«Mission Pavie. Études diverses. Tome III. Recherches sur l’histoire naturelle de l’Indochine orientale»

éd. E. Leroux, Paris

éd. E. Le­roux, Pa­ris

Il s’agit d’Auguste Pa­vie, ex­plo­ra­teur fran­çais (XIXe-XXe siècle) qui, seul ou avec quelques com­pa­gnons fi­dèles, sillonna pen­dant des dé­cen­nies le Cam­bodge et le Laos. La vo­ca­tion d’explorateur de Pa­vie, ti­mide et mo­deste ser­gent, fils de ses œuvres, ne se ré­véla que dans le pe­tit port cam­bod­gien de Kam­pot 1, où il dé­bar­qua en tant qu’agent du té­lé­graphe. Dans un pre­mier temps, il vé­cut isolé, seul Eu­ro­péen; mais sé­duit par le charme du pays et des ha­bi­tants, il cher­cha à connaître leur langue et leurs cou­tumes. Un bonze let­tré lui ser­vit d’initiateur. Pa­vie dé­cou­vrit chez ce der­nier «une sorte de coffre la­qué rouge et noir, orné de do­rures, et [conte­nant] plu­sieurs cen­taines de ma­nus­crits sur feuilles de pal­mier… : livres sur l’astronomie, l’astrologie, la chi­ro­man­cie et la di­vi­na­tion…; ro­mans [re­la­tant] les exis­tences pas­sées du Boud­dha; [ma­nuels] sur les usages : édu­ca­tion, codes, lois» 2. En même temps qu’il était charmé par les édi­fices de la bon­ze­rie qui dor­maient à l’ombre des fi­guiers, Pa­vie en­tre­voyait toute la ri­chesse de cette an­tique ci­vi­li­sa­tion khmère dont des «restes de lit­té­ra­ture et de théâtre», de «vagues idées de des­sin et de mu­sique» conser­vaient pieu­se­ment «un sou­ve­nir né­bu­leux» 3. Pa­vie se mit à s’entretenir fa­mi­liè­re­ment avec les ha­bi­tants et ac­quit peu à peu une connais­sance in­time de l’âme in­di­gène qui lui ser­vit par la suite. De ses sor­ties au bord de la mer, il rap­porta en outre une col­lec­tion de mol­lusques et de co­quilles, qu’il en­voya à l’Exposition de Saï­gon. Ces tra­vaux re­tinrent l’attention de Le Myre de Vi­lers, gou­ver­neur de Co­chin­chine. Chargé par ce der­nier en 1880 d’une pre­mière et dure mis­sion, Pa­vie par­cou­rut la ré­gion in­ex­plo­rée qui s’étendait du golfe de Siam au Mé­kong, en dres­sant une carte et une re­la­tion de voyage afin d’établir une ligne té­lé­gra­phique. Ce fut chose faite en 1883 avec la ligne Saï­gon-Bang­kok de plus d’un mil­lier de ki­lo­mètres. Pa­vie avait mon­tré de telles dis­po­si­tions, qu’on le char­gea aus­si­tôt d’une autre mis­sion : celle d’explorer le Laos afin d’élaborer la pre­mière carte com­plète de l’Indochine. Pa­reilles mis­sions étaient peut-être un hon­neur, mais com­bien les au­raient re­fu­sées! Si Pa­vie les ac­cepta, c’est par crainte de se faire de­van­cer; car il vou­lait être le pre­mier in­ven­teur de ces fo­rêts et de ces monts où même les in­di­gènes ne s’aventuraient qu’à contre­cœur. «Faites», dit-il, en avouant la pointe d’orgueil dans ses pro­jets 4, «faites que je sois le pre­mier; que j’aille le plus loin; que je parte tout de suite et tout seul; et qu’on s’en rap­porte à moi. La France et la Ré­pu­blique n’auront ja­mais été mieux ser­vies, dites-le-leur. Le gou­ver­ne­ment de Co­chin­chine, m’ayant cru, m’a chargé d’unir Saï­gon à Bang­kok; c’est fini. Je veux mar­cher en avant…; chose na­tu­relle, il me faut une tâche plus grande… Si vous vou­lez, je l’aurai. Don­nez donc. Vive la Ré­pu­blique!»

Re­ga­gnant la France en 1895, l’homme qui ex­plora l’Indochine nu-pieds et sans arme à la main de­vint écri­vain, dé­cli­nant tous les nou­veaux hon­neurs, tous les postes pour­tant ten­tants pour quelqu’un de son âge. Sou­vent on l’entendit dire : «Je suis l’homme d’une seule œuvre». À cette œuvre, il se consa­cra jusqu’à son der­nier jour; car, de la somme co­los­sale de notes ac­cu­mu­lées au cours de ses ex­pé­di­tions, il tira une œuvre non moins co­los­sale — la «Mis­sion Pa­vie» — en dix tomes et deux sé­ries : «Études di­verses» (trois tomes) et «Géo­gra­phie et Voyages» (sept tomes). Le pre­mier tome, qui contient des contes in­do­chi­nois ra­con­tés en fran­çais et en khmer, fut tiré à part à cinq cents exem­plaires et of­fert aux pa­godes, dans le but (dit la pré­face) à la fois : 1º de faire œuvre de vul­ga­ri­sa­tion et de mon­trer sous un jour plus exact des peuples ex­trê­me­ment in­té­res­sants; 2º de don­ner au Cam­bodge, en lui ap­por­tant le pre­mier ou­vrage im­primé dans sa langue, un té­moi­gnage de gra­ti­tude en­vers ses chefs, ses bonzes, ses ha­bi­tants pour l’aide in­ap­pré­ciable re­çue par Pa­vie au cours d’une vie de voyages. Quant au der­nier tome, il se clôt par ces mots qui ho­norent son au­teur : «Je re­cueillis, par­tout sur mes pas, l’impression des cœurs s’unissant au mien. Haute ré­com­pense : je connus la joie d’être aimé des peuples chez qui je pas­sai». «Aujourd’hui où la co­lo­ni­sa­tion est sou­vent dé­peinte en des termes vio­lem­ment dé­pré­cia­tifs, l’exemple de Pa­vie in­vite à la ré­flexion : Pa­vie a du cœur; Pa­vie s’intéresse aux po­pu­la­tions ren­con­trées; Pa­vie est ré­pu­bli­cain, hu­ma­niste, franc-ma­çon, plu­tôt libre-pen­seur. Et c’est pré­ci­sé­ment en rai­son de tout cela qu’il est de­venu un ac­teur dé­ter­miné de la co­lo­ni­sa­tion», ex­plique M. Henri Eckert 5.

l’homme qui ex­plora l’Indochine nu-pieds et sans arme à la main

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style de «Mis­sion Pa­vie» : «Le bœuf cam­bod­gien, si l’on en croit les pay­sans, at­teint qua­rante à cin­quante ans; il n’a point de prix : ce­lui qui le pos­sède, ne le vend que forcé. Il est de l’attelage d’un bonze ou d’un man­da­rin riche; un vil­lage est aussi fier d’en of­frir une paire à sa pa­gode que de lui pré­sen­ter un jeune élé­phant mâle. La dis­po­si­tion élé­gante, la fi­nesse, les pro­por­tions de ses cornes, ou­vertes en forme de lyre, font de sa tête un chef-d’œuvre; quand, em­me­nant un char, il passe au trot, grand sur ses jambes grêles, beau au­tant qu’un cour­sier, il a sur lui tous les re­gards. Les Cam­bod­giens sont très ha­biles à faire, au cou­teau, des clo­chettes en bois dur… pour leurs bœufs cou­reurs, et celles qu’ils sus­pendent au cou de ces su­perbes ani­maux sont sou­vent de vrais ob­jets d’art» 6.

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  1. En khmer កំពត. Haut
  2. «Géo­gra­phie et Voyages. Tome I», p. 14-15. Haut
  3. «Études di­verses. Tome I», p. XII. Haut
  1. «Lettre à Jules Har­mand du 15.VI.1883» dans Dion, «Au­guste Pa­vie», p. 68. Haut
  2. «Pré­face à “Pas­sage du Mé­kong au Ton­kin”» (éd. Trans­bo­réal, coll. Le Gé­nie des lieux, Pa­ris), p. 28. Haut
  3. p. 505. Haut