Il s’agit de « L’Odyssée »1 d’Homère2. « Le chantre des exploits héroïques, l’interprète des dieux, le second soleil dont s’éclairait la Grèce, la lumière des muses, la voix toujours jeune du monde entier, Homère, il est là, étranger, sous le sable de ce rivage », dit une épigramme funéraire3. On sait qu’Alexandre de Macédoine portait toujours avec lui une copie des chants d’Homère, et qu’il consacrait à la garde de ce trésor une cassette précieuse, enrichie d’or et de pierreries, trouvée parmi les effets du roi Darius. Alexandre mourut ; l’immense Empire qu’il avait rassemblé pour un instant tomba en ruines ; mais partout où avaient volé les semences de la culture grecque, les chants d’Homère avaient fait le voyage mystérieux. Partout, sur les bords de la Méditerranée, on parlait grec, on écrivait avec les lettres grecques, et nulle part davantage que dans cette ville à l’embouchure du Nil, qui portait le nom de son fondateur : Alexandrie. « C’est là que se faisaient les précieuses copies des chants, là que s’écrivaient ces savants commentaires, dont la plupart ont péri six ou sept siècles plus tard avec la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, que fit brûler le calife Omar, ce bienfaiteur des écoliers », dit Friedrich Spielhagen4. Les Romains recueillirent, autant qu’il était possible à un peuple guerrier et ignorant, l’héritage du génie grec. Et c’était Homère qu’on mettait entre les mains du jeune Romain comme élément de son éducation, et dont il continuait plus tard l’étude dans les hautes écoles d’Athènes. Si Eschyle dit que ses tragédies ne sont que « les reliefs des grands festins d’Homère »5, on peut le dire avec encore plus de raison des Romains, qui s’invitent chez Homère et reviennent avec quelque croûte à gruger, un morceau de cartilage des mets qu’on a servis.
« Il n’y a point d’écrivain dont les ouvrages aient tant occupé la postérité »
Parmi les scènes de « L’Iliade » et de « L’Odyssée », il y en a sans nombre dont la conception nous frappe, dont la pensée nous reste, avec ce pincement au cœur que provoque la confrontation avec un chef-d’œuvre au-dessus de l’esprit humain. Je me souviens de celle, sublime et pathétique, où Priam, les cheveux souillés de cendres, seul au milieu de la nuit, pénètre dans le camp ennemi. Entourant de ses bras les genoux de l’impitoyable Achille, baisant les mains « terribles et meurtrières qui lui avaient tué tant de fils », il demande le corps de son fils Hector : « Souviens-toi de ton père, ô Achille égal aux dieux ! Il est de mon âge et sur le seuil fatal de la vieillesse… » Achille, tout à l’heure guerrier intraitable et féroce, devient doux comme une fille, au seul nom de son père : « Toutes les sources de son cœur s’ouvrent tout à coup. Il pleure ce père qu’il ne reverra pas, son ami qu’il a perdu. Et — on ne peut l’écrire sans émotion — il a des larmes pour ce malheureux vieillard prosterné à ses pieds. “Plein de pitié pour cette tête et cette barbe blanches”, il le relève et le console… Ici, les contrastes ne sont pas des contradictions… Une âme comme celle d’Achille, sans parler de tant d’autres si vivantes, par exemple celles d’Andromaque, d’Hector… d’Ulysse, suppose une imagination poétique douée du don suprême, le don de créer des âmes, le don de la vie. Très peu d’écrivains — même parmi les plus grands — ont eu en plénitude ce haut privilège », explique très bien Georges Le Bidois6.
« Il n’y a point d’écrivain dont les ouvrages aient tant occupé la postérité ; il n’y en a point dont la personne soit moins connue. Un adorateur d’Homère pourrait dire que ce poète ressemble à la divinité, que l’on ne connaît que par ses œuvres », dit La Harpe7. On ne sait pas bien précisément où Homère est né, ni même s’il a existé. L’encyclopédie Souda fait monter à vingt le nombre des villes qui se disputaient l’honneur d’être sa patrie. Des savants ont écrit là-dessus de gros volumes qui ne nous ont rien appris. Et qu’importe, après tout, quelle terre puisse se vanter d’avoir produit cet homme qui, par la date autant que par le génie, est le tout premier des poètes universels. Comme dit Sohrab Sepehri :
« Écoute, le plus lointain oiseau du monde chante.
La nuit est fluide, une, béante…
Écoute, de loin le sentier hèle tes pas…
Dessille tes paupières, chausse-toi et viens.
Et viens jusqu’à ce lieu…
Où le temps s’assiéra près de toi sur une motte de terre,
Où la nuit [absorbera en elle] ta silhouette comme un fragment de chant »8.
Il n’existe pas moins de vingt-quatre traductions françaises de « L’Odyssée », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Charles-Marie Leconte de Lisle.
« Σμερδαλέος δ’ αὐτῇσι φάνη κεκακωμένος ἅλμῃ,
Τρέσσαν δ’ ἄλλυδις ἄλλη ἐπ’ ἠϊόνας προὐχούσας.
Οἴη δ’ Ἀλκινόου θυγάτηρ μένε· τῇ γὰρ Ἀθήνη
Θάρσος ἐνὶ φρεσὶ θῆκε καὶ ἐκ δέος εἵλετο γυίων.
Στῆ δ’ ἄντα σχομένη· ὁ δὲ μερμήριξεν Ὀδυσσεύς,
Ἢ γούνων λίσσοιτο λαϐὼν εὐώπιδα κούρην,
Ἦ αὔτως ἐπέεσσιν ἀποσταδὰ μειλιχίοισι
Λίσσοιτ’, εἰ δείξειε πόλιν καὶ εἵματα δοίη. »
— Passage dans la langue originale
« Et il leur apparut horrible et souillé par l’écume de la mer, et elles s’enfuirent, çà et là, sur les hauteurs du rivage. Et seule la fille d’Alkinoos resta, car Athènè avait mis l’audace dans son cœur et chassé la crainte de ses membres. Elle resta donc seule en face d’Odysseus.
Et celui-ci délibérait, ne sachant s’il supplierait la vierge aux beaux yeux, en saisissant ses genoux, ou s’il la prierait de loin, avec des paroles flatteuses, de lui donner des vêtements et de lui montrer la ville.9 »
— Passage dans la traduction de Leconte de Lisle
« En voyant l’horreur de ce corps abîmé par la mer,
Elles s’enfuirent en tous sens jusqu’au bord du rivage,
Excepté la fille d’Alkinoos, car Athéna
Lui donnait du courage et chassait la peur de ses membres.
Elle s’arrêta devant lui. Ulysse était perplexe :
Allait-il implorer la belle en pressant ses genoux,
Ou rester à distance et la prier, en mots bien doux,
De lui montrer la ville et de lui donner des habits ? »
— Passage dans la traduction de M. Frédéric Mugler (éd. Actes Sud, coll. Babel, Arles)
« Dans cet état, tout couvert de la fange de la mer, il leur paraît affreux. Elles s’effraient, elles courent éperdues ; la fille d’Alcinoüs reste seule : Minerve lui a donné une noble assurance et a banni la crainte de son cœur ; elle fixe sur lui ses regards et l’attend immobile.
Ulysse balance s’il ira embrasser ses genoux, ou si, de loin, dans une attitude respectueuse, il lui adressera son hommage, la conjurera de lui enseigner la ville où est le siège du pouvoir suprême, et de lui donner des vêtements pour couvrir sa misère. »
— Passage dans la traduction du prince Charles-François Le Brun (XVIIIe siècle)
« Il leur paraît horrible, tant son corps est souillé d’écume ! Elles fuient toutes tremblantes et se cachent dans les rochers du rivage. La seule fille d’Alcinoos reste immobile ; Minerve lui a inspiré une noble hardiesse et l’a délivrée de la crainte ; elle s’arrête et regarde le héros. Cependant, Ulysse délibère s’il implorera la belle vierge en embrassant ses genoux, ou si de loin il la suppliera doucement de lui montrer la ville et de lui donner des vêtements. »
— Passage dans la traduction de Pierre Giguet (XIXe siècle)
« Il parut à leurs yeux, effrayant, ravagé par l’eau salée. Elles s’enfuirent, tremblantes, en divers sens, sur les saillies du rivage. Seule, la fille d’Alcinoos resta. Athéna lui avait mis dans l’esprit l’assurance et lui avait ôté la peur des membres. Elle s’arrêta debout, en face d’Ulysse, et lui se mit à réfléchir : devait-il prier la jeune fille au beau visage en lui prenant les genoux ; ou la prier comme cela, debout, à distance, avec d’apaisantes paroles, de lui indiquer la ville et de lui donner des vêtements ? »
— Passage dans la traduction de M. Louis Bardollet (éd. R. Laffont, coll. Bouquins, Paris)
« Dès qu’il se montre défiguré comme il est par l’écume de la mer, il leur paraît si épouvantable, qu’elles prennent toutes la fuite pour aller se cacher l’une d’un côté, l’autre d’un autre derrière des rochers dont le rivage est bordé. La seule fille d’Alcinoüs attend sans s’étonner, car la Déesse Minerve bannit de son âme la frayeur et lui inspira la fermeté et le courage. Elle demeure donc sans s’ébranler, et Ulysse délibéra en son cœur s’il irait embrasser les genoux de cette belle nymphe, ou s’il se contenterait de lui adresser la parole de loin, et de la prier dans les termes les plus touchants de lui donner des habits et de lui enseigner la ville la plus prochaine. »
— Passage dans la traduction d’Anne Lefebvre Dacier (XVIIIe siècle)
« Effroyable il parut, défiguré par la saumure,
Et toutes s’égaillèrent vers l’extrême pointe des grèves.
Seule resta l’enfant d’Alcinoos ; car Athéna
Lui donnait du courage et chassait la peur de ses membres.
Elle était immobile ; en face d’elle, il hésitait
S’il prendrait aux genoux la jeune fille au beau visage
Ou dirait à distance des mots doux comme le miel
Pour l’implorer de le vêtir et conduire à la ville. »
— Passage dans la traduction de M. Philippe Jaccottet (éd. Le Club français du livre, Paris)
« Il leur apparut, horrible et défiguré par l’onde amère ; et elles s’enfuirent, épouvantées, dans toutes les directions, sur les rives élevées. La fille d’Alcinoüs demeura seule : car Minerve avait mis la force dans son cœur et banni la frayeur de ses membres. Elle resta donc, immobile ; et Ulysse délibéra s’il supplierait la jeune fille aux beaux yeux, en lui prenant les genoux, ou s’il lui adresserait, à distance et sans approcher, de douces paroles, pour la prier de lui indiquer la ville et de lui donner des vêtements. »
— Passage dans la traduction d’Émile Pessonneaux (XIXe siècle)
« Quoique sans vêtement, tel Ulysse, excité
Par l’ardent aiguillon de la nécessité,
Aux vierges qu’embellit leur longue chevelure
Se présente souillé par une fange impure,
Leur apparaît horrible, et l’essaim devant lui
Sur ces bords escarpés au hasard s’est enfui.
Seule, d’Alcinoüs la noble fille reste ;
Pallas lui communique une force céleste ;
Elle attend sans frémir. Ulysse ne sait pas
Si vers la belle nymphe il doit porter ses pas,
Ou demander de loin et toujours immobile
Le don d’un vêtement, le chemin de la ville. »
— Passage dans la traduction d’Anne Bignan (XIXe siècle)
« Il leur apparut comme un être effrayant, défiguré par le sel de la mer. Elles s’enfuirent chacune de son côté, sur les saillies des berges. Seule resta la fille d’Alkinoos, car Athéna avait mis l’assurance en son cœur et banni la frayeur de ses membres. Elle resta debout, face à face avec lui. Ulysse hésitait : allait-il supplier, en lui prenant les genoux, cette vierge aux beaux yeux, ou la prier à distance par de douces paroles de lui indiquer le chemin de la ville et de lui donner de quoi se vêtir ? »
— Passage dans la traduction de Mario Meunier (éd. A. Michel, Paris)
« Elles firent un grand cri, et la crainte leur ôtant tout le soin qu’elles devaient avoir de la princesse, elles s’écartent en fuyant le plus loin qu’il leur fut possible.
Nausicaa ne se laissa point emporter à cette frayeur. Elle s’arrêta et attendit que ce fantôme s’approchât d’elle ; il était impossible de démêler ce que ce pouvait être. Il était couvert de l’écume de la mer, dont son corps était sali. La verdure des feuilles, dont il était revêtu, jointe à l’état où il était réduit, le rendait la chose la plus surprenante du monde.
Ulysse ne savait s’il devait s’approcher en cette misérable figure, pour embrasser les genoux de cette princesse. »
— Passage dans la traduction de l’abbé de La Valterie (XVIIe siècle)
« Quand l’horreur de ce corps tout gâté par la mer leur apparut, ce fut une fuite éperdue jusqu’aux franges des grèves. Il ne resta que la fille d’Alkinoos : Athéna lui mettait dans le cœur cette audace et ne permettait pas à ses membres la peur. Debout, elle fit tête…
Ulysse réfléchit : irait-il supplier cette fille charmante et la prendre aux genoux ; ou sans plus avancer, ne devait-il user que de douces prières afin de demander le chemin de la ville et de quoi se vêtir ? »
— Passage dans la traduction de Victor Bérard (éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris)
« Souillé par l’onde amère, le héros leur apparaît si horrible qu’elles fuient de tous côtés sur les roches élevées qui bordent la mer. La fille d’Alcinoüs seule reste en ces lieux : Minerve a déposé dans l’âme de Nausica une audace nouvelle en bannissant toute crainte de son cœur. Tandis que la jeune vierge s’arrête avec courage en face du héros, Ulysse délibère en lui-même s’il saisira les genoux de la jeune fille, ou se tenant éloigné, s’il la suppliera par de douces paroles de lui enseigner le chemin de la ville et de lui donner des vêtements… »
— Passage dans la traduction d’Eugène Bareste (XIXe siècle)
« Il leur apparut effrayant à voir, tout souillé d’écume de mer. Tremblant d’une peur contagieuse, elles s’enfuirent vers les plages ; seule la fille d’Alkinoos demeura : Athéna lui mit le sang-froid au cœur et ôta toute peur de ses membres. Debout en face de lui, elle l’affronta. Ulysse réfléchit : supplierait-il en enlaçant les genoux de la gracieuse jeune fille, ou ferait-il sa supplique sans s’approcher, avec de douces paroles il la prierait de le diriger vers la ville, et de lui donner des vêtements ? »
— Passage dans la traduction de Mme Louise Mistral (éd. Z, Nice)
« Tel, horrible et noirci par le bitume humide,
Paraît le fier Ulysse à la troupe timide.
La foule se disperse et fuit vers les coteaux
Que cette rive oppose à la fureur des eaux ;
Seule entre ces beautés, la fille de la reine
S’arrête et ne suit point l’effroi qui les entraîne ;
Minerve la rassure et, dans son jeune cœur,
À de plus nobles soins a fait céder la peur.
Ulysse la contemple, il hésite, il balance :
Doit-il, de cette Nymphe implorant l’assistance,
Aller en suppliant embrasser ses genoux ?
Ou doit-il à l’écart, redoutant son courroux,
Et ménageant l’orgueil d’une beauté sévère,
Adoucir sa fierté par une humble prière ? »
— Passage dans la traduction de Guillaume de Rochefort (XVIIIe siècle)
« Il leur apparut horrible, défiguré par l’onde amère ; elles s’enfuirent de tous côtés sur les rives avancées ; seule la fille d’Alcinoüs resta, car Minerve avait mis l’assurance en son cœur et chassé la crainte de ses membres. Elle se contint et s’arrêta en face d’Ulysse ; le héros hésitait s’il embrasserait en suppliant les genoux de la fille aux beaux yeux, ou si, restant loin d’elle, il la prierait par de douces paroles de lui enseigner la ville et de lui donner des vêtements. »
— Passage dans la traduction d’Édouard Sommer (XIXe siècle)
« À l’aspect terrible et imprévu de ce mortel souillé du limon des mers, saisies d’épouvante, elles fuient, se dispersent et se cachent sous les bords élevés du rivage. Seule, la fille d’Alcinoüs ne prend point la fuite et demeure de pied ferme ; Minerve lui inspire cette fermeté surnaturelle. Ulysse délibère s’il embrassera les genoux de la belle princesse, ou si, à cet éloignement, il la conjurera d’une voix douce et suppliante de vouloir lui donner des vêtements, et lui indiquer la route de la ville. »
— Passage dans la traduction de Paul-Jérémie Bitaubé (XVIIIe siècle)
« Le sel desséché dont son visage est couvert, le rend horrible. Les suivantes de Nausicaé se troublent à son aspect ; toutes fuient sur les hauteurs qui couvrent le rivage. La fille d’Alcinoüs demeure seule ; Minerve a soufflé le courage dans son âme et dissipé sa frayeur. Elle s’arrête devant Ulisse, qui délibère en lui-même s’il embrassera les genoux de la belle princesse qui se présente à sa vue ; ou si, se tenant éloigné, il se bornera à lui adresser ses prières pour qu’elle lui indique le chemin de la ville et lui donne des vêtements. »
— Passage dans la traduction de Pierre-Louis-Claude Gin (XVIIIe siècle)
« Effroyable il leur apparut, tout souillé par l’eau salée ; elles s’enfuirent chacune de son côté, dispersées sur les berges. Seule, la fille d’Alcinoos demeura ; car Athéné avait mis la hardiesse en son esprit, ôté la peur de ses membres. Elle resta donc face à face avec lui. Ulysse délibérait s’il supplierait la jeune fille aux beaux yeux, en embrassant ses genoux, ou seulement à distance lui demanderait par mielleuses paroles de lui montrer la ville et donner des vêtements. »
— Passage dans la traduction de Médéric Dufour et Jeanne Raison (éd. Garnier frères, coll. Classiques Garnier, Paris)
« Il apparaît horrible et souillé par la lame.
Elles de s’échapper sur les rocs au hasard.
Seule, Nausicaa reste ; car de son âme
Minerve ôte le trouble, y met un calme à part.
Donc seule elle demeure ; Ulysse délibère
S’il doit tomber aux pieds de la vierge aux beaux yeux,
Ou la prier de loin, en un discours mielleux,
De lui montrer les murs, d’habiller sa misère. »
— Passage dans la traduction du comte Ulysse de Séguier (XIXe siècle)
« Il leur apparaît horrible et souillé par l’onde amère : aussitôt elles se dispersent de toutes parts sur les rives élevées. La fille d’Alcinoüs reste seule ; ce fut Minerve qui lui donna cette force, et qui l’affranchit de toute crainte ; elle s’arrête donc pour attendre Ulysse. Cependant, le héros hésite s’il embrassera les genoux de la jeune fille, ou se tenant de loin, s’il la suppliera, par de douces paroles, de lui dire le chemin de la ville et de lui donner des vêtements. »
— Passage dans la traduction de Jean-Baptiste Dugas-Montbel (XIXe siècle)
« Ainsi la nécessité pousse Ulysse hors des bocages, bien qu’il fût tout nu et diffamé de l’écume de la mer ; ce qui étonne fort les servantes de chambre de Nausicaa, pour l’horreur du spectacle fuyant par le rivage et broussailles. Néanmoins, Nausicaa eut cette hardiesse que de demeurer, que Minerve lui avait envoyée ; elle demeura de pied coi10 pour le recevoir et entendre Ulysse, qui ne savait s’il la devait supplier selon les règles de la courtoisie, en embrassant humblement le genou de la fille ; ou bien de parler de loin, se dispensant sagement selon l’occasion et le temps, la suppliant de lui enseigner le chemin qu’il fallait tenir pour aller en la ville, et l’accommoder de vêtement. »
— Passage dans la traduction de Claude Boitet11 de Frauville (XVIIe siècle)
« Ainsi leur paraît-il horrible et hérissé
Du froid et de la mer. Les fillettes craintives,
Le voyant, çà delà s’enfuirent hâtives,
Où la soudaineté première les porta,
Et tout le long du bord chacune se jeta.
Mais Nausicaa seule entre ses damoiselles
Fit ferme12, sans trembler. Car Pallas lui poussa
Force, courage et cœur, et sa crainte chassa.
Comme il la regardait, elle demeura ferme :
Et le Dulichien13 ne savait en quel terme
Il se ferait entendre : ou s’il lui toucherait,
Se baissant, les genoux ; ou s’il demeurerait
Quelque peu éloigné, lui faisant sa requête
Qu’il lui plût lui montrer quelque demeure honnête,
Quelque lieu de retraite et, bénigne, lui fît
Par hospitalité présent de quelque habit. »
— Passage dans la traduction de Salomon Certon (XVIIe siècle)
« Il leur parut affreux, tout souillé qu’il était de l’écume de la mer ; elles s’enfuirent de côté et d’autre et se cachèrent dans les anfractuosités du rivage. La seule fille d’Alcinoos est restée, car Athéné a inspiré le courage à son esprit et chassé la peur de ses membres. Ulysse hésita s’il embrasserait les genoux de la jeune fille, ou s’il l’implorerait de loin, lui adressant des discours mielleux. (lacune) »
— Passage dans la traduction d’Eugène Hins (XIXe siècle)
« Jamque sale ut fœdos horrens apparuit artus,
Continuo trepidæ summis per gramina ripis
Diffugene omnes : tantum una haud territa gnata
Restitit Alcinoi, cui mentem bellica virgo
Firmarat, solvens turpi formidine pectus.
Illa immota stetit contra : turbatus at heros
Hæsit inops dubiusque animi, genibusne prehensis,
Virginis exoret pacem progressus, an ipsam
Eminus aggrediens dictis, et pectora blandus
Mollia demulcens tentet prece, ad urbis ut alta
Mœnia demonstretque viam, nudataque membra
Veste tegat ? »
— Passage dans la traduction latine de Bernardo Zamagna (XVIIIe siècle)
« Terribilis autem ipsis apparuit, afflictatus salsugine.
Fugerunt autem aliæ alio in littora prominentia :
Sola autem Alcinoi filia mansit ; huic enim Minerva
Fiduciam in mentibus posuit et timorem extraxit membris.
Stetit autem contra se habens ; cogitabat autem Ulysses,
An genibus precaretur apprehendens pulchram oculos puellam,
An sic verbis de longe dulcibus
Precaretur, si ostendere civitatem et vestimenta dare vellet. »
— Passage dans la traduction latine d’Andreas Divus (XVIe siècle)
« Horrende autem ipsis apparet, afflictus salsugine.
Diffugiunt autem huc atque illuc per littora prominentia :
Sola autem Alcinoi filia præstolabat ; ipsi enim Pallas
Audaciam in mente indidit et [formidinem] demisit e membris.
Stetit autem palam exceptura ; hic cogitabat Ulysses,
An supplicaret genua prændens pulchris oculis puellæ,
Aut verbis temere longe stans blandis
Precaretur, si ostenderet civitatem et vestes impertiret. »
— Passage dans la traduction latine d’Andreas Divus, revue par Nikolaus Brylinger (XVIe siècle)
« Horrende autem ipsis apparuit, afflictus salsugine.
Diffugerunt autem huc atque illuc per littora prominentia :
Sola autem Alcinoi filia mansit ; ipsi enim Pallas
Audaciam in mente indidit et formidinem ademit e membris.
Stetit autem contra ; hic cogitabat Ulysses,
An supplicaret genibus prehensis pulchris oculis puellæ,
An alioquin verbis longe stans blandis
Precaretur, si ostenderet urbem et vestes impertiret. »
— Passage dans la traduction latine d’Andreas Divus, revue par Sébastien Castellion (XVIe siècle)
« Horrende autem ipsis apparuit, afflictus salsugine.
Diffugerunt autem huc atque illuc per littora prominentia :
Sola autem Alcinoi filia constitit ; ipsi enim Pallas
Audaciam in mente indidit et metum exemerat e membris.
Stetit autem contra ipsum exceptura ; hic cogitabat Ulysses,
An supplicaret genua prændens pulchris oculis puellæ,
Aut temere verbis longe stans blandis
Precaretur, si ostenderet civitatem et vestes donaret. »
— Passage dans la traduction latine d’Andreas Divus, revue par Jean Crespin (XVIe siècle)
« Horrendus autem ipsis apparuit, afflictus salsugine.
Diffugeruntque huc atque illuc per ripas prominentes :
Sola tamen Alcinoi filia mansit ; ei enim Pallas
Audaciam in mente indiderat et formidinem exemerat membris.
Stetit autem opposita ; sed ipse cogitabat Ulysses,
An oraret genibus prehensis pulchræ oculos puellæ,
An alioquin verbis longe stans blandis
Precaretur, ut ostenderet urbem et vestes daret. »
— Passage dans la traduction latine d’Andreas Divus, revue par Jean-Henri Lederlin et Stephan Bergler (XVIIIe siècle)
« Horribilis autem ipsis apparuit, male affectus salsugine.
Diffugerunt itaque huc atque illuc per littora prominentia :
Sola autem Alcinoi filia constitit ; ipsi enim Pallas
Audaciam in mente indidit et metum exemerat e membris.
Stetit itaque contra ipsum exceptura ; cogitabat interea Ulysses,
An supplicaret genua prændens pulchris oculis puellæ,
An ut erat verbis longe stans blandis
Precaretur, si ostenderet civitatem et vestes donaret. »
— Passage dans la traduction latine d’Andreas Divus, revue par Joshua Barnes (XVIIIe siècle)
« Horribilis autem ipsis apparuit, deturpatus salsugine.
Diffugerunt autem huc atque illuc per ripas prominentes :
Sola autem Alcinoi filia mansit ; ei enim Minerva
Audaciam in mente indidit et metum exemit e membris.
Stetit vero contra expectans ; deliberabat autem Ulysses,
An supplicaret genibus prehensis pulchræ oculos puellæ,
An ut erat verbis eminus stans blandis
Precaretur, si ostenderet urbem et vestes daret. »
— Passage dans la traduction latine d’Andreas Divus, revue par Samuel Clarke (XVIIIe siècle)
« Igitur horrendus illis ilico apparuit, marisque fluctibus sordidus. At illæ huc illuc per littora cursitavere : sola vero Alcinoi filia remansit, vires et audaciam de Minerva sumens, metum omnem ab se abjecit : itaque adversa constitit. At ille dubius an genua supplex puellæ amplecteretur, an placidis eam verbis procul absistendo oraret, ut civitatem ostenderet, ac vestes ei præberet. »
— Passage dans la traduction latine de Raffaele Maffei, dit Raphael Volaterranus (XVIe siècle)
« Sic subito horrendus nymphis apparuit ille
Æquoreo fluctu squalens afflictus Ulysses.
Ast huc atque illuc trepidæ fugere puellæ :
Ut quamcunque tulit, properaverat, impetus, illuc :
Ac cursu celeres petierunt littora curva,
Et qua procurrit margo : timor addidit alas.
Tum sola Alcinoi proles interrita mansit.
Huic etenim audaces vires Tritonia Pallas
Fecerat, atque metus membris exemerat acres,
Adverso virgo stetit ipsa affixa tuenti.
Dulichius subito meditans, an tangeret illi
Genua cadens supplex, an molliter ipse precatus
Distaret spatio longo, blandusque rogaret,
Monstraret sedes index, et mœnia felix,
Utque daret munus sibi vestes hospita virgo »
— Passage dans la traduction latine de Simon Lemnius (XVIe siècle)
« Horruerunt puellæ, cum sale sordidum viderent, et aliæ alio per sonantia littora diffugerunt. Sola autem Alcinoi filia in vestigio perstitit. Ejus namque Minerva animum confirmarat et formidinem dempserat. At Ulixes secum deliberans, an ad ejus pedes supplex procideret, an sic procul supplicibus verbis precaretur, ut et, qua ad urbem iretur, ostenderet et vestem aliquam largiretur. »
— Passage dans la traduction latine de Francesco Griffolini, dit Franciscus Aretinus (XVe siècle)
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- « L’Odyssée » dans la traduction de M. Frédéric Mugler, lue par ~troglodyte67 [Source : YouTube]
- Extraits de « L’Odyssée » dans la traduction de Victor Bérard, lus par Jean-Paul Alexis [Source : Audiocité]
- Deux chants de « L’Odyssée » dans la traduction de Leconte de Lisle, lus par René Depasse [Source : Littérature audio]
- Cinq chants de « L’Odyssée » dans la traduction de Leconte de Lisle, lus par Olivier Pontreau [Source : Littérature audio]
- Dix-huit chants de « L’Odyssée » dans la traduction de Leconte de Lisle, lus par ~SPQR [Source : Audiocité]
- Jacqueline de Romilly évoquant Homère [Source : France Culture]
- Maurizio Bettini évoquant Homère [Source : Collège de France]
- Sylvain Tesson évoquant Homère [Source : France Inter]
- Jean-Pierre Vernant évoquant « L’Odyssée » [Source : Radio Télévision Suisse (RTS) • Collège de France]
- Jean Rudhardt évoquant « L’Odyssée » [Source : Radio Télévision Suisse (RTS)].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « Homère, sur les traces d’Ulysse ; sous la direction d’Olivier Estiez, Mathilde Jamain et Patrick Morantin » (éd. Bibliothèque nationale de France, Paris)
- Georges Le Bidois, « Études d’analyse critique appliquée aux poètes grecs. Homère » dans « L’Enseignement chrétien », vol. 10, no 1, p. 7-11 ; vol. 10, no 4, p. 52-57 [Source : Google Livres]
- Friedrich Spielhagen, « Homère » dans « Revue des cours littéraires de la France et de l’étranger », vol. 3, p. 512-518 [Source : Google Livres].
- En grec « Ὀδύσσεια ».
- En grec Ὅμηρος.
- En grec « Ἡρώων κάρυκ’ ἀρετᾶς, μακάρων δὲ προφήταν, Ἑλλάνων βιοτᾷ δεύτερον ἀέλιον, Μουσῶν φέγγος Ὅμηρον, ἀγήραντον στόμα κόσμου παντός, ἁλιρροθία, ξεῖνε, κέκευθε κόνις ». Antipater de Sidon dans « Anthologie grecque, d’après le manuscrit palatin ».
- « Homère », p. 513.
- En grec « τεμάχη τῶν Ὁμήρου μεγάλων δείπνων ». Athénée, « Banquet des savants ».
- « Études d’analyse critique appliquée aux poètes grecs. Homère », p. 55-56.
- « Cours de littérature ancienne et moderne. Tome I », p. 55.
- « Oasis d’émeraude ; introduction et traduction de Daryush Shayegan », p. 14.
- « C’est un des endroits de “L’Odyssée” que Fénelon aimait le mieux, et avec raison. Il n’y en a point où Homère ait mis plus de grâce et de vérité. On est charmé de la modestie, de l’ingénuité, de la retenue et de la bonté noble et compatissante de cette jeune princesse, lorsqu’Ulysse, échappé du naufrage, se présente devant elle et implore sa protection et ses secours. Avec quel plaisir on voit la compassion si naturelle à son sexe surmonter la frayeur que doit lui inspirer la vue d’un homme à moitié couvert de feuillage… C’est en sachant descendre… à cette vérité de détails que l’on saisit la nature et qu’on la fait sentir. C’est un mérite qui manque trop souvent aux Modernes », dit La Harpe (p. 59).
- « De pied coi » s’est dit pour « de pied ferme ».
- On rencontre aussi les graphies Boitel et Boittet.
- « Faire ferme » s’est dit pour « attendre de pied ferme ».
- Le Dulichien sert d’antonomase pour désigner Ulysse, roi d’Ithaque et de Dulichie.