Nosaka, «Le Dessin au sable et l’Apparition vengeresse qui mit fin au sortilège : récit»

éd. Ph. Picquier, Arles

éd. Ph. Pic­quier, Arles

Il s’agit du «Des­sin au sable et l’Apparition ven­ge­resse qui mit fin au sor­ti­lège» («Su­nae shi­bari go­ni­chi kai­dan» 1) de M. Akiyuki No­saka 2, écri­vain ja­po­nais de ta­lent, mais qui, har­celé par le sen­ti­ment de culpa­bi­lité, a semé dans presque toutes les pages de ses ré­cits l’obscénité la plus gro­tesque et la plus ani­male. Ce sen­ti­ment de culpa­bi­lité est né en lui au len­de­main de la Se­conde Guerre mon­diale, quand il a vu mou­rir sa sœur âgée d’un an et quatre mois, toute dé­char­née après des mois de fa­mine : «Quand je pense com­ment ma sœur, qui n’avait plus que les os et la peau, ne par­ve­nait plus à re­le­ver la tête ni même à pleu­rer, com­ment elle mou­rut seule, com­ment en­fin il ne res­tait que des cendres après sa cré­ma­tion, je me rends compte que j’avais été trop pré­oc­cupé par ma propre sur­vie. Dans les hor­reurs de la fa­mine, j’avais mangé ses parts de nour­ri­ture» 3. Son tra­vail d’écrivain s’est en­tiè­re­ment construit sur cette ex­pé­rience qu’il a ce­pen­dant tra­ves­tie, nar­rée en se fai­sant plai­sir à lui-même, dans «La Tombe des lu­cioles». Car, en vé­rité, il n’était pas aussi tendre que l’adolescent du ré­cit. Il était cruel : c’est en man­geant le dû de sa sœur qu’il a sur­vécu, et c’est en re­fou­lant cette cruauté qu’il a écrit «La Tombe des lu­cioles» qui lui a per­mis par la suite de ga­gner sa vie : «J’ai tri­ché avec cette souf­france — la plus grande, je crois, qui se puisse ima­gi­ner — celle d’[un pa­rent plongé] dans l’incapacité de nour­rir son en­fant. Et moi qui suis plu­tôt d’un na­tu­rel al­lègre, j’en garde une dette, une bles­sure pro­fonde, même si les sou­ve­nirs à la longue s’estompent» 4. C’est cette bles­sure in­fec­tée, sa­tu­rée d’odeurs nau­séa­bondes, que M. No­saka ouvre au so­leil dans ses ré­cits et qu’il met sous le nez de son pu­blic, en criant aussi haut qu’il peut, la bouche en­core amère des ab­sinthes hu­maines : Re­gar­dez!

har­celé par le sen­ti­ment de culpa­bi­lité

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style du «Des­sin au sable et l’Apparition ven­ge­resse qui mit fin au sor­ti­lège» : «Il sor­tit et s’éloigna sous une neige qui tom­bait dru main­te­nant, par­vint jusque de­vant le temple Kô­to­kuji, là, il crut aper­ce­voir quelque chose, un pe­tit amas qui re­muait lé­gè­re­ment sur le sol. S’étant ap­pro­ché, il dé­cou­vrit une forme fé­mi­nine sous un ha­bit de pè­le­rin. “Quoi c’est-y qui vous z’arrive?”, s’enquit-il. Une ré­ac­tion dans la­quelle le bon cœur n’avait pas la moindre part. Cha­cun sait, de toute fa­çon, que les pè­le­rins ne re­çoivent que de bien mo­destes au­mônes en re­mer­cie­ment des li­ta­nies qu’ils ré­citent de porte en porte du­rant leurs pé­ré­gri­na­tions, et la plu­part, en réa­lité, ont pris soin au dé­part de se mu­nir d’un via­tique. Aussi, si Ken­ki­chi mit un ge­nou en terre au­près de l’infortunée — ter­ras­sée, sait-on, par quelque mal in­opiné —, c’était avec pour ar­rière-pen­sée de la sou­la­ger, au pas­sage, de ce pé­cule, en fai­sant mine de lui por­ter as­sis­tance, fa­vo­risé en cela par l’heureuse ab­sence de tout té­moin alen­tour» 5.

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  1. En ja­po­nais «砂絵呪縛後日怪談». Par­fois trans­crit «Su­nae shi­bari go­ni­chi no kai­dan», «Su­nae shi­bari go­jitsu no kai­dan» ou «Su­nae ju­baku go­jitsu kai­dan». Haut
  2. En ja­po­nais 野坂昭如. Haut
  3. Akiyuki No­saka, «五十歩の距離» («La Dis­tance de cin­quante pas»), in­édit en fran­çais. Haut
  1. Phi­lippe Pons, «“Je garde une bles­sure pro­fonde” : un en­tre­tien avec le ro­man­cier». Haut
  2. p. 12-13. Haut