confir­ma­tion le nom de Fran­çois Trí. D’après son frère, il fut un gar­çon vi­gou­reux, es­piègle et tur­bu­lent, pas­sionné d’exercices phy­siques, jusqu’au jour où, se bai­gnant comme il avait cou­tume de le faire, il fut em­porté au large et faillit se noyer. Dès lors, il de­vint crain­tif et ta­ci­turne, et s’enferma dans la bi­blio­thèque de la ville, au point que ses amis le sur­nom­mèrent «l’opiomane des livres». Bien­tôt le jour­na­lisme lit­té­raire le tenta, et quit­tant la mai­son fa­mi­liale, il par­tit à Saï­gon. Mais à la fin de l’année 1936, il constata avec stu­peur l’apparition des pre­miers symp­tômes de la lèpre. Au mal­heur de l’implacable réa­lité d’une ma­la­die ré­pu­tée in­cu­rable s’ajouta pour M. Hàn Mặc Tử la cruelle né­ces­sité de re­non­cer au ma­riage qu’il pro­je­tait. Fai­sant ap­pel à la mé­de­cine tra­di­tion­nelle, fuyant les contrôles sa­ni­taires, ne don­nant plus signe de vie à ses pa­rents et amis, le ma­lade s’isola suc­ces­si­ve­ment dans dif­fé­rents gîtes de mi­sère. C’était un grand ef­fort pour lui d’écrire de ses mains ré­trac­tées; il fris­son­nait de froid; il dé­li­rait. Avant sa mort, il ré­di­gea de nom­breux poèmes, qui peuvent être di­vi­sés en deux pé­riodes dis­tinctes : du­rant la pre­mière, le poète chanta l’amour — un amour trop sou­vent char­nel, qui sen­tait le dé­sir frus­tré et l’appétit in­as­souvi; du­rant la se­conde, tout op­po­sée à l’autre, il chanta avec fer­veur la beauté de la re­li­gion chré­tienne. «Tous les poètes en ce monde doivent se concen­trer en Dieu et y pui­ser leur ins­pi­ra­tion», dit-il quelque part 2. «Le poète n’est pas un homme or­di­naire. In­vesti d’une mis­sion di­vine, il doit uti­li­ser ses ta­lents pour glo­ri­fier l’Être Su­prême et ré­vé­ler aux hommes la beauté de la poé­sie afin qu’ils puissent s’en rendre compte et en jouir. Les poètes qui ne savent pas mettre leur ta­lent au ser­vice du Bien et du Beau en se­ront pri­vés en vertu d’une sanc­tion di­vine, au su et au vu de tout le monde.» Le mou­rant fut fi­na­le­ment em­mené à la lé­pro­se­rie de Qui Hòa, et mal­gré les soins les plus at­ten­tifs qui lui furent pro­di­gués par les sœurs de Saint-Fran­çois d’Assise, il ren­dit l’âme le 11 no­vembre 1940. Un poème en fran­çais, tracé à grand-peine, trouvé dans ses vê­te­ments, re­mer­ciait le dé­voue­ment in­las­sable de ces re­li­gieuses : «Anges du ciel, anges de Dieu, anges de Paix et de Gaieté… ver­sez avec ef­fu­sion les ver­tus, le cou­rage et le bon­heur parmi les ser­vantes de Dieu. — Fran­çois Trí».

  1. On ren­contre aussi la gra­phie Hàn Mạc Tử qui si­gni­fie «l’Homme der­rière le Ri­deau Glacé». Haut
  1. Lettre in­ti­tu­lée «Quan niệm thơ» et adres­sée à son ami Hoàng Trọng Miên. Haut

Nguyễn Trãi, «Instructions aux enfants pour qu’ils se conduisent vertueusement, “Dạy con ở cho có đức”»

dans Maurice Durand, « Introduction à la littérature vietnamienne » (éd. G.-P. Maisonneuve et Larose, coll. UNESCO-Introduction aux littératures orientales, Paris), p. 66-69

dans Mau­rice Du­rand, «In­tro­duc­tion à la lit­té­ra­ture viet­na­mienne» (éd. G.-P. Mai­son­neuve et La­rose, coll. UNESCO-In­tro­duc­tion aux lit­té­ra­tures orien­tales, Pa­ris), p. 66-69

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle des «Ins­truc­tions fa­mi­liales mises en vers» 1Gia huấn ca») de Nguyễn Trãi, let­tré viet­na­mien (XIVe-XVe siècle) qui mar­qua de son gé­nie po­li­tique et mi­li­taire la guerre d’indépendance me­née contre les Chi­nois. Son père, Nguyễn Phi Khanh, était grand man­da­rin à la Cour. Quand les ar­mées chi­noises des Ming en­va­hirent le pays, il fut ar­rêté avec plu­sieurs autres di­gni­taires et en­voyé en exil à Nan­kin. Nguyễn Trãi sui­vit le cor­tège des pri­son­niers jusqu’à la fron­tière. Bra­vant le joug, les en­traves et les coups de ses geô­liers, le grand man­da­rin or­donna à son fils : «Tu ne dois pas pleu­rer la sé­pa­ra­tion d’un père et de son fils. Pleure sur­tout l’humiliation de ton peuple. Quand tu se­ras en âge, venge-moi!» 2 Nguyễn Trãi gran­dit. Il tint la pro­messe so­len­nelle faite à son père, en ras­sem­blant le peuple en­tier au­tour de Lê Lợi, qui chassa les Ming avant de de­ve­nir Em­pe­reur du Viêt-nam. Hé­las! la dy­nas­tie des Lê ainsi fon­dée prit vite om­brage des conseils et de la no­to­riété de Nguyễn Trãi. Écarté d’une Cour qu’il ve­nait de conduire à la vic­toire, notre pa­triote se fit er­mite et poète : «Je ne cours point après les hon­neurs ni ne re­cherche les pré­bendes; [je] ne suis ni joyeux de ga­gner ni triste de perdre. Les eaux ho­ri­zonnent ma fe­nêtre, les mon­tagnes — ma porte. Les poèmes em­plissent mon sac, l’alcool — ma gourde… Que reste-t-il de ceux que l’ambition ta­lon­nait sans ré­pit? Des tombes à l’abandon sous l’herbe épaisse» 3. Toute sa vie, Nguyễn Trãi eut cette seule pré­oc­cu­pa­tion : l’amour de la pa­trie qui, dans son cœur, était in­sé­pa­rable de l’amour du peuple. Res­tant as­sis, ser­rant une froide cou­ver­ture sur lui, il pas­sait des nuits sans som­meil, son­geant com­ment re­le­ver le pays et pro­cu­rer au peuple une paix du­rable après ces longues guerres : «Dans mon cœur, une seule pré­oc­cu­pa­tion sub­siste : les af­faires du pays. Toutes les nuits, je veille jusqu’aux pre­miers tin­te­ments de cloche» 4. On tient gé­né­ra­le­ment la «Grande Pro­cla­ma­tion de la pa­ci­fi­ca­tion des Chi­nois» pour le chef-d’œuvre de Nguyễn Trãi, dans le­quel, aujourd’hui en­core, chaque Viet­na­mien re­con­naît avec émo­tion l’une des sources les plus ra­fraî­chis­santes de son iden­tité na­tio­nale : «Notre pa­trie, le Grand Viêt, de­puis tou­jours, était terre de vieille culture. Terre du Sud, elle a ses fleuves, ses mon­tagnes, ses mœurs et ses cou­tumes dis­tincts de ceux du Nord…» Mais son «Re­cueil de poèmes en langue na­tio­nale» qui dé­crit, avec par­fois une teinte d’amertume, les charmes de la vie ver­tueuse et so­li­taire, et qui change en ta­bleaux en­chan­teurs les scènes de la na­ture sau­vage et né­gli­gée, m’apparaît comme étant le plus réussi et le plus propre à être goûté d’un pu­blic étran­ger.

  1. Par­fois tra­duit «Chant d’instructions fa­mi­liales», «Ins­truc­tions fa­mi­liales mises en poé­sie», «Poème sur l’éducation fa­mi­liale» ou «Édu­ca­tion fa­mi­liale ver­si­fiée». Haut
  2. Dans Dương Thu Hương, «Les Col­lines d’eucalyptus : ro­man». Haut
  1. «Re­cueil de poèmes en langue na­tio­nale», p. 200. Haut
  2. id. p. 132. Haut