Il s’agit de « Résurrection des morts » et autres poésies de Siméon Froug 1, poète juif, qui a défini lui-même les motifs de son éternel « lamento » sur le sort de son peuple dans ces vers : « Je suis la harpe éolienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses douleurs et souffrances » 2. On suppose aux tsars russes Alexandre III et Nicolas II quelque haine personnelle pour les Juifs. Et un examen impartial de leurs décrets les montre bien résolus, non à relever leurs ouailles orthodoxes, comme on aurait pu l’espérer, mais à rabaisser et mortifier le reste de leurs sujets. Un de leurs actes les plus importants fut d’interdire aux Juifs — qu’ils fussent précédemment propriétaires de terres ou de biens — de séjourner ailleurs que dans une sorte de parc humain, la « zone de résidence pour les Juifs » 3 (« tcherta (iévreïskoï) ossedlosti » 4). La vie de ces hommes, comprimée, resserrée dans l’étau d’une « zone » surpeuplée, moisie, étroite où on luttait chaque jour pour le pain quotidien, et aggravée par une série interminable de vexations et d’avanies, basses et mesquines, se prêtait très médiocrement à la poésie. La chape de monotonie qui écrasait ces misérables, le zèle capricieux des autorités locales, puis bientôt, la bestialité des pogroms — conséquence directe de la politique du mensonge et de la violence à laquelle le régime s’employait avec tant d’énergie — faisaient oublier les travaux des muses. Froug fut l’un des rares à mener à bien cet effroyable labeur de créer, tantôt en russe tantôt en yiddish, une langue poétique. Il osa y exprimer de la sensiblerie que de piètres esprits ont qualifiée de « mignonne et féminine » et il transporta son public vers les hauteurs où son génie l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles cultivateurs de la prairie ukrainienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des courants littéraires. Ses premières poésies peignaient le paysan labourant la terre, ou se reposant dans un sommeil profond et mérité. « N’étaient les conditions de la vie, qui en ont fait un poète de jérémiades, Froug aurait pu devenir un Koltsov juif », dit Meyer Isser Pinès. Ce ne fut que lorsque les misères physiques et le désespoir de son peuple, rappelant ceux de l’ancienne Judée, menacèrent de l’étouffer, que ses poésies changèrent d’âme et de sujet, et qu’il accorda sa harpe aux complaintes du ghetto. « Rien dans notre vie triste », écrit notre poète 5, « rien ne me fait tant de peine que l’aspect extérieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poitrine étroite… l’ombre noire de la peur qui est continuellement sur son visage. Ces yeux… moitié rêveurs et moitié craintifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cherchaient un abri, pour se cacher, se sauver d’un danger énorme et imminent ; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque instant à prononcer les mots : “Me voilà, je me sauve !” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éternellement saigner le cœur. »
Ukraine
pays, gentilé ou langue
Froug, « Le Chant du travail • La Coupe »
Il s’agit du « Chant du travail » et « La Coupe » de Siméon Froug 1, poète juif, qui a défini lui-même les motifs de son éternel « lamento » sur le sort de son peuple dans ces vers : « Je suis la harpe éolienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses douleurs et souffrances » 2. On suppose aux tsars russes Alexandre III et Nicolas II quelque haine personnelle pour les Juifs. Et un examen impartial de leurs décrets les montre bien résolus, non à relever leurs ouailles orthodoxes, comme on aurait pu l’espérer, mais à rabaisser et mortifier le reste de leurs sujets. Un de leurs actes les plus importants fut d’interdire aux Juifs — qu’ils fussent précédemment propriétaires de terres ou de biens — de séjourner ailleurs que dans une sorte de parc humain, la « zone de résidence pour les Juifs » 3 (« tcherta (iévreïskoï) ossedlosti » 4). La vie de ces hommes, comprimée, resserrée dans l’étau d’une « zone » surpeuplée, moisie, étroite où on luttait chaque jour pour le pain quotidien, et aggravée par une série interminable de vexations et d’avanies, basses et mesquines, se prêtait très médiocrement à la poésie. La chape de monotonie qui écrasait ces misérables, le zèle capricieux des autorités locales, puis bientôt, la bestialité des pogroms — conséquence directe de la politique du mensonge et de la violence à laquelle le régime s’employait avec tant d’énergie — faisaient oublier les travaux des muses. Froug fut l’un des rares à mener à bien cet effroyable labeur de créer, tantôt en russe tantôt en yiddish, une langue poétique. Il osa y exprimer de la sensiblerie que de piètres esprits ont qualifiée de « mignonne et féminine » et il transporta son public vers les hauteurs où son génie l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles cultivateurs de la prairie ukrainienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des courants littéraires. Ses premières poésies peignaient le paysan labourant la terre, ou se reposant dans un sommeil profond et mérité. « N’étaient les conditions de la vie, qui en ont fait un poète de jérémiades, Froug aurait pu devenir un Koltsov juif », dit Meyer Isser Pinès. Ce ne fut que lorsque les misères physiques et le désespoir de son peuple, rappelant ceux de l’ancienne Judée, menacèrent de l’étouffer, que ses poésies changèrent d’âme et de sujet, et qu’il accorda sa harpe aux complaintes du ghetto. « Rien dans notre vie triste », écrit notre poète 5, « rien ne me fait tant de peine que l’aspect extérieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poitrine étroite… l’ombre noire de la peur qui est continuellement sur son visage. Ces yeux… moitié rêveurs et moitié craintifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cherchaient un abri, pour se cacher, se sauver d’un danger énorme et imminent ; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque instant à prononcer les mots : “Me voilà, je me sauve !” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éternellement saigner le cœur. »
Froug, « Poésies. “Pianto” • La Harpe magique »
Il s’agit de « “Pianto” » et « La Harpe magique » de Siméon Froug 1, poète juif, qui a défini lui-même les motifs de son éternel « lamento » sur le sort de son peuple dans ces vers : « Je suis la harpe éolienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses douleurs et souffrances » 2. On suppose aux tsars russes Alexandre III et Nicolas II quelque haine personnelle pour les Juifs. Et un examen impartial de leurs décrets les montre bien résolus, non à relever leurs ouailles orthodoxes, comme on aurait pu l’espérer, mais à rabaisser et mortifier le reste de leurs sujets. Un de leurs actes les plus importants fut d’interdire aux Juifs — qu’ils fussent précédemment propriétaires de terres ou de biens — de séjourner ailleurs que dans une sorte de parc humain, la « zone de résidence pour les Juifs » 3 (« tcherta (iévreïskoï) ossedlosti » 4). La vie de ces hommes, comprimée, resserrée dans l’étau d’une « zone » surpeuplée, moisie, étroite où on luttait chaque jour pour le pain quotidien, et aggravée par une série interminable de vexations et d’avanies, basses et mesquines, se prêtait très médiocrement à la poésie. La chape de monotonie qui écrasait ces misérables, le zèle capricieux des autorités locales, puis bientôt, la bestialité des pogroms — conséquence directe de la politique du mensonge et de la violence à laquelle le régime s’employait avec tant d’énergie — faisaient oublier les travaux des muses. Froug fut l’un des rares à mener à bien cet effroyable labeur de créer, tantôt en russe tantôt en yiddish, une langue poétique. Il osa y exprimer de la sensiblerie que de piètres esprits ont qualifiée de « mignonne et féminine » et il transporta son public vers les hauteurs où son génie l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles cultivateurs de la prairie ukrainienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des courants littéraires. Ses premières poésies peignaient le paysan labourant la terre, ou se reposant dans un sommeil profond et mérité. « N’étaient les conditions de la vie, qui en ont fait un poète de jérémiades, Froug aurait pu devenir un Koltsov juif », dit Meyer Isser Pinès. Ce ne fut que lorsque les misères physiques et le désespoir de son peuple, rappelant ceux de l’ancienne Judée, menacèrent de l’étouffer, que ses poésies changèrent d’âme et de sujet, et qu’il accorda sa harpe aux complaintes du ghetto. « Rien dans notre vie triste », écrit notre poète 5, « rien ne me fait tant de peine que l’aspect extérieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poitrine étroite… l’ombre noire de la peur qui est continuellement sur son visage. Ces yeux… moitié rêveurs et moitié craintifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cherchaient un abri, pour se cacher, se sauver d’un danger énorme et imminent ; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque instant à prononcer les mots : “Me voilà, je me sauve !” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éternellement saigner le cœur. »
Froug, « Le Mortier : pages de mon enfance »
Il s’agit du « Mortier : pages de mon enfance » de Siméon Froug 1, poète juif, qui a défini lui-même les motifs de son éternel « lamento » sur le sort de son peuple dans ces vers : « Je suis la harpe éolienne du sort de mon peuple, je suis l’écho de ses douleurs et souffrances » 2. On suppose aux tsars russes Alexandre III et Nicolas II quelque haine personnelle pour les Juifs. Et un examen impartial de leurs décrets les montre bien résolus, non à relever leurs ouailles orthodoxes, comme on aurait pu l’espérer, mais à rabaisser et mortifier le reste de leurs sujets. Un de leurs actes les plus importants fut d’interdire aux Juifs — qu’ils fussent précédemment propriétaires de terres ou de biens — de séjourner ailleurs que dans une sorte de parc humain, la « zone de résidence pour les Juifs » 3 (« tcherta (iévreïskoï) ossedlosti » 4). La vie de ces hommes, comprimée, resserrée dans l’étau d’une « zone » surpeuplée, moisie, étroite où on luttait chaque jour pour le pain quotidien, et aggravée par une série interminable de vexations et d’avanies, basses et mesquines, se prêtait très médiocrement à la poésie. La chape de monotonie qui écrasait ces misérables, le zèle capricieux des autorités locales, puis bientôt, la bestialité des pogroms — conséquence directe de la politique du mensonge et de la violence à laquelle le régime s’employait avec tant d’énergie — faisaient oublier les travaux des muses. Froug fut l’un des rares à mener à bien cet effroyable labeur de créer, tantôt en russe tantôt en yiddish, une langue poétique. Il osa y exprimer de la sensiblerie que de piètres esprits ont qualifiée de « mignonne et féminine » et il transporta son public vers les hauteurs où son génie l’entraînait lui-même. Né en 1860 comme fils d’humbles cultivateurs de la prairie ukrainienne, Froug cultiva son chant en serre chaude, à l’abri des courants littéraires. Ses premières poésies peignaient le paysan labourant la terre, ou se reposant dans un sommeil profond et mérité. « N’étaient les conditions de la vie, qui en ont fait un poète de jérémiades, Froug aurait pu devenir un Koltsov juif », dit Meyer Isser Pinès. Ce ne fut que lorsque les misères physiques et le désespoir de son peuple, rappelant ceux de l’ancienne Judée, menacèrent de l’étouffer, que ses poésies changèrent d’âme et de sujet, et qu’il accorda sa harpe aux complaintes du ghetto. « Rien dans notre vie triste », écrit notre poète 5, « rien ne me fait tant de peine que l’aspect extérieur d’un Juif : son dos voûté, ses joues creuses, ses mains maigres, sa poitrine étroite… l’ombre noire de la peur qui est continuellement sur son visage. Ces yeux… moitié rêveurs et moitié craintifs, qui courent sans cesse d’un point à l’autre, comme s’ils cherchaient un abri, pour se cacher, se sauver d’un danger énorme et imminent ; ces lèvres pâles qui… semblent prêtes à chaque instant à prononcer les mots : “Me voilà, je me sauve !” Tout cet être qui tremble au bruit d’une feuille… me fait éternellement saigner le cœur. »
Gogol, « Œuvres complètes »
Il s’agit des « Âmes mortes » (« Miortvyïé douchi » 1) et autres œuvres de Nicolas Gogol 2. L’un des informateurs du vicomte de Vogüé pour « Le Roman russe », un vieil homme de lettres 3, témoignant du fait que Gogol était devenu le modèle de la prose, comme Pouchkine — celui de la poésie, avait déclaré en français : « Nous sommes tous sortis du “Manteau” de Gogol » 4. Cette formule a bien plu. Elle a été ensuite traduite par plusieurs journaux russes, tant elle est devenue connue et « la chose de tous ». On connaît moins Gogol lui-même qui, à plusieurs égards, était un homme privé et mystérieux. On peut le dire, il y avait en lui quelque chose du démon. Un pouvoir surnaturel faisait étinceler ses yeux ; il semblait par moments que l’irrationnel et l’effrayant le pénétraient de part en part et imprimaient sur ses œuvres une marque ineffaçable. Si, par la suite, la littérature russe s’est signalée par une certaine exaltation déréglée, tourmentée, une certaine contradiction intérieure, une psychose guettant constamment, cachée au tournant ; si elle a même favorisé ce type de caractères, elle a suivi en tout cela l’exemple de Gogol. Cet auteur mi-russe, mi-ukrainien avait une nature double et vivait dans un monde dédoublé — le monde réel et le monde des rêves loufoques, terrifiants. Et non seulement ces deux mondes parallèles se rencontraient, mais encore ils se contorsionnaient et se confondaient d’une façon extravagante dans son esprit délirant, « comme deux piliers, qui se reflètent dans l’eau, se livrent aux contorsions les plus folles quand les remous de l’onde s’y prêtent » 5. C’est « Le Nez » (« Nos » 6), anagramme du « Rêve » (« Son » 7), où ce génie si particulier de Gogol s’est déployé librement pour la toute première fois. Que l’on pense au début de la nouvelle : « À son immense stupéfaction, il s’aperçut que la place que son nez devait occuper ne présentait plus qu’une surface lisse ! Tout alarmé, Kovaliov se fit apporter de l’eau et se frotta les yeux avec un essuie-mains : le nez avait bel et bien disparu ! » Voilà que toutes les fondations du réel vacillent, mais le fonctionnaire gogolien est à peine conscient de ce qui lui arrive. Confronté à une ville absurde et fantasmagorique, un « Gogolgrad » inquiétant, où le diable lui-même allume les lampes et éclaire les choses pour les montrer sous un aspect illusoire et trompeur, ce petit homme grugé, floué avance à tâtons dans la brume, en s’accrochant orgueilleusement et puérilement à ses fonctions bureaucratiques. « La ville a beau lui jouer les tours les plus pendables, le berner ou le châtrer momentanément, ce personnage caméléonesque et insignifiant ne renonce jamais à s’incruster, à s’enraciner, fût-ce dans l’inexistant. [Il] restera chatouilleux sur son grade et ses prérogatives jusqu’à [sa] dissolution complète dans le non-être… Inchangé, il réapparaîtra chez un Kafka », dit très bien M. Georges Nivat.
- En russe « Мёртвые души ». Parfois transcrit « Mjortwyje duschi », « Mertwyja duschi », « Mjortwye duschi », « Mertwya duschi », « Myortvyye dushi », « Miortvyye dushi », « Mjortvye dusi », « Mertvye duši », « Mèrtvyia doûchi », « Miortvia douchi », « Meurtvia douchi » ou « Mertviia douchi ».
- En russe Николай Гоголь. Parfois transcrit Nikolaj Gogol, Nikolaï Gogol ou Nicolaï Gogol.
- Sans doute Dmitri Grigorovitch, comme une remarque à la page 208 du « Roman russe » le laisse penser : « M. Grigorovitch, qui tient une place honorée dans les lettres…, m’a confirmé cette anecdote ».
- « Le Roman russe », p. 96.