Il s’agit des haïkus de Matsuo Bashô 1, figure illustre de la poésie japonaise (XVIIe siècle apr. J.-C.). Par son éthique de vie, encore plus que par son œuvre elle-même, ce fils de samouraï a imposé la forme actuelle du haïku, mais surtout il en a défini la manière, l’esprit : légèreté, recherche de simplicité, extrême respect pour la nature, et ce quelque chose qu’on ne peut définir facilement et qu’il faut sentir — une élégance intérieure, comme revêtue de pudeur discrète, qui est foncièrement japonaise. Son poème de la rainette est un fameux exemple du saut par lequel le haïku se débarrasse de l’artificiel pour atteindre la sobriété nue : « Vieil étang / une rainette y plongeant / chuchotis de l’eau » 2. Ce haïku traduit et d’autres sont le premier ouvrage par lequel la poésie et la pensée asiatiques viennent jusqu’à Mme Marguerite Yourcenar qui a quinze ans : « Ce livre exquis a été l’équivalent pour moi d’une porte entrebâillée ; elle ne s’est plus jamais refermée depuis », écrit-elle dans une lettre datée de 1955. En 1982, pendant ses trois mois passés au Japon, elle suit sur les sentiers étroits la trace de Bashô ; et tandis qu’un ami japonais, qui la guide, commence à lui traduire « Elles mourront bientôt… », elle l’interrompt en citant par cœur la chute : « et pourtant n’en montrent rien / chant des cigales ». « Peut-être son plus beau poème », précise-t-elle dans un petit article intitulé « Bashô sur la route ». À Kyôto, elle visite la hutte qui a hébergé notre poète vers la fin de sa vie — Rakushisha 3 (« la chaumière où tombent les kakis » 4) qui lui « fait penser à la légère dépouille d’une cigale ». À l’intérieur, si on peut parler d’intérieur dans un lieu si ouvert aux intempéries, rien ou presque pour se protéger du passage des saisons, si présentes justement dans l’œuvre de Bashô « par les inconvénients et les malaises qu’elles apportent autant que par l’extase des yeux et de l’esprit que dispense leur beauté », comme explique Mme Yourcenar. Quant au maître lui-même : « Cet homme ambulant », écrit-elle, « qui a intitulé l’un de ses essais “Souvenirs d’un squelette exposé aux intempéries” voyage moins pour s’instruire… que pour subir. Subir est une faculté japonaise, poussée parfois jusqu’au masochisme [!], mais l’émotion et la connaissance chez Bashô naissent de cette soumission à l’événement ou à l’incident : la pluie, le vent, les longues marches, les ascensions sur les sentiers gelés des montagnes, les gîtes de hasard, comme celui de l’octroi à Shitomae où il partage une pièce au plancher de terre battue avec un cheval… » Sous des apparences de promenades, ces pèlerinages éveillaient la pensée de Bashô et mettaient sa vie en conformité avec la haute idée qu’il se faisait du haïku : « Le vent me transperce / résigné à y laisser mes os / je pars en voyage »
formes brèves (littérature)
sujet
Issa, « Haïkus satiriques »
Il s’agit de Kobayashi Issa 1, poète japonais (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand encore que Bashô, non seulement par son génie, mais aussi par son immense sympathie pour la vie qui ne lui fut cependant pas clémente. D’un être minuscule, d’un escargot bavant sous la pluie, il pouvait faire des tercets, dont l’élégante aisance émerveillait hommes et dieux : « Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji ! » 2 Et aussi : « Porte de branchages / pour remplacer la serrure / juste un escargot » 3. Son village natal était dans la province du Shinano, caché dans un repli de montagne. La neige fondait seulement en été ; et dès le début de l’automne, le givre apparaissait. Issa avait deux ans quand il perdit sa mère. Cela le rendait triste d’entendre tous les autres enfants se moquer de lui, en chantant : « On reconnaît l’enfant sans mère partout, il se tient devant la porte en se mordant les doigts ». C’est pour cela qu’il ne se mêlait pas à leurs jeux, mais restait accroupi près des fagots de bois et des bottes de foin entassés dans les champs : « Viens donc avec moi / et amusons-nous un peu / moineau sans parents ! » 4 Il avait sept ans quand son père se remaria avec une fille de paysan, sévère et décidée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, selon elle, avait le défaut de vouloir étudier. Dès que le printemps arrivait, il devait travailler aux champs toute la journée, ramasser les légumes, faire les foins, mener les chevaux, et toute la soirée, assis près de la fenêtre dans le clair de lune, tresser des sandales et des sabots avec de la paille, sans qu’il lui restât le moindre moment pour lire. Sa belle-mère lui interdisait même de se servir de la lampe. Chaque fois qu’il pouvait s’échapper, il allait lire en cachette chez Nakamura Rokuzaemon 5, patron d’auberge et poète, toujours constant à lui témoigner de l’amitié. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au monde un fils. À partir de ce jour-là, de dure, elle devint méchante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que celui-ci pleurait, elle l’en rendait de quelque façon responsable. Il recevait des coups de bâton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de printemps, dans sa quatorzième année, las de sa belle-mère et de ses colères plus coupantes que la bise de montagne, il quitta la maison où il était né et prit le chemin de la capitale. Son père l’accompagna jusqu’au village voisin et lui dit : « Ne fais rien qui puisse laisser les gens penser du mal de toi, et reviens bientôt me montrer ton tendre visage »
Issa, « Haïku »
Il s’agit de Kobayashi Issa 1, poète japonais (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand encore que Bashô, non seulement par son génie, mais aussi par son immense sympathie pour la vie qui ne lui fut cependant pas clémente. D’un être minuscule, d’un escargot bavant sous la pluie, il pouvait faire des tercets, dont l’élégante aisance émerveillait hommes et dieux : « Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji ! » 2 Et aussi : « Porte de branchages / pour remplacer la serrure / juste un escargot » 3. Son village natal était dans la province du Shinano, caché dans un repli de montagne. La neige fondait seulement en été ; et dès le début de l’automne, le givre apparaissait. Issa avait deux ans quand il perdit sa mère. Cela le rendait triste d’entendre tous les autres enfants se moquer de lui, en chantant : « On reconnaît l’enfant sans mère partout, il se tient devant la porte en se mordant les doigts ». C’est pour cela qu’il ne se mêlait pas à leurs jeux, mais restait accroupi près des fagots de bois et des bottes de foin entassés dans les champs : « Viens donc avec moi / et amusons-nous un peu / moineau sans parents ! » 4 Il avait sept ans quand son père se remaria avec une fille de paysan, sévère et décidée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, selon elle, avait le défaut de vouloir étudier. Dès que le printemps arrivait, il devait travailler aux champs toute la journée, ramasser les légumes, faire les foins, mener les chevaux, et toute la soirée, assis près de la fenêtre dans le clair de lune, tresser des sandales et des sabots avec de la paille, sans qu’il lui restât le moindre moment pour lire. Sa belle-mère lui interdisait même de se servir de la lampe. Chaque fois qu’il pouvait s’échapper, il allait lire en cachette chez Nakamura Rokuzaemon 5, patron d’auberge et poète, toujours constant à lui témoigner de l’amitié. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au monde un fils. À partir de ce jour-là, de dure, elle devint méchante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que celui-ci pleurait, elle l’en rendait de quelque façon responsable. Il recevait des coups de bâton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de printemps, dans sa quatorzième année, las de sa belle-mère et de ses colères plus coupantes que la bise de montagne, il quitta la maison où il était né et prit le chemin de la capitale. Son père l’accompagna jusqu’au village voisin et lui dit : « Ne fais rien qui puisse laisser les gens penser du mal de toi, et reviens bientôt me montrer ton tendre visage »
Issa, « En village de miséreux : choix de poèmes »
Il s’agit de Kobayashi Issa 1, poète japonais (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand encore que Bashô, non seulement par son génie, mais aussi par son immense sympathie pour la vie qui ne lui fut cependant pas clémente. D’un être minuscule, d’un escargot bavant sous la pluie, il pouvait faire des tercets, dont l’élégante aisance émerveillait hommes et dieux : « Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji ! » 2 Et aussi : « Porte de branchages / pour remplacer la serrure / juste un escargot » 3. Son village natal était dans la province du Shinano, caché dans un repli de montagne. La neige fondait seulement en été ; et dès le début de l’automne, le givre apparaissait. Issa avait deux ans quand il perdit sa mère. Cela le rendait triste d’entendre tous les autres enfants se moquer de lui, en chantant : « On reconnaît l’enfant sans mère partout, il se tient devant la porte en se mordant les doigts ». C’est pour cela qu’il ne se mêlait pas à leurs jeux, mais restait accroupi près des fagots de bois et des bottes de foin entassés dans les champs : « Viens donc avec moi / et amusons-nous un peu / moineau sans parents ! » 4 Il avait sept ans quand son père se remaria avec une fille de paysan, sévère et décidée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, selon elle, avait le défaut de vouloir étudier. Dès que le printemps arrivait, il devait travailler aux champs toute la journée, ramasser les légumes, faire les foins, mener les chevaux, et toute la soirée, assis près de la fenêtre dans le clair de lune, tresser des sandales et des sabots avec de la paille, sans qu’il lui restât le moindre moment pour lire. Sa belle-mère lui interdisait même de se servir de la lampe. Chaque fois qu’il pouvait s’échapper, il allait lire en cachette chez Nakamura Rokuzaemon 5, patron d’auberge et poète, toujours constant à lui témoigner de l’amitié. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au monde un fils. À partir de ce jour-là, de dure, elle devint méchante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que celui-ci pleurait, elle l’en rendait de quelque façon responsable. Il recevait des coups de bâton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de printemps, dans sa quatorzième année, las de sa belle-mère et de ses colères plus coupantes que la bise de montagne, il quitta la maison où il était né et prit le chemin de la capitale. Son père l’accompagna jusqu’au village voisin et lui dit : « Ne fais rien qui puisse laisser les gens penser du mal de toi, et reviens bientôt me montrer ton tendre visage »
Issa, « “Ora ga haru”, Mon Année de printemps »
Il s’agit de Kobayashi Issa 1, poète japonais (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand encore que Bashô, non seulement par son génie, mais aussi par son immense sympathie pour la vie qui ne lui fut cependant pas clémente. D’un être minuscule, d’un escargot bavant sous la pluie, il pouvait faire des tercets, dont l’élégante aisance émerveillait hommes et dieux : « Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji ! » 2 Et aussi : « Porte de branchages / pour remplacer la serrure / juste un escargot » 3. Son village natal était dans la province du Shinano, caché dans un repli de montagne. La neige fondait seulement en été ; et dès le début de l’automne, le givre apparaissait. Issa avait deux ans quand il perdit sa mère. Cela le rendait triste d’entendre tous les autres enfants se moquer de lui, en chantant : « On reconnaît l’enfant sans mère partout, il se tient devant la porte en se mordant les doigts ». C’est pour cela qu’il ne se mêlait pas à leurs jeux, mais restait accroupi près des fagots de bois et des bottes de foin entassés dans les champs : « Viens donc avec moi / et amusons-nous un peu / moineau sans parents ! » 4 Il avait sept ans quand son père se remaria avec une fille de paysan, sévère et décidée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, selon elle, avait le défaut de vouloir étudier. Dès que le printemps arrivait, il devait travailler aux champs toute la journée, ramasser les légumes, faire les foins, mener les chevaux, et toute la soirée, assis près de la fenêtre dans le clair de lune, tresser des sandales et des sabots avec de la paille, sans qu’il lui restât le moindre moment pour lire. Sa belle-mère lui interdisait même de se servir de la lampe. Chaque fois qu’il pouvait s’échapper, il allait lire en cachette chez Nakamura Rokuzaemon 5, patron d’auberge et poète, toujours constant à lui témoigner de l’amitié. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au monde un fils. À partir de ce jour-là, de dure, elle devint méchante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que celui-ci pleurait, elle l’en rendait de quelque façon responsable. Il recevait des coups de bâton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de printemps, dans sa quatorzième année, las de sa belle-mère et de ses colères plus coupantes que la bise de montagne, il quitta la maison où il était né et prit le chemin de la capitale. Son père l’accompagna jusqu’au village voisin et lui dit : « Ne fais rien qui puisse laisser les gens penser du mal de toi, et reviens bientôt me montrer ton tendre visage »
Issa, « Et pourtant, et pourtant : poèmes »
Il s’agit de Kobayashi Issa 1, poète japonais (XVIIIe-XIXe siècle). C’est le plus grand maître du haïku, plus grand encore que Bashô, non seulement par son génie, mais aussi par son immense sympathie pour la vie qui ne lui fut cependant pas clémente. D’un être minuscule, d’un escargot bavant sous la pluie, il pouvait faire des tercets, dont l’élégante aisance émerveillait hommes et dieux : « Petit escargot / grimpe doucement surtout / c’est le mont Fuji ! » 2 Et aussi : « Porte de branchages / pour remplacer la serrure / juste un escargot » 3. Son village natal était dans la province du Shinano, caché dans un repli de montagne. La neige fondait seulement en été ; et dès le début de l’automne, le givre apparaissait. Issa avait deux ans quand il perdit sa mère. Cela le rendait triste d’entendre tous les autres enfants se moquer de lui, en chantant : « On reconnaît l’enfant sans mère partout, il se tient devant la porte en se mordant les doigts ». C’est pour cela qu’il ne se mêlait pas à leurs jeux, mais restait accroupi près des fagots de bois et des bottes de foin entassés dans les champs : « Viens donc avec moi / et amusons-nous un peu / moineau sans parents ! » 4 Il avait sept ans quand son père se remaria avec une fille de paysan, sévère et décidée. Bien vite, elle prit en grippe Issa qui, selon elle, avait le défaut de vouloir étudier. Dès que le printemps arrivait, il devait travailler aux champs toute la journée, ramasser les légumes, faire les foins, mener les chevaux, et toute la soirée, assis près de la fenêtre dans le clair de lune, tresser des sandales et des sabots avec de la paille, sans qu’il lui restât le moindre moment pour lire. Sa belle-mère lui interdisait même de se servir de la lampe. Chaque fois qu’il pouvait s’échapper, il allait lire en cachette chez Nakamura Rokuzaemon 5, patron d’auberge et poète, toujours constant à lui témoigner de l’amitié. Issa avait onze ans quand sa belle-mère mit au monde un fils. À partir de ce jour-là, de dure, elle devint méchante. Elle l’obligea à s’occuper du bébé, et chaque fois que celui-ci pleurait, elle l’en rendait de quelque façon responsable. Il recevait des coups de bâton cent fois par jour, huit mille fois par mois. Une aube de printemps, dans sa quatorzième année, las de sa belle-mère et de ses colères plus coupantes que la bise de montagne, il quitta la maison où il était né et prit le chemin de la capitale. Son père l’accompagna jusqu’au village voisin et lui dit : « Ne fais rien qui puisse laisser les gens penser du mal de toi, et reviens bientôt me montrer ton tendre visage »
La Bruyère, « Les Caractères, ou les Mœurs de ce siècle »
Il s’agit des « Caractères » de Jean de La Bruyère 1, écrivain français (XVIIe siècle), qui consuma sa vie à observer les hommes, et qui s’ingénia à nous montrer tout ce qui se cachait de vanité, de petitesse ou de calcul mesquin sous leurs allures importantes et leurs titres pompeux. « Il n’y a presque point de [tournure] dans l’éloquence qu’on ne trouve dans La Bruyère ; et [s’il y manque] quelque chose, ce ne sont pas certainement les expressions, qui sont d’une force infinie et toujours les plus propres et les plus précises qu’on puisse employer », dit un critique 2. En effet, La Bruyère est un des meilleurs prosateurs dans aucune langue. Il l’est par sa composition, qui fond avec art deux genres qui jouissaient alors d’une grande faveur : les maximes et les portraits. Mais il l’est surtout par son style, par son choix de mots non seulement très juste, mais nécessaire ; il dit lui-même qu’« entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n’y en a qu’une qui soit la bonne » 3 : cette expression unique, La Bruyère sait la trouver et lui donner la place où elle aura le plus d’éclat. Émile Littré, l’auteur du célèbre « Dictionnaire de la langue française », dit à ce sujet : « Voulez-vous faire un inventaire des richesses de notre langue ; en voulez-vous connaître tous les tours, tous les mouvements, toutes les figures, toutes les ressources ? Il n’est pas nécessaire de recourir à cent volumes ; lisez et relisez La Bruyère ». Tout vit et tout s’anime sous la plume de La Bruyère ; tout parle à notre imagination ; il nous dit en une phrase ce qu’un autre ne nous dit pas correctement en une trentaine ; il brille surtout dans l’emploi ingénieux et détourné qu’il sait faire des mots de l’usage courant. « La véritable grandeur », dit-il 4, « se laisse “toucher” et “manier” ; elle ne perd rien à être “vue de près” ». Ou encore : « Il y a dans quelques femmes… un mérite “paisible”, mais solide, accompagné de mille vertus qu’elles ne peuvent couvrir [malgré] toute leur modestie, qui “échappent”, et qui se montrent à “ceux qui ont des yeux” »
« Le Livre de phrases de trois mots, “San-tseu-king” »
Il s’agit du « Livre de phrases de trois mots » 1 (« San zi jing » 2), manuel d’enseignement élémentaire (XIIIe siècle apr. J.-C.) que les maîtres ou les parents mettaient entre les mains des débutants, pour qu’il fût appris par cœur, retenu et récité. Le texte, comme le titre l’indique, était disposé par phrases de trois mots ou de trois caractères, de telle sorte qu’il offrait le précieux avantage de constituer une introduction idéale à la lecture du chinois classique, en même temps que le résumé des connaissances qui formaient la base de l’éducation confucéenne. « À l’origine de l’homme, sa nature est radicalement bonne ; la nature rapproche les hommes, mais leur conduite les éloigne ». Tel était le début du « Livre de phrases de trois mots » 3. La suite traitait de l’importance des devoirs, des trois grands pouvoirs, des quatre saisons, des cinq vertus constantes, des six espèces de grains, des sept passions, des huit notes de musique, des neuf degrés de parenté, des dix devoirs relatifs, de l’histoire générale et de la succession des dynasties impériales ; le tout complété par des remarques sur l’importance de l’étude. Pendant sept siècles et jusqu’à la Révolution culturelle, ce fut le livre le plus répandu dans les écoles primaires de l’Asie orientale : « Ce fut en réalité », dit un commentateur 4, « comme un radeau que, dans les commencements de leurs études, les jeunes gens qui cherchaient à s’instruire pouvaient employer pour arriver à atteindre les sources profondes de l’étude de l’Antiquité ». Son influence fut immense, et plusieurs de ses phrases de trois mots sont passées en locutions proverbiales dans l’usage courant : « C’est un livre d’une morale irréprochable », dit Marie-René Roussel, marquis de Courcy 5, « mais d’une parfaite aridité, procédant par sentences brèves, affirmatives, heurtées… La plupart de [ses] notions dépassent de beaucoup l’intelligence de l’enfant. Aussi, répète-t-il d’abord le “San zi jing” uniquement comme il répéterait un syllabaire, sans comprendre les signes qu’il lit, ni les sons qu’il émet. Quand, après deux années d’un labeur assidu, il énonce sans hésitation tous les caractères du classique trimétrique, avec les intonations voulues, et les retrace élégamment à l’aide du pinceau, son maître commence à lui en expliquer la signification ; et dès que son intelligence peut la saisir, il place sous ses yeux d’autres ouvrages, comme “Le Livre des mille mots” où il retrouve les mêmes mots et fait connaissance avec de nouveaux signes ».
- Parfois traduit « Classique trimétrique » ou « Le Livre classique des trois caractères ».
- En chinois « 三字經 ». Autrefois transcrit « San tzu ching », « San-tsi-king », « San-tsze-king », « San-tse-king », « San-ze-king » ou « San-tseu-king ».
- À rapprocher du grand principe de Rousseau « que la nature a fait l’homme heureux et bon, mais que la société le déprave », etc.