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Joubert, « Correspondance générale (1774-1824). Tome III. La Restauration »

éd. William Blake & Co., Bordeaux

éd. William Blake & Co., Bor­deaux

Il s’agit de Jo­seph Jou­bert, un des plus grands sty­listes fran­çais (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme sin­gu­lier ne pu­blia rien de son vi­vant, tant il te­nait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, lit­té­ra­le­ment par­lant, pen­dant toute sa vie, que de tra­vailler à ses « Pen­sées », écri­vant, ra­tu­rant, ajou­tant, re­tran­chant et n’en fi­nis­sant ja­mais. À sa mort en 1824, il lais­sait der­rière lui deux cent cinq car­nets, com­plé­tés par soixante liasses de pa­piers où se mê­laient, dans une grande confu­sion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des an­nées plus tard que Jean-Bap­tiste-Mi­chel Du­chesne, ne­veu de Jou­bert, en fit un mince re­cueil, qu’il re­mit à l’illustre Cha­teau­briand, le­quel se char­gea de le pré­fa­cer et d’y mettre un peu d’ordre. Du­chesne fit donc seul le choix de cette pre­mière édi­tion des « Pen­sées », écar­tant celles qui étaient dif­fi­ci­le­ment dé­chif­frables, re­tou­chant celles qui lui sem­blaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un es­prit as­sez exercé pour que ce choix fût sa­tis­fai­sant, et il est dom­mage que sur la re­com­man­da­tion du nom de Cha­teau­briand on se soit ha­bi­tué, pen­dant long­temps, à ju­ger Jou­bert sur une édi­tion qui, étant in­com­plète et fau­tive, ne le montre pas dans toute sa splen­deur lit­té­raire et phi­lo­so­phique. Mais qui est donc Jou­bert ? Quel est cet in­connu, cet ano­nyme, cet in­édit qui s’était fait de la per­fec­tion une cer­taine idée qui l’empêchait de rien ache­ver ? Voici com­ment Sainte-Beuve ré­pond à cette ques­tion : « Ce fut un de ces heu­reux es­prits qui passent leur vie à pen­ser ; à conver­ser avec leurs amis ; à son­ger dans la so­li­tude ; à mé­di­ter quelque grand ou­vrage qu’ils n’accompliront ja­mais, et qui ne nous ar­rive qu’en frag­ments ». Sur l’un de ses car­nets, Jou­bert écri­vait1 : « Je suis comme Mon­taigne im­propre au dis­cours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une es­thé­tique chez cet homme qui se di­sait avare « de [son] encre »2, et qui ne vou­lait « [se] don­ner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain »3. Pen­sant pour la seule vo­lupté de pen­ser, pen­sant pa­tiem­ment, il at­ten­dait, pour cou­cher un mot, que la goutte d’encre qui de­vait tom­ber de sa plume se chan­geât en « goutte de lu­mière »4, « tour­menté » qu’il était « par la mau­dite am­bi­tion de mettre tou­jours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot »5.

  1. « Car­nets. Tome II », p. 240. Haut
  2. « Cor­res­pon­dance. Tome I », p. 101. Haut
  3. id. Haut
  1. « Car­nets. Tome I », p. 662. Haut
  2. « Car­nets. Tome II », p. 485. Haut

Joubert, « Correspondance générale (1774-1824). Tome II. La Période impériale »

éd. William Blake & Co., Bordeaux

éd. William Blake & Co., Bor­deaux

Il s’agit de Jo­seph Jou­bert, un des plus grands sty­listes fran­çais (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme sin­gu­lier ne pu­blia rien de son vi­vant, tant il te­nait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, lit­té­ra­le­ment par­lant, pen­dant toute sa vie, que de tra­vailler à ses « Pen­sées », écri­vant, ra­tu­rant, ajou­tant, re­tran­chant et n’en fi­nis­sant ja­mais. À sa mort en 1824, il lais­sait der­rière lui deux cent cinq car­nets, com­plé­tés par soixante liasses de pa­piers où se mê­laient, dans une grande confu­sion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des an­nées plus tard que Jean-Bap­tiste-Mi­chel Du­chesne, ne­veu de Jou­bert, en fit un mince re­cueil, qu’il re­mit à l’illustre Cha­teau­briand, le­quel se char­gea de le pré­fa­cer et d’y mettre un peu d’ordre. Du­chesne fit donc seul le choix de cette pre­mière édi­tion des « Pen­sées », écar­tant celles qui étaient dif­fi­ci­le­ment dé­chif­frables, re­tou­chant celles qui lui sem­blaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un es­prit as­sez exercé pour que ce choix fût sa­tis­fai­sant, et il est dom­mage que sur la re­com­man­da­tion du nom de Cha­teau­briand on se soit ha­bi­tué, pen­dant long­temps, à ju­ger Jou­bert sur une édi­tion qui, étant in­com­plète et fau­tive, ne le montre pas dans toute sa splen­deur lit­té­raire et phi­lo­so­phique. Mais qui est donc Jou­bert ? Quel est cet in­connu, cet ano­nyme, cet in­édit qui s’était fait de la per­fec­tion une cer­taine idée qui l’empêchait de rien ache­ver ? Voici com­ment Sainte-Beuve ré­pond à cette ques­tion : « Ce fut un de ces heu­reux es­prits qui passent leur vie à pen­ser ; à conver­ser avec leurs amis ; à son­ger dans la so­li­tude ; à mé­di­ter quelque grand ou­vrage qu’ils n’accompliront ja­mais, et qui ne nous ar­rive qu’en frag­ments ». Sur l’un de ses car­nets, Jou­bert écri­vait1 : « Je suis comme Mon­taigne im­propre au dis­cours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une es­thé­tique chez cet homme qui se di­sait avare « de [son] encre »2, et qui ne vou­lait « [se] don­ner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain »3. Pen­sant pour la seule vo­lupté de pen­ser, pen­sant pa­tiem­ment, il at­ten­dait, pour cou­cher un mot, que la goutte d’encre qui de­vait tom­ber de sa plume se chan­geât en « goutte de lu­mière »4, « tour­menté » qu’il était « par la mau­dite am­bi­tion de mettre tou­jours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot »5.

  1. « Car­nets. Tome II », p. 240. Haut
  2. « Cor­res­pon­dance. Tome I », p. 101. Haut
  3. id. Haut
  1. « Car­nets. Tome I », p. 662. Haut
  2. « Car­nets. Tome II », p. 485. Haut

Joubert, « Correspondance générale (1774-1824). Tome I. Les Temps révolutionnaires »

éd. William Blake & Co., Bordeaux

éd. William Blake & Co., Bor­deaux

Il s’agit de Jo­seph Jou­bert, un des plus grands sty­listes fran­çais (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme sin­gu­lier ne pu­blia rien de son vi­vant, tant il te­nait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, lit­té­ra­le­ment par­lant, pen­dant toute sa vie, que de tra­vailler à ses « Pen­sées », écri­vant, ra­tu­rant, ajou­tant, re­tran­chant et n’en fi­nis­sant ja­mais. À sa mort en 1824, il lais­sait der­rière lui deux cent cinq car­nets, com­plé­tés par soixante liasses de pa­piers où se mê­laient, dans une grande confu­sion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des an­nées plus tard que Jean-Bap­tiste-Mi­chel Du­chesne, ne­veu de Jou­bert, en fit un mince re­cueil, qu’il re­mit à l’illustre Cha­teau­briand, le­quel se char­gea de le pré­fa­cer et d’y mettre un peu d’ordre. Du­chesne fit donc seul le choix de cette pre­mière édi­tion des « Pen­sées », écar­tant celles qui étaient dif­fi­ci­le­ment dé­chif­frables, re­tou­chant celles qui lui sem­blaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un es­prit as­sez exercé pour que ce choix fût sa­tis­fai­sant, et il est dom­mage que sur la re­com­man­da­tion du nom de Cha­teau­briand on se soit ha­bi­tué, pen­dant long­temps, à ju­ger Jou­bert sur une édi­tion qui, étant in­com­plète et fau­tive, ne le montre pas dans toute sa splen­deur lit­té­raire et phi­lo­so­phique. Mais qui est donc Jou­bert ? Quel est cet in­connu, cet ano­nyme, cet in­édit qui s’était fait de la per­fec­tion une cer­taine idée qui l’empêchait de rien ache­ver ? Voici com­ment Sainte-Beuve ré­pond à cette ques­tion : « Ce fut un de ces heu­reux es­prits qui passent leur vie à pen­ser ; à conver­ser avec leurs amis ; à son­ger dans la so­li­tude ; à mé­di­ter quelque grand ou­vrage qu’ils n’accompliront ja­mais, et qui ne nous ar­rive qu’en frag­ments ». Sur l’un de ses car­nets, Jou­bert écri­vait1 : « Je suis comme Mon­taigne im­propre au dis­cours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une es­thé­tique chez cet homme qui se di­sait avare « de [son] encre »2, et qui ne vou­lait « [se] don­ner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain »3. Pen­sant pour la seule vo­lupté de pen­ser, pen­sant pa­tiem­ment, il at­ten­dait, pour cou­cher un mot, que la goutte d’encre qui de­vait tom­ber de sa plume se chan­geât en « goutte de lu­mière »4, « tour­menté » qu’il était « par la mau­dite am­bi­tion de mettre tou­jours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot »5.

  1. « Car­nets. Tome II », p. 240. Haut
  2. « Cor­res­pon­dance. Tome I », p. 101. Haut
  3. id. Haut
  1. « Car­nets. Tome I », p. 662. Haut
  2. « Car­nets. Tome II », p. 485. Haut

Joubert, « Carnets. Tome II »

éd. Gallimard, Paris

éd. Gal­li­mard, Pa­ris

Il s’agit de Jo­seph Jou­bert, un des plus grands sty­listes fran­çais (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme sin­gu­lier ne pu­blia rien de son vi­vant, tant il te­nait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, lit­té­ra­le­ment par­lant, pen­dant toute sa vie, que de tra­vailler à ses « Pen­sées », écri­vant, ra­tu­rant, ajou­tant, re­tran­chant et n’en fi­nis­sant ja­mais. À sa mort en 1824, il lais­sait der­rière lui deux cent cinq car­nets, com­plé­tés par soixante liasses de pa­piers où se mê­laient, dans une grande confu­sion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des an­nées plus tard que Jean-Bap­tiste-Mi­chel Du­chesne, ne­veu de Jou­bert, en fit un mince re­cueil, qu’il re­mit à l’illustre Cha­teau­briand, le­quel se char­gea de le pré­fa­cer et d’y mettre un peu d’ordre. Du­chesne fit donc seul le choix de cette pre­mière édi­tion des « Pen­sées », écar­tant celles qui étaient dif­fi­ci­le­ment dé­chif­frables, re­tou­chant celles qui lui sem­blaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un es­prit as­sez exercé pour que ce choix fût sa­tis­fai­sant, et il est dom­mage que sur la re­com­man­da­tion du nom de Cha­teau­briand on se soit ha­bi­tué, pen­dant long­temps, à ju­ger Jou­bert sur une édi­tion qui, étant in­com­plète et fau­tive, ne le montre pas dans toute sa splen­deur lit­té­raire et phi­lo­so­phique. Mais qui est donc Jou­bert ? Quel est cet in­connu, cet ano­nyme, cet in­édit qui s’était fait de la per­fec­tion une cer­taine idée qui l’empêchait de rien ache­ver ? Voici com­ment Sainte-Beuve ré­pond à cette ques­tion : « Ce fut un de ces heu­reux es­prits qui passent leur vie à pen­ser ; à conver­ser avec leurs amis ; à son­ger dans la so­li­tude ; à mé­di­ter quelque grand ou­vrage qu’ils n’accompliront ja­mais, et qui ne nous ar­rive qu’en frag­ments ». Sur l’un de ses car­nets, Jou­bert écri­vait1 : « Je suis comme Mon­taigne im­propre au dis­cours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une es­thé­tique chez cet homme qui se di­sait avare « de [son] encre »2, et qui ne vou­lait « [se] don­ner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain »3. Pen­sant pour la seule vo­lupté de pen­ser, pen­sant pa­tiem­ment, il at­ten­dait, pour cou­cher un mot, que la goutte d’encre qui de­vait tom­ber de sa plume se chan­geât en « goutte de lu­mière »4, « tour­menté » qu’il était « par la mau­dite am­bi­tion de mettre tou­jours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot »5.

  1. « Car­nets. Tome II », p. 240. Haut
  2. « Cor­res­pon­dance. Tome I », p. 101. Haut
  3. id. Haut
  1. « Car­nets. Tome I », p. 662. Haut
  2. « Car­nets. Tome II », p. 485. Haut

Joubert, « Carnets. Tome I »

éd. Gallimard, Paris

éd. Gal­li­mard, Pa­ris

Il s’agit de Jo­seph Jou­bert, un des plus grands sty­listes fran­çais (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme sin­gu­lier ne pu­blia rien de son vi­vant, tant il te­nait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, lit­té­ra­le­ment par­lant, pen­dant toute sa vie, que de tra­vailler à ses « Pen­sées », écri­vant, ra­tu­rant, ajou­tant, re­tran­chant et n’en fi­nis­sant ja­mais. À sa mort en 1824, il lais­sait der­rière lui deux cent cinq car­nets, com­plé­tés par soixante liasses de pa­piers où se mê­laient, dans une grande confu­sion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des an­nées plus tard que Jean-Bap­tiste-Mi­chel Du­chesne, ne­veu de Jou­bert, en fit un mince re­cueil, qu’il re­mit à l’illustre Cha­teau­briand, le­quel se char­gea de le pré­fa­cer et d’y mettre un peu d’ordre. Du­chesne fit donc seul le choix de cette pre­mière édi­tion des « Pen­sées », écar­tant celles qui étaient dif­fi­ci­le­ment dé­chif­frables, re­tou­chant celles qui lui sem­blaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un es­prit as­sez exercé pour que ce choix fût sa­tis­fai­sant, et il est dom­mage que sur la re­com­man­da­tion du nom de Cha­teau­briand on se soit ha­bi­tué, pen­dant long­temps, à ju­ger Jou­bert sur une édi­tion qui, étant in­com­plète et fau­tive, ne le montre pas dans toute sa splen­deur lit­té­raire et phi­lo­so­phique. Mais qui est donc Jou­bert ? Quel est cet in­connu, cet ano­nyme, cet in­édit qui s’était fait de la per­fec­tion une cer­taine idée qui l’empêchait de rien ache­ver ? Voici com­ment Sainte-Beuve ré­pond à cette ques­tion : « Ce fut un de ces heu­reux es­prits qui passent leur vie à pen­ser ; à conver­ser avec leurs amis ; à son­ger dans la so­li­tude ; à mé­di­ter quelque grand ou­vrage qu’ils n’accompliront ja­mais, et qui ne nous ar­rive qu’en frag­ments ». Sur l’un de ses car­nets, Jou­bert écri­vait1 : « Je suis comme Mon­taigne im­propre au dis­cours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une es­thé­tique chez cet homme qui se di­sait avare « de [son] encre »2, et qui ne vou­lait « [se] don­ner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain »3. Pen­sant pour la seule vo­lupté de pen­ser, pen­sant pa­tiem­ment, il at­ten­dait, pour cou­cher un mot, que la goutte d’encre qui de­vait tom­ber de sa plume se chan­geât en « goutte de lu­mière »4, « tour­menté » qu’il était « par la mau­dite am­bi­tion de mettre tou­jours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot »5.

  1. « Car­nets. Tome II », p. 240. Haut
  2. « Cor­res­pon­dance. Tome I », p. 101. Haut
  3. id. Haut
  1. « Car­nets. Tome I », p. 662. Haut
  2. « Car­nets. Tome II », p. 485. Haut

Joubert, « Essais (1779-1821) »

éd. A. G. Nizet, Paris

éd. A. G. Ni­zet, Pa­ris

Il s’agit de Jo­seph Jou­bert, un des plus grands sty­listes fran­çais (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme sin­gu­lier ne pu­blia rien de son vi­vant, tant il te­nait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, lit­té­ra­le­ment par­lant, pen­dant toute sa vie, que de tra­vailler à ses « Pen­sées », écri­vant, ra­tu­rant, ajou­tant, re­tran­chant et n’en fi­nis­sant ja­mais. À sa mort en 1824, il lais­sait der­rière lui deux cent cinq car­nets, com­plé­tés par soixante liasses de pa­piers où se mê­laient, dans une grande confu­sion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des an­nées plus tard que Jean-Bap­tiste-Mi­chel Du­chesne, ne­veu de Jou­bert, en fit un mince re­cueil, qu’il re­mit à l’illustre Cha­teau­briand, le­quel se char­gea de le pré­fa­cer et d’y mettre un peu d’ordre. Du­chesne fit donc seul le choix de cette pre­mière édi­tion des « Pen­sées », écar­tant celles qui étaient dif­fi­ci­le­ment dé­chif­frables, re­tou­chant celles qui lui sem­blaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un es­prit as­sez exercé pour que ce choix fût sa­tis­fai­sant, et il est dom­mage que sur la re­com­man­da­tion du nom de Cha­teau­briand on se soit ha­bi­tué, pen­dant long­temps, à ju­ger Jou­bert sur une édi­tion qui, étant in­com­plète et fau­tive, ne le montre pas dans toute sa splen­deur lit­té­raire et phi­lo­so­phique. Mais qui est donc Jou­bert ? Quel est cet in­connu, cet ano­nyme, cet in­édit qui s’était fait de la per­fec­tion une cer­taine idée qui l’empêchait de rien ache­ver ? Voici com­ment Sainte-Beuve ré­pond à cette ques­tion : « Ce fut un de ces heu­reux es­prits qui passent leur vie à pen­ser ; à conver­ser avec leurs amis ; à son­ger dans la so­li­tude ; à mé­di­ter quelque grand ou­vrage qu’ils n’accompliront ja­mais, et qui ne nous ar­rive qu’en frag­ments ». Sur l’un de ses car­nets, Jou­bert écri­vait1 : « Je suis comme Mon­taigne im­propre au dis­cours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une es­thé­tique chez cet homme qui se di­sait avare « de [son] encre »2, et qui ne vou­lait « [se] don­ner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain »3. Pen­sant pour la seule vo­lupté de pen­ser, pen­sant pa­tiem­ment, il at­ten­dait, pour cou­cher un mot, que la goutte d’encre qui de­vait tom­ber de sa plume se chan­geât en « goutte de lu­mière »4, « tour­menté » qu’il était « par la mau­dite am­bi­tion de mettre tou­jours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot »5.

  1. « Car­nets. Tome II », p. 240. Haut
  2. « Cor­res­pon­dance. Tome I », p. 101. Haut
  3. id. Haut
  1. « Car­nets. Tome I », p. 662. Haut
  2. « Car­nets. Tome II », p. 485. Haut

Cioran, « Œuvres »

éd. Gallimard, coll. Quarto, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Quarto, Pa­ris

Il s’agit de M. Emil Cio­ran1, in­tel­lec­tuel rou­main d’expression fran­çaise (XXe siècle). Com­ment peut-on être Fran­çais ? com­ment peut-on dis­po­ser d’une langue si sub­tile et ne pas réus­sir à ex­pri­mer les si­gni­fi­ca­tions de l’homme d’aujourd’hui ?, se de­man­dait M. Cio­ran. Il lui sem­blait que le monde ac­tuel était ter­ri­ble­ment in­té­res­sant, et son seul re­gret était de ne pas pou­voir y par­ti­ci­per da­van­tage — à cause de lui-même, ou plu­tôt de son des­tin d’intellectuel rou­main : « Qui­conque est doué du sens de l’histoire », dit-il2, « ad­met­tra que… les Rou­mains ont vécu dans une in­exis­tence per­ma­nente ». Mais ar­rivé en France, M. Cio­ran fut sur­pris de voir que la France même, au­tre­ment douée et pla­cée, ne par­ti­ci­pait plus aux choses, ni même ne leur as­si­gnait un nom. Il lui sem­blait pour­tant que la vo­ca­tion pre­mière de cette na­tion était de com­prendre les autres et de leur faire com­prendre. Mais de­puis des dé­cen­nies, la France cher­chait des lu­mières au lieu d’en don­ner : « J’étais allé loin pour cher­cher le so­leil, et le so­leil, en­fin trouvé, m’était hos­tile. Et si j’allais me je­ter du haut de la fa­laise ? Pen­dant que je fai­sais des consi­dé­ra­tions plu­tôt sombres, tout en re­gar­dant ces pins, ces ro­chers, ces vagues, je sen­tis sou­dain à quel point j’étais rivé à ce bel uni­vers mau­dit », dit-il3. Si, dans son œuvre de langue rou­maine, M. Cio­ran ne ces­sait de dé­plo­rer la si­tua­tion des cultures sans des­tin, des cultures mi­neures, tou­jours res­tées ano­nymes, ses ou­vrages de langue fran­çaise offrent une vi­sion tout aussi pes­si­miste des cultures ma­jeures ayant eu ja­dis une am­bi­tion mé­ta­phy­sique et un dé­sir de trans­for­mer le monde, ar­ri­vées dé­sor­mais à une phase de dé­clin, à la per­pé­tua­tion d’une « race de sous-hommes, res­quilleurs de l’apocalypse »4. Et les unes et les autres marchent — courent même — vers un dé­sastre réel, et non vers quelque idéale per­fec­tion. Et M. Cio­ran de conclure : « Le “pro­grès” est l’équivalent mo­derne de la Chute, la ver­sion pro­fane de la dam­na­tion »5.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom d’E. M. Cio­ran. Fas­ciné par les ini­tiales d’E. M. Fors­ter, Cio­ran les adopta pour lui-même. Il di­sait qu’Emil tout court, c’était un pré­nom vul­gaire, un pré­nom de coif­feur. Haut
  2. « So­li­tude et Des­tin ». Haut
  3. « Aveux et Ana­thèmes ». Haut
  1. « Pré­cis de dé­com­po­si­tion ». Haut
  2. « La Chute dans le temps ». Haut