Mot-clefphilosophes grecs

su­jet

Eunape, « Vies de philosophes et de sophistes. Tome II »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit des « Vies de phi­lo­sophes et de so­phistes » (« Bioi phi­lo­so­phôn kai so­phis­tôn »1) d’Eunape de Sardes2, bio­graphe grec. Il na­quit en 349 apr. J.-C. C’était un Orien­tal, un Grec d’Asie, et bien qu’il vé­cût dans l’Empire ro­main d’Orient, il ne se consi­dé­rait ni comme su­jet de l’Empire ni en­core moins comme chré­tien ; car il fut élevé dans la re­li­gion païenne et dans le po­ly­théisme tra­di­tion­nel des Hel­lènes. Tous les pen­seurs qui fe­ront plus tard l’objet de ses « Vies » se­ront des païens de l’Orient, fi­dèles comme lui à une re­li­gion et à une tra­di­tion ex­pi­rantes. Eu­nape eut pour pre­mier maître le phi­lo­sophe Chry­santhe, son com­pa­triote et son pa­rent par al­liance3. Il ap­prit au­près de lui aussi bien les œuvres des poètes que celles des phi­lo­sophes ou des ora­teurs. À quinze ans, il fit le voyage obligé de tout in­tel­lec­tuel d’alors à Athènes. Ar­rivé ma­lade et fié­vreux, il re­çut une hos­pi­ta­lité très gé­né­reuse dans la mai­son de Pro­hé­ré­sius, so­phiste d’origine ar­mé­nienne, qui le soi­gna comme son propre fils. Eu­nape lui voua en re­tour une af­fec­tion et une ad­mi­ra­tion qu’il consi­gnera plus tard dans ses « Vies ». Après un sé­jour de cinq ans à Athènes, il fut rap­pelé à Sardes par un ordre fa­mi­lial : « une école de so­phis­tique m’était of­ferte », dit-il4, « tous m’appelaient dans cette in­ten­tion ». Ren­tré dans sa ville na­tale, il y re­trouva son pre­mier maître, Chry­santhe ; et bien qu’il eût à en­sei­gner les ma­tières so­phis­tiques à ses propres élèves du­rant la ma­ti­née, il cou­rait dès le dé­but de l’après-midi chez Chry­santhe, pour dis­cu­ter à ses cô­tés des doc­trines plus hautes et plus di­vines de la phi­lo­so­phie, lors de pro­me­nades très longues, mais très pro­fi­tables : « On ou­bliait qu’on avait mal aux pieds, tant on était en­sor­celé par ses ex­po­sés », dit-il5. C’est pro­ba­ble­ment au cours d’une de ces pro­me­nades que Chry­santhe ins­ti­gua Eu­nape à com­po­ser une œuvre en l’honneur des phi­lo­sophes, des mé­de­cins et des so­phistes cé­lèbres dont il était le contem­po­rain ou qui avaient vécu peu avant lui. C’est de cette œuvre que je veux rendre compte ici. Elle nous est par­ve­nue en en­tier. Grosse de vingt-deux no­tices bio­gra­phiques, elle parle non des doc­trines de ces di­vers per­son­nages, mais des dé­tails de leur vie — dé­tails qui ne prennent un vé­ri­table in­té­rêt que par les in­dices qu’ils four­nissent, quel­que­fois très vagues, d’autres fois plus pré­cis, sur le ca­rac­tère des temps et des hommes aux­quels ils se rap­portent : « Dans ces bio­gra­phies il faut dis­tin­guer deux par­ties : l’une, où l’auteur traite de temps et d’hommes qu’il ne connaît que par tra­di­tion ; l’autre, où il parle de temps où il a vécu et d’hommes qu’il a vus et connus lui-même. Il glisse sur les pre­miers et ne s’arrête que sur les se­conds. Il y a peu de choses sur Plo­tin ; il y en a un peu plus sur Por­phyre ; un peu plus en­core sur Jam­blique ; mais en­suite, les bio­gra­phies de­viennent plus éten­dues », ex­plique Vic­tor Cou­sin.

  1. En grec « Βίοι φιλοσόφων καὶ σοφιστῶν ». Haut
  2. En grec Εὐνάπιος Σαρδιανός. Au­tre­fois trans­crit Eu­na­pius de Sardes. Haut
  3. « Chry­santhe avait une épouse du nom de Mé­litè qu’il ad­mi­rait plus que tout ; elle était ma cou­sine », dit Eu­nape (VII, 48). Haut
  1. X, 87. Haut
  2. XXIII, 32. Haut

Eunape, « Vies de philosophes et de sophistes. Tome I »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit des « Vies de phi­lo­sophes et de so­phistes » (« Bioi phi­lo­so­phôn kai so­phis­tôn »1) d’Eunape de Sardes2, bio­graphe grec. Il na­quit en 349 apr. J.-C. C’était un Orien­tal, un Grec d’Asie, et bien qu’il vé­cût dans l’Empire ro­main d’Orient, il ne se consi­dé­rait ni comme su­jet de l’Empire ni en­core moins comme chré­tien ; car il fut élevé dans la re­li­gion païenne et dans le po­ly­théisme tra­di­tion­nel des Hel­lènes. Tous les pen­seurs qui fe­ront plus tard l’objet de ses « Vies » se­ront des païens de l’Orient, fi­dèles comme lui à une re­li­gion et à une tra­di­tion ex­pi­rantes. Eu­nape eut pour pre­mier maître le phi­lo­sophe Chry­santhe, son com­pa­triote et son pa­rent par al­liance3. Il ap­prit au­près de lui aussi bien les œuvres des poètes que celles des phi­lo­sophes ou des ora­teurs. À quinze ans, il fit le voyage obligé de tout in­tel­lec­tuel d’alors à Athènes. Ar­rivé ma­lade et fié­vreux, il re­çut une hos­pi­ta­lité très gé­né­reuse dans la mai­son de Pro­hé­ré­sius, so­phiste d’origine ar­mé­nienne, qui le soi­gna comme son propre fils. Eu­nape lui voua en re­tour une af­fec­tion et une ad­mi­ra­tion qu’il consi­gnera plus tard dans ses « Vies ». Après un sé­jour de cinq ans à Athènes, il fut rap­pelé à Sardes par un ordre fa­mi­lial : « une école de so­phis­tique m’était of­ferte », dit-il4, « tous m’appelaient dans cette in­ten­tion ». Ren­tré dans sa ville na­tale, il y re­trouva son pre­mier maître, Chry­santhe ; et bien qu’il eût à en­sei­gner les ma­tières so­phis­tiques à ses propres élèves du­rant la ma­ti­née, il cou­rait dès le dé­but de l’après-midi chez Chry­santhe, pour dis­cu­ter à ses cô­tés des doc­trines plus hautes et plus di­vines de la phi­lo­so­phie, lors de pro­me­nades très longues, mais très pro­fi­tables : « On ou­bliait qu’on avait mal aux pieds, tant on était en­sor­celé par ses ex­po­sés », dit-il5. C’est pro­ba­ble­ment au cours d’une de ces pro­me­nades que Chry­santhe ins­ti­gua Eu­nape à com­po­ser une œuvre en l’honneur des phi­lo­sophes, des mé­de­cins et des so­phistes cé­lèbres dont il était le contem­po­rain ou qui avaient vécu peu avant lui. C’est de cette œuvre que je veux rendre compte ici. Elle nous est par­ve­nue en en­tier. Grosse de vingt-deux no­tices bio­gra­phiques, elle parle non des doc­trines de ces di­vers per­son­nages, mais des dé­tails de leur vie — dé­tails qui ne prennent un vé­ri­table in­té­rêt que par les in­dices qu’ils four­nissent, quel­que­fois très vagues, d’autres fois plus pré­cis, sur le ca­rac­tère des temps et des hommes aux­quels ils se rap­portent : « Dans ces bio­gra­phies il faut dis­tin­guer deux par­ties : l’une, où l’auteur traite de temps et d’hommes qu’il ne connaît que par tra­di­tion ; l’autre, où il parle de temps où il a vécu et d’hommes qu’il a vus et connus lui-même. Il glisse sur les pre­miers et ne s’arrête que sur les se­conds. Il y a peu de choses sur Plo­tin ; il y en a un peu plus sur Por­phyre ; un peu plus en­core sur Jam­blique ; mais en­suite, les bio­gra­phies de­viennent plus éten­dues », ex­plique Vic­tor Cou­sin.

  1. En grec « Βίοι φιλοσόφων καὶ σοφιστῶν ». Haut
  2. En grec Εὐνάπιος Σαρδιανός. Au­tre­fois trans­crit Eu­na­pius de Sardes. Haut
  3. « Chry­santhe avait une épouse du nom de Mé­litè qu’il ad­mi­rait plus que tout ; elle était ma cou­sine », dit Eu­nape (VII, 48). Haut
  1. X, 87. Haut
  2. XXIII, 32. Haut

Porphyre, « Vie de Pythagore »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit de Py­tha­gore1, le pre­mier et peut-être le plus fas­ci­nant des sa­vants grecs (VIe siècle av. J.-C.). Sa vie nous est connue par les bio­gra­phies pu­bliées par Por­phyre2, Jam­blique3 et Dio­gène Laërce. Com­pi­la­teurs mal­adroits et dé­nués de cri­tique, Por­phyre et Jam­blique se sont ac­quit­tés de ce tra­vail avec hon­nê­teté, mais ils ont écrit avec tant de ré­pé­ti­tions, de contra­dic­tions et de dé­ro­ga­tions à l’ordre na­tu­rel des faits, qu’on ne peut re­gar­der ce qu’ils ont fait que comme un col­lage de mor­ceaux qu’ils ont pris dans un grand nombre de bio­graphes aussi mal­adroits qu’eux. Quant à Dio­gène Laërce, il a en­core plus dé­fi­guré la vie et la doc­trine de ce grand sage en lui at­tri­buant des mi­racles, ou plu­tôt des tours de main, plus dignes d’un ma­gi­cien ou d’un char­la­tan que d’un phi­lo­sophe. Et ce­pen­dant, quel homme que ce Py­tha­gore ! « Ja­mais au­cun phi­lo­sophe n’a mé­rité au­tant que lui de vivre dans la mé­moire des hommes », dit Dio­dore de Si­cile4. Py­tha­gore voyait dans le monde une in­tel­li­gence su­prême ; il di­sait que notre pre­mier soin de­vait être de nous rendre sem­blables à Dieu au­tant que notre na­ture le per­met­tait. Il di­sait en­core que l’homme « se sent une autre âme en pé­né­trant dans un temple »5 (« alium ani­mum fieri in­tran­ti­bus tem­plum »). Ses contem­po­rains le met­taient jus­te­ment au nombre des dé­mons bien­fai­sants. Les uns croyaient qu’il était un gé­nie venu de la lune, les autres — un des dieux olym­piens ap­paru aux hommes sous une ap­pa­rence hu­maine. Car « lorsqu’il ten­dait toutes les forces de son es­prit, sans peine il dis­cer­nait toutes choses en dé­tail pour dix, pour vingt gé­né­ra­tions hu­maines », dit Em­pé­docle6. Il passa, dit-on7, la meilleure par­tie de sa vie à l’étranger, dans le se­cret des temples égyp­tiens et thraces, à s’adonner aux spé­cu­la­tions géo­mé­triques et aux doc­trines du sys­tème du monde et de l’harmonie pla­né­taire, et à se faire ini­tier aux mys­tères éso­té­riques, jusqu’au mo­ment où, à cin­quante-six ans, il re­vint en Grèce. Il at­tira tel­le­ment à lui l’attention uni­ver­selle, qu’une seule le­çon qu’il fit à son dé­bar­que­ment en Ita­lie conquit par son élo­quence plus de deux mille au­di­teurs8. On fait du di­vin Pla­ton son hé­ri­tier spi­ri­tuel et on rap­porte la tra­di­tion d’après la­quelle ce der­nier se se­rait pro­curé, à prix d’or, les livres se­crets conser­vés par un des dis­ciples rui­nés de Py­tha­gore9. Le fa­meux mythe de Pla­ton, où seules les ombres, pro­je­tées sur le fond de la ca­verne, ap­pa­raissent aux pri­son­niers — ce fa­meux mythe, dis-je, est d’origine py­tha­go­ri­cienne. Au reste, Py­tha­gore fut non seule­ment le pre­mier à s’être ap­pelé « phi­lo­sophe » (« amou­reux de la sa­gesse »), mais le pre­mier à en­sei­gner que les âmes sont im­mor­telles et qu’elles ne font que chan­ger de condi­tion, en ani­mant suc­ces­si­ve­ment dif­fé­rents corps. Un jour, pas­sant à côté d’un chien qu’un jeune homme bat­tait avec beau­coup de cruauté, il en eut pi­tié et s’exclama : « Ar­rête, cesse de frap­per ! C’est mon ami [dé­funt], c’est son âme ; je le re­con­nais à sa voix »

  1. En grec Πυθαγόρας. Au­tre­fois trans­crit Pi­ta­go­ras ou Py­tha­go­ras. Haut
  2. En grec Πορφύριος. Né à Tyr, Por­phyre s’était d’abord ap­pelé Mal­chos (Μάλχος), ce qui veut dire « roi » en sy­riaque. Ce nom pa­rais­sant trop dur à l’oreille grecque, il le tra­dui­sit lui-même par ce­lui de Ba­si­leus (Βασιλεύς), ce qui veut dire « roi » en grec. Mais on le sur­nomma fi­na­le­ment Por­phyre, par al­lu­sion au pig­ment fa­bri­qué dans sa ville na­tale et qui avait rap­port à la royauté. Haut
  3. En grec Ἰάμϐλιχος. Au­tre­fois trans­crit Iam­blique. Haut
  4. En grec « γέγονε ἱστορίας ἄξιος, εἰ καί τις ἕτερος τῶν περὶ παιδείαν διατριψάντων ». Haut
  5. Sé­nèque, « Lettres à Lu­ci­lius. Tome IV. Livres XIV-XVIII », lettre XCIV, sect. 42. Haut
  1. En grec « ὁππότε πάσῃσιν ὀρέξαιτο πραπίδεσσι, ῥεῖά γε τῶν ὄντων πάντων λεύσσεσκεν ἕκαστα καί τε δέκ’ ἀνθρώπων καί τ’ εἴκοσιν αἰώνεσσι ». Haut
  2. Jam­blique, sect. 19. Haut
  3. Por­phyre, sect. 20. Haut
  4. Jam­blique, sect. 199 ; Dio­gène Laërce, sect. 15. Haut

Jamblique, « Vie de Pythagore »

éd. Les Belles Lettres, coll. La Roue à livres, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. La Roue à livres, Pa­ris

Il s’agit de Py­tha­gore1, le pre­mier et peut-être le plus fas­ci­nant des sa­vants grecs (VIe siècle av. J.-C.). Sa vie nous est connue par les bio­gra­phies pu­bliées par Por­phyre2, Jam­blique3 et Dio­gène Laërce. Com­pi­la­teurs mal­adroits et dé­nués de cri­tique, Por­phyre et Jam­blique se sont ac­quit­tés de ce tra­vail avec hon­nê­teté, mais ils ont écrit avec tant de ré­pé­ti­tions, de contra­dic­tions et de dé­ro­ga­tions à l’ordre na­tu­rel des faits, qu’on ne peut re­gar­der ce qu’ils ont fait que comme un col­lage de mor­ceaux qu’ils ont pris dans un grand nombre de bio­graphes aussi mal­adroits qu’eux. Quant à Dio­gène Laërce, il a en­core plus dé­fi­guré la vie et la doc­trine de ce grand sage en lui at­tri­buant des mi­racles, ou plu­tôt des tours de main, plus dignes d’un ma­gi­cien ou d’un char­la­tan que d’un phi­lo­sophe. Et ce­pen­dant, quel homme que ce Py­tha­gore ! « Ja­mais au­cun phi­lo­sophe n’a mé­rité au­tant que lui de vivre dans la mé­moire des hommes », dit Dio­dore de Si­cile4. Py­tha­gore voyait dans le monde une in­tel­li­gence su­prême ; il di­sait que notre pre­mier soin de­vait être de nous rendre sem­blables à Dieu au­tant que notre na­ture le per­met­tait. Il di­sait en­core que l’homme « se sent une autre âme en pé­né­trant dans un temple »5 (« alium ani­mum fieri in­tran­ti­bus tem­plum »). Ses contem­po­rains le met­taient jus­te­ment au nombre des dé­mons bien­fai­sants. Les uns croyaient qu’il était un gé­nie venu de la lune, les autres — un des dieux olym­piens ap­paru aux hommes sous une ap­pa­rence hu­maine. Car « lorsqu’il ten­dait toutes les forces de son es­prit, sans peine il dis­cer­nait toutes choses en dé­tail pour dix, pour vingt gé­né­ra­tions hu­maines », dit Em­pé­docle6. Il passa, dit-on7, la meilleure par­tie de sa vie à l’étranger, dans le se­cret des temples égyp­tiens et thraces, à s’adonner aux spé­cu­la­tions géo­mé­triques et aux doc­trines du sys­tème du monde et de l’harmonie pla­né­taire, et à se faire ini­tier aux mys­tères éso­té­riques, jusqu’au mo­ment où, à cin­quante-six ans, il re­vint en Grèce. Il at­tira tel­le­ment à lui l’attention uni­ver­selle, qu’une seule le­çon qu’il fit à son dé­bar­que­ment en Ita­lie conquit par son élo­quence plus de deux mille au­di­teurs8. On fait du di­vin Pla­ton son hé­ri­tier spi­ri­tuel et on rap­porte la tra­di­tion d’après la­quelle ce der­nier se se­rait pro­curé, à prix d’or, les livres se­crets conser­vés par un des dis­ciples rui­nés de Py­tha­gore9. Le fa­meux mythe de Pla­ton, où seules les ombres, pro­je­tées sur le fond de la ca­verne, ap­pa­raissent aux pri­son­niers — ce fa­meux mythe, dis-je, est d’origine py­tha­go­ri­cienne. Au reste, Py­tha­gore fut non seule­ment le pre­mier à s’être ap­pelé « phi­lo­sophe » (« amou­reux de la sa­gesse »), mais le pre­mier à en­sei­gner que les âmes sont im­mor­telles et qu’elles ne font que chan­ger de condi­tion, en ani­mant suc­ces­si­ve­ment dif­fé­rents corps. Un jour, pas­sant à côté d’un chien qu’un jeune homme bat­tait avec beau­coup de cruauté, il en eut pi­tié et s’exclama : « Ar­rête, cesse de frap­per ! C’est mon ami [dé­funt], c’est son âme ; je le re­con­nais à sa voix »

  1. En grec Πυθαγόρας. Au­tre­fois trans­crit Pi­ta­go­ras ou Py­tha­go­ras. Haut
  2. En grec Πορφύριος. Né à Tyr, Por­phyre s’était d’abord ap­pelé Mal­chos (Μάλχος), ce qui veut dire « roi » en sy­riaque. Ce nom pa­rais­sant trop dur à l’oreille grecque, il le tra­dui­sit lui-même par ce­lui de Ba­si­leus (Βασιλεύς), ce qui veut dire « roi » en grec. Mais on le sur­nomma fi­na­le­ment Por­phyre, par al­lu­sion au pig­ment fa­bri­qué dans sa ville na­tale et qui avait rap­port à la royauté. Haut
  3. En grec Ἰάμϐλιχος. Au­tre­fois trans­crit Iam­blique. Haut
  4. En grec « γέγονε ἱστορίας ἄξιος, εἰ καί τις ἕτερος τῶν περὶ παιδείαν διατριψάντων ». Haut
  5. Sé­nèque, « Lettres à Lu­ci­lius. Tome IV. Livres XIV-XVIII », lettre XCIV, sect. 42. Haut
  1. En grec « ὁππότε πάσῃσιν ὀρέξαιτο πραπίδεσσι, ῥεῖά γε τῶν ὄντων πάντων λεύσσεσκεν ἕκαστα καί τε δέκ’ ἀνθρώπων καί τ’ εἴκοσιν αἰώνεσσι ». Haut
  2. Jam­blique, sect. 19. Haut
  3. Por­phyre, sect. 20. Haut
  4. Jam­blique, sect. 199 ; Dio­gène Laërce, sect. 15. Haut

Diogène Laërce, « Vies et Doctrines des philosophes illustres »

éd. Librairie générale française, coll. La Pochothèque-Classiques modernes, Paris

éd. Li­brai­rie gé­né­rale fran­çaise, coll. La Po­cho­thèque-Clas­siques mo­dernes, Pa­ris

Il s’agit d’un ex­posé de Dio­gène Laërce1 (IIIe siècle apr. J.-C.) sur les « Vies, doc­trines et apoph­tegmes »2 de quatre-vingt-quatre phi­lo­sophes grecs. À vrai dire, Dio­gène Laërce n’a qu’une connais­sance in­di­recte de la phi­lo­so­phie, qu’il trouve dans des an­tho­lo­gies tar­dives et qu’il ra­masse sans exa­men et avec cette in­dif­fé­rence pour la vé­rité qui est un des ca­rac­tères de la mé­dio­crité d’esprit. Il ne se pose comme but qu’une his­toire po­pu­laire des phi­lo­sophes, où leurs saillies, leurs ac­tions in­gé­nieuses, leurs pointes d’esprit, leur mort ac­ci­den­telle en man­geant un poulpe cru (Dio­gène de Si­nope) ou en tré­bu­chant de nuit sur une cu­vette (Xé­no­crate) l’emportent presque sur leurs doc­trines. Non seule­ment les grandes étapes de la pen­sée grecque lui échappent, mais il ignore les in­fluences su­bies d’une école à l’autre. « On le sent », dit un tra­duc­teur3, « très sou­vent perdu, ne com­pre­nant les idées qu’à demi, émer­veillé par ce qu’il com­prend, l’expliquant alors pas à pas, avec des re­dites, sans faire grâce au lec­teur du moindre dé­tail ». Et ce­pen­dant, l’utilité d’un ou­vrage ne se me­sure pas tou­jours à sa ré­gu­la­rité et sa gran­deur. Cette com­pi­la­tion in­forme ren­ferme des ma­té­riaux d’un prix in­es­ti­mable qu’on cher­che­rait vai­ne­ment ailleurs ; elle re­trace la pré­sence concrète et vi­vante des phi­lo­sophes « à la Cour des princes, au mar­ché, à une table d’auberge, aux bains, à la pa­lestre, à l’école… là où les idées et la vie se re­joignent dans une forme de sa­gesse au quo­ti­dien », comme ex­plique Mme Ma­rie-Odile Gou­let-Cazé4. Avec quelle net­teté Dio­gène Laërce des­sine par exemple la fi­gure d’Aris­tote ! Quel por­trait pit­to­resque et fa­mi­lier il en donne par une heu­reuse ac­cu­mu­la­tion de maximes ! Je ne sais la­quelle est la plus riche de sens et la plus mé­mo­rable, du « Rien ne vieillit plus vite que la gra­ti­tude »5 ou de cette ré­ponse du phi­lo­sophe à quelqu’un qui lui re­pro­chait d’avoir fait l’aumône à un fai­néant : « Ce n’est pas à l’homme que j’ai donné, mais à son hu­ma­nité »

  1. En grec Διογένης Λαέρτιος. Par­fois trans­crit Dio­gène Laërte, Dio­gène Laer­tien, Dio­genes Laër­tius ou Dio­gènes de Laërtes. Haut
  2. Le titre au­then­tique de cet ex­posé est in­connu : So­pa­tros d’Apamée le cite comme « Vies des phi­lo­sophes » (« Φιλοσόφων Βίοι »), tan­dis que, dans le ma­nus­crit de Pa­ris, il porte l’intitulé « Vies et Sen­tences de ceux qui se sont illus­trés en phi­lo­so­phie, et (Re­cueil) des doc­trines pré­va­lant dans chaque école » (« Βίοι καὶ Γνῶμαι τῶν ἐν φιλοσοφία εὐδοκιμησάντων, καὶ τῶν ἑκάστῃ αἱρέσει ἀρεσκόντων (Συναγωγή) »). Haut
  3. M. Ro­bert Ge­naille. Haut
  1. p. 10-11 & 25. Haut
  2. p. 572. Haut

Héraclite, « Fragments »

éd. Presses universitaires de France, coll. Épiméthée, Paris

éd. Presses uni­ver­si­taires de France, coll. Épi­mé­thée, Pa­ris

Il s’agit de frag­ments d’un rou­leau que le phi­lo­sophe grec Hé­ra­clite d’Éphèse1 dé­posa, au Ve siècle av. J.-C., dans le temple d’Artémis. On dis­pute sur la ques­tion de sa­voir si ce rou­leau était un traité suivi, ou s’il consis­tait en pen­sées iso­lées, comme celles que le ha­sard des ci­ta­tions nous a conser­vées. Hé­ra­clite s’y ex­pri­mait, en tout cas, dans un style condensé, propre à éton­ner ; il pre­nait à la fois le ton d’un pro­phète et le lan­gage d’un phi­lo­sophe ; il ten­tait avec une rare au­dace de conci­lier l’unité (« tout est un »2) et le chan­ge­ment (« tout s’écoule »3). De là, cette épi­thète d’« obs­cur » si sou­vent ac­co­lée à son nom, mais qui ne me pa­raît pas moins exa­gé­rée, car : « Certes, la lec­ture d’Héraclite est d’un abord rude et dif­fi­cile. La nuit est sombre, les té­nèbres sont épaisses ; mais si un ini­tié te guide, tu ver­ras clair dans ce livre plus qu’en plein so­leil »4. À cette ap­pa­rente obs­cu­rité s’ajoutait chez Hé­ra­clite un fond de hau­teur et de fierté qui lui fai­sait mé­pri­ser presque tous les hommes. Il dé­dai­gnait même la so­ciété des sa­vants, et ce dé­dain était porté si loin, qu’il leur criait des in­jures. Pour au­tant, il n’était pas un homme in­sen­sible, et quand il s’affligeait des mal­heurs qui forment l’existence hu­maine, les larmes lui mon­taient aux yeux. La tra­di­tion rap­porte qu’Héraclite mou­rut dans le temple d’Artémis où « il s’était re­tiré et jouait aux os­se­lets avec des en­fants »5. Se­lon Frie­drich Nietzsche, s’il est vrai que l’on a vu ce sage par­ti­ci­per aux jeux bruyants des en­fants, c’est qu’il pen­sait, en les ob­ser­vant, à ce que per­sonne n’a pensé à cette oc­ca­sion : il pen­sait au jeu du grand En­fant uni­ver­sel, c’est-à-dire Dieu : « Hé­ra­clite », dit Nietzsche6, « n’a pas eu be­soin des hommes, même pas pour ac­croître ses connais­sances. Tout ce qu’on pou­vait éven­tuel­le­ment ap­prendre en ques­tion­nant les hommes et tout ce que les autres sages s’étaient ef­for­cés d’obtenir… lui im­por­tait peu. Il par­lait sans en faire grand cas de ces hommes qui in­ter­rogent, qui col­lec­tionnent, bref, de ces “his­to­riens”. “Je me suis cher­ché”7, di­sait-il de lui-même en em­ployant le mot qui dé­fi­nit l’interprétation d’un oracle ; comme s’il était le seul, lui et per­sonne d’autre, à vé­ri­ta­ble­ment réa­li­ser et ac­com­plir le pré­cepte del­phique “Connais-toi toi-même”. »

  1. En grec Ἡράκλειτος ὁ Ἐφέσιος. Haut
  2. En grec « ἓν πάντα εἶναι ». p. 23. Haut
  3. En grec « πάντα ῥεῖ ». p. 467. Haut
  4. En grec « Μὴ ταχὺς Ἡρακλείτου ἐπ’ ὀμφαλὸν εἴλεε βίϐλον τοὐφεσίου· μάλα τοι δύσϐατος ἀτραπιτός. Ὄρφνη καὶ σκότος ἐστὶν ἀλάμπετον· ἢν δέ σε μύστης εἰσαγάγῃ, φανεροῦ λαμπρότερ’ ἠελίου ». Ano­nyme dans « An­tho­lo­gie grecque, d’après le ma­nus­crit pa­la­tin ». Haut
  1. Dio­gène Laërce, « Vies et Doc­trines des phi­lo­sophes illustres ». Haut
  2. « La Phi­lo­so­phie à l’époque tra­gique des Grecs », p. 364. Haut
  3. En grec « ἐδιζησάμην ἐμεωυτόν ». p. 229. Haut