Mot-clefplatonisme

su­jet

Julien le Chaldéen et Julien le Théurge, «La Sagesse des Chaldéens : les “Oracles chaldaïques”»

éd. Les Belles Lettres, coll. Aux sources de la tradition, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Aux sources de la tra­di­tion, Pa­ris

Il s’agit des «Oracles chal­daïques» («Lo­gia chal­daïka» 1), un pot-pourri de toute es­pèce d’ésotérismes de l’Antiquité, un mé­lange de ma­gie oc­culte, de théo­so­phie mé­ta­phy­sique, d’imagination dé­li­rante, de ri­tuels théur­giques, de ré­vé­la­tions cen­sées pro­ve­nir de la bouche des dieux eux-mêmes. Pour­quoi ces «Oracles» s’appellent-ils donc «chal­daïques»? Les Chal­déens étaient consi­dé­rés comme les plus sages des Ba­by­lo­niens et for­maient, dans la di­vi­sion so­ciale de la Mé­so­po­ta­mie, une classe à peu près com­pa­rable à celle des prêtres. Choi­sis pour exer­cer les fonc­tions du culte pu­blic des dieux, ils pas­saient leur vie ap­pli­qués aux études as­tro­lo­giques. De par ces études et de par les coïn­ci­dences mer­veilleuses qu’ils croyaient re­con­naître entre, d’un côté, le mou­ve­ment si com­pli­qué et pour­tant si ré­gu­lier des astres, de l’autre côté, la des­ti­née hu­maine et les ac­ci­dents de l’Histoire, leur re­li­gion de­vint su­bor­don­née aux pré­sages et à la di­vi­na­tion. La pré­pon­dé­rance de ces pra­tiques frappa tant l’esprit des vi­si­teurs de Ba­by­lone que, dès avant notre ère, le mot «Chal­déen» per­dit son sens eth­nique et vint à si­gni­fier chez les Grecs et les Ro­mains «un mage, un de­vin». Puis, par une même confu­sion, il de­vint sy­no­nyme de «ma­gi­cien». De là, le titre tau­to­lo­gique d’«Oracles ma­giques des mages» («Ma­gika lo­gia tôn ma­gôn» 2) que porte une des édi­tions des «Oracles chal­daïques». On fait re­mon­ter l’origine de ce livre à deux Ju­liens — père et fils — qui vi­vaient au IIe siècle apr. J.-C., en Sy­rie. Le père, sur­nommé «le Chal­déen», était phi­lo­sophe pla­to­ni­cien en plus d’être mage; quant au fils, sur­nommé «le Théurge», il avait été fait mé­dium dans les cir­cons­tances ex­tra­or­di­naires que voici : «Son père, au mo­ment où il était sur le point de l’engendrer, de­manda au Dieu ras­sem­bleur de l’univers une âme ar­chan­gé­lique pour l’existence de son fils; et, une fois né, il le mit au contact de tous les dieux et de l’âme de Pla­ton… Par moyen de l’art hié­ra­tique, il l’éleva jusqu’à l’époptie [c’est-à-dire la vi­sion im­mé­diate] de cette âme de Pla­ton pour pou­voir l’interroger sur ce qu’il vou­lait» 3. Bref, Pla­ton et les dieux, in­ter­ro­gés par le père, ré­pon­daient par la bouche du fils, qui n’était plus lui-même quand il par­lait. Ils pro­non­çaient leurs pré­dic­tions et leurs avis, qu’ils psal­mo­diaient en vers; et ayant dit, ils s’en al­laient.

  1. En grec «Λόγια χαλδαϊκά». Haut
  2. En grec «Μαγικὰ λόγια τῶν μάγων». Haut
  1. Mi­chel Psel­los, «La Chaîne d’or chez Ho­mère» («Περὶ τῆς χρυσῆς ἁλύσεως τῆς παρ’ Ὁμήρῳ»). Haut

Macrobe, «Commentaire au “Songe de Scipion”. Tome II»

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit du «Com­men­taire au “Songe de Sci­pion”» («In “Som­nium Sci­pio­nis”») de Ma­crobe 1, éru­dit et com­pi­la­teur la­tin, le der­nier en date des grands re­pré­sen­tants du pa­ga­nisme. Il vé­cut à la fin du IVe siècle et au com­men­ce­ment du Ve siècle apr. J.-C. Ce fut un des hommes les plus dis­tin­gués de l’Empire ro­main, comme l’atteste le double titre de «cla­ris­si­mus» et d’«illus­tris» que lui at­tri­buent un cer­tain nombre de ma­nus­crits. En ef­fet, si «cla­ris­si­mus» n’indique que l’appartenance à l’ordre sé­na­to­rial, «illus­tris», lui, était ré­servé à une poi­gnée de hauts fonc­tion­naires, exer­çant de grandes charges. Tous ces em­plois di­vers n’empêchèrent pas Ma­crobe de s’appliquer aux belles-lettres avec un soin ex­tra­or­di­naire. D’ailleurs, bien qu’à cette époque les beaux-arts et les sciences fussent déjà dans leur dé­ca­dence, ils avaient en­core néan­moins l’avantage d’être culti­vés, plus que ja­mais, par les per­sonnes les plus consi­dé­rables de l’Empire — les consuls, les pré­fets, les pré­teurs, les gou­ver­neurs des pro­vinces et les prin­ci­paux chefs des ar­mées —, qui se fai­saient gloire d’être les seuls re­fuges, les seuls rem­parts de la ci­vi­li­sa­tion face au chris­tia­nisme en­va­his­sant. Tels furent les Fla­via­nus, les Al­bi­nus, les Sym­maque, les Pré­tex­ta­tus, et autres païens convain­cus, dont Ma­crobe fai­sait par­tie, et qu’il met­tait en scène dans son œuvre en qua­lité d’interlocuteurs. L’un d’eux dé­clare : «Pour le passé, nous de­vons tou­jours avoir de la vé­né­ra­tion, si nous avons quelque sa­gesse; car ce sont ces gé­né­ra­tions qui ont fait naître notre Em­pire au prix de leur sang et de leur sueur — Em­pire que seule une pro­fu­sion de ver­tus a pu bâ­tir» 2. Voilà une pro­fes­sion de foi qui peut ser­vir d’exergue à toute l’œuvre de Ma­crobe. Celle-ci est un com­pen­dium de la science et de la sa­gesse du passé, «un miel éla­boré de sucs di­vers» 3. On y trouve ce qu’on veut : des spé­cu­la­tions phi­lo­so­phiques, des no­tions gram­ma­ti­cales, une mine de bons mots et de traits d’esprit, une as­tro­no­mie et une géo­gra­phie abré­gées. Il est vrai qu’on a re­pro­ché à Ma­crobe de n’y avoir mis que fort peu du sien; de s’être contenté de rap­por­ter les mots mêmes em­ployés par les an­ciens au­teurs. «Seul le vê­te­ment lui ap­par­tient», dit un cri­tique 4, «tan­dis que le contenu est la pro­priété d’autrui». C’est pour cela qu’Érasme l’appelle «la cor­neille d’Ésope, qui pas­tiche en se pa­rant des plumes des autres oi­seaux» («Æso­pi­cam cor­ni­cu­lam, ex alio­rum pan­nis suos contexuit cen­tones»); et que Marc An­toine Mu­ret lui ap­plique spi­ri­tuel­le­ment ce vers de Té­rence, dans un sens tout dif­fé­rent de ce­lui qu’on a l’habitude de lui don­ner : «Je suis homme : en cette qua­lité, je crois avoir droit sur les biens de tous les autres hommes».

  1. En la­tin Fla­vius Ma­cro­bius Am­bro­sius Theo­do­sius. Haut
  2. «Sa­tur­nales», liv. III, ch. XIV, sect. 2. Haut
  1. «Sa­tur­nales», liv. I, préf., sect. 5. Haut
  2. Mar­tin Schanz. Haut

Macrobe, «Commentaire au “Songe de Scipion”. Tome I»

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit du «Com­men­taire au “Songe de Sci­pion”» («In “Som­nium Sci­pio­nis”») de Ma­crobe 1, éru­dit et com­pi­la­teur la­tin, le der­nier en date des grands re­pré­sen­tants du pa­ga­nisme. Il vé­cut à la fin du IVe siècle et au com­men­ce­ment du Ve siècle apr. J.-C. Ce fut un des hommes les plus dis­tin­gués de l’Empire ro­main, comme l’atteste le double titre de «cla­ris­si­mus» et d’«illus­tris» que lui at­tri­buent un cer­tain nombre de ma­nus­crits. En ef­fet, si «cla­ris­si­mus» n’indique que l’appartenance à l’ordre sé­na­to­rial, «illus­tris», lui, était ré­servé à une poi­gnée de hauts fonc­tion­naires, exer­çant de grandes charges. Tous ces em­plois di­vers n’empêchèrent pas Ma­crobe de s’appliquer aux belles-lettres avec un soin ex­tra­or­di­naire. D’ailleurs, bien qu’à cette époque les beaux-arts et les sciences fussent déjà dans leur dé­ca­dence, ils avaient en­core néan­moins l’avantage d’être culti­vés, plus que ja­mais, par les per­sonnes les plus consi­dé­rables de l’Empire — les consuls, les pré­fets, les pré­teurs, les gou­ver­neurs des pro­vinces et les prin­ci­paux chefs des ar­mées —, qui se fai­saient gloire d’être les seuls re­fuges, les seuls rem­parts de la ci­vi­li­sa­tion face au chris­tia­nisme en­va­his­sant. Tels furent les Fla­via­nus, les Al­bi­nus, les Sym­maque, les Pré­tex­ta­tus, et autres païens convain­cus, dont Ma­crobe fai­sait par­tie, et qu’il met­tait en scène dans son œuvre en qua­lité d’interlocuteurs. L’un d’eux dé­clare : «Pour le passé, nous de­vons tou­jours avoir de la vé­né­ra­tion, si nous avons quelque sa­gesse; car ce sont ces gé­né­ra­tions qui ont fait naître notre Em­pire au prix de leur sang et de leur sueur — Em­pire que seule une pro­fu­sion de ver­tus a pu bâ­tir» 2. Voilà une pro­fes­sion de foi qui peut ser­vir d’exergue à toute l’œuvre de Ma­crobe. Celle-ci est un com­pen­dium de la science et de la sa­gesse du passé, «un miel éla­boré de sucs di­vers» 3. On y trouve ce qu’on veut : des spé­cu­la­tions phi­lo­so­phiques, des no­tions gram­ma­ti­cales, une mine de bons mots et de traits d’esprit, une as­tro­no­mie et une géo­gra­phie abré­gées. Il est vrai qu’on a re­pro­ché à Ma­crobe de n’y avoir mis que fort peu du sien; de s’être contenté de rap­por­ter les mots mêmes em­ployés par les an­ciens au­teurs. «Seul le vê­te­ment lui ap­par­tient», dit un cri­tique 4, «tan­dis que le contenu est la pro­priété d’autrui». C’est pour cela qu’Érasme l’appelle «la cor­neille d’Ésope, qui pas­tiche en se pa­rant des plumes des autres oi­seaux» («Æso­pi­cam cor­ni­cu­lam, ex alio­rum pan­nis suos contexuit cen­tones»); et que Marc An­toine Mu­ret lui ap­plique spi­ri­tuel­le­ment ce vers de Té­rence, dans un sens tout dif­fé­rent de ce­lui qu’on a l’habitude de lui don­ner : «Je suis homme : en cette qua­lité, je crois avoir droit sur les biens de tous les autres hommes».

  1. En la­tin Fla­vius Ma­cro­bius Am­bro­sius Theo­do­sius. Haut
  2. «Sa­tur­nales», liv. III, ch. XIV, sect. 2. Haut
  1. «Sa­tur­nales», liv. I, préf., sect. 5. Haut
  2. Mar­tin Schanz. Haut

Macrobe, «Les Saturnales»

éd. Les Belles Lettres, coll. La Roue à livres, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. La Roue à livres, Pa­ris

Il s’agit des «Sa­tur­nales» («Sa­tur­na­lia») de Ma­crobe 1, éru­dit et com­pi­la­teur la­tin, le der­nier en date des grands re­pré­sen­tants du pa­ga­nisme. Il vé­cut à la fin du IVe siècle et au com­men­ce­ment du Ve siècle apr. J.-C. Ce fut un des hommes les plus dis­tin­gués de l’Empire ro­main, comme l’atteste le double titre de «cla­ris­si­mus» et d’«illus­tris» que lui at­tri­buent un cer­tain nombre de ma­nus­crits. En ef­fet, si «cla­ris­si­mus» n’indique que l’appartenance à l’ordre sé­na­to­rial, «illus­tris», lui, était ré­servé à une poi­gnée de hauts fonc­tion­naires, exer­çant de grandes charges. Ces dif­fé­rents em­plois n’empêchèrent pas Ma­crobe de s’appliquer aux belles-lettres avec un soin ex­tra­or­di­naire. D’ailleurs, bien qu’à cette époque les sciences et les arts fussent déjà dans leur dé­ca­dence, ils avaient en­core néan­moins l’avantage d’être culti­vés, plus que ja­mais, par les per­sonnes les plus consi­dé­rables de l’Empire — les consuls, les pré­fets, les pré­teurs, les gou­ver­neurs des pro­vinces et les prin­ci­paux chefs des ar­mées —, qui se fai­saient gloire d’être les seuls re­fuges, les seuls rem­parts de la ci­vi­li­sa­tion face au chris­tia­nisme en­va­his­sant. Tels furent les Fla­via­nus, les Al­bi­nus, les Sym­maque, les Pré­tex­ta­tus et autres païens convain­cus, dont Ma­crobe fai­sait par­tie, et qu’il met­tait en scène dans son œuvre en qua­lité d’interlocuteurs. L’un d’eux dé­clare : «Pour le passé, nous de­vons tou­jours avoir de la vé­né­ra­tion, si nous avons quelque sa­gesse; car ce sont ces gé­né­ra­tions qui ont fait naître notre Em­pire au prix de leur sang et de leur sueur — Em­pire que seule une pro­fu­sion de ver­tus a pu bâ­tir» 2. Voilà une pro­fes­sion de foi qui peut ser­vir d’exergue à toute l’œuvre de Ma­crobe. Celle-ci est un com­pen­dium de la science et de la sa­gesse du passé, «un miel éla­boré de sucs di­vers» 3. On y trouve ce qu’on veut : des spé­cu­la­tions phi­lo­so­phiques, des no­tions gram­ma­ti­cales, une mine de bons mots et de traits d’esprit, une as­tro­no­mie et une géo­gra­phie abré­gées. Il est vrai qu’on a re­pro­ché à Ma­crobe de n’y avoir mis que fort peu du sien; de s’être contenté de rap­por­ter les mots mêmes em­ployés par les an­ciens au­teurs. «Seul le vê­te­ment lui ap­par­tient», dit un cri­tique 4, «tan­dis que le contenu est la pro­priété d’autrui». C’est pour cela qu’Érasme l’appelle «la cor­neille d’Ésope, qui pas­tiche en se pa­rant des plumes des autres oi­seaux» («Æso­pi­cam cor­ni­cu­lam, ex alio­rum pan­nis suos contexuit cen­tones»); et que Marc An­toine Mu­ret lui ap­plique spi­ri­tuel­le­ment ce vers de Té­rence, dans un sens tout dif­fé­rent de ce­lui qu’on a l’habitude de lui don­ner : «Je suis homme : en cette qua­lité, je crois avoir droit sur les biens de tous les autres hommes».

  1. En la­tin Fla­vius Ma­cro­bius Am­bro­sius Theo­do­sius. Haut
  2. «Sa­tur­nales», liv. III, ch. XIV, sect. 2. Haut
  1. «Sa­tur­nales», liv. I, préf., sect. 5. Haut
  2. Mar­tin Schanz. Haut

Schiller, «Esthétique»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Lettres sur l’éducation es­thé­tique de l’homme» («Briefe über die äs­the­tische Er­zie­hung des Men­schen») et autres trai­tés phi­lo­so­phiques de Schil­ler. L’espace com­pris entre les an­nées 1792 et 1795 marque un ré­pit dans les pro­duc­tions théâ­trales de Schil­ler. Don­nant quelque at­ten­tion aux ten­dances de son temps, le dra­ma­turge se livre à de grandes ré­flexions sur l’écart qu’il ob­serve entre la forme mo­derne de l’humanité et la forme an­cienne — la grecque par­ti­cu­liè­re­ment. Se­lon Schil­ler, à l’époque de l’heureux éveil grec, l’homme, à la fois phi­lo­sophe et ar­tiste, à la fois dé­li­cat et éner­gique, ne ren­fer­mait pas son ac­ti­vité dans les li­mites de ses fonc­tions; il pos­sé­dait en soi l’essence to­tale de l’humanité; et fa­vo­rable in­dif­fé­rem­ment à toutes les ma­ni­fes­ta­tions hu­maines, il n’en pro­té­geait au­cune ex­clu­si­ve­ment. «Comme il en est au­tre­ment chez nous autres, mo­dernes!», dit Schil­ler 1. Chez nous, l’image de l’espèce est dis­tri­buée, dis­per­sée dans les in­di­vi­dus à l’état de frag­ments, de telle sorte que les forces spi­ri­tuelles de l’humanité se montrent sé­pa­rées, et qu’il faut ad­di­tion­ner la sé­rie des in­di­vi­dus pour re­cons­ti­tuer la to­ta­lité de l’espèce. «Chez nous… nous voyons non seule­ment des in­di­vi­dus iso­lés, mais des classes en­tières d’hommes ne dé­ve­lop­per qu’une par­tie de leurs fa­cul­tés», dit Schil­ler 2. C’est la ci­vi­li­sa­tion elle-même qui a fait cette bles­sure au monde mo­derne. Aus­si­tôt que, d’une part, une ex­pé­rience plus éten­due eut amené une di­vi­sion plus exacte des sciences, et que, de l’autre, la ma­chine com­pli­quée des États eut rendu né­ces­saire une sé­pa­ra­tion plus ri­gou­reuse des classes et des tâches so­ciales, le lien in­time de la na­ture hu­maine fut rompu. Une per­ni­cieuse lutte suc­céda à l’harmonie qui ré­gnait entre les di­verses sphères hu­maines. «La rai­son in­tui­tive et la rai­son spé­cu­la­tive se ren­fer­mèrent hos­ti­le­ment dans leurs do­maines sé­pa­rés, dont elles com­men­cèrent à gar­der les fron­tières avec mé­fiance et ja­lou­sie», dit Schil­ler 3. Éter­nel­le­ment en­chaîné à un seul pe­tit frag­ment du tout, l’homme mo­derne ne se forme que comme frag­ment; n’ayant sans cesse dans l’oreille que le bruit mo­no­tone de la roue qu’il fait tour­ner, il ne dé­ve­loppe ja­mais l’harmonie de sa na­ture; et au lieu d’imprimer à son être le ca­chet de l’humanité, il fi­nit par n’être plus que l’empreinte de l’occupation à la­quelle il se consacre, de la science qu’il cultive. Et Schil­ler de conclure : «Quel que soit le pro­fit ré­sul­tant… de ce per­fec­tion­ne­ment dis­tinct et spé­cial des fa­cul­tés hu­maines, on ne peut nier que ce… soit une cause de souf­france et comme une ma­lé­dic­tion pour les in­di­vi­dus. Les exer­cices du gym­nase forment, il est vrai, des corps ath­lé­tiques, mais ce n’est que par le jeu libre et égal des membres que se dé­ve­loppe la beauté. De même, la ten­sion des forces spi­ri­tuelles iso­lées peut créer des hommes ex­tra­or­di­naires; mais ce n’est que l’équilibre… de ces forces qui peut pro­duire des hommes heu­reux et ac­com­plis»

  1. p. 202. Haut
  2. id. Haut
  1. p. 203. Haut

Aristote, «Grande Morale»

dans « Revue de l’Institut catholique de Paris », nº 23, p. 3-90

dans «Re­vue de l’Institut ca­tho­lique de Pa­ris», nº 23, p. 3-90

Il s’agit de la «Grande Mo­rale» («Êthika me­gala» 1) d’Aristote. Il se trouve dans le cor­pus aris­to­té­li­cien, tel qu’il nous est par­venu, trois trai­tés d’éthique ou de mo­rale, in­ti­tu­lés res­pec­ti­ve­ment l’«Éthique à Ni­co­maque», l’«Éthique à Eu­dème» et la «Grande Mo­rale». Ces trai­tés ex­posent les mêmes ma­tières, avec des dé­ve­lop­pe­ments ana­logues, dans le même ordre; ce sont trois ré­dac­tions d’une seule pen­sée. Qu’est-ce donc que ces trois ré­dac­tions? Quels rap­ports exacts ont-elles entre elles? Sont-elles des le­çons re­cueillies par des dis­ciples? Est-ce Aris­tote lui-même qui s’est re­pris jusqu’à trois fois pour ex­po­ser son sys­tème? Ce sont là des ques­tions dé­li­cates et très mal­ai­sées à ré­soudre. Les conjec­tures qu’ont sus­ci­tées les titres mêmes de ces trai­tés montrent, peut-être mieux que tout, l’incertitude où nous sommes sur leur sta­tut. L’«Éthique à Eu­dème» par exemple, est-elle une «Éthique pour Eu­dème», c’est-à-dire un traité qu’Aristote au­rait dé­dié à un de ses dis­ciples, nommé Eu­dème? Est-elle, au contraire, une «Éthique d’Eudème», c’est-à-dire un traité dont ce dis­ciple au­rait été l’éditeur, voire l’auteur? Rien de sûr. Pour l’«Éthique à Ni­co­maque», le plus soi­gné des trois trai­tés, le plus connu et le seul que saint Tho­mas d’Aquin ait com­menté, l’incertitude est presque iden­tique, à ceci près que Ni­co­maque se­rait, d’après Ci­cé­ron, le fils d’Aristote. Quant à la «Grande Mo­rale», qui ne mé­rite ce nom ni par sa lon­gueur ni par la dif­fi­culté de ses idées, elle sem­ble­rait, d’après Por­phyre et Da­vid l’Arménien, avoir été ap­pe­lée au­tre­fois la «Pe­tite Mo­rale à Ni­co­maque»; ce nom lui convient mieux. Mais lais­sons de côté ces ques­tions. Il n’est pas un seul traité d’Aristote qui ne soit en désordre : soit par la faute de l’auteur qui, sur­pris par la mort, n’y au­rait pas mis la der­nière main, soit par la faute de quelque co­piste peu avisé qui au­rait tout bou­le­versé. «C’est fort re­gret­table», ex­plique un tra­duc­teur 2, «mais si l’on de­vait condam­ner tout ou­vrage d’Aristote par cela seul qu’il est ir­ré­gu­lier, il faut re­con­naître qu’il ne nous en res­te­rait plus un seul : de­puis la “Mé­ta­phy­sique” jusqu’à la “Poé­tique”!»

  1. En grec «Ἠθικὰ μεγάλα». Haut
  1. Jules Bar­thé­lémy Saint-Hi­laire. Haut

Aristote, «Éthique à Eudème»

éd. J. Vrin-Presses de l’Université de Montréal, coll. Bibliothèque des textes philosophiques, Paris-Montréal

éd. J. Vrin-Presses de l’Université de Mont­réal, coll. Bi­blio­thèque des textes phi­lo­so­phiques, Pa­ris-Mont­réal

Il s’agit de l’«Éthique à Eu­dème» («Êthika Eu­dê­mia» 1) d’Aristote. Il se trouve dans le cor­pus aris­to­té­li­cien, tel qu’il nous est par­venu, trois trai­tés d’éthique ou de mo­rale, in­ti­tu­lés res­pec­ti­ve­ment l’«Éthique à Ni­co­maque», l’«Éthique à Eu­dème» et la «Grande Mo­rale». Ces trai­tés ex­posent les mêmes ma­tières, avec des dé­ve­lop­pe­ments ana­logues, dans le même ordre; ce sont trois ré­dac­tions d’une seule pen­sée. Qu’est-ce donc que ces trois ré­dac­tions? Quels rap­ports exacts ont-elles entre elles? Sont-elles des le­çons re­cueillies par des dis­ciples? Est-ce Aris­tote lui-même qui s’est re­pris jusqu’à trois fois pour ex­po­ser son sys­tème? Ce sont là des ques­tions dé­li­cates et très mal­ai­sées à ré­soudre. Les conjec­tures qu’ont sus­ci­tées les titres mêmes de ces trai­tés montrent, peut-être mieux que tout, l’incertitude où nous sommes sur leur sta­tut. L’«Éthique à Eu­dème» par exemple, est-elle une «Éthique pour Eu­dème», c’est-à-dire un traité qu’Aristote au­rait dé­dié à un de ses dis­ciples, nommé Eu­dème? Est-elle, au contraire, une «Éthique d’Eudème», c’est-à-dire un traité dont ce dis­ciple au­rait été l’éditeur, voire l’auteur? Rien de sûr. Pour l’«Éthique à Ni­co­maque», le plus soi­gné des trois trai­tés, le plus connu et le seul que saint Tho­mas d’Aquin ait com­menté, l’incertitude est presque iden­tique, à ceci près que Ni­co­maque se­rait, d’après Ci­cé­ron, le fils d’Aristote. Quant à la «Grande Mo­rale», qui ne mé­rite ce nom ni par sa lon­gueur ni par la dif­fi­culté de ses idées, elle sem­ble­rait, d’après Por­phyre et Da­vid l’Arménien, avoir été ap­pe­lée au­tre­fois la «Pe­tite Mo­rale à Ni­co­maque»; ce nom lui convient mieux. Mais lais­sons de côté ces ques­tions. Il n’est pas un seul traité d’Aristote qui ne soit en désordre : soit par la faute de l’auteur qui, sur­pris par la mort, n’y au­rait pas mis la der­nière main, soit par la faute de quelque co­piste peu avisé qui au­rait tout bou­le­versé. «C’est fort re­gret­table», ex­plique un tra­duc­teur 2, «mais si l’on de­vait condam­ner tout ou­vrage d’Aristote par cela seul qu’il est ir­ré­gu­lier, il faut re­con­naître qu’il ne nous en res­te­rait plus un seul : de­puis la “Mé­ta­phy­sique” jusqu’à la “Poé­tique”!»

  1. En grec «Ἠθικὰ Εὐδήμια». Haut
  1. Jules Bar­thé­lémy Saint-Hi­laire. Haut

Aristote, «Éthique de Nicomaque»

éd. Garnier frères, coll. Classiques Garnier, Paris

éd. Gar­nier frères, coll. Clas­siques Gar­nier, Pa­ris

Il s’agit de l’«Éthique à Ni­co­maque» («Êthika Ni­ko­ma­cheia» 1) d’Aristote. Il se trouve dans le cor­pus aris­to­té­li­cien, tel qu’il nous est par­venu, trois trai­tés d’éthique ou de mo­rale, in­ti­tu­lés res­pec­ti­ve­ment l’«Éthique à Ni­co­maque», l’«Éthique à Eu­dème» et la «Grande Mo­rale». Ces trai­tés ex­posent les mêmes ma­tières, avec des dé­ve­lop­pe­ments ana­logues, dans le même ordre; ce sont trois ré­dac­tions d’une seule pen­sée. Qu’est-ce donc que ces trois ré­dac­tions? Quels rap­ports exacts ont-elles entre elles? Sont-elles des le­çons re­cueillies par des dis­ciples? Est-ce Aris­tote lui-même qui s’est re­pris jusqu’à trois fois pour ex­po­ser son sys­tème? Ce sont là des ques­tions dé­li­cates et très mal­ai­sées à ré­soudre. Les conjec­tures qu’ont sus­ci­tées les titres mêmes de ces trai­tés montrent, peut-être mieux que tout, l’incertitude où nous sommes sur leur sta­tut. L’«Éthique à Eu­dème» par exemple, est-elle une «Éthique pour Eu­dème», c’est-à-dire un traité qu’Aristote au­rait dé­dié à un de ses dis­ciples, nommé Eu­dème? Est-elle, au contraire, une «Éthique d’Eudème», c’est-à-dire un traité dont ce dis­ciple au­rait été l’éditeur, voire l’auteur? Rien de sûr. Pour l’«Éthique à Ni­co­maque», le plus soi­gné des trois trai­tés, le plus connu et le seul que saint Tho­mas d’Aquin ait com­menté, l’incertitude est presque iden­tique, à ceci près que Ni­co­maque se­rait, d’après Ci­cé­ron, le fils d’Aristote. Quant à la «Grande Mo­rale», qui ne mé­rite ce nom ni par sa lon­gueur ni par la dif­fi­culté de ses idées, elle sem­ble­rait, d’après Por­phyre et Da­vid l’Arménien, avoir été ap­pe­lée au­tre­fois la «Pe­tite Mo­rale à Ni­co­maque»; ce nom lui convient mieux. Mais lais­sons de côté ces ques­tions. Il n’est pas un seul traité d’Aristote qui ne soit en désordre : soit par la faute de l’auteur qui, sur­pris par la mort, n’y au­rait pas mis la der­nière main, soit par la faute de quelque co­piste peu avisé qui au­rait tout bou­le­versé. «C’est fort re­gret­table», ex­plique un tra­duc­teur 2, «mais si l’on de­vait condam­ner tout ou­vrage d’Aristote par cela seul qu’il est ir­ré­gu­lier, il faut re­con­naître qu’il ne nous en res­te­rait plus un seul : de­puis la “Mé­ta­phy­sique” jusqu’à la “Poé­tique”!»

  1. En grec «Ἠθικὰ Νικομάχεια». Haut
  1. Jules Bar­thé­lémy Saint-Hi­laire. Haut

Diogène Laërce, «Vies et Doctrines des philosophes illustres»

éd. Librairie générale française, coll. La Pochothèque-Classiques modernes, Paris

éd. Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. La Po­cho­thèque-Clas­siques mo­dernes, Pa­ris

Il s’agit d’un ex­posé de Dio­gène Laërce 1 (IIIe siècle apr. J.-C.) sur les «Vies, doc­trines et apoph­tegmes» 2 de quatre-vingt-quatre phi­lo­sophes grecs. À vrai dire, Dio­gène Laërce n’a qu’une connais­sance in­di­recte de la phi­lo­so­phie, qu’il trouve dans des an­tho­lo­gies tar­dives et qu’il ra­masse sans exa­men et avec cette in­dif­fé­rence pour la vé­rité qui est un des ca­rac­tères de la mé­dio­crité d’esprit. Il ne se pose comme but qu’une his­toire po­pu­laire des phi­lo­sophes, où leurs saillies, leurs ac­tions in­gé­nieuses, leurs pointes d’esprit, leur mort ac­ci­den­telle en man­geant un poulpe cru (Dio­gène de Si­nope) ou en tré­bu­chant de nuit sur une cu­vette (Xé­no­crate) l’emportent presque sur leurs doc­trines. Non seule­ment les grandes étapes de la pen­sée grecque lui échappent, mais il ignore les in­fluences su­bies d’une école à l’autre. «On le sent», dit un tra­duc­teur 3, «très sou­vent perdu, ne com­pre­nant les idées qu’à demi, émer­veillé par ce qu’il com­prend, l’expliquant alors pas à pas, avec des re­dites, sans faire grâce au lec­teur du moindre dé­tail». Et ce­pen­dant, l’utilité d’un ou­vrage ne se me­sure pas tou­jours à sa ré­gu­la­rité et sa gran­deur. Cette com­pi­la­tion in­forme ren­ferme des ma­té­riaux d’un prix in­es­ti­mable qu’on cher­che­rait vai­ne­ment ailleurs; elle re­trace la pré­sence concrète et vi­vante des phi­lo­sophes «à la Cour des princes, au mar­ché, à une table d’auberge, aux bains, à la pa­lestre, à l’école… là où les idées et la vie se re­joignent dans une forme de sa­gesse au quo­ti­dien», comme ex­plique Mme Ma­rie-Odile Gou­let-Cazé 4. Avec quelle net­teté Dio­gène Laërce des­sine par exemple la fi­gure d’Aris­tote! Quel por­trait pit­to­resque et fa­mi­lier il en donne par une heu­reuse ac­cu­mu­la­tion de maximes! Je ne sais la­quelle est la plus riche de sens et la plus mé­mo­rable, du «Rien ne vieillit plus vite que la gra­ti­tude» 5 ou de cette ré­ponse du phi­lo­sophe à quelqu’un qui lui re­pro­chait d’avoir fait l’aumône à un fai­néant : «Ce n’est pas à l’homme que j’ai donné, mais à son hu­ma­nité»

  1. En grec Διογένης Λαέρτιος. Par­fois trans­crit Dio­gène Laërte, Dio­gène Laer­tien, Dio­genes Laër­tius ou Dio­gènes de Laërtes. Haut
  2. Le titre au­then­tique de cet ex­posé est in­connu : So­pa­tros d’Apamée le cite comme «Vies des phi­lo­sophes» («Φιλοσόφων Βίοι»), tan­dis que, dans le ma­nus­crit de Pa­ris, il porte l’intitulé «Vies et Sen­tences de ceux qui se sont illus­trés en phi­lo­so­phie, et (Re­cueil) des doc­trines pré­va­lant dans chaque école» («Βίοι καὶ Γνῶμαι τῶν ἐν φιλοσοφία εὐδοκιμησάντων, καὶ τῶν ἑκάστῃ αἱρέσει ἀρεσκόντων (Συναγωγή)»). Haut
  3. M. Ro­bert Ge­naille. Haut
  1. p. 10-11 & 25. Haut
  2. p. 572. Haut