Il s’agit de Kobayashi Issa 1, poète japonais (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand encore que Bashô, non seulement par son génie, mais aussi par son immense sympathie pour la vie qui ne lui fut cependant pas clémente. D’un être minuscule, d’un escargot bavant sous la pluie, il pouvait faire des tercets, dont l’élégante aisance émerveillait hommes et dieux : « Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji ! » 2 Et aussi : « Porte de branchages / pour remplacer la serrure / juste un escargot » 3. Son village natal était dans la province du Shinano, caché dans un repli de montagne. La neige fondait seulement en été ; et dès le début de l’automne, le givre apparaissait. Issa avait deux ans quand il perdit sa mère. Cela le rendait triste d’entendre tous les autres enfants se moquer de lui, en chantant : « On reconnaît l’enfant sans mère partout, il se tient devant la porte en se mordant les doigts ». C’est pour cela qu’il ne se mêlait pas à leurs jeux, mais restait accroupi près des fagots de bois et des bottes de foin entassés dans les champs : « Viens donc avec moi / et amusons-nous un peu / moineau sans parents ! » 4 Il avait sept ans quand son père se remaria avec une fille de paysan, sévère et décidée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, selon elle, avait le défaut de vouloir étudier. Dès que le printemps arrivait, il devait travailler aux champs toute la journée, ramasser les légumes, faire les foins, mener les chevaux, et toute la soirée, assis près de la fenêtre dans le clair de lune, tresser des sandales et des sabots avec de la paille, sans qu’il lui restât le moindre moment pour lire. Sa belle-mère lui interdisait même de se servir de la lampe. Chaque fois qu’il pouvait s’échapper, il allait lire en cachette chez Nakamura Rokuzaemon 5, patron d’auberge et poète, toujours constant à lui témoigner de l’amitié. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au monde un fils. À partir de ce jour-là, de dure, elle devint méchante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que celui-ci pleurait, elle l’en rendait de quelque façon responsable. Il recevait des coups de bâton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de printemps, dans sa quatorzième année, las de sa belle-mère et de ses colères plus coupantes que la bise de montagne, il quitta la maison où il était né et prit le chemin de la capitale. Son père l’accompagna jusqu’au village voisin et lui dit : « Ne fais rien qui puisse laisser les gens penser du mal de toi, et reviens bientôt me montrer ton tendre visage » 6.
« Issa a réussi à dépasser de loin son pays pour devenir un poète de l’humanité tout entière »
À ces mots, des larmes coulèrent sur les joues d’Issa ; mais ne voulant pas que les voyageurs qui assistaient à la scène rissent de lui s’il montrait quelque hésitation, et désireux de ne pas faire preuve de faiblesse devant son père, il se força à se séparer de lui courageusement. Commença alors une vie précaire, pleine de vagabondage et de mendicité, mais qui lui laissait le loisir de se consacrer à la littérature. Telle nuit, il s’abritait contre la froide rosée sous l’avant-toit d’une maison, comme un oiseau sans nid ; telle autre nuit, il trouvait refuge dans un bois inconnu, où il n’y avait que le vent mélancolique dans les pins pour répondre aux toussotements et gémissements qu’il poussait. Issa mourut entouré de disciples. Il savait que, selon la coutume, son corps serait lavé dans un baquet rempli d’eau. Aussi leur jeta-t-il ce haïku d’adieu inspiré par son humour dépréciateur : « Du premier baquet / jusqu’à l’ultime baquet / blablabla ! » 7 On retrouve ici le rire dans les larmes propre à Issa comme lorsque, des années plus tôt, il voyait un chien se détourner de lui : « Je vieillis / même le chien ne renifle pas / mes habits d’été neufs » 8. « On a beau chercher dans les siècles d’histoire du haïku, chez aucun autre auteur on ne trouve une plume aussi spirituelle », dit Masaoka Shiki 9. « Issa est presque toujours immédiatement accessible : poète de la vie sans détours, il saisit d’instinct le moment qui passe dans une durée insensible aux variations et lui ajoute sa marque sentimentale particulière », dit M. Jean Cholley 10. « Il est toujours possible de trouver dans son immense production un poème convenant à un moment précis de joie, de tristesse… et dès le “Shichiban Nikki” 11 [“Septième Journal”, 1810-1818], il n’est plus guère besoin de déchiffrement pour saisir le sens et la portée de ce qu’on lit. Tout en demeurant aussi profondément japonais que Bashô, Issa a réussi à dépasser de loin son pays pour devenir un poète de l’humanité tout entière. »
Voici un passage qui donnera une idée de la manière de Kobayashi Issa : « Ah, ce rude accent de Tôkyô / à peine ont-ils admiré les fleurs / qu’ils cherchent querelle ! » 12
Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF
- Traduction partielle de Conrad Meili (1951) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Traduction partielle de Michel Revon (1923) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1918) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1910) [Source : Bibliothèque nationale de France].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Pascal Griolet, « Kobayashi Issa » dans « Dictionnaire universel des littératures » (éd. Presses universitaires de France, Paris)
- Kuni Matsuo, « Histoire de la littérature japonaise : des temps archaïques à 1935 » (éd. Société française d’éditions littéraires et techniques, coll. Galerie d’histoire littéraire, Paris).