Saulcy, «Carnets de voyage en Orient (1845-1869)»

éd. Presses universitaires de France, Paris

éd. Presses uni­ver­si­taires de France, Pa­ris

Il s’agit des «Car­nets de voyage en Orient» de Louis-Fé­li­cien Cai­gnart de Saulcy, dit Fé­lix de Saulcy, sa­vant et voya­geur fran­çais. Il na­quit en 1807. Sa fa­mille vou­lait en faire un sol­dat, un ca­pi­taine, et la for­ma­tion scien­ti­fique, né­gli­gée dans son en­fance, al­lait être rat­tra­pée avec peine. Mais il ai­mait les mon­naies an­tiques et il pre­nait un réel plai­sir au dé­chif­fre­ment des ca­rac­tères énig­ma­tiques, à l’exhumation des langues dis­pa­rues. Peu à peu, la nu­mis­ma­tique, l’archéologie et la lin­guis­tique oc­cu­pèrent tout son es­prit, si bien qu’à l’âge de trente-cinq ans il était élu membre de l’Académie des ins­crip­tions. L’érudit sur­passa le sol­dat, sans l’effacer d’ailleurs, et c’est l’instinct de dé­cou­vrir, de tou­cher à tout — ins­tinct très do­mi­nant chez lui — qui dé­ter­mina son par­cours : «Son es­prit cu­rieux se trou­vait mal à l’aise dans les voies trop frayées : il avait la pas­sion des dé­cou­vertes, l’instinct et — j’oserai dire, pour me ser­vir de la fa­mi­lia­rité ha­bi­tuelle de son lan­gage, la dé­man­geai­son de la di­vi­na­tion», dit un contem­po­rain 1. Il se­rait trop long de ci­ter les ou­vrages de fond ou ar­ticles de syn­thèse qui sor­tirent de la plume de Saulcy au cours de sa longue car­rière sa­vante, et dont le nombre ne s’élève pas à moins de 389. On trouve son nom à une place ho­no­rable ou brillante au mi­lieu des dis­cus­sions sur la nu­mis­ma­tique des croi­sades; sur l’étude des textes pu­niques et phé­ni­ciens; sur l’alphabet des Ber­bères; sur la chro­no­lo­gie as­sy­rienne; sur l’archéologie dans les terres bi­bliques; sur les ins­crip­tions cu­néi­formes, etc. Comme on peut le voir, il avait l’habitude de ne pas s’attacher trop long­temps au même su­jet. En étu­diant une ma­tière in­con­nue, il trou­vait sans ef­fort ni fa­tigue le nœud de la ques­tion et il le tran­chait — et, peut-être par­fois, ha­chait — de l’épée. La vé­rité lui ap­pa­rais­sait du pre­mier coup ou elle ne lui ap­pa­rais­sait ja­mais.

En 1850, Saulcy était dans la force de l’âge, lorsqu’un deuil in­ter­rom­pit le cours de ses nom­breux tra­vaux : il per­dit sa femme. Sous le coup de ce mal­heur, il cher­cha la conso­la­tion de la re­li­gion dans un voyage en Terre sainte. Di­sons ce­pen­dant que la piété, quoique très ferme en lui, ne fut pas la seule chose qui l’orienta de ce côté. Il sou­hai­tait aussi être le pre­mier à éta­blir avec mé­thode la to­po­gra­phie des pays au bord de la mer Morte, rem­plis de sou­ve­nirs bi­bliques, les rendre pal­pables et vi­vants, et les mettre à la por­tée de tout le monde. Il fal­lait alors du cou­rage pour s’y aven­tu­rer, car plu­sieurs de ses pré­dé­ces­seurs avaient fini tra­gi­que­ment. Les pé­ri­pé­ties de ce voyage et de ceux qui sui­virent, ses ré­cits nous les ré­vèlent au jour le jour : «Car­nets de voyage en Orient», «Jé­ru­sa­lem», «Voyage au­tour de la mer Morte et dans les terres bi­bliques» et «Voyage en Terre sainte». Saulcy, à la tête de sa troupe, se re­trou­vait ce qu’il avait été à ses dé­buts : mi­li­taire. Il par­tait dans le brouillard, ar­ri­vait sous la pluie et ren­trait avec l’orage. Il com­man­dait ses hommes et était en me­sure de trai­ter avec les chei­khs, et au be­soin, de s’en pas­ser et de se faire res­pec­ter. Ses dis­po­si­tions étaient si bien prises, qu’il dé­cou­ra­geait les me­naces et s’en ti­rait sans ef­fu­sion de sang. Pour qu’on s’en convainque et qu’on ait une idée de sa fa­çon su­pé­rieure de domp­ter les plus fa­rouches, ci­tons cette phrase da­tée du 12 jan­vier 1850 : «Par­tis de Bé­douins ve­nus pour nous dé­pouiller, ils de­viennent nos amis». Jusqu’à la fin de sa vie, Saulcy s’intéressa à la Pa­les­tine de­ve­nue son pays de pré­di­lec­tion; il en par­lait tou­jours avec une grande émo­tion et avec l’amer re­gret des adieux. Ce qui l’avait sur­tout frappé, c’étaient les ruines de la ville «trois fois sainte»; elles al­laient lui ins­pi­rer «Les Der­niers Jours de Jé­ru­sa­lem». Ja­mais, jusque-là, le siège de cette ville par Ti­tus n’avait été l’objet d’un ré­cit si pré­cis, si net, tracé de la main d’un homme du mé­tier qui dis­po­sait d’observations nou­velles et de faits re­le­vés sur les lieux mêmes.

la nu­mis­ma­tique, l’archéologie et la lin­guis­tique oc­cu­pèrent tout son es­prit

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style des «Car­nets de voyage en Orient» : «Le soir venu, notre cheikh ma­gna­nime ar­rive avec la ca­naille de ne­veu. Je fais du che­va­le­resque et j’offre en bak­chich un fu­sil à deux coups et une paire de pis­to­lets re­fu­sés net, et on m’en de­mande la va­leur en ar­gent. J’offre mille cinq cents piastres, re­fusé; il en faut don­ner deux mille, plus trois “ha­bayas” [robes amples], trois “ka­fiehs” [mou­choirs de tête] et trois paires de bottes. Nous croyons que c’est fini, ah bien oui! Le cheikh, de plus en plus gé­né­reux, de­mande deux cents piastres et une paire de bottes et un équi­page com­plet pour son gueux de frère Kha­lil, ac­cepté. Nous ne sommes pas en­core au bout : voilà [que] mon­sieur Kha­lil re­vient avec le cheikh Ab­dal­lah pour en­tendre la mu­sique, que nous lui re­fu­sons avec une gé­né­ro­sité égale à la sienne; nous le fou­tons po­li­ment à la porte, et s’il plaît à Dieu, nous en voilà dé­bar­ras­sés. Quelles puces aujourd’hui! Gare de­main!» 2

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  1. Henri Wal­lon. Haut
  1. p. 106-107. Haut