Doubnov, « Histoire d’un soldat juif (1881-1915) »

éd. du Cerf, coll. Toledot-Judaïsmes, Paris

éd. du Cerf, coll. To­le­dot-Ju­daïsmes, Pa­ris

Il s’agit d’« d’un sol­dat  : une confes­sion parmi d’autres» («Is­to­ria ié­vreïs­kogo sol­data : is­po­ved od­nogo iz mno­guikh» 1) de  2, l’un des plus émi­nents (XIXe-XXe siècle). La de cet his­to­rio­graphe, né du des po­gromes russes et dans les camps de la bar­ba­rie na­zie, est celle de toute une gé­né­ra­tion de Juifs de l’ orien­tale. Qu’au mi­lieu du car­nage et «du fond du gouffre», comme il dit lui-même 3, cet ait songé à des tra­vaux his­to­riques de si grande en­ver­gure, cela peut pa­raître étrange. Mais cela té­moigne sim­ple­ment de la pé­ren­nité du , de sa vi­va­cité dans la mort. Doub­nov avait une hau­teur de , une élé­va­tion de pen­sées, une piété qui l’obligeaient à cher­cher l’indestructible au mi­lieu des des­truc­tions; il di­sait comme Ar­chi­mède au sol­dat  : «Ne dé­range pas mes cercles!» «Que de fois», dit Doub­nov 4, «la cau­sée par les brû­lants sou­cis quo­ti­diens a été apai­sée par mes ar­dents du mo­ment où un gran­diose édi­fice 5 s’élèverait, et où ces mil­liers de faits et de com­bi­nai­sons se mê­le­raient en un vif dé­pei­gnant huit cents ans de la vie de notre en Eu­rope orien­tale!» Des té­moins rap­portent que même après son ar­res­ta­tion par les agents de la Ges­tapo, ma­lade et gre­lot­tant de , Doub­nov n’arrêta pas son tra­vail : avec le stylo qui lui avait servi pen­dant tant d’années, il rem­plit un de notes. Juste avant d’être abattu d’un coup de re­vol­ver, on le vit mar­chant et ré­pé­tant : «Bonnes gens, n’oubliez pas, bonnes gens, ra­con­tez, bonnes gens, écri­vez!» 6 De ceux à qui s’adressaient ces pa­roles, presque au­cun ne sur­vé­cut. «Les pen­sées sont comme les ou les fruits, comme le blé et tout ce qui pousse et gran­dit de la . Elles ont be­soin de temps et d’un lieu pour être se­mées, elles ont be­soin d’un hi­ver pour prendre des forces et d’un prin­temps pour sor­tir et s’épanouir. Il y a les de l’hiver et les his­to­riens du prin­temps… Doub­nov est un his­to­rien de l’hiver», dit M. Marc-Alain Ouak­nin 7.

né du temps des po­gromes russes et mort dans les camps de la bar­ba­rie na­zie

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du d’«His­toire d’un sol­dat juif : une confes­sion parmi d’autres» : «Mes pre­miers sou­ve­nirs d’enfance, flous, sont as­so­ciés à des ré­cits de po­gromes. Mon père, pauvre maître d’école dans une ville de la pro­vince de Kiev, ne me ra­con­tait ja­mais ces na­vrantes his­toires de d’assombrir mon d’enfant. Idéa­liste “mas­kil” 8 des an­nées 1860, il nour­ris­sait tou­jours les élans de sa , des es­poirs de ré­formes “éclai­rées”, et consi­dé­rait avec per­plexité l’ère de l’histoire juive sur la­quelle pla­naient les ombres du . Il ne conce­vait pas que le “char du pro­grès” pût faire ma­chine ar­rière et croyait vivre un cau­che­mar qui se dis­si­pe­rait. Il mou­rut avec cette en­fan­tine que rien n’avait en­ta­mée, pas même la ter­rible crise des an­nées 1880. Hé­las, je n’héritai pas cette plé­ni­tude de l’âme… Les ré­cits de ma mère, plus spon­ta­née, m’initièrent. Ils furent les pre­miers à me ré­vé­ler l’abîme obs­cur» 9.

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  1. En russe «История еврейского солдата : исповедь одного из многих». Par­fois trans­crit «Is­to­rija evre­js­kogo sol­data : is­po­ved’ od­nogo iz mno­gich» ou «Is­to­riia evreis­kago sol­data : is­po­ved’ od­nogo iz mno­gikh». Icône Haut
  2. En russe Семён Дубнов ou Шимон Дубнов. Par­fois trans­crit Se­myon Dub­now, Si­meon Dub­now, Shi­meon Dub­now, Shi­mon Dub­nov ou Semën Dub­nov. Le nom de Doub­nov, confor­mé­ment à une pra­tique bien éta­blie chez les Juifs, lui vient de la ville dont ses an­cêtres étaient ori­gi­naires : Doubno (Дубно), en . Icône Haut
  3. «Le Livre de ma vie : sou­ve­nirs et ré­flexions, ma­té­riaux pour l’histoire de mon temps», p. 737. Icône Haut
  4. id. p. 359. Icône Haut
  5. La gran­diose somme en dix vo­lumes, « du peuple juif», sur la­quelle Doub­nov ne cessa de tra­vailler de 1901 jusqu’à son . Icône Haut
  1. Dans So­phie Er­lich-Doub­nov, «La Vie de Si­mon Dub­nov», p. 25. Icône Haut
  2. «Pré­face à “His­toire du ». Icône Haut
  3. Adepte de la Has­kala, dis­ciple juif des . Icône Haut
  4. p. 20. Icône Haut
  5. Fille de Si­mon Doub­nov. Icône Haut