Doubnov, «Histoire moderne du peuple juif (1789-1938)»

éd. du Cerf, coll. Patrimoines-Judaïsme, Paris

éd. du Cerf, coll. Pa­tri­moines-Ju­daïsme, Pa­ris

Il s’agit d’une tra­duc­tion par­tielle de l’«His­toire uni­ver­selle du peuple juif» 1Vsé­mir­naïa is­to­ria ié­vreïs­kogo na­roda» 2) de Si­mon Doub­nov 3, l’un des plus émi­nents his­to­riens juifs (XIXe-XXe siècle). La vie de cet his­to­rio­graphe, né du temps des po­gromes russes et mort dans les camps de la bar­ba­rie na­zie, est celle de toute une gé­né­ra­tion de Juifs de l’Europe orien­tale. Qu’au mi­lieu du car­nage et «du fond du gouffre», comme il dit lui-même 4, cet homme ait songé à des tra­vaux his­to­riques de si grande en­ver­gure, cela peut pa­raître étrange. Mais cela té­moigne sim­ple­ment de la pé­ren­nité du ju­daïsme, de sa vi­va­cité dans la mort. Doub­nov avait une hau­teur de vues, une élé­va­tion de pen­sées, une piété qui l’obligeaient à cher­cher l’indestructible au mi­lieu des des­truc­tions; il di­sait comme Ar­chi­mède au sol­dat ro­main : «Ne dé­range pas mes cercles!» «Que de fois», dit Doub­nov 5, «la dou­leur cau­sée par les brû­lants sou­cis quo­ti­diens a été apai­sée par mes rêves ar­dents du mo­ment où un gran­diose édi­fice 6 s’élèverait, et où ces mil­liers de faits et de com­bi­nai­sons se mê­le­raient en un vif ta­bleau dé­pei­gnant huit cents ans de la vie de notre peuple en Eu­rope orien­tale!» Des té­moins rap­portent que même après son ar­res­ta­tion par les agents de la Ges­tapo, ma­lade et gre­lot­tant de fièvre, Doub­nov n’arrêta pas son tra­vail : avec le stylo qui lui avait servi pen­dant tant d’années, il rem­plit un car­net de notes. Juste avant d’être abattu d’un coup de re­vol­ver, on le vit mar­chant et ré­pé­tant : «Bonnes gens, n’oubliez pas, bonnes gens, ra­con­tez, bonnes gens, écri­vez!» 7 De ceux à qui s’adressaient ces pa­roles, presque au­cun ne sur­vé­cut. «Les pen­sées sont comme les fleurs ou les fruits, comme le blé et tout ce qui pousse et gran­dit de la terre. Elles ont be­soin de temps et d’un lieu pour être se­mées, elles ont be­soin d’un hi­ver pour prendre des forces et d’un prin­temps pour sor­tir et s’épanouir. Il y a les his­to­riens de l’hiver et les his­to­riens du prin­temps… Doub­nov est un his­to­rien de l’hiver», dit M. Marc-Alain Ouak­nin 8.

né du temps des po­gromes russes et mort dans les camps de la bar­ba­rie na­zie

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style de l’«His­toire uni­ver­selle du peuple juif» : «C’est l’Allemagne qui peut être consi­dé­rée comme le prin­ci­pal foyer de la “se­conde ré­ac­tion”. La vic­toire de 1870 pro­dui­sit les ef­fets d’un poi­son dis­sol­vant sur ce pays de haute culture in­tel­lec­tuelle qui ne connut plus dès lors que le culte du “poing fermé”. La fu­sion des États al­le­mands, jusqu’alors di­vi­sés, en un grand Em­pire mi­li­taire, do­miné par la Prusse, a ren­forcé à l’extrême le prin­cipe de l’unitarisme na­tio­nal et po­li­tique. L’idée même d’“étatisme” était de­ve­nue une sorte de fé­tiche. Dans son livre sur “La Po­li­tique”, l’historiographe of­fi­ciel de la Prusse, Treit­schke, a dé­ve­loppé l’idée d’après la­quelle l’État se­rait une “per­sonne” qui n’aurait pas “de plus haut de­voir mo­ral que ce­lui de veiller à sa puis­sance”; la né­ga­tion de cette loi se­rait un “at­ten­tat contre le Saint-Es­prit”. L’ancienne di­vi­ni­sa­tion du sou­ve­rain a fait place, sous le ré­gime consti­tu­tion­nel, à la di­vi­ni­sa­tion de l’État; l’absolutisme mo­nar­chique à l’absolutisme de l’État» 9.

Téléchargez ces enregistrements sonores au format M4A

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. Par­fois tra­duit «L’Histoire mon­diale du peuple juif». Haut
  2. En russe «Всемирная история еврейского народа». Par­fois trans­crit «Vse­mir­naia is­to­riia evreis­kogo na­roda», «Vse­mir­naja is­to­rija evre­js­kogo na­roda», «Vse­mir­naja is­to­rija je­vre­js­kogo na­roda» ou «Vse­mir­naya is­to­riya evreys­kogo na­roda». Haut
  3. En russe Семён Дубнов ou Шимон Дубнов. Par­fois trans­crit Se­myon Dub­now, Si­meon Dub­now, Shi­meon Dub­now, Shi­mon Dub­nov ou Semën Dub­nov. Le nom de Doub­nov, confor­mé­ment à une pra­tique bien éta­blie chez les Juifs, lui vient de la ville dont ses an­cêtres étaient ori­gi­naires : Doubno (Дубно), en Ukraine. Haut
  4. «Le Livre de ma vie : sou­ve­nirs et ré­flexions, ma­té­riaux pour l’histoire de mon temps», p. 737. Haut
  5. id. p. 359. Haut
  1. La gran­diose somme en dix vo­lumes, «His­toire uni­ver­selle du peuple juif», sur la­quelle Doub­nov ne cessa de tra­vailler de 1901 jusqu’à son as­sas­si­nat. Haut
  2. Dans So­phie Er­lich-Doub­nov, «La Vie de Si­mon Dub­nov», p. 25. Haut
  3. «Pré­face à “His­toire du has­si­disme”». Haut
  4. p. 1018-1019. Haut
  5. Fille de Si­mon Doub­nov. Haut