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su­jet

Bashô, «Seigneur ermite : l’intégrale des haïkus»

éd. La Table ronde, Paris

éd. La Table ronde, Pa­ris

Il s’agit des haï­kus de Mat­suo Ba­shô 1, fi­gure illustre de la poé­sie ja­po­naise (XVIIe siècle apr. J.-C.). Par son éthique de vie, en­core plus que par son œuvre elle-même, ce fils de sa­mou­raï a im­posé la forme ac­tuelle du haïku, mais sur­tout il en a dé­fini la ma­nière, l’esprit : lé­gè­reté, re­cherche de sim­pli­cité, ex­trême res­pect pour la na­ture, et ce quelque chose qu’on ne peut dé­fi­nir fa­ci­le­ment et qu’il faut sen­tir — une élé­gance in­té­rieure, comme re­vê­tue de pu­deur dis­crète, qui est fon­ciè­re­ment ja­po­naise. Son poème de la rai­nette est un fa­meux exemple du saut par le­quel le haïku se dé­bar­rasse de l’artificiel pour at­teindre la so­briété nue : «Vieil étang / une rai­nette y plon­geant / chu­cho­tis de l’eau» 2. Ce haïku tra­duit et d’autres sont le pre­mier ou­vrage par le­quel la poé­sie et la pen­sée asia­tiques viennent jusqu’à Mme Mar­gue­rite Your­ce­nar qui a quinze ans : «Ce livre ex­quis a été l’équivalent pour moi d’une porte en­tre­bâillée; elle ne s’est plus ja­mais re­fer­mée de­puis», écrit-elle dans une lettre da­tée de 1955. En 1982, pen­dant ses trois mois pas­sés au Ja­pon, elle suit sur les sen­tiers étroits la trace de Ba­shô; et tan­dis qu’un ami ja­po­nais, qui la guide, com­mence à lui tra­duire «Elles mour­ront bien­tôt…», elle l’interrompt en ci­tant par cœur la chute : «et pour­tant n’en montrent rien / chant des ci­gales». «Peut-être son plus beau poème», pré­cise-t-elle dans un pe­tit ar­ticle in­ti­tulé «Ba­shô sur la route». À Kyôto, elle vi­site la hutte qui a hé­bergé notre poète vers la fin de sa vie — Ra­ku­shi­sha 3la chau­mière où tombent les ka­kis» 4) qui lui «fait pen­ser à la lé­gère dé­pouille d’une ci­gale». À l’intérieur, si on peut par­ler d’intérieur dans un lieu si ou­vert aux in­tem­pé­ries, rien ou presque pour se pro­té­ger du pas­sage des sai­sons, si pré­sentes jus­te­ment dans l’œuvre de Ba­shô «par les in­con­vé­nients et les ma­laises qu’elles ap­portent au­tant que par l’extase des yeux et de l’esprit que dis­pense leur beauté», comme ex­plique Mme Your­ce­nar. Quant au maître lui-même : «Cet homme am­bu­lant», écrit-elle, «qui a in­ti­tulé l’un de ses es­sais “Sou­ve­nirs d’un sque­lette ex­posé aux in­tem­pé­ries” voyage moins pour s’instruire… que pour su­bir. Su­bir est une fa­culté ja­po­naise, pous­sée par­fois jusqu’au ma­so­chisme [!], mais l’émotion et la connais­sance chez Ba­shô naissent de cette sou­mis­sion à l’événement ou à l’incident : la pluie, le vent, les longues marches, les as­cen­sions sur les sen­tiers ge­lés des mon­tagnes, les gîtes de ha­sard, comme ce­lui de l’octroi à Shi­to­mae où il par­tage une pièce au plan­cher de terre bat­tue avec un che­val…» Sous des ap­pa­rences de pro­me­nades, ces pè­le­ri­nages éveillaient la pen­sée de Ba­shô et met­taient sa vie en confor­mité avec la haute idée qu’il se fai­sait du haïku : «Le vent me trans­perce / ré­si­gné à y lais­ser mes os / je pars en voyage»

  1. En ja­po­nais 松尾芭蕉. Au­tre­fois trans­crit Mat­soura Ba­cho, Mat­sura Ba­sho, Mat­souo Ba­shô ou Mat­suwo Ba­shô. Haut
  2. En ja­po­nais «古池や蛙飛こむ水のおと». Haut
  1. En ja­po­nais 落柿舎. Haut
  2. Par­fois tra­duit «la villa où tombent les ka­kis», «villa aux ka­kis tom­bés» ou «la mai­son des ka­kis tom­bés à terre». Haut

«Entretiens de Lin-tsi»

éd. Fayard, coll. Documents spirituels, Paris

éd. Fayard, coll. Do­cu­ments spi­ri­tuels, Pa­ris

Il s’agit des «En­tre­tiens de Linji» («Linji yulu» 1, ou plus sim­ple­ment «Linji lu» 2). L’école de Linji Yixuan 3, maître zen, est connue par ce re­cueil de pa­roles com­posé après la mort du maître. Re­belle à tout sa­voir, fa­rouche à toute vi­sion in­tel­lec­tuelle qu’elle dé­cri­vait comme une «taie sur l’œil» cette école de­vint cé­lèbre en Chine au IXe et Xe siècle apr. J.-C. avant de se ré­pandre au Ja­pon où elle per­siste jusqu’à nos jours sous le nom d’école Rin­zai. L’usage du bâ­ton (en chi­nois «bang», en ja­po­nais «» 4) et de l’exclamation «khât!» (en ja­po­nais «katsu!» 5) est ca­rac­té­ris­tique de Linji, le­quel frap­pait ses dis­ciples et leur criait, comme s’il dé­si­rait les faire par­ve­nir d’un coup à la réa­li­sa­tion su­bite. Dans des termes vi­ru­lents, qui al­laient jusqu’au blas­phème, il prê­chait le meurtre spi­ri­tuel et le ren­ver­se­ment de toutes les va­leurs : «Si vous ren­con­trez un Boud­dha, tuez le Boud­dha! Si vous ren­con­trez un pa­triarche, tuez le pa­triarche!» 6 Et plus loin : «Je vous le dis : il n’y a pas de Boud­dha, il n’y a pas de Loi; pas de pra­tiques à culti­ver, pas de fruits à éprou­ver. Que vou­lez-vous donc tant cher­cher au­près d’autrui?… Qu’est-ce qui vous manque? C’est vous, adeptes, qui êtes là de­vant mes yeux, c’est vous-mêmes qui ne dif­fé­rez en rien du Boud­dha-pa­triarche! Mais vous n’avez pas confiance, et vous cher­chez au-de­hors» 7. Lui de­man­dait-on quel était le bien le plus pré­cieux pour l’homme, Linji ré­pon­dait : «Se te­nir dans l’ordinaire et sans af­faires : chier et pis­ser, se vê­tir et man­ger» 8. Et aussi : «Être sans af­faires et res­ter as­sis dans [son] mo­nas­tère, les pieds croi­sés au coin de [sa] ban­quette» 9. À chaque page, cet idéal de l’homme sans af­faires se re­trouve, poussé jusqu’à la pué­ri­lité. J’avoue, pour ma part, qu’il ne me convainc pas. Car, même à sup­po­ser que l’homme qui se garde de rien faire soit le plus heu­reux, ne vaut-il pas mieux être hon­nête et utile, qu’heureux et sans af­faires? L’homme de bien n’a-t-il pas droit, comme les autres, au noble tra­vail? Ne peut-il pas se su­bor­don­ner à une grande cause so­ciale, au lieu de jouir dans son coin sans se sou­cier que ce soit aux dé­pens des autres? La fin di­vine doit-elle donc être une fin égoïste?

  1. En chi­nois «臨濟語錄». Par­fois trans­crit «Lintsi yu­lou» ou «Lin-chi yü-lu». Haut
  2. En chi­nois «臨濟錄». Par­fois trans­crit «Lintsi lou» ou «Lin-chi lu». Haut
  3. En chi­nois 臨濟義玄. Au­tre­fois trans­crit Lin-tsi Yi-hiuan ou Lin-chi I-hsüan. Haut
  4. . Haut
  5. . Haut
  1. sect. 20. Haut
  2. sect. 21. Haut
  3. sect. 13. Haut
  4. sect. 18. Haut

Schiller, «Esthétique»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Lettres sur l’éducation es­thé­tique de l’homme» («Briefe über die äs­the­tische Er­zie­hung des Men­schen») et autres trai­tés phi­lo­so­phiques de Schil­ler. L’espace com­pris entre les an­nées 1792 et 1795 marque un ré­pit dans les pro­duc­tions théâ­trales de Schil­ler. Don­nant quelque at­ten­tion aux ten­dances de son temps, le dra­ma­turge se livre à de grandes ré­flexions sur l’écart qu’il ob­serve entre la forme mo­derne de l’humanité et la forme an­cienne — la grecque par­ti­cu­liè­re­ment. Se­lon Schil­ler, à l’époque de l’heureux éveil grec, l’homme, à la fois phi­lo­sophe et ar­tiste, à la fois dé­li­cat et éner­gique, ne ren­fer­mait pas son ac­ti­vité dans les li­mites de ses fonc­tions; il pos­sé­dait en soi l’essence to­tale de l’humanité; et fa­vo­rable in­dif­fé­rem­ment à toutes les ma­ni­fes­ta­tions hu­maines, il n’en pro­té­geait au­cune ex­clu­si­ve­ment. «Comme il en est au­tre­ment chez nous autres, mo­dernes!», dit Schil­ler 1. Chez nous, l’image de l’espèce est dis­tri­buée, dis­per­sée dans les in­di­vi­dus à l’état de frag­ments, de telle sorte que les forces spi­ri­tuelles de l’humanité se montrent sé­pa­rées, et qu’il faut ad­di­tion­ner la sé­rie des in­di­vi­dus pour re­cons­ti­tuer la to­ta­lité de l’espèce. «Chez nous… nous voyons non seule­ment des in­di­vi­dus iso­lés, mais des classes en­tières d’hommes ne dé­ve­lop­per qu’une par­tie de leurs fa­cul­tés», dit Schil­ler 2. C’est la ci­vi­li­sa­tion elle-même qui a fait cette bles­sure au monde mo­derne. Aus­si­tôt que, d’une part, une ex­pé­rience plus éten­due eut amené une di­vi­sion plus exacte des sciences, et que, de l’autre, la ma­chine com­pli­quée des États eut rendu né­ces­saire une sé­pa­ra­tion plus ri­gou­reuse des classes et des tâches so­ciales, le lien in­time de la na­ture hu­maine fut rompu. Une per­ni­cieuse lutte suc­céda à l’harmonie qui ré­gnait entre les di­verses sphères hu­maines. «La rai­son in­tui­tive et la rai­son spé­cu­la­tive se ren­fer­mèrent hos­ti­le­ment dans leurs do­maines sé­pa­rés, dont elles com­men­cèrent à gar­der les fron­tières avec mé­fiance et ja­lou­sie», dit Schil­ler 3. Éter­nel­le­ment en­chaîné à un seul pe­tit frag­ment du tout, l’homme mo­derne ne se forme que comme frag­ment; n’ayant sans cesse dans l’oreille que le bruit mo­no­tone de la roue qu’il fait tour­ner, il ne dé­ve­loppe ja­mais l’harmonie de sa na­ture; et au lieu d’imprimer à son être le ca­chet de l’humanité, il fi­nit par n’être plus que l’empreinte de l’occupation à la­quelle il se consacre, de la science qu’il cultive. Et Schil­ler de conclure : «Quel que soit le pro­fit ré­sul­tant… de ce per­fec­tion­ne­ment dis­tinct et spé­cial des fa­cul­tés hu­maines, on ne peut nier que ce… soit une cause de souf­france et comme une ma­lé­dic­tion pour les in­di­vi­dus. Les exer­cices du gym­nase forment, il est vrai, des corps ath­lé­tiques, mais ce n’est que par le jeu libre et égal des membres que se dé­ve­loppe la beauté. De même, la ten­sion des forces spi­ri­tuelles iso­lées peut créer des hommes ex­tra­or­di­naires; mais ce n’est que l’équilibre… de ces forces qui peut pro­duire des hommes heu­reux et ac­com­plis»

  1. p. 202. Haut
  2. id. Haut
  1. p. 203. Haut

«Ryôkan, moine errant et poète : portrait et poèmes»

éd. A. Michel, coll. Spiritualités vivantes, Paris

éd. A. Mi­chel, coll. Spi­ri­tua­li­tés vi­vantes, Pa­ris

Il s’agit des poèmes de Ya­ma­moto Eizô 1, er­mite ja­po­nais (XVIIIe-XIXe siècle), plus connu sous le sur­nom de Ryô­kan 2. En­fant ta­ci­turne et so­li­taire, adonné à de vastes lec­tures, il ré­flé­chis­sait, dès son plus jeune âge, sur la vie et sur la mort. Une nuit, il com­prit que c’était le Boud­dha qui pour­rait don­ner ré­ponse à ses ques­tions exis­ten­tielles. Au pe­tit ma­tin, s’étant rasé la tête, il prit quelques af­faires. Sur le pas de la porte, il serra dans ses bras ses six frères et sœurs : «Pre­nant mes mains dans les siennes, ma mère a long­temps fixé mon vi­sage. C’[est] comme si l’image de son vi­sage est en­core de­vant mes yeux. Lorsque j’ai de­mandé congé, elle m’a dit, de sa pa­role de­ve­nue aus­tère : “Ne laisse ja­mais dire aux gens ren­con­trés que tu as en vain quitté le monde”. Aujourd’hui, je me rap­pelle ses mots et me donne cette le­çon ma­tin et soir» 3. Dans son er­mi­tage au toit de chaume, Ryô­kan res­tait cloî­tré, quel­que­fois pen­dant des jours, à mé­di­ter, à lire des clas­siques et à com­po­ser des poèmes. Un de ses contem­po­rains 4, qui s’y abrita de la pluie, ra­conte 5 : «[À] l’intérieur de cet er­mi­tage, je ne vois au­cun autre bien qu’une seule sta­tue du Boud­dha en bois, po­sée de­bout, et deux vo­lumes de livres mis sur un pe­tit ac­cou­doir, ins­tallé au pied de la fe­nêtre. J’ouvre le livre pour sa­voir de quelle œuvre il s’agit. C’est une édi­tion xy­lo­gra­phique de “L’Œuvre com­plète” de Tchouang-tseu. Dans ce livre sont in­sé­rées des cal­li­gra­phies, tra­cées en style cur­sif, d’anciens poèmes chi­nois, qui semblent être l’œuvre de ce moine. N’ayant pas ap­pris de poèmes dans cette langue, je ne sus s’ils étaient de qua­lité, mais les cal­li­gra­phies en ques­tion l’étaient à tel point qu’elles m’émerveillèrent».

  1. En ja­po­nais 山本栄蔵. Haut
  2. En ja­po­nais 良寛. Par­fois trans­crit Ryok­wan. Haut
  3. Tra­duc­tion de M. Do­mi­nique Blain, p. 27. Haut
  1. Kondô Manjô. Haut
  2. Tra­duc­tion de Mme Mit­chiko Ishi­gami-Ia­gol­nit­zer, p. 104-106. Haut

Ryôkan, «Les Quatre-vingt-dix-neuf Haïku»

éd. Verdier, Lagrasse

éd. Ver­dier, La­grasse

Il s’agit des poèmes de Ya­ma­moto Eizô 1, er­mite ja­po­nais (XVIIIe-XIXe siècle), plus connu sous le sur­nom de Ryô­kan 2. En­fant ta­ci­turne et so­li­taire, adonné à de vastes lec­tures, il ré­flé­chis­sait, dès son plus jeune âge, sur la vie et sur la mort. Une nuit, il com­prit que c’était le Boud­dha qui pour­rait don­ner ré­ponse à ses ques­tions exis­ten­tielles. Au pe­tit ma­tin, s’étant rasé la tête, il prit quelques af­faires. Sur le pas de la porte, il serra dans ses bras ses six frères et sœurs : «Pre­nant mes mains dans les siennes, ma mère a long­temps fixé mon vi­sage. C’[est] comme si l’image de son vi­sage est en­core de­vant mes yeux. Lorsque j’ai de­mandé congé, elle m’a dit, de sa pa­role de­ve­nue aus­tère : “Ne laisse ja­mais dire aux gens ren­con­trés que tu as en vain quitté le monde”. Aujourd’hui, je me rap­pelle ses mots et me donne cette le­çon ma­tin et soir» 3. Dans son er­mi­tage au toit de chaume, Ryô­kan res­tait cloî­tré, quel­que­fois pen­dant des jours, à mé­di­ter, à lire des clas­siques et à com­po­ser des poèmes. Un de ses contem­po­rains 4, qui s’y abrita de la pluie, ra­conte 5 : «[À] l’intérieur de cet er­mi­tage, je ne vois au­cun autre bien qu’une seule sta­tue du Boud­dha en bois, po­sée de­bout, et deux vo­lumes de livres mis sur un pe­tit ac­cou­doir, ins­tallé au pied de la fe­nêtre. J’ouvre le livre pour sa­voir de quelle œuvre il s’agit. C’est une édi­tion xy­lo­gra­phique de “L’Œuvre com­plète” de Tchouang-tseu. Dans ce livre sont in­sé­rées des cal­li­gra­phies, tra­cées en style cur­sif, d’anciens poèmes chi­nois, qui semblent être l’œuvre de ce moine. N’ayant pas ap­pris de poèmes dans cette langue, je ne sus s’ils étaient de qua­lité, mais les cal­li­gra­phies en ques­tion l’étaient à tel point qu’elles m’émerveillèrent».

  1. En ja­po­nais 山本栄蔵. Haut
  2. En ja­po­nais 良寛. Par­fois trans­crit Ryok­wan. Haut
  3. Tra­duc­tion de M. Do­mi­nique Blain, p. 27. Haut
  1. Kondô Manjô. Haut
  2. Tra­duc­tion de Mme Mit­chiko Ishi­gami-Ia­gol­nit­zer, p. 104-106. Haut

Ryôkan, «La Rosée d’un lotus, “Hachisu no tsuyu”»

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit des poèmes de Ya­ma­moto Eizô 1, er­mite ja­po­nais (XVIIIe-XIXe siècle), plus connu sous le sur­nom de Ryô­kan 2. En­fant ta­ci­turne et so­li­taire, adonné à de vastes lec­tures, il ré­flé­chis­sait, dès son plus jeune âge, sur la vie et sur la mort. Une nuit, il com­prit que c’était le Boud­dha qui pour­rait don­ner ré­ponse à ses ques­tions exis­ten­tielles. Au pe­tit ma­tin, s’étant rasé la tête, il prit quelques af­faires. Sur le pas de la porte, il serra dans ses bras ses six frères et sœurs : «Pre­nant mes mains dans les siennes, ma mère a long­temps fixé mon vi­sage. C’[est] comme si l’image de son vi­sage est en­core de­vant mes yeux. Lorsque j’ai de­mandé congé, elle m’a dit, de sa pa­role de­ve­nue aus­tère : “Ne laisse ja­mais dire aux gens ren­con­trés que tu as en vain quitté le monde”. Aujourd’hui, je me rap­pelle ses mots et me donne cette le­çon ma­tin et soir» 3. Dans son er­mi­tage au toit de chaume, Ryô­kan res­tait cloî­tré, quel­que­fois pen­dant des jours, à mé­di­ter, à lire des clas­siques et à com­po­ser des poèmes. Un de ses contem­po­rains 4, qui s’y abrita de la pluie, ra­conte 5 : «[À] l’intérieur de cet er­mi­tage, je ne vois au­cun autre bien qu’une seule sta­tue du Boud­dha en bois, po­sée de­bout, et deux vo­lumes de livres mis sur un pe­tit ac­cou­doir, ins­tallé au pied de la fe­nêtre. J’ouvre le livre pour sa­voir de quelle œuvre il s’agit. C’est une édi­tion xy­lo­gra­phique de “L’Œuvre com­plète” de Tchouang-tseu. Dans ce livre sont in­sé­rées des cal­li­gra­phies, tra­cées en style cur­sif, d’anciens poèmes chi­nois, qui semblent être l’œuvre de ce moine. N’ayant pas ap­pris de poèmes dans cette langue, je ne sus s’ils étaient de qua­lité, mais les cal­li­gra­phies en ques­tion l’étaient à tel point qu’elles m’émerveillèrent».

  1. En ja­po­nais 山本栄蔵. Haut
  2. En ja­po­nais 良寛. Par­fois trans­crit Ryok­wan. Haut
  3. Tra­duc­tion de M. Do­mi­nique Blain, p. 27. Haut
  1. Kondô Manjô. Haut
  2. Tra­duc­tion de Mme Mit­chiko Ishi­gami-Ia­gol­nit­zer, p. 104-106. Haut

«Ryôkan, moine zen»

éd. du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Paris

éd. du Centre na­tio­nal de la re­cherche scien­ti­fique (CNRS), Pa­ris

Il s’agit des poèmes de Ya­ma­moto Eizô 1, er­mite ja­po­nais (XVIIIe-XIXe siècle), plus connu sous le sur­nom de Ryô­kan 2. En­fant ta­ci­turne et so­li­taire, adonné à de vastes lec­tures, il ré­flé­chis­sait, dès son plus jeune âge, sur la vie et sur la mort. Une nuit, il com­prit que c’était le Boud­dha qui pour­rait don­ner ré­ponse à ses ques­tions exis­ten­tielles. Au pe­tit ma­tin, s’étant rasé la tête, il prit quelques af­faires. Sur le pas de la porte, il serra dans ses bras ses six frères et sœurs : «Pre­nant mes mains dans les siennes, ma mère a long­temps fixé mon vi­sage. C’[est] comme si l’image de son vi­sage est en­core de­vant mes yeux. Lorsque j’ai de­mandé congé, elle m’a dit, de sa pa­role de­ve­nue aus­tère : “Ne laisse ja­mais dire aux gens ren­con­trés que tu as en vain quitté le monde”. Aujourd’hui, je me rap­pelle ses mots et me donne cette le­çon ma­tin et soir» 3. Dans son er­mi­tage au toit de chaume, Ryô­kan res­tait cloî­tré, quel­que­fois pen­dant des jours, à mé­di­ter, à lire des clas­siques et à com­po­ser des poèmes. Un de ses contem­po­rains 4, qui s’y abrita de la pluie, ra­conte 5 : «[À] l’intérieur de cet er­mi­tage, je ne vois au­cun autre bien qu’une seule sta­tue du Boud­dha en bois, po­sée de­bout, et deux vo­lumes de livres mis sur un pe­tit ac­cou­doir, ins­tallé au pied de la fe­nêtre. J’ouvre le livre pour sa­voir de quelle œuvre il s’agit. C’est une édi­tion xy­lo­gra­phique de “L’Œuvre com­plète” de Tchouang-tseu. Dans ce livre sont in­sé­rées des cal­li­gra­phies, tra­cées en style cur­sif, d’anciens poèmes chi­nois, qui semblent être l’œuvre de ce moine. N’ayant pas ap­pris de poèmes dans cette langue, je ne sus s’ils étaient de qua­lité, mais les cal­li­gra­phies en ques­tion l’étaient à tel point qu’elles m’émerveillèrent».

  1. En ja­po­nais 山本栄蔵. Haut
  2. En ja­po­nais 良寛. Par­fois trans­crit Ryok­wan. Haut
  3. Tra­duc­tion de M. Do­mi­nique Blain, p. 27. Haut
  1. Kondô Manjô. Haut
  2. Tra­duc­tion de Mme Mit­chiko Ishi­gami-Ia­gol­nit­zer, p. 104-106. Haut

Han Shan, «Merveilleux le chemin de Han shan : poèmes»

éd. Moundarren, Millemont

éd. Moun­dar­ren, Mil­le­mont

Il s’agit de Han Shan 1, er­mite et poète chi­nois (VIIe siècle apr. J.-C.). Il avait quitté sa fa­mille pour se re­ti­rer sur une fa­laise, dans un en­droit nommé Mon­tagne froide (Han shan), au­quel il doit son sur­nom. Le lieu où il vi­vait était libre de la pous­sière et du bruit. Il s’asseyait parmi les nuages blancs. Un vent sub­til souf­flait à tra­vers les pins so­li­taires, dont le son lui était agréable. De­puis dix ans, il n’était pas re­tourné en ville; il en avait ou­blié la route qu’il avait ja­dis em­prun­tée pour ve­nir. Non loin de là, au mo­nas­tère du Pays clair (Guo qing 2), vi­vait son ami et condis­ciple, Shi De 3, qui tra­vaillait dans la cui­sine et met­tait les restes de côté pour lui dans un tube de bam­bou. Han Shan dé­am­bu­lait sous la vé­randa du mo­nas­tère, criant de joie, par­lant seul, riant seul. On le pre­nait pour un fou. Par­fois, les moines lui cou­raient après pour l’injurier, pour le chas­ser. Dans les vil­lages, près des huttes, il ba­di­nait avec les en­fants qui gar­daient les vaches. Pour­tant, ses pa­roles sem­blaient co­hé­rentes, et si on y ré­flé­chis­sait bien, on y de­vi­nait des idées pro­fondes. En fait, tout ce qu’il di­sait était pro­fond. Dans ses poé­sies aussi, il abor­dait les su­jets les plus graves en en don­nant une pein­ture in­gé­nue et simple, et en conser­vant une par­faite bon­ho­mie, ce qui fait qu’on suit ses vers et qu’on se les as­si­mile ra­pi­de­ment, sans même se rendre compte de leur por­tée :

«Les gens de­mandent le che­min de Han shan
Nulle route ne mène à Han shan
L’été, la glace ne fond pas
À peine levé, le so­leil se noie dans le brouillard
Com­ment y par­ve­nir, comme moi,
Si votre cœur n’est pas pa­reil au mien?
Si votre cœur, par contre, est pa­reil au mien
Vous êtes alors en plein mi­lieu
»

  1. En chi­nois 寒山. Au­tre­fois trans­crit Han-chan ou Han Schan. Haut
  2. En chi­nois 國清. Au­tre­fois trans­crit Kuo ch’ing. Haut
  1. En chi­nois 拾得. Au­tre­fois trans­crit Shih Té. On ra­conte que Shi De était un en­fant aban­donné, car son sur­nom si­gni­fie «le ra­massé». Haut