Il s’agit des haïkus de Matsuo Bashô 1, figure illustre de la poésie japonaise (XVIIe siècle apr. J.-C.). Par son éthique de vie, encore plus que par son œuvre elle-même, ce fils de samouraï a imposé la forme actuelle du haïku, mais surtout il en a défini la manière, l’esprit : légèreté, recherche de simplicité, extrême respect pour la nature, et ce quelque chose qu’on ne peut définir facilement et qu’il faut sentir — une élégance intérieure, comme revêtue de pudeur discrète, qui est foncièrement japonaise. Son poème de la rainette est un fameux exemple du saut par lequel le haïku se débarrasse de l’artificiel pour atteindre la sobriété nue : « Vieil étang / une rainette y plongeant / chuchotis de l’eau » 2. Ce haïku traduit et d’autres sont le premier ouvrage par lequel la poésie et la pensée asiatiques viennent jusqu’à Mme Marguerite Yourcenar qui a quinze ans : « Ce livre exquis a été l’équivalent pour moi d’une porte entrebâillée ; elle ne s’est plus jamais refermée depuis », écrit-elle dans une lettre datée de 1955. En 1982, pendant ses trois mois passés au Japon, elle suit sur les sentiers étroits la trace de Bashô ; et tandis qu’un ami japonais, qui la guide, commence à lui traduire « Elles mourront bientôt… », elle l’interrompt en citant par cœur la chute : « et pourtant n’en montrent rien / chant des cigales ». « Peut-être son plus beau poème », précise-t-elle dans un petit article intitulé « Bashô sur la route ». À Kyôto, elle visite la hutte qui a hébergé notre poète vers la fin de sa vie — Rakushisha 3 (« la chaumière où tombent les kakis » 4) qui lui « fait penser à la légère dépouille d’une cigale ». À l’intérieur, si on peut parler d’intérieur dans un lieu si ouvert aux intempéries, rien ou presque pour se protéger du passage des saisons, si présentes justement dans l’œuvre de Bashô « par les inconvénients et les malaises qu’elles apportent autant que par l’extase des yeux et de l’esprit que dispense leur beauté », comme explique Mme Yourcenar. Quant au maître lui-même : « Cet homme ambulant », écrit-elle, « qui a intitulé l’un de ses essais “Souvenirs d’un squelette exposé aux intempéries” voyage moins pour s’instruire… que pour subir. Subir est une faculté japonaise, poussée parfois jusqu’au masochisme [!], mais l’émotion et la connaissance chez Bashô naissent de cette soumission à l’événement ou à l’incident : la pluie, le vent, les longues marches, les ascensions sur les sentiers gelés des montagnes, les gîtes de hasard, comme celui de l’octroi à Shitomae où il partage une pièce au plancher de terre battue avec un cheval… » Sous des apparences de promenades, ces pèlerinages éveillaient la pensée de Bashô et mettaient sa vie en conformité avec la haute idée qu’il se faisait du haïku : « Le vent me transperce / résigné à y laisser mes os / je pars en voyage »
haïkus
sujet
« Chiyo-ni : une femme éprise de poésie »
Il s’agit d’une traduction partielle de Kaga no Tchiyo-jo 1, poétesse et nonne japonaise (XVIIIe siècle apr. J.-C.), également connue sous le surnom de Tchiyo-ni 2 (« Tchiyo la nonne »). Un maître du haïku, Roghennbô 3, passa par la ville de province où habitait Tchiyo, encore toute jeune. « N’importe comment », pensa-t-elle, « je solliciterai d’un haïkiste aussi célèbre des conseils sur l’art de composer… » Et poussée par le démon de la poésie, elle s’en alla frapper à la porte de l’auberge et prier Roghennbô de lui donner une leçon de poésie. Fatigué par le long voyage, il lui dit de prendre l’encre et le papier et de composer quelque chose sur un sujet tout indiqué par la saison : le coucou. Puis, sans plus s’inquiéter d’elle, il commença à dormir en ronflant. Après avoir longuement réfléchi, Tchiyo composa une poésie et demanda timidement : « Excusez-moi, s’il vous plaît… — Qu’est-ce qu’il y a ? », dit le poète brusquement réveillé. Et toujours allongé, il lut la poésie qui lui était présentée sur un rouleau de papier. Il fut très surpris de voir qu’une fille de quinze ans était capable d’écrire avec tant de talent ; mais cachant son véritable sentiment, il déclara : « Voici une poésie qui n’a pas de sens. Compose donc quelque chose de plus vivant ». Et peu après, il se remit à ronfler. L’élève continua à méditer et à écrire. Elle composa vingt poésies, trente poésies, sans oser les montrer. À mesure que les heures s’écoulaient, des tas de papiers noircis s’entassaient. Ayant perdu la notion du temps, elle se désola : « Ah ! Dieu n’a pas voulu m’accorder le talent d’une vraie poétesse. Dès aujourd’hui, c’est fini ; je renonce complètement à écrire ». Au même instant, le son d’une cloche, venant on ne sait d’où, annonça l’arrivée de l’aurore. Roghennbô, qui était moine, se souleva d’un bond sur sa couche : « Comme j’ai bien dormi ! Mais… serait-ce déjà le matin ? » 4 Au bruit de la voix qui frappait l’air, Tchiyo revint tout à coup à la réalité. Sans penser, désespérément, elle murmura cette exquise poésie :
« Coucou !
Coucou ! à ces mots,
Le jour est venu »
Seigetsu, « Jours d’errance : cent neuf haïkus »
Il s’agit d’une traduction partielle d’Inoue Seigetsu 1, haïkiste japonais qui vécut et mourut dans la mendicité (XIXe siècle). On dit parfois « qu’un écrivain ne devrait pas avoir d’autre biographie que ses livres ». Mais tombe-t-on sur quelque auteur discret, étranger à ce qu’on appelle « le monde », n’ayant ni aïeux ni famille connue, on se rend compte combien un historien nous aurait été d’un grand secours. Il nous aurait montré la maison de l’écrivain et nous aurait donné de lui un signalement aussi exact que s’il eût été fait au Bureau des passeports. Quelle fut l’origine et l’éducation de Seigetsu ? Comment fut-il ballotté par les vagues tumultueuses de la fin de l’époque d’Edo et du début de celle de Meiji ? Voilà des questions auxquelles personne ne peut répondre. Dans sa trente-sixième ou trente-septième année, ayant jeté ses armes de samouraï, cet homme apparut de nulle part le long de la vallée d’Ina, dans la province de Nagano, et il erra pendant trente autres années, en proposant ses poèmes calligraphiés à l’encre noire en échange du gîte et du couvert. L’auteur de « Rashômon », le célèbre Akutagawa Ryûnosuke, dira au sujet de ces calligraphies : « C’est tellement beau ! On peut dire que c’est une merveille » 2. Pourtant, aussi beaux soient-ils, ces haïkus d’errance ne nous donnent aucun moyen pour déchirer le voile dont Seigetsu a voulu envelopper son existence. Voici un haïku : « La route du Nord / mon errance est ma maison / lointain feu de bois » 3. On suppose que le soleil vient de se coucher sur notre poète toujours en marche. C’est l’hiver. Un feu de bois lointain, visible à travers une porte coulissante en papier, éveille de l’émoi au fond de son cœur. Autre haïku : « Le pluvier titube / la nuit vient le dégriser / on entend sa voix » 4. On peut présumer que notre poète est ivre, et la nuit si froide qu’il a préféré marcher plutôt que de chercher vainement le sommeil. Il entend un pluvier dans le noir, et sans le voir, il s’imagine l’oiseau en train de tituber comme lui, compagnon de son vagabondage et aussi de ses peines. Dernier haïku : « Pour le Nouvel An / un habit tout neuf ; jadis / j’avais une femme » 5. Notre poète, quelque pauvre qu’il soit, s’est vêtu d’habits neufs pour le jour de l’An comme c’est la coutume. Il est seul. Dans la première moitié de sa vie, il avait un logis accueillant et confortable ; mais on peut deviner que la perte de sa femme a précipité sa décision de s’éloigner de tout et de tous pour s’engager sur la voie du haïku : « Rencontrant le haïku », dit-il dans une rare confidence 6, « je me mis à suivre le vent, à poursuivre les nuages, à goûter les fleurs, les oiseaux, et cette poésie devint la finalité de ma vie ».
Issa, « Haïkus satiriques »
Il s’agit de Kobayashi Issa 1, poète japonais (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand encore que Bashô, non seulement par son génie, mais aussi par son immense sympathie pour la vie qui ne lui fut cependant pas clémente. D’un être minuscule, d’un escargot bavant sous la pluie, il pouvait faire des tercets, dont l’élégante aisance émerveillait hommes et dieux : « Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji ! » 2 Et aussi : « Porte de branchages / pour remplacer la serrure / juste un escargot » 3. Son village natal était dans la province du Shinano, caché dans un repli de montagne. La neige fondait seulement en été ; et dès le début de l’automne, le givre apparaissait. Issa avait deux ans quand il perdit sa mère. Cela le rendait triste d’entendre tous les autres enfants se moquer de lui, en chantant : « On reconnaît l’enfant sans mère partout, il se tient devant la porte en se mordant les doigts ». C’est pour cela qu’il ne se mêlait pas à leurs jeux, mais restait accroupi près des fagots de bois et des bottes de foin entassés dans les champs : « Viens donc avec moi / et amusons-nous un peu / moineau sans parents ! » 4 Il avait sept ans quand son père se remaria avec une fille de paysan, sévère et décidée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, selon elle, avait le défaut de vouloir étudier. Dès que le printemps arrivait, il devait travailler aux champs toute la journée, ramasser les légumes, faire les foins, mener les chevaux, et toute la soirée, assis près de la fenêtre dans le clair de lune, tresser des sandales et des sabots avec de la paille, sans qu’il lui restât le moindre moment pour lire. Sa belle-mère lui interdisait même de se servir de la lampe. Chaque fois qu’il pouvait s’échapper, il allait lire en cachette chez Nakamura Rokuzaemon 5, patron d’auberge et poète, toujours constant à lui témoigner de l’amitié. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au monde un fils. À partir de ce jour-là, de dure, elle devint méchante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que celui-ci pleurait, elle l’en rendait de quelque façon responsable. Il recevait des coups de bâton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de printemps, dans sa quatorzième année, las de sa belle-mère et de ses colères plus coupantes que la bise de montagne, il quitta la maison où il était né et prit le chemin de la capitale. Son père l’accompagna jusqu’au village voisin et lui dit : « Ne fais rien qui puisse laisser les gens penser du mal de toi, et reviens bientôt me montrer ton tendre visage »
Issa, « Haïku »
Il s’agit de Kobayashi Issa 1, poète japonais (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand encore que Bashô, non seulement par son génie, mais aussi par son immense sympathie pour la vie qui ne lui fut cependant pas clémente. D’un être minuscule, d’un escargot bavant sous la pluie, il pouvait faire des tercets, dont l’élégante aisance émerveillait hommes et dieux : « Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji ! » 2 Et aussi : « Porte de branchages / pour remplacer la serrure / juste un escargot » 3. Son village natal était dans la province du Shinano, caché dans un repli de montagne. La neige fondait seulement en été ; et dès le début de l’automne, le givre apparaissait. Issa avait deux ans quand il perdit sa mère. Cela le rendait triste d’entendre tous les autres enfants se moquer de lui, en chantant : « On reconnaît l’enfant sans mère partout, il se tient devant la porte en se mordant les doigts ». C’est pour cela qu’il ne se mêlait pas à leurs jeux, mais restait accroupi près des fagots de bois et des bottes de foin entassés dans les champs : « Viens donc avec moi / et amusons-nous un peu / moineau sans parents ! » 4 Il avait sept ans quand son père se remaria avec une fille de paysan, sévère et décidée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, selon elle, avait le défaut de vouloir étudier. Dès que le printemps arrivait, il devait travailler aux champs toute la journée, ramasser les légumes, faire les foins, mener les chevaux, et toute la soirée, assis près de la fenêtre dans le clair de lune, tresser des sandales et des sabots avec de la paille, sans qu’il lui restât le moindre moment pour lire. Sa belle-mère lui interdisait même de se servir de la lampe. Chaque fois qu’il pouvait s’échapper, il allait lire en cachette chez Nakamura Rokuzaemon 5, patron d’auberge et poète, toujours constant à lui témoigner de l’amitié. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au monde un fils. À partir de ce jour-là, de dure, elle devint méchante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que celui-ci pleurait, elle l’en rendait de quelque façon responsable. Il recevait des coups de bâton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de printemps, dans sa quatorzième année, las de sa belle-mère et de ses colères plus coupantes que la bise de montagne, il quitta la maison où il était né et prit le chemin de la capitale. Son père l’accompagna jusqu’au village voisin et lui dit : « Ne fais rien qui puisse laisser les gens penser du mal de toi, et reviens bientôt me montrer ton tendre visage »
Issa, « En village de miséreux : choix de poèmes »
Il s’agit de Kobayashi Issa 1, poète japonais (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand encore que Bashô, non seulement par son génie, mais aussi par son immense sympathie pour la vie qui ne lui fut cependant pas clémente. D’un être minuscule, d’un escargot bavant sous la pluie, il pouvait faire des tercets, dont l’élégante aisance émerveillait hommes et dieux : « Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji ! » 2 Et aussi : « Porte de branchages / pour remplacer la serrure / juste un escargot » 3. Son village natal était dans la province du Shinano, caché dans un repli de montagne. La neige fondait seulement en été ; et dès le début de l’automne, le givre apparaissait. Issa avait deux ans quand il perdit sa mère. Cela le rendait triste d’entendre tous les autres enfants se moquer de lui, en chantant : « On reconnaît l’enfant sans mère partout, il se tient devant la porte en se mordant les doigts ». C’est pour cela qu’il ne se mêlait pas à leurs jeux, mais restait accroupi près des fagots de bois et des bottes de foin entassés dans les champs : « Viens donc avec moi / et amusons-nous un peu / moineau sans parents ! » 4 Il avait sept ans quand son père se remaria avec une fille de paysan, sévère et décidée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, selon elle, avait le défaut de vouloir étudier. Dès que le printemps arrivait, il devait travailler aux champs toute la journée, ramasser les légumes, faire les foins, mener les chevaux, et toute la soirée, assis près de la fenêtre dans le clair de lune, tresser des sandales et des sabots avec de la paille, sans qu’il lui restât le moindre moment pour lire. Sa belle-mère lui interdisait même de se servir de la lampe. Chaque fois qu’il pouvait s’échapper, il allait lire en cachette chez Nakamura Rokuzaemon 5, patron d’auberge et poète, toujours constant à lui témoigner de l’amitié. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au monde un fils. À partir de ce jour-là, de dure, elle devint méchante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que celui-ci pleurait, elle l’en rendait de quelque façon responsable. Il recevait des coups de bâton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de printemps, dans sa quatorzième année, las de sa belle-mère et de ses colères plus coupantes que la bise de montagne, il quitta la maison où il était né et prit le chemin de la capitale. Son père l’accompagna jusqu’au village voisin et lui dit : « Ne fais rien qui puisse laisser les gens penser du mal de toi, et reviens bientôt me montrer ton tendre visage »
Issa, « “Ora ga haru”, Mon Année de printemps »
Il s’agit de Kobayashi Issa 1, poète japonais (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand encore que Bashô, non seulement par son génie, mais aussi par son immense sympathie pour la vie qui ne lui fut cependant pas clémente. D’un être minuscule, d’un escargot bavant sous la pluie, il pouvait faire des tercets, dont l’élégante aisance émerveillait hommes et dieux : « Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji ! » 2 Et aussi : « Porte de branchages / pour remplacer la serrure / juste un escargot » 3. Son village natal était dans la province du Shinano, caché dans un repli de montagne. La neige fondait seulement en été ; et dès le début de l’automne, le givre apparaissait. Issa avait deux ans quand il perdit sa mère. Cela le rendait triste d’entendre tous les autres enfants se moquer de lui, en chantant : « On reconnaît l’enfant sans mère partout, il se tient devant la porte en se mordant les doigts ». C’est pour cela qu’il ne se mêlait pas à leurs jeux, mais restait accroupi près des fagots de bois et des bottes de foin entassés dans les champs : « Viens donc avec moi / et amusons-nous un peu / moineau sans parents ! » 4 Il avait sept ans quand son père se remaria avec une fille de paysan, sévère et décidée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, selon elle, avait le défaut de vouloir étudier. Dès que le printemps arrivait, il devait travailler aux champs toute la journée, ramasser les légumes, faire les foins, mener les chevaux, et toute la soirée, assis près de la fenêtre dans le clair de lune, tresser des sandales et des sabots avec de la paille, sans qu’il lui restât le moindre moment pour lire. Sa belle-mère lui interdisait même de se servir de la lampe. Chaque fois qu’il pouvait s’échapper, il allait lire en cachette chez Nakamura Rokuzaemon 5, patron d’auberge et poète, toujours constant à lui témoigner de l’amitié. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au monde un fils. À partir de ce jour-là, de dure, elle devint méchante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que celui-ci pleurait, elle l’en rendait de quelque façon responsable. Il recevait des coups de bâton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de printemps, dans sa quatorzième année, las de sa belle-mère et de ses colères plus coupantes que la bise de montagne, il quitta la maison où il était né et prit le chemin de la capitale. Son père l’accompagna jusqu’au village voisin et lui dit : « Ne fais rien qui puisse laisser les gens penser du mal de toi, et reviens bientôt me montrer ton tendre visage »
Issa, « Et pourtant, et pourtant : poèmes »
Il s’agit de Kobayashi Issa 1, poète japonais (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand encore que Bashô, non seulement par son génie, mais aussi par son immense sympathie pour la vie qui ne lui fut cependant pas clémente. D’un être minuscule, d’un escargot bavant sous la pluie, il pouvait faire des tercets, dont l’élégante aisance émerveillait hommes et dieux : « Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji ! » 2 Et aussi : « Porte de branchages / pour remplacer la serrure / juste un escargot » 3. Son village natal était dans la province du Shinano, caché dans un repli de montagne. La neige fondait seulement en été ; et dès le début de l’automne, le givre apparaissait. Issa avait deux ans quand il perdit sa mère. Cela le rendait triste d’entendre tous les autres enfants se moquer de lui, en chantant : « On reconnaît l’enfant sans mère partout, il se tient devant la porte en se mordant les doigts ». C’est pour cela qu’il ne se mêlait pas à leurs jeux, mais restait accroupi près des fagots de bois et des bottes de foin entassés dans les champs : « Viens donc avec moi / et amusons-nous un peu / moineau sans parents ! » 4 Il avait sept ans quand son père se remaria avec une fille de paysan, sévère et décidée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, selon elle, avait le défaut de vouloir étudier. Dès que le printemps arrivait, il devait travailler aux champs toute la journée, ramasser les légumes, faire les foins, mener les chevaux, et toute la soirée, assis près de la fenêtre dans le clair de lune, tresser des sandales et des sabots avec de la paille, sans qu’il lui restât le moindre moment pour lire. Sa belle-mère lui interdisait même de se servir de la lampe. Chaque fois qu’il pouvait s’échapper, il allait lire en cachette chez Nakamura Rokuzaemon 5, patron d’auberge et poète, toujours constant à lui témoigner de l’amitié. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au monde un fils. À partir de ce jour-là, de dure, elle devint méchante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que celui-ci pleurait, elle l’en rendait de quelque façon responsable. Il recevait des coups de bâton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de printemps, dans sa quatorzième année, las de sa belle-mère et de ses colères plus coupantes que la bise de montagne, il quitta la maison où il était né et prit le chemin de la capitale. Son père l’accompagna jusqu’au village voisin et lui dit : « Ne fais rien qui puisse laisser les gens penser du mal de toi, et reviens bientôt me montrer ton tendre visage »
« Ryôkan, moine errant et poète : portrait et poèmes »
Il s’agit des poèmes de Yamamoto Eizô 1, ermite japonais (XVIIIe-XIXe siècle), plus connu sous le surnom de Ryôkan 2. Enfant taciturne et solitaire, adonné à de vastes lectures, il réfléchissait, dès son plus jeune âge, sur la vie et sur la mort. Une nuit, il comprit que c’était le Bouddha qui pourrait donner réponse à ses questions existentielles. Au petit matin, s’étant rasé la tête, il prit quelques affaires. Sur le pas de la porte, il serra dans ses bras ses six frères et sœurs : « Prenant mes mains dans les siennes, ma mère a longtemps fixé mon visage. C’[est] comme si l’image de son visage est encore devant mes yeux. Lorsque j’ai demandé congé, elle m’a dit, de sa parole devenue austère : “Ne laisse jamais dire aux gens rencontrés que tu as en vain quitté le monde”. Aujourd’hui, je me rappelle ses mots et me donne cette leçon matin et soir » 3. Dans son ermitage au toit de chaume, Ryôkan restait cloîtré, quelquefois pendant des jours, à méditer, à lire des classiques et à composer des poèmes. Un de ses contemporains 4, qui s’y abrita de la pluie, raconte 5 : « [À] l’intérieur de cet ermitage, je ne vois aucun autre bien qu’une seule statue du Bouddha en bois, posée debout, et deux volumes de livres mis sur un petit accoudoir, installé au pied de la fenêtre. J’ouvre le livre pour savoir de quelle œuvre il s’agit. C’est une édition xylographique de “L’Œuvre complète” de Tchouang-tseu. Dans ce livre sont insérées des calligraphies, tracées en style cursif, d’anciens poèmes chinois, qui semblent être l’œuvre de ce moine. N’ayant pas appris de poèmes dans cette langue, je ne sus s’ils étaient de qualité, mais les calligraphies en question l’étaient à tel point qu’elles m’émerveillèrent ».
Ryôkan, « Les Quatre-vingt-dix-neuf Haïku »
Il s’agit des poèmes de Yamamoto Eizô 1, ermite japonais (XVIIIe-XIXe siècle), plus connu sous le surnom de Ryôkan 2. Enfant taciturne et solitaire, adonné à de vastes lectures, il réfléchissait, dès son plus jeune âge, sur la vie et sur la mort. Une nuit, il comprit que c’était le Bouddha qui pourrait donner réponse à ses questions existentielles. Au petit matin, s’étant rasé la tête, il prit quelques affaires. Sur le pas de la porte, il serra dans ses bras ses six frères et sœurs : « Prenant mes mains dans les siennes, ma mère a longtemps fixé mon visage. C’[est] comme si l’image de son visage est encore devant mes yeux. Lorsque j’ai demandé congé, elle m’a dit, de sa parole devenue austère : “Ne laisse jamais dire aux gens rencontrés que tu as en vain quitté le monde”. Aujourd’hui, je me rappelle ses mots et me donne cette leçon matin et soir » 3. Dans son ermitage au toit de chaume, Ryôkan restait cloîtré, quelquefois pendant des jours, à méditer, à lire des classiques et à composer des poèmes. Un de ses contemporains 4, qui s’y abrita de la pluie, raconte 5 : « [À] l’intérieur de cet ermitage, je ne vois aucun autre bien qu’une seule statue du Bouddha en bois, posée debout, et deux volumes de livres mis sur un petit accoudoir, installé au pied de la fenêtre. J’ouvre le livre pour savoir de quelle œuvre il s’agit. C’est une édition xylographique de “L’Œuvre complète” de Tchouang-tseu. Dans ce livre sont insérées des calligraphies, tracées en style cursif, d’anciens poèmes chinois, qui semblent être l’œuvre de ce moine. N’ayant pas appris de poèmes dans cette langue, je ne sus s’ils étaient de qualité, mais les calligraphies en question l’étaient à tel point qu’elles m’émerveillèrent ».
Ryôkan, « La Rosée d’un lotus, “Hachisu no tsuyu” »
Il s’agit des poèmes de Yamamoto Eizô 1, ermite japonais (XVIIIe-XIXe siècle), plus connu sous le surnom de Ryôkan 2. Enfant taciturne et solitaire, adonné à de vastes lectures, il réfléchissait, dès son plus jeune âge, sur la vie et sur la mort. Une nuit, il comprit que c’était le Bouddha qui pourrait donner réponse à ses questions existentielles. Au petit matin, s’étant rasé la tête, il prit quelques affaires. Sur le pas de la porte, il serra dans ses bras ses six frères et sœurs : « Prenant mes mains dans les siennes, ma mère a longtemps fixé mon visage. C’[est] comme si l’image de son visage est encore devant mes yeux. Lorsque j’ai demandé congé, elle m’a dit, de sa parole devenue austère : “Ne laisse jamais dire aux gens rencontrés que tu as en vain quitté le monde”. Aujourd’hui, je me rappelle ses mots et me donne cette leçon matin et soir » 3. Dans son ermitage au toit de chaume, Ryôkan restait cloîtré, quelquefois pendant des jours, à méditer, à lire des classiques et à composer des poèmes. Un de ses contemporains 4, qui s’y abrita de la pluie, raconte 5 : « [À] l’intérieur de cet ermitage, je ne vois aucun autre bien qu’une seule statue du Bouddha en bois, posée debout, et deux volumes de livres mis sur un petit accoudoir, installé au pied de la fenêtre. J’ouvre le livre pour savoir de quelle œuvre il s’agit. C’est une édition xylographique de “L’Œuvre complète” de Tchouang-tseu. Dans ce livre sont insérées des calligraphies, tracées en style cursif, d’anciens poèmes chinois, qui semblent être l’œuvre de ce moine. N’ayant pas appris de poèmes dans cette langue, je ne sus s’ils étaient de qualité, mais les calligraphies en question l’étaient à tel point qu’elles m’émerveillèrent ».
« Ryôkan, moine zen »
Il s’agit des poèmes de Yamamoto Eizô 1, ermite japonais (XVIIIe-XIXe siècle), plus connu sous le surnom de Ryôkan 2. Enfant taciturne et solitaire, adonné à de vastes lectures, il réfléchissait, dès son plus jeune âge, sur la vie et sur la mort. Une nuit, il comprit que c’était le Bouddha qui pourrait donner réponse à ses questions existentielles. Au petit matin, s’étant rasé la tête, il prit quelques affaires. Sur le pas de la porte, il serra dans ses bras ses six frères et sœurs : « Prenant mes mains dans les siennes, ma mère a longtemps fixé mon visage. C’[est] comme si l’image de son visage est encore devant mes yeux. Lorsque j’ai demandé congé, elle m’a dit, de sa parole devenue austère : “Ne laisse jamais dire aux gens rencontrés que tu as en vain quitté le monde”. Aujourd’hui, je me rappelle ses mots et me donne cette leçon matin et soir » 3. Dans son ermitage au toit de chaume, Ryôkan restait cloîtré, quelquefois pendant des jours, à méditer, à lire des classiques et à composer des poèmes. Un de ses contemporains 4, qui s’y abrita de la pluie, raconte 5 : « [À] l’intérieur de cet ermitage, je ne vois aucun autre bien qu’une seule statue du Bouddha en bois, posée debout, et deux volumes de livres mis sur un petit accoudoir, installé au pied de la fenêtre. J’ouvre le livre pour savoir de quelle œuvre il s’agit. C’est une édition xylographique de “L’Œuvre complète” de Tchouang-tseu. Dans ce livre sont insérées des calligraphies, tracées en style cursif, d’anciens poèmes chinois, qui semblent être l’œuvre de ce moine. N’ayant pas appris de poèmes dans cette langue, je ne sus s’ils étaient de qualité, mais les calligraphies en question l’étaient à tel point qu’elles m’émerveillèrent ».
Buson, « Le Parfum de la lune : poèmes »
Il s’agit des haïkus de Yosa Buson 1, grand artiste japonais (XVIIIe siècle apr. J.-C.), maître de la peinture « bunjinga » (« peinture des hommes de lettres »). On dit qu’une nuit, pour mieux observer un effet de lune, il fit un trou à son toit en y mettant le feu avec une chandelle ; perdu dans une extase d’admiration, il ne s’aperçut pas de l’incendie qui en surgit et qui dévora tout un quartier de la capitale. En joignant l’art de la peinture à celui de la poésie, Buson donna une vie nouvelle au haïku délaissé à la mort de Bashô. Il parvint à décrire, avec la même élégance qu’avec son pinceau, ces bagatelles, ces petits imprévus que lui fournissaient naturellement ses voyages. « Se libérer du banal en se servant du banal » 2. Telle fut sa devise paradoxale, qu’il est difficile d’interpréter ; car tout en étant un artiste de génie, Buson ne livra presque jamais le fond de sa pensée. Inimitable et intransmissible, son art disparut avec lui ; seuls ses chefs-d’œuvre en attestent aujourd’hui toute la magnificence et toute la hardiesse. Par exemple, ce célèbre croquis de deux piétons, dont on ne voit de dos que les habits de pluie : « Pluie de printemps / avancent en devisant / un manteau de paille et un parapluie » 3 ; ou cette puissante esquisse des pentes du mont Yoshino, parsemées de cerisiers : « Avalant les nuages / exhalant des fleurs / le mont Yoshino » 4. « Les comparaisons ne sont pas absentes de [ses] poèmes », explique M. Yves Bonnefoy 5, « et ainsi Buson note-t-il que “le bruit de l’eau est sombre”, ce qui ne surprendra pas le lecteur de “Correspondances”. Mais chez Baudelaire, l’analogie est comprise comme l’affleurement d’une vérité inaperçue jusqu’alors, c’est un acte de connaissance, qui prouve la capacité des mots d’atteindre à l’être des choses… Ce qu’énonce Buson, par contre, c’est d’abord — ou même c’est seulement une certitude de la conscience immédiate, sans arrière-pensée spéculative ; et cette perception est aussi silencieuse… que la traînée de couleur que laisse un pinceau sur la feuille blanche… Le rapprochement ne dévoile rien… il retient… »