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« Petites Sagas islandaises »

éd. Les Belles Lettres, coll. Vérité des mythes-Sources, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Vé­rité des mythes-Sources, Pa­ris

Il s’agit du « Dit de Gun­narr meur­trier de Þið­randi » (« Gun­nars þáttr Þið­ran­da­bana ») et autres sa­gas is­lan­daises. Du­rant le siècle et demi de leur ré­dac­tion, entre les an­nées 1200 et 1350 apr. J.-C., les sa­gas s’imposent par leur in­ten­sité dra­ma­tique, par leur style ra­massé et presque bourru, par leur réa­lisme dur, tem­péré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lec­ture fa­vo­rite des hommes du Nord et comme le fleu­ron de l’art nar­ra­tif eu­ro­péen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « ra­con­ter »), qu’on re­trouve dans toutes les langues du Nord : da­nois, « sige » ; sué­dois, « säga » ; al­le­mand, « sa­gen » ; néer­lan­dais, « zeg­gen » ; an­glais, « say ». On au­rait tort ce­pen­dant d’attribuer à la Scan­di­na­vie en­tière la pa­ter­nité de ce genre qui, à une ou deux ex­cep­tions près, est ty­pi­que­ment et ex­clu­si­ve­ment is­lan­dais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en de­hors de quelques spé­cia­listes. Il n’est donc pas éton­nant que le vul­gaire re­garde les ha­bi­tants de cette île loin­taine presque avec dé­dain. Il les consi­dère comme des demi-bar­bares ha­billés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces mi­sé­rables sau­vages nous ont donné l’ensemble des sa­gas et tout ce que nous li­sons de plus an­cien sur les ci­vi­li­sa­tions nor­diques, à telle en­seigne que la vieille langue de ces ci­vi­li­sa­tions est sur­nom­mée « le vieil is­lan­dais », cela lui pa­raît un pa­ra­doxe. Mais es­sayons de ré­ta­blir la vé­rité ! En 874 apr. J.-C. les Nor­vé­giens prirent pied en Is­lande, où ils ne tar­dèrent pas à éta­blir une ré­pu­blique aris­to­cra­tique. Quel était le nombre des pre­miers co­lons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seule­ment que, parmi ceux qui y construi­sirent leur de­meure, on comp­tait une ma­jo­rité de fa­milles nobles fuyant le des­pote Ha­rald Ier1, trop lasses de sa do­mi­na­tion ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ke­till », dit une saga2, « s’éleva la puis­sance du roi Ha­rald à la Belle Che­ve­lure, si bien qu’aucun [sei­gneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne pros­pé­rait dans le pays si le roi ne dis­po­sait à lui seul de [toutes les] pré­ro­ga­tives… Lorsque Ke­till ap­prit que le roi Ha­rald lui des­ti­nait le même lot qu’aux autres puis­sants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des in­for­ma­tions vé­ri­diques sur la haine que nous voue le roi Ha­rald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choi­sir entre deux choses : fuir le pays ou être tués cha­cun chez soi” ». Tous ceux qui ne vou­laient pas cour­ber la tête sous le sceptre du roi, s’en al­laient à tra­vers les flots cher­cher une heu­reuse « terre de glace » où il n’y avait en­core ni au­to­rité ni mo­narque ; où chaque chef de fa­mille pou­vait ré­gner en li­berté dans sa de­meure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas be­soin d’argent pour les ache­ter… ; on y pre­nait du sau­mon et d’autres pois­sons à lon­gueur d’année », ajoute la même saga. Les émi­gra­tions de­vinrent en peu de temps si fré­quentes et si nom­breuses, que Ha­rald Ier, crai­gnant de voir la Nor­vège se dé­peu­pler, im­posa un tri­but à tous ceux qui la quit­te­raient et par­fois s’empara de leurs biens.

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Ha­ral­dur et Ha­raldr. Haut
  1. « Saga des gens du Val-au-Sau­mon ». Haut

« Contes et Légendes annamites »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit d’une an­tho­lo­gie de la lit­té­ra­ture po­pu­laire du Viêt-nam. Long­temps dé­dai­gnée par les let­trés, parce qu’elle ne me­nait pas aux car­rières man­da­ri­nales, cette lit­té­ra­ture avait tou­jours été culti­vée par l’effort ano­nyme du peuple. Ainsi donc, à côté de la lit­té­ra­ture of­fi­cielle, qui chan­tait en vers sa­vants les hommes et les choses de la Chine, il exis­tait une lit­té­ra­ture po­pu­laire, en grande par­tie orale, qui ex­pri­mait sous une forme tan­tôt naïve et simple, tan­tôt nar­quoise et vo­lon­tiers hu­mo­ris­tique, l’âme po­pu­laire du Viêt-nam. « Tan­dis que les let­trés s’enfermaient dans leur tour d’ivoire et se plai­saient à com­po­ser des vers chi­nois qui, ici, res­semblent bien aux vers la­tins, ou à com­men­ter les vieux clas­siques, le peuple tra­vaillait à for­mer la langue et à pro­duire cette riche lit­té­ra­ture po­pu­laire com­po­sée de dic­tons, de pro­verbes, de sen­tences, de dis­tiques, de phrases, lo­cu­tions et ex­pres­sions plus ou moins as­so­nan­cées por­tant des al­lu­sions aux faits du passé ou aux cou­tumes lo­cales, et sur­tout de chan­sons, de ces belles et douces chan­sons qui s’élèvent les nuits d’été du fond des paillotes ou de l’immensité des ri­zières et des étangs et semblent se ré­per­cu­ter dans l’espace jusqu’à la cime fris­son­nante des bam­bous. Elles sont, ces chan­sons, d’un charme in­fini, d’une sua­vité pro­fonde. Qui­conque a en­tendu une fois chan­ter par des re­pi­queuses de riz du delta ton­ki­nois ou des sam­pa­nières de la ri­vière de Huê des chan­sons comme celle-ci :

Mon­tagne, ô mon­tagne, pour­quoi êtes-vous si haute ?
Vous ca­chez le so­leil et vous me ca­chez le vi­sage de mon bien-aimé !

n’oubliera ja­mais cet ac­cent d’indéfinissable mé­lan­co­lie la­mar­ti­nienne qui ré­vèle le fonds de poé­sie de la race, en même temps qu’il montre l’excellence de la langue ca­pable d’exprimer de tels sen­ti­ments », dit très bien Phạm Quỳnh

« Les Aïnous des îles Kouriles »

dans « Journal of the College of Science, Imperial University of Tokyo », vol. 42, p. 1-337

dans « Jour­nal of the Col­lege of Science, Im­pe­rial Uni­ver­sity of To­kyo », vol. 42, p. 1-337

Il s’agit de contes tra­di­tion­nels des Aï­nous1. À l’instar des Amé­rin­diens, ce qui reste aujourd’hui du peuple aï­nou, au­tre­fois si re­mar­quable et si épris de li­berté, est ex­clu­si­ve­ment et mi­sé­ra­ble­ment can­tonné dans les ré­serves de l’île de Hok­kaidô ; il est en voie d’extinction, aban­donné à un sort peu en­viable, qu’il ne mé­rite pas. Avant l’établissement des Ja­po­nais, le ter­ri­toire aï­nou s’étendait de l’île de Hok­kaidô, ap­pe­lée Ezo, jusqu’aux deux pro­lon­ge­ments de cette île, égre­nés comme des cha­pe­lets, se dé­ployant l’un vers le Nord-Ouest, l’autre vers le Nord-Est : l’île de Sa­kha­line, ap­pe­lée Kita-Ezo2 (« Ezo du Nord ») ; et l’archipel des Kou­riles, ap­pelé Oku-Ezo3 (« Ezo des confins »). Ce n’est qu’au dé­but du XVIIe siècle que l’État ja­po­nais in­ves­tit un daï­mio à Mat­su­mae, mais ce­lui-ci se conten­tait en quelque sorte de mon­ter la garde contre les Aï­nous. Il n’avait au­cune idée sé­rieuse du ter­ri­toire de ces « hommes poi­lus » (« ke­bito »4) dont il igno­rait tout ou à peu près tout, et il in­ter­di­sait à ses su­jets de s’y aven­tu­rer loin ou d’y en­tre­prendre quoi que ce soit, rap­porte le père de An­ge­lis. Terres par­fai­te­ment né­gli­geables et né­gli­gées, ces îles furent la seule par­tie du globe qui échappa à l’activité in­fa­ti­gable du ca­pi­taine Cook. Et à ce titre, elles pro­vo­quèrent la cu­rio­sité de La Pé­rouse, qui, de­puis son dé­part de France, brû­lait d’impatience d’être le pre­mier à y avoir abordé. En 1787, les fré­gates sous son com­man­de­ment mouillèrent de­vant Sa­kha­line, et les Fran­çais, des­cen­dus à terre, en­trèrent en contact avec « une race d’hommes dif­fé­rente de celle des Ja­po­nais, des Chi­nois, des Kamt­cha­dales et des Tar­tares dont ils ne sont sé­pa­rés que par un ca­nal »5. C’étaient les Aï­nous. Quoique n’ayant ja­mais abordé aux Kou­riles, La Pé­rouse éta­blit avec cer­ti­tude, d’après la re­la­tion de Kra­ché­nin­ni­kov et l’identité du vo­ca­bu­laire com­posé par ce Russe avec ce­lui qu’il re­cueillit sur place, que les ha­bi­tants des Kou­riles, ceux de Sa­kha­line et de Hok­kaidô avaient « une ori­gine com­mune ». Leurs ma­nières douces et graves et leur in­tel­li­gence éten­due firent im­pres­sion sur La Pé­rouse, qui les com­para à celles des Eu­ro­péens ins­truits : « Nous par­vînmes à leur faire com­prendre que nous dé­si­rions qu’ils fi­gu­rassent la forme de leur pays et de ce­lui des Mand­chous. Alors, un des vieillards se leva, et avec le bout de sa pique, il fi­gura la côte de Tar­ta­rie à l’Ouest, cou­rant à peu près [du] Nord [au] Sud. À l’Est, vis-à-vis et dans la même di­rec­tion, il fi­gura… son propre pays ; il avait laissé entre la Tar­ta­rie et son île un dé­troit, et se tour­nant vers nos vais­seaux qu’on aper­ce­vait du ri­vage, il mar­qua, par un trait, qu’on pou­vait y pas­ser… Sa sa­ga­cité pour de­vi­ner toutes nos ques­tions était ex­trême, mais moindre en­core que celle d’un se­cond in­su­laire, âgé à peu près de trente ans, qui, voyant que les fi­gures tra­cées sur le sable s’effaçaient, prit un de nos crayons avec du pa­pier. Il y fi­gura son île [et traça] par des traits le nombre de jour­nées de pi­rogue né­ces­saire pour se rendre du lieu où nous étions [jusqu’à] l’embouchure du Sé­ga­lien6 »

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Aï­nos et Ainu. Ce terme si­gni­fie « être hu­main » dans la langue du même nom. Haut
  2. En ja­po­nais 北蝦夷. Haut
  3. En ja­po­nais 奥蝦夷. Par­fois trans­crit Oku-Yezo, Oko-Ieso ou Okou-Yesso. Haut
  1. En ja­po­nais 毛人. Haut
  2. « Le Voyage de La­pé­rouse (1785-1788). Tome II », p. 387. Haut
  3. L’actuel fleuve Amour. Haut

« Tombent, tombent les gouttes d’argent : chants du peuple aïnou »

éd. Gallimard, coll. L’Aube des peuples, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. L’Aube des peuples, Pa­ris

Il s’agit de chants tra­di­tion­nels des Aï­nous1. À l’instar des Amé­rin­diens, ce qui reste aujourd’hui du peuple aï­nou, au­tre­fois si re­mar­quable et si épris de li­berté, est ex­clu­si­ve­ment et mi­sé­ra­ble­ment can­tonné dans les ré­serves de l’île de Hok­kaidô ; il est en voie d’extinction, aban­donné à un sort peu en­viable, qu’il ne mé­rite pas. Avant l’établissement des Ja­po­nais, le ter­ri­toire aï­nou s’étendait de l’île de Hok­kaidô, ap­pe­lée Ezo, jusqu’aux deux pro­lon­ge­ments de cette île, égre­nés comme des cha­pe­lets, se dé­ployant l’un vers le Nord-Ouest, l’autre vers le Nord-Est : l’île de Sa­kha­line, ap­pe­lée Kita-Ezo2 (« Ezo du Nord ») ; et l’archipel des Kou­riles, ap­pelé Oku-Ezo3 (« Ezo des confins »). Ce n’est qu’au dé­but du XVIIe siècle que l’État ja­po­nais in­ves­tit un daï­mio à Mat­su­mae, mais ce­lui-ci se conten­tait en quelque sorte de mon­ter la garde contre les Aï­nous. Il n’avait au­cune idée sé­rieuse du ter­ri­toire de ces « hommes poi­lus » (« ke­bito »4) dont il igno­rait tout ou à peu près tout, et il in­ter­di­sait à ses su­jets de s’y aven­tu­rer loin ou d’y en­tre­prendre quoi que ce soit, rap­porte le père de An­ge­lis. Terres par­fai­te­ment né­gli­geables et né­gli­gées, ces îles furent la seule par­tie du globe qui échappa à l’activité in­fa­ti­gable du ca­pi­taine Cook. Et à ce titre, elles pro­vo­quèrent la cu­rio­sité de La Pé­rouse, qui, de­puis son dé­part de France, brû­lait d’impatience d’être le pre­mier à y avoir abordé. En 1787, les fré­gates sous son com­man­de­ment mouillèrent de­vant Sa­kha­line, et les Fran­çais, des­cen­dus à terre, en­trèrent en contact avec « une race d’hommes dif­fé­rente de celle des Ja­po­nais, des Chi­nois, des Kamt­cha­dales et des Tar­tares dont ils ne sont sé­pa­rés que par un ca­nal »5. C’étaient les Aï­nous. Quoique n’ayant ja­mais abordé aux Kou­riles, La Pé­rouse éta­blit avec cer­ti­tude, d’après la re­la­tion de Kra­ché­nin­ni­kov et l’identité du vo­ca­bu­laire com­posé par ce Russe avec ce­lui qu’il re­cueillit sur place, que les ha­bi­tants des Kou­riles, ceux de Sa­kha­line et de Hok­kaidô avaient « une ori­gine com­mune ». Leurs ma­nières douces et graves et leur in­tel­li­gence éten­due firent im­pres­sion sur La Pé­rouse, qui les com­para à celles des Eu­ro­péens ins­truits : « Nous par­vînmes à leur faire com­prendre que nous dé­si­rions qu’ils fi­gu­rassent la forme de leur pays et de ce­lui des Mand­chous. Alors, un des vieillards se leva, et avec le bout de sa pique, il fi­gura la côte de Tar­ta­rie à l’Ouest, cou­rant à peu près [du] Nord [au] Sud. À l’Est, vis-à-vis et dans la même di­rec­tion, il fi­gura… son propre pays ; il avait laissé entre la Tar­ta­rie et son île un dé­troit, et se tour­nant vers nos vais­seaux qu’on aper­ce­vait du ri­vage, il mar­qua, par un trait, qu’on pou­vait y pas­ser… Sa sa­ga­cité pour de­vi­ner toutes nos ques­tions était ex­trême, mais moindre en­core que celle d’un se­cond in­su­laire, âgé à peu près de trente ans, qui, voyant que les fi­gures tra­cées sur le sable s’effaçaient, prit un de nos crayons avec du pa­pier. Il y fi­gura son île [et traça] par des traits le nombre de jour­nées de pi­rogue né­ces­saire pour se rendre du lieu où nous étions [jusqu’à] l’embouchure du Sé­ga­lien6 »

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Aï­nos et Ainu. Ce terme si­gni­fie « être hu­main » dans la langue du même nom. Haut
  2. En ja­po­nais 北蝦夷. Haut
  3. En ja­po­nais 奥蝦夷. Par­fois trans­crit Oku-Yezo, Oko-Ieso ou Okou-Yesso. Haut
  1. En ja­po­nais 毛人. Haut
  2. « Le Voyage de La­pé­rouse (1785-1788). Tome II », p. 387. Haut
  3. L’actuel fleuve Amour. Haut

« Les Folles Histoires du sage Nasredin »

éd. L’Iconoclaste-Allary, Paris

éd. L’Iconoclaste-Allary, Pa­ris

Il s’agit des plai­san­te­ries de Nas­red­din Hodja1, pro­duc­tions lé­gères de la lit­té­ra­ture turque qui tiennent une place qui ne leur est dis­pu­tée par au­cun autre ou­vrage. On peut même dire qu’elles consti­tuent, à elles seules, un genre spé­cial : le genre plai­sant. L’immense po­pu­la­rité ac­cor­dée, dans sa pa­trie, au Hodja et à ses fa­cé­ties ex­tra­va­gantes per­met de voir en lui la per­son­ni­fi­ca­tion même de cette belle hu­meur jo­viale, sou­vent ef­fron­tée, dé­dai­gnant toutes les conve­nances, har­die jusqu’à l’impudence, mais spi­ri­tuelle, mor­dante, ma­li­cieuse, par­fois grosse d’enseignements, qui fait la base de la conver­sa­tion turque. Ici, point de ces mé­ta­phores am­bi­tieuses dont les let­trés orien­taux peuvent, seuls, ap­pré­cier le mé­rite ; point de ces longues pé­riodes où la so­phis­ti­ca­tion et la re­cherche des ex­pres­sions font perdre à l’auteur le fil de son rai­son­ne­ment. Au lieu de ces or­ne­ments qui troublent le com­mun des mor­tels, on trouve de la bonne et franche gaieté ; un style simple, concis et na­tu­rel ; une verve naïve dont les éclairs in­at­ten­dus com­mandent le rire aux gens les plus sa­vants comme aux plus igno­rants, trop heu­reux de dé­ri­der leurs fronts sou­cieux, de dis­traire la mo­no­to­nie de leurs ré­flexions, de trom­per l’ennui de leurs veilles. « Il est peu pro­bable de trou­ver dans le monde en­tier », dit un cri­tique2, « un hé­ros du folk­lore poé­tique qui jouisse d’un tel in­té­rêt ou qui at­tire d’une telle force l’attention d’auteurs et de lec­teurs que Nas­red­din Hodja… La forme ser­rée qui en­ve­loppe l’idée des [anec­dotes] aide à les re­te­nir fa­ci­le­ment dans la mé­moire et à les dif­fu­ser… Il faut ajou­ter éga­le­ment que le per­son­nage de Nas­red­din Hodja marche sur les che­mins pous­sié­reux de l’Anatolie, dans les steppes de l’Azerbaïdjan et du Tad­ji­kis­tan et dans les vil­lages de [la pé­nin­sule bal­ka­nique] avec un dé­faut inné, ayant trou­blé plu­sieurs fois les orien­ta­listes et les folk­lo­ristes : il s’agit du ca­rac­tère contra­dic­toire du hé­ros qui est re­pré­senté tan­tôt comme un sot en trois lettres peu pers­pi­cace et im­pré­voyant, tan­tôt comme un sage pré­voyant et juste ; en tant que juge, il rend des sen­tences équi­tables ; en tant que dé­fen­seur des ac­cu­sés, il tranche des pro­cès em­brouillés que les juges of­fi­ciels ne sont pas ca­pables de ju­ger. »

  1. En turc Nas­red­din Hoca. On le dé­signe éga­le­ment comme Mulla (Molla) Nas­red­din, c’est-à-dire Maître Nas­red­din. Par­fois trans­crit Nas­re­din, Nas­ra­din, Nas­ri­din, Nas­ret­tin, Nas­tra­din, Nas­tra­tin, Nas­ret­din, Nas­rud­din, Nassr Ed­din ou Nazr-ed-din. Haut
  1. M. Vé­lit­chko Valt­chev. Haut

« Le Bois sec refleuri : roman coréen »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du « Bois sec re­fleuri », dont le titre ori­gi­nal en co­réen est « Chant de Sim Ch’ŏng » (« Simch’ŏng-ga »1) ou « His­toire de Sim Ch’ŏng »2 (« Simch’ŏng-jŏn »3). C’est d’abord un très vieux conte, de­venu un ro­man au XVIIIe siècle, puis une pièce de spec­tacle chanté (« p’ansori »). En voici l’histoire. Un di­gni­taire de la Cour co­réenne, nommé Sim Hyŏn4, voit plu­sieurs per­sonnes mortes de faim sur la voie pu­blique. Il en fait part au roi, qui est en train de don­ner un grand ban­quet, et il se per­met de cri­ti­quer de­vant lui les gou­ver­neurs de pro­vince : « Qui est-ce qui paie les frais de vos dis­trac­tions ? », dit-il5. « C’est votre peuple. Et les gou­ver­neurs, au lieu de faire leur de­voir, mènent joyeuse vie ». Les gou­ver­neurs mis en cause ne se laissent pas ac­ca­bler : ils forgent une lettre pleine de tra­hi­sons et de com­plots, qu’ils signent du nom de Sim Hyŏn. Le roi, le croyant cou­pable, l’exile dans une île loin­taine. Ce qui cha­grine par-des­sus tout Sim Hyŏn, c’est l’idée que sa femme ne va pas sup­por­ter ce lieu dé­sert. Elle y meurt, en ef­fet, trois jours après avoir mis au monde une fille, nom­mée Sim Ch’ŏng. Le mal­heu­reux, tout en pleurs, voit bien­tôt fondre sur lui un nou­veau mal­heur. Il de­vient aveugle. Sa plus grande amer­tume, c’est de ne pas pou­voir contem­pler les traits de sa fille. C’est qu’elle gran­dit. Elle vient d’atteindre sa trei­zième an­née. La nuit, elle se consacre à l’étude. Et le jour, elle men­die de mai­son en mai­son, pour as­su­rer l’entretien de son père in­for­tuné. Un jour, elle ne rentre pas à l’heure pré­vue. Très in­quiet, l’aveugle se ha­sarde hors de sa mai­son. S’appuyant sur son bâ­ton, il se met en route ; mais ar­rivé au bord d’un lac qui se trouve près de là, il fait un faux pas et tombe à l’eau. Un bonze, vi­vant isolé dans ces so­li­tudes, ac­court et le re­tire de l’eau. Il pro­met à Sim Hyŏn que s’il lui ap­porte trois cents sacs de riz, il re­cou­vrera sa vue en même temps que sa si­tua­tion à la Cour. L’aveugle consent. Ayant ap­pris la chose, sa fille se vend à des mar­chands, contre trois cents sacs de riz, pour être leur vic­time. Car, dans cette époque très an­cienne et très bar­bare, les mar­chands qui fai­saient voile pour le be­soin de leur com­merce avaient cou­tume de sa­cri­fier une jeune vierge aux dieux de la mer, croyant ob­te­nir leur pro­tec­tion et conju­rer le pé­ril. « Le mo­ment du sa­cri­fice est venu »6, disent-ils à Sim Ch’ŏng lorsque le ba­teau a ga­gné le large. « Pu­ri­fiez votre corps, re­vê­tez-vous de vos plus beaux ha­bits ! » La vierge est pla­cée en face d’un brûle-par­fum. Puis, les prières ter­mi­nées, sans ma­ni­fes­ter la moindre émo­tion, elle se jette ré­so­lu­ment à la mer ; mais tan­dis que le ba­teau s’éloigne, Sim Ch’ŏng, qui pense mou­rir en l’espace de quelques se­condes, s’aperçoit avec stu­pé­fac­tion qu’elle est en vie. Les dieux de la mer, tou­chés par sa piété fi­liale, s’apprêtent à la ré­com­pen­ser…

  1. En co­réen « 심청가 ». Au­tre­fois trans­crit « Sim­cheong-ga ». Haut
  2. Par­fois tra­duit « His­toire de Sim Tchyeng ». Haut
  3. En co­réen « 심청전 ». Au­tre­fois trans­crit « Sim tchyeng tjyen » ou « Sim­cheong-jeon ». Haut
  1. En co­réen 심현. Au­tre­fois trans­crit Sùn-Hyen ou Sim Hyen. Haut
  2. p. 37. Haut
  3. p. 119. Haut

« Histoire de Quỳnh »

dans « Bulletin de la Société d’enseignement mutuel du Tonkin », vol. 7, nº 2, p. 153-199

dans « Bul­le­tin de la So­ciété d’enseignement mu­tuel du Ton­kin », vol. 7, no 2, p. 153-199

Il s’agit de la ver­sion viet­na­mienne de « La Lé­gende de Xieng Mieng » (« hnăṅsœ̄ jyṅ hmyṅ2 »1). Entre fa­cé­tie, co­mé­die bur­lesque et hu­mour im­pu­dique, don­nant lieu à une sa­tire ef­fron­tée de la so­ciété féo­dale, « La Lé­gende de Xieng Mieng » ren­ferme des épi­sodes d’une plai­san­te­rie certes peu dé­cente, mais à la­quelle se plaisent les cam­pa­gnards du Sud-Est asia­tique. Ceux qui la jugent sé­vè­re­ment de­vraient son­ger à Gui­gnol, à Till l’Espiègle ou aux ou­vrages d’un Ra­be­lais. En réa­lité, il y a là-de­dans une gouaille ro­buste et op­ti­miste, et les per­son­nages qui en font les frais sont des types d’hommes dé­tes­tés par le peuple des cam­pagnes : le char­la­tan, le man­da­rin cor­rompu, le let­tré igno­rant, le bonze dé­bau­ché, jusqu’à l’Empereur de Chine ; tous des vices per­son­ni­fiés, vic­times des farces et des at­ti­tudes pro­vo­cantes de Xieng Mieng. Com­ment ca­rac­té­ri­ser ce der­nier ? Quelque chose comme un mau­vais plai­sant, un ba­te­leur, un his­trion au­quel on ac­cor­dait beau­coup d’insolence et de ruse. Il jouait le rôle des fous de nos an­ciens rois. D’ailleurs, se­lon la ver­sion lao­tienne, il était le bouf­fon même de la Cour du roi de Tha­vaa­raa­va­dii. Je dis « se­lon la ver­sion lao­tienne », car comme dit M. Jacques Né­pote2, « cette his­toire n’est pas un iso­lat : elle se re­trouve dans la plu­part des pays d’Asie du Sud-Est, et avec le même suc­cès, le hé­ros por­tant seule­ment un nom dif­fé­rent : Si Tha­non Say au Siam, Thmenh Chey3 au Cam­bodge, Trạng Quỳnh au Viêt-nam, Ida Ta­laga à Bali, et bien d’autres en­core ». Le roi de Tha­vaa­raa­va­dii, donc, était resté long­temps sans en­fant. Il eut en­fin un fils ; mais les as­tro­logues pré­dirent que le prince mour­rait en sa dou­zième an­née, à moins que le roi n’adoptât un en­fant né à la même heure que son fils. Et le roi d’adopter Xieng Mieng, en­fant de basse ex­trac­tion qui de­vint le double af­freux du prince.

  1. En lao­tien « ໜັງສືຊຽງໝ້ຽງ ». Par­fois trans­crit « Sieng Mieng », « Siang Miang », « Xiang Miang », « Xien-Mien », « Sieng Hmieng2 » ou « jyṅ hmyṅ2 ». Haut
  2. « Va­ria­tions sur un thème du bouf­fon royal en Asie du Sud-Est pé­nin­su­laire ». Haut
  1. « Thmenh le Vic­to­rieux ». Par­fois trans­crit Tmeñ Jai, Tmen Chéi ou Tmenh Chey. Haut

« Proverbes et Similitudes des Malais, avec leurs correspondants en diverses langues d’Europe et d’Asie »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit d’un re­cueil de pro­verbes ma­lais. Nul genre d’enseignement n’est plus an­cien que ce­lui des pro­verbes. Son ori­gine re­monte aux âges les plus re­cu­lés du globe. Dès que les hommes, mus par un ins­tinct ir­ré­sis­tible ou pous­sés par la vo­lonté di­vine, se furent réunis en so­ciété ; dès qu’ils eurent consti­tué un lan­gage suf­fi­sant à l’expression de leurs be­soins, les pro­verbes prirent nais­sance en tant que ré­sumé na­tu­rel des idées com­munes de l’humanité. « S’ils avaient pu se conser­ver, s’ils étaient par­ve­nus jusqu’à nous sous leur forme pri­mi­tive », dit Pierre-Ma­rie Qui­tard1, « ils se­raient le plus cu­rieux mo­nu­ment du pro­grès des pre­mières so­cié­tés ; ils jet­te­raient un jour mer­veilleux sur l’histoire de la ci­vi­li­sa­tion, dont ils mar­que­raient le point de dé­part avec une ir­ré­cu­sable fi­dé­lité. » La Bible, qui contient plu­sieurs livres de pro­verbes, dit : « Ce­lui qui ap­plique son âme à ré­flé­chir sur la Loi du Très-Haut… re­cherche le sens se­cret des pro­verbes et re­vient sans cesse sur les énigmes des maximes »2. Les sages de la Grèce eurent la même pen­sée que la Bible. Confu­cius imita les pro­verbes et fut à son tour imité par ses dis­ciples. De même que l’âge de l’arbre peut se ju­ger par le tronc ; de même, les pro­verbes nous ap­prennent le gé­nie ou l’esprit propre à chaque na­tion, et les dé­tails de sa vie pri­vée. On en te­nait cer­tains en telle es­time, qu’on les di­sait d’origine cé­leste : « C’est du ciel », dit Ju­vé­nal3, « que nous est ve­nue la maxime : “Connais-toi toi-même”. Il la fau­drait gra­ver dans son cœur et la mé­di­ter tou­jours. » C’est pour­quoi, d’ailleurs, on les gra­vait sur le de­vant des portes des temples, sur les co­lonnes et les marbres. Ces ins­crip­tions, très nom­breuses du temps de Pla­ton, fai­saient dire à ce phi­lo­sophe qu’on pou­vait faire un ex­cellent cours de mo­rale en voya­geant à pied, si l’on vou­lait les lire ; les pro­verbes étant « le fruit de l’expérience de tous les peuples et comme le bon sens de tous les siècles ré­duit en for­mules »

  1. « Études his­to­riques, lit­té­raires et mo­rales sur les pro­verbes fran­çais et le lan­gage pro­ver­bial », p. 2. Haut
  2. « Livre de l’Ecclésiastique », XXXIX, 1-3. Haut
  1. « Sa­tires », poème XI, v. 27-28. Haut

« Cent Proverbes japonais »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit d’un re­cueil de pro­verbes ja­po­nais. Nul genre d’enseignement n’est plus an­cien que ce­lui des pro­verbes. Son ori­gine re­monte aux âges les plus re­cu­lés du globe. Dès que les hommes, mus par un ins­tinct ir­ré­sis­tible ou pous­sés par la vo­lonté di­vine, se furent réunis en so­ciété ; dès qu’ils eurent consti­tué un lan­gage suf­fi­sant à l’expression de leurs be­soins, les pro­verbes prirent nais­sance en tant que ré­sumé na­tu­rel des idées com­munes de l’humanité. « S’ils avaient pu se conser­ver, s’ils étaient par­ve­nus jusqu’à nous sous leur forme pri­mi­tive », dit Pierre-Ma­rie Qui­tard1, « ils se­raient le plus cu­rieux mo­nu­ment du pro­grès des pre­mières so­cié­tés ; ils jet­te­raient un jour mer­veilleux sur l’histoire de la ci­vi­li­sa­tion, dont ils mar­que­raient le point de dé­part avec une ir­ré­cu­sable fi­dé­lité. » La Bible, qui contient plu­sieurs livres de pro­verbes, dit : « Ce­lui qui ap­plique son âme à ré­flé­chir sur la Loi du Très-Haut… re­cherche le sens se­cret des pro­verbes et re­vient sans cesse sur les énigmes des maximes »2. Les sages de la Grèce eurent la même pen­sée que la Bible. Confu­cius imita les pro­verbes et fut à son tour imité par ses dis­ciples. De même que l’âge de l’arbre peut se ju­ger par le tronc ; de même, les pro­verbes nous ap­prennent le gé­nie ou l’esprit propre à chaque na­tion, et les dé­tails de sa vie pri­vée. On en te­nait cer­tains en telle es­time, qu’on les di­sait d’origine cé­leste : « C’est du ciel », dit Ju­vé­nal3, « que nous est ve­nue la maxime : “Connais-toi toi-même”. Il la fau­drait gra­ver dans son cœur et la mé­di­ter tou­jours. » C’est pour­quoi, d’ailleurs, on les gra­vait sur le de­vant des portes des temples, sur les co­lonnes et les marbres. Ces ins­crip­tions, très nom­breuses du temps de Pla­ton, fai­saient dire à ce phi­lo­sophe qu’on pou­vait faire un ex­cellent cours de mo­rale en voya­geant à pied, si l’on vou­lait les lire ; les pro­verbes étant « le fruit de l’expérience de tous les peuples et comme le bon sens de tous les siècles ré­duit en for­mules »

  1. « Études his­to­riques, lit­té­raires et mo­rales sur les pro­verbes fran­çais et le lan­gage pro­ver­bial », p. 2. Haut
  2. « Livre de l’Ecclésiastique », XXXIX, 1-3. Haut
  1. « Sa­tires », poème XI, v. 27-28. Haut

« L’Histoire d’Aḥiqar en éthiopien »

dans « Annales d’Éthiopie », vol. 11, p. 141-152

dans « An­nales d’Éthiopie », vol. 11, p. 141-152

Il s’agit de la ver­sion éthio­pienne de l’« His­toire et Sa­gesse d’Aḥikar l’Assyrien », un conte qui existe dans presque toutes les langues du Proche-Orient an­tique (VIIe av. J.-C.). Voici le ré­sumé de ce conte : Aḥi­qar1 était un homme ver­tueux et un conseiller des rois d’Assyrie. N’ayant pas de fils, il adopta le fils de sa sœur, Na­dan. Il l’éleva et lui adressa une pre­mière sé­rie de le­çons, sous forme de maximes et de pro­verbes. Plus tard, em­pê­ché par les in­fir­mi­tés de la vieillesse de rem­plir ses fonc­tions, Aḥi­qar pré­senta Na­dan comme son suc­ces­seur. Com­blé d’honneurs, Na­dan ne tarda pas à faire preuve de la plus noire in­gra­ti­tude. Il tra­hit in­di­gne­ment son père adop­tif et bien­fai­teur : il le ca­lom­nia au­près du roi As­sa­rhad­don (de l’an 680 à l’an 669 av. J.-C.), le­quel or­donna sa mort. Ce­pen­dant, le bour­reau était un obligé d’Aḥiqar et ne rem­plit pas l’ordre donné. Il exé­cuta un autre cri­mi­nel, dont il ap­porta la tête au roi, et tint Aḥi­qar ca­ché. En­hardi par la nou­velle de la mort du conseiller royal, le pha­raon d’Égypte lança au roi le défi de ré­soudre plu­sieurs énigmes per­fides, sous peine d’avoir à lui payer un tri­but. Sorti de sa ca­chette, Aḥi­qar alla en Égypte, ré­pon­dit aux énigmes du pha­raon et, à son re­tour, de­manda que Na­dan lui fût li­vré. Il le frappa de mille coups, pour faire en­trer la sa­gesse « par der­rière son dos »2 puisqu’elle n’avait pu en­trer par les oreilles, et lui adressa une deuxième sé­rie de le­çons, sous forme de fables, et des­ti­nées à prou­ver qu’il va­lait mieux vivre dans une hutte en homme juste que dans un pa­lais en cri­mi­nel.

  1. En ara­méen אחיקר, en sy­riaque ܐܚܝܩܪ. Par­fois trans­crit Achi­char, Achi­qar, Achi­kar, Aḥi­car ou Aḥi­kar. On ren­contre aussi la gra­phie Ḥi­qar (ܚܝܩܪ). Par­fois trans­crit Hai­qâr, Haï­kar, Hey­car, Hi­car, Khi­kar ou Ḥi­kar. Haut
  1. « His­toire et Sa­gesse d’Aḥikar l’Assyrien ; tra­duc­tion des ver­sions sy­riaques par Fran­çois Nau », p. 236. Haut

« Histoire et Sagesse d’Aḥikar l’Assyrien »

éd. Letouzey et Ané, coll. Documents pour l’étude de la Bible, Paris

éd. Le­tou­zey et Ané, coll. Do­cu­ments pour l’étude de la Bible, Pa­ris

Il s’agit des ver­sions sy­riaques de l’« His­toire et Sa­gesse d’Aḥikar l’Assyrien », un conte qui existe dans presque toutes les langues du Proche-Orient an­tique (VIIe av. J.-C.). Voici le ré­sumé de ce conte : Aḥi­qar1 était un homme ver­tueux et un conseiller des rois d’Assyrie. N’ayant pas de fils, il adopta le fils de sa sœur, Na­dan. Il l’éleva et lui adressa une pre­mière sé­rie de le­çons, sous forme de maximes et de pro­verbes. Plus tard, em­pê­ché par les in­fir­mi­tés de la vieillesse de rem­plir ses fonc­tions, Aḥi­qar pré­senta Na­dan comme son suc­ces­seur. Com­blé d’honneurs, Na­dan ne tarda pas à faire preuve de la plus noire in­gra­ti­tude. Il tra­hit in­di­gne­ment son père adop­tif et bien­fai­teur : il le ca­lom­nia au­près du roi As­sa­rhad­don (de l’an 680 à l’an 669 av. J.-C.), le­quel or­donna sa mort. Ce­pen­dant, le bour­reau était un obligé d’Aḥiqar et ne rem­plit pas l’ordre donné. Il exé­cuta un autre cri­mi­nel, dont il ap­porta la tête au roi, et tint Aḥi­qar ca­ché. En­hardi par la nou­velle de la mort du conseiller royal, le pha­raon d’Égypte lança au roi le défi de ré­soudre plu­sieurs énigmes per­fides, sous peine d’avoir à lui payer un tri­but. Sorti de sa ca­chette, Aḥi­qar alla en Égypte, ré­pon­dit aux énigmes du pha­raon et, à son re­tour, de­manda que Na­dan lui fût li­vré. Il le frappa de mille coups, pour faire en­trer la sa­gesse « par der­rière son dos »2 puisqu’elle n’avait pu en­trer par les oreilles, et lui adressa une deuxième sé­rie de le­çons, sous forme de fables, et des­ti­nées à prou­ver qu’il va­lait mieux vivre dans une hutte en homme juste que dans un pa­lais en cri­mi­nel.

  1. En ara­méen אחיקר, en sy­riaque ܐܚܝܩܪ. Par­fois trans­crit Achi­char, Achi­qar, Achi­kar, Aḥi­car ou Aḥi­kar. On ren­contre aussi la gra­phie Ḥi­qar (ܚܝܩܪ). Par­fois trans­crit Hai­qâr, Haï­kar, Hey­car, Hi­car, Khi­kar ou Ḥi­kar. Haut
  1. « His­toire et Sa­gesse d’Aḥikar l’Assyrien ; tra­duc­tion des ver­sions sy­riaques par Fran­çois Nau », p. 236. Haut

« Le Livre de la récompense des bienfaits secrets »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du « Livre de la ré­com­pense des bien­faits se­crets » (« Yin zhi wen »1), pe­tit traité édi­fiant, que les taoïstes at­tri­buent à une de leurs di­vi­ni­tés nom­mée Wen­chang­di­jun2. On n’y trouve au­cune ré­fé­rence réelle à la doc­trine du taoïsme, mais un cer­tain nombre d’injonctions mo­rales et de maximes ayant pour but d’enseigner au lec­teur ce qu’il doit faire pour at­teindre à la per­fec­tion et ce qu’il doit évi­ter pour ne pas de­ve­nir cri­mi­nel. Le nom de l’auteur est in­connu. Le style offre les plus grandes ana­lo­gies avec ce­lui du « Livre des ré­com­penses et des peines ». « Aide le mal­heu­reux [comme on] se­court le pois­son aban­donné sur un che­min sec. Dé­livre ce­lui qui est en pé­ril [comme on] dé­livre l’oiseau pris dans un la­cet à mailles ser­rées. Aie pi­tié de l’orphelin ; sois com­pa­tis­sant pour la veuve ; ho­nore les vieillards ; aie pi­tié des pauvres ; ap­porte des ha­bits et de la nour­ri­ture pour ceux qui, sur les routes, ont faim et froid »3. Voilà quelques-unes des sen­tences de cet opus­cule, où l’influence du boud­dhisme se fait sou­vent sen­tir. Non seule­ment le nom du Boud­dha y est pro­noncé une fois (« pros­terne-toi de­vant Boud­dha et prie dans les livres sa­crés »4), mais on y re­con­naît plu­sieurs em­prunts évi­dents à la doc­trine du ré­for­ma­teur in­dien. C’est ainsi que l’auteur du « Livre » in­siste sur la com­pas­sion, l’assistance au pro­chain, l’interdiction de faire su­bir au­cun mau­vais trai­te­ment à tout ce qui a vie dans la na­ture. Ce sont ces mêmes rai­sons qui l’ont porté à re­com­man­der non seule­ment d’aimer nos sem­blables, mais d’aimer les créa­tures ani­mées, les pois­sons, les in­sectes, les vers de terre — en un mot, tout ce qui res­pire, qui se meut ou qui croît : « En mar­chant, re­garde tou­jours s’il n’y a point, sous tes pas, des in­sectes et des four­mis, que par mé­garde tu pour­rais écra­ser »5. Toutes ces créa­tures, mal­gré leur dif­fé­rence de gran­deur ou de forme, ont quelque chose en com­mun, qui est l’amour de la vie, et que l’homme ne peut contra­rier sans de­ve­nir mé­chant.

  1. En chi­nois « 陰騭文 ». Au­tre­fois trans­crit « In tchy̆ wen », « Yin-tchi-wen », « Yin Chih Wen » ou « Yin-chih-wăn ». Haut
  2. En chi­nois 文昌帝君. Au­tre­fois trans­crit Wen Tch­hang Ti Kiun, Wen-tchang Ti-kiun, Wen-chang Ti-kyüin, Wen Chang Ti Kun, Wen-chang-ti-chün, Wan-chang Te-cheun ou Wăn-chang Te-keun. Haut
  3. p. 4. Haut
  1. id. Haut
  2. p. 5. Haut

« Le Roman des sept sages de Rome »

éd. Honoré Champion, coll. Champion Classiques-Moyen Âge, Paris

éd. Ho­noré Cham­pion, coll. Cham­pion Clas­siques-Moyen Âge, Pa­ris

Il s’agit des ver­sions fran­çaises K et C des « Pa­ra­boles de Sen­da­bar sur les ruses des femmes » (« Mi­shle Sen­da­bar »1), ou mieux « Pa­ra­boles de Sin­de­bad », contes d’origine in­dienne, dont il existe des imi­ta­tions dans la plu­part des langues orien­tales, et qui, sous le titre de « L’Histoire des sept sages de Rome » (« His­to­ria sep­tem sa­pien­tum Romæ »), ont ob­tenu un très vif suc­cès en Eu­rope oc­ci­den­tale, où les trou­vères fran­çais en ont fait « Le Ro­man des sept sages ». Le ren­sei­gne­ment le plus an­cien et le plus utile que nous ayons sur ces contes, nous est donné par l’historien Mas­soudi (Xe siècle apr. J.-C.). Dans un cha­pitre in­ti­tulé « Gé­né­ra­li­tés sur l’histoire de l’Inde, ses doc­trines, et l’origine de ses royaumes », cet his­to­rien at­tri­bue le « Livre des sept vi­zirs, du maître, du jeune homme et de la femme du roi » à un sage in­dien, contem­po­rain du roi Harṣa Vard­hana (VIIe siècle apr. J.-C.), et qu’il nomme Sin­de­bad2. Ainsi donc, c’est en Inde que l’imagination hu­maine, fé­conde et exu­bé­rante comme la val­lée du Gange, a en­fanté ces contes ; c’est de l’Inde qu’ils ont pris leur en­vol en se ré­pan­dant aux ex­tré­mi­tés du monde pour nous amu­ser et ins­truire. Et si nous fai­sons l’effort de re­mon­ter de siècle en siècle, de langue en langue — du fran­çais au la­tin, du la­tin à l’hébreu, de l’hébreu à l’arabe, de l’arabe au pehlvi, du pehlvi au sans­crit — nous ar­ri­vons à Sen­da­bar ou Sen­da­bad ou Sin­de­bad ou Sind­bad, qu’il ne faut pas confondre du reste avec le ma­rin du même nom dans les « Mille et une Nuits ». Tous ces noms pa­raissent cor­rom­pus. En tout cas, en l’absence du texte ori­gi­nal sans­crit, je m’en ré­fère à la ver­sion hé­braïque. En voici l’intrigue : Une reine de­vient amou­reuse de son beau-fils, qui re­jette les vaines avances de cette femme. Elle en est ir­ri­tée et l’accuse d’avoir voulu la sé­duire, un peu comme Phèdre a ac­cusé Hip­po­lyte, ou comme la femme de Pu­ti­phar a ac­cusé Jo­seph. Le roi condamne son fils ; mais, du­rant une se­maine, le ju­ge­ment de­meure sus­pendu. Chaque jour, l’un des sept sages voués à l’éducation du jeune prince fait au mo­narque un ré­cit qui a pour but de lui ins­pi­rer quelque dé­fiance à l’égard des femmes ; et la reine y ré­pond, chaque jour, par un ré­cit qui doit pro­duire l’effet contraire. En­fin, le prince dé­montre son in­no­cence, et la reine est condam­née ; mais le jeune homme de­mande et ob­tient la grâce de la cou­pable.

  1. En hé­breu « משלי סנדבאר ». Au­tre­fois trans­crit « Mi­schle San­da­bar » ou « Mi­shle Sen­de­bar ». Haut
  1. En arabe سندباد. Haut