Julien le Chaldéen et Julien le Théurge, « La Sagesse des Chaldéens : les “Oracles chaldaïques” »

éd. Les Belles Lettres, coll. Aux sources de la tradition, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Aux sources de la tra­di­tion, Pa­ris

Il s’agit des « Oracles chal­daïques » (« Lo­gia chal­daïka »1), un pot-pourri de toute es­pèce d’ésotérismes de l’Antiquité, un mé­lange de ma­gie oc­culte, de théo­so­phie mé­ta­phy­sique, d’imagination dé­li­rante, de ri­tuels théur­giques, de ré­vé­la­tions cen­sées pro­ve­nir de la bouche des dieux eux-mêmes. Pour­quoi ces « Oracles » s’appellent-ils donc « chal­daïques » ? Les Chal­déens étaient consi­dé­rés comme les plus sages des Ba­by­lo­niens et for­maient, dans la di­vi­sion so­ciale de la Mé­so­po­ta­mie, une classe à peu près com­pa­rable à celle des prêtres. Choi­sis pour exer­cer les fonc­tions du culte pu­blic des dieux, ils pas­saient leur vie ap­pli­qués aux études as­tro­lo­giques. De par ces études et de par les coïn­ci­dences mer­veilleuses qu’ils croyaient re­con­naître entre, d’un côté, le mou­ve­ment si com­pli­qué et pour­tant si ré­gu­lier des astres, de l’autre côté, la des­ti­née hu­maine et les ac­ci­dents de l’Histoire, leur re­li­gion de­vint su­bor­don­née aux pré­sages et à la di­vi­na­tion. La pré­pon­dé­rance de ces pra­tiques frappa tant l’esprit des vi­si­teurs de Ba­by­lone que, dès avant notre ère, le mot « Chal­déen » per­dit son sens eth­nique et vint à si­gni­fier chez les Grecs et les Ro­mains « un mage, un de­vin ». Puis, par une même confu­sion, il de­vint sy­no­nyme de « ma­gi­cien ». De là, le titre tau­to­lo­gique d’« Oracles ma­giques des mages » (« Ma­gika lo­gia tôn ma­gôn »2) que porte une des édi­tions des « Oracles chal­daïques ». On fait re­mon­ter l’origine de ce livre à deux Ju­liens — père et fils — qui vi­vaient au IIe siècle apr. J.-C., en Sy­rie. Le père, sur­nommé « le Chal­déen », était phi­lo­sophe pla­to­ni­cien en plus d’être mage ; quant au fils, sur­nommé « le Théurge », il avait été fait mé­dium dans les cir­cons­tances ex­tra­or­di­naires que voici : « Son père, au mo­ment où il était sur le point de l’engendrer, de­manda au Dieu ras­sem­bleur de l’univers une âme ar­chan­gé­lique pour l’existence de son fils ; et, une fois né, il le mit au contact de tous les dieux et de l’âme de Pla­ton… Par moyen de l’art hié­ra­tique, il l’éleva jusqu’à l’époptie [c’est-à-dire la vi­sion im­mé­diate] de cette âme de Pla­ton pour pou­voir l’interroger sur ce qu’il vou­lait »3. Bref, Pla­ton et les dieux, in­ter­ro­gés par le père, ré­pon­daient par la bouche du fils, qui n’était plus lui-même quand il par­lait. Ils pro­non­çaient leurs pré­dic­tions et leurs avis, qu’ils psal­mo­diaient en vers ; et ayant dit, ils s’en al­laient.

« Notre in­té­rêt pour les “Oracles chal­daïques” tient uni­que­ment au fait qu’ils ont été consi­dé­rés par les néo-pla­to­ni­ciens comme leur Bible. N’eût été cette cir­cons­tance, il est pro­bable qu’ils se­raient aujourd’hui com­plè­te­ment ou­bliés, et en dé­pit de l’importance qu’ils avaient aux yeux des néo-pla­to­ni­ciens, ils ne nous ont pas été trans­mis comme un texte pour lui-même », dit un hel­lé­niste4. En ef­fet, les « Oracles chal­daïques » de­vinrent le livre sa­cré des néo-pla­to­ni­ciens, qui y trou­vèrent une confir­ma­tion re­li­gieuse, une sorte de jus­ti­fi­ca­tif à l’appui de leur spé­cu­la­tion phi­lo­so­phique. Pro­clus com­posa sur les « Oracles » un com­men­taire de plus de mille pages, et il avait même l’habitude de dire : « Si j’étais le maître de tous les livres des An­ciens, je ne lais­se­rais en cir­cu­la­tion que les “Oracles” et le “Ti­mée” [de Pla­ton] »5. Comme le texte ori­gi­nal ne nous est par­venu que grâce aux em­prunts qu’en a fait l’école néo-pla­to­ni­cienne, il faut, pour res­ti­tuer les « Oracles », étu­dier la ma­nière exacte dont chaque phi­lo­sophe de cette école s’en est servi : dans quel contexte il les a ci­tés, quel sens il leur a at­tri­bué. Cette étude n’a pas en­core amené de ré­sul­tats po­si­tifs ou reste à faire : « Ce que nous igno­rons tou­jours au su­jet des “Oracles” est un han­di­cap in­sur­mon­table. Nous igno­rons les ques­tions po­sées ; nous igno­rons l’identité du ou des dieux in­ter­ro­gés ; nous igno­rons si les “Oracles” étaient de courtes ou de longues pièces de vers ; nous igno­rons si la col­lec­tion… avait reçu un ordre qui en tra­dui­sait la si­gni­fi­ca­tion pro­fonde… L’effort… pour re­trou­ver à tra­vers les ci­ta­tions des néo-pla­to­ni­ciens quelque chose du texte et de la si­gni­fi­ca­tion des “Oracles chal­daïques” mé­rite d’être pour­suivi », conclut le même hel­lé­niste.

un pot-pourri de toute es­pèce d’ésotérismes de l’Antiquité, un mé­lange de ma­gie oc­culte, de théo­so­phie mé­ta­phy­sique, d’imagination dé­li­rante

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style des « Oracles chal­daïques » : « Pour quel be­soin en­fin, de l’éther à la course in­ces­sante, m’as-tu ainsi, moi la déesse Hé­cate, évo­quée par ces contraintes qui domptent les dieux ?…

Eh bien ! exé­cute une sta­tue, pu­ri­fiée comme je te l’enseignerai : fa­brique un corps avec de la rue sau­vage, pare-le de pe­tits ani­maux, de ces lé­zards do­mes­tiques, et quand tu au­ras broyé une mix­ture de ces ani­maux avec de la myrrhe, de la gomme, de l’encens, va en plein air, sous la lune crois­sante, t’acquitter du rite, en fai­sant cette prière »6.

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  1. En grec « Λόγια χαλδαϊκά ». Haut
  2. En grec « Μαγικὰ λόγια τῶν μάγων ». Haut
  3. Mi­chel Psel­los, « La Chaîne d’or chez Ho­mère » (« Περὶ τῆς χρυσῆς ἁλύσεως τῆς παρ’ Ὁμήρῳ »). Haut
  1. M. Henri-Do­mi­nique Saf­frey. Haut
  2. Ma­ri­nus, « Pro­clus, ou Sur le bon­heur ». Haut
  3. p. 54-55. Haut