Mot-clefrécits de voyages

su­jet

Chateaubriand, «Voyages en Amérique et en Italie. Tome II»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Voyage en Ita­lie» et autres œuvres de Fran­çois René de Cha­teau­briand, au­teur et po­li­tique fran­çais, père du ro­man­tisme chré­tien. Le mal, le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne mo­nar­chie, de l’ancienne aris­to­cra­tie, il se plaça contre la Ré­vo­lu­tion fran­çaise, dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la fa­mille de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mé­lan­co­lie mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au sou­ve­nir de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large so­leil». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la réa­lité dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette vie», écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune pen­sée ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la re­li­gion chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec cha­leur et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses en­fants, ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le scep­ti­cisme de mon “Es­sai sur les Ré­vo­lu­tions”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son em­pri­son­ne­ment. Ces deux voix sor­ties du tom­beau, cette mort qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Haut
  1. «Études his­to­riques». Haut

Chateaubriand, «Voyages en Amérique et en Italie. Tome I»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Voyage en Amé­rique» et autres œuvres de Fran­çois René de Cha­teau­briand, au­teur et po­li­tique fran­çais, père du ro­man­tisme chré­tien. Le mal, le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne mo­nar­chie, de l’ancienne aris­to­cra­tie, il se plaça contre la Ré­vo­lu­tion fran­çaise, dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la fa­mille de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mé­lan­co­lie mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au sou­ve­nir de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large so­leil». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la réa­lité dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette vie», écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune pen­sée ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la re­li­gion chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec cha­leur et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses en­fants, ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le scep­ti­cisme de mon “Es­sai sur les Ré­vo­lu­tions”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son em­pri­son­ne­ment. Ces deux voix sor­ties du tom­beau, cette mort qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Haut
  1. «Études his­to­riques». Haut

Bashô, «Seigneur ermite : l’intégrale des haïkus»

éd. La Table ronde, Paris

éd. La Table ronde, Pa­ris

Il s’agit des haï­kus de Mat­suo Ba­shô 1, fi­gure illustre de la poé­sie ja­po­naise (XVIIe siècle apr. J.-C.). Par son éthique de vie, en­core plus que par son œuvre elle-même, ce fils de sa­mou­raï a im­posé la forme ac­tuelle du haïku, mais sur­tout il en a dé­fini la ma­nière, l’esprit : lé­gè­reté, re­cherche de sim­pli­cité, ex­trême res­pect pour la na­ture, et ce quelque chose qu’on ne peut dé­fi­nir fa­ci­le­ment et qu’il faut sen­tir — une élé­gance in­té­rieure, comme re­vê­tue de pu­deur dis­crète, qui est fon­ciè­re­ment ja­po­naise. Son poème de la rai­nette est un fa­meux exemple du saut par le­quel le haïku se dé­bar­rasse de l’artificiel pour at­teindre la so­briété nue : «Vieil étang / une rai­nette y plon­geant / chu­cho­tis de l’eau» 2. Ce haïku tra­duit et d’autres sont le pre­mier ou­vrage par le­quel la poé­sie et la pen­sée asia­tiques viennent jusqu’à Mme Mar­gue­rite Your­ce­nar qui a quinze ans : «Ce livre ex­quis a été l’équivalent pour moi d’une porte en­tre­bâillée; elle ne s’est plus ja­mais re­fer­mée de­puis», écrit-elle dans une lettre da­tée de 1955. En 1982, pen­dant ses trois mois pas­sés au Ja­pon, elle suit sur les sen­tiers étroits la trace de Ba­shô; et tan­dis qu’un ami ja­po­nais, qui la guide, com­mence à lui tra­duire «Elles mour­ront bien­tôt…», elle l’interrompt en ci­tant par cœur la chute : «et pour­tant n’en montrent rien / chant des ci­gales». «Peut-être son plus beau poème», pré­cise-t-elle dans un pe­tit ar­ticle in­ti­tulé «Ba­shô sur la route». À Kyôto, elle vi­site la hutte qui a hé­bergé notre poète vers la fin de sa vie — Ra­ku­shi­sha 3la chau­mière où tombent les ka­kis» 4) qui lui «fait pen­ser à la lé­gère dé­pouille d’une ci­gale». À l’intérieur, si on peut par­ler d’intérieur dans un lieu si ou­vert aux in­tem­pé­ries, rien ou presque pour se pro­té­ger du pas­sage des sai­sons, si pré­sentes jus­te­ment dans l’œuvre de Ba­shô «par les in­con­vé­nients et les ma­laises qu’elles ap­portent au­tant que par l’extase des yeux et de l’esprit que dis­pense leur beauté», comme ex­plique Mme Your­ce­nar. Quant au maître lui-même : «Cet homme am­bu­lant», écrit-elle, «qui a in­ti­tulé l’un de ses es­sais “Sou­ve­nirs d’un sque­lette ex­posé aux in­tem­pé­ries” voyage moins pour s’instruire… que pour su­bir. Su­bir est une fa­culté ja­po­naise, pous­sée par­fois jusqu’au ma­so­chisme [!], mais l’émotion et la connais­sance chez Ba­shô naissent de cette sou­mis­sion à l’événement ou à l’incident : la pluie, le vent, les longues marches, les as­cen­sions sur les sen­tiers ge­lés des mon­tagnes, les gîtes de ha­sard, comme ce­lui de l’octroi à Shi­to­mae où il par­tage une pièce au plan­cher de terre bat­tue avec un che­val…» Sous des ap­pa­rences de pro­me­nades, ces pè­le­ri­nages éveillaient la pen­sée de Ba­shô et met­taient sa vie en confor­mité avec la haute idée qu’il se fai­sait du haïku : «Le vent me trans­perce / ré­si­gné à y lais­ser mes os / je pars en voyage»

  1. En ja­po­nais 松尾芭蕉. Au­tre­fois trans­crit Mat­soura Ba­cho, Mat­sura Ba­sho, Mat­souo Ba­shô ou Mat­suwo Ba­shô. Haut
  2. En ja­po­nais «古池や蛙飛こむ水のおと». Haut
  1. En ja­po­nais 落柿舎. Haut
  2. Par­fois tra­duit «la villa où tombent les ka­kis», «villa aux ka­kis tom­bés» ou «la mai­son des ka­kis tom­bés à terre». Haut

Volney, «Considérations sur la guerre actuelle des Turcs»

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des «Consi­dé­ra­tions sur la guerre ac­tuelle des Turcs» de Constan­tin-Fran­çois de Chas­sebœuf, voya­geur et lit­té­ra­teur fran­çais, plus connu sous le sur­nom de Vol­ney (XVIIIe-XIXe siècle). Il per­dit sa mère à deux ans et fut laissé entre les mains d’une vieille pa­rente, qui l’abandonna dans un pe­tit col­lège d’Ancenis. Le ré­gime de ce col­lège était fort mau­vais, et la santé des en­fants y était à peine soi­gnée; le di­rec­teur était un homme bru­tal, qui ne par­lait qu’en gron­dant et ne gron­dait qu’en frap­pant. Vol­ney souf­frait d’autant plus que son père ne ve­nait ja­mais le voir et ne pa­rais­sait ja­mais avoir pour lui cette sol­li­ci­tude que té­moigne un père en­vers son fils. L’enfant avan­çait pour­tant dans ses études et était à la tête de ses classes. Soit par na­ture, soit par suite de l’abandon de son père, soit les deux, il se plai­sait dans la mé­di­ta­tion so­li­taire et ta­ci­turne, et son gé­nie n’attendait que d’être li­béré pour se dé­ve­lop­per et pour prendre un es­sor ra­pide. L’occasion ne tarda pas à se pré­sen­ter : une mo­dique somme d’argent lui échut. Il ré­so­lut de l’employer à ac­qué­rir, dans un grand voyage, un fonds de connais­sances nou­velles. La Sy­rie et l’Égypte lui pa­rurent les pays les plus propres aux ob­ser­va­tions his­to­riques et mo­rales dont il vou­lait s’occuper. «Je me sé­pa­re­rai», se pro­mit-il 1, «des so­cié­tés cor­rom­pues; je m’éloignerai des pa­lais où l’âme se dé­prave par la sa­tiété, et des ca­banes où elle s’avilit par la mi­sère; j’irai dans la so­li­tude vivre parmi les ruines; j’interrogerai les mo­nu­ments an­ciens… par quels mo­biles s’élèvent et s’abaissent les Em­pires; de quelles causes naissent la pros­pé­rité et les mal­heurs des na­tions; sur quels prin­cipes en­fin doivent s’établir la paix des so­cié­tés et le bon­heur des hommes.» Mais pour vi­si­ter ces pays avec fruit, il fal­lait en connaître la langue : «Sans la langue, l’on ne sau­rait ap­pré­cier le gé­nie et le ca­rac­tère d’une na­tion : la tra­duc­tion des in­ter­prètes n’a ja­mais l’effet d’un en­tre­tien di­rect», pen­sait-il 2. Cette dif­fi­culté ne re­buta point Vol­ney. Au lieu d’apprendre l’arabe en Eu­rope, il alla s’enfermer du­rant huit mois dans un couvent du Li­ban, jusqu’à ce qu’il fût en état de par­ler cette langue com­mune à tant d’Orientaux.

  1. «Les Ruines», p. 19. Haut
  1. «Pré­face à “Voyage en Sy­rie et en Égypte”». Haut

Volney, «Leçons d’histoire, prononcées à l’École normale en l’an III de la République française»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Le­çons d’histoire» de Constan­tin-Fran­çois de Chas­sebœuf, voya­geur et lit­té­ra­teur fran­çais, plus connu sous le sur­nom de Vol­ney (XVIIIe-XIXe siècle). Il per­dit sa mère à deux ans et fut laissé entre les mains d’une vieille pa­rente, qui l’abandonna dans un pe­tit col­lège d’Ancenis. Le ré­gime de ce col­lège était fort mau­vais, et la santé des en­fants y était à peine soi­gnée; le di­rec­teur était un homme bru­tal, qui ne par­lait qu’en gron­dant et ne gron­dait qu’en frap­pant. Vol­ney souf­frait d’autant plus que son père ne ve­nait ja­mais le voir et ne pa­rais­sait ja­mais avoir pour lui cette sol­li­ci­tude que té­moigne un père en­vers son fils. L’enfant avan­çait pour­tant dans ses études et était à la tête de ses classes. Soit par na­ture, soit par suite de l’abandon de son père, soit les deux, il se plai­sait dans la mé­di­ta­tion so­li­taire et ta­ci­turne, et son gé­nie n’attendait que d’être li­béré pour se dé­ve­lop­per et pour prendre un es­sor ra­pide. L’occasion ne tarda pas à se pré­sen­ter : une mo­dique somme d’argent lui échut. Il ré­so­lut de l’employer à ac­qué­rir, dans un grand voyage, un fonds de connais­sances nou­velles. La Sy­rie et l’Égypte lui pa­rurent les pays les plus propres aux ob­ser­va­tions his­to­riques et mo­rales dont il vou­lait s’occuper. «Je me sé­pa­re­rai», se pro­mit-il 1, «des so­cié­tés cor­rom­pues; je m’éloignerai des pa­lais où l’âme se dé­prave par la sa­tiété, et des ca­banes où elle s’avilit par la mi­sère; j’irai dans la so­li­tude vivre parmi les ruines; j’interrogerai les mo­nu­ments an­ciens… par quels mo­biles s’élèvent et s’abaissent les Em­pires; de quelles causes naissent la pros­pé­rité et les mal­heurs des na­tions; sur quels prin­cipes en­fin doivent s’établir la paix des so­cié­tés et le bon­heur des hommes.» Mais pour vi­si­ter ces pays avec fruit, il fal­lait en connaître la langue : «Sans la langue, l’on ne sau­rait ap­pré­cier le gé­nie et le ca­rac­tère d’une na­tion : la tra­duc­tion des in­ter­prètes n’a ja­mais l’effet d’un en­tre­tien di­rect», pen­sait-il 2. Cette dif­fi­culté ne re­buta point Vol­ney. Au lieu d’apprendre l’arabe en Eu­rope, il alla s’enfermer du­rant huit mois dans un couvent du Li­ban, jusqu’à ce qu’il fût en état de par­ler cette langue com­mune à tant d’Orientaux.

  1. «Les Ruines», p. 19. Haut
  1. «Pré­face à “Voyage en Sy­rie et en Égypte”». Haut

Hugo, «Les Chants du crépuscule • Les Voix intérieures • Les Rayons et les Ombres»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Rayons et les Ombres» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Hugo, «Les Orientales • Les Feuilles d’automne»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Feuilles d’automne» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Hugo, «Odes et Ballades»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Odes et Bal­lades» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Volney, «La Loi naturelle, ou Principes physiques de la morale»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «La Loi na­tu­relle, ou Prin­cipes phy­siques de la mo­rale» 1 de Constan­tin-Fran­çois de Chas­sebœuf, voya­geur et lit­té­ra­teur fran­çais, plus connu sous le sur­nom de Vol­ney (XVIIIe-XIXe siècle). Il per­dit sa mère à deux ans et fut laissé entre les mains d’une vieille pa­rente, qui l’abandonna dans un pe­tit col­lège d’Ancenis. Le ré­gime de ce col­lège était fort mau­vais, et la santé des en­fants y était à peine soi­gnée; le di­rec­teur était un homme bru­tal, qui ne par­lait qu’en gron­dant et ne gron­dait qu’en frap­pant. Vol­ney souf­frait d’autant plus que son père ne ve­nait ja­mais le voir et ne pa­rais­sait ja­mais avoir pour lui cette sol­li­ci­tude que té­moigne un père en­vers son fils. L’enfant avan­çait pour­tant dans ses études et était à la tête de ses classes. Soit par na­ture, soit par suite de l’abandon de son père, soit les deux, il se plai­sait dans la mé­di­ta­tion so­li­taire et ta­ci­turne, et son gé­nie n’attendait que d’être li­béré pour se dé­ve­lop­per et pour prendre un es­sor ra­pide. L’occasion ne tarda pas à se pré­sen­ter : une mo­dique somme d’argent lui échut. Il ré­so­lut de l’employer à ac­qué­rir, dans un grand voyage, un fonds de connais­sances nou­velles. La Sy­rie et l’Égypte lui pa­rurent les pays les plus propres aux ob­ser­va­tions his­to­riques et mo­rales dont il vou­lait s’occuper. «Je me sé­pa­re­rai», se pro­mit-il 2, «des so­cié­tés cor­rom­pues; je m’éloignerai des pa­lais où l’âme se dé­prave par la sa­tiété, et des ca­banes où elle s’avilit par la mi­sère; j’irai dans la so­li­tude vivre parmi les ruines; j’interrogerai les mo­nu­ments an­ciens… par quels mo­biles s’élèvent et s’abaissent les Em­pires; de quelles causes naissent la pros­pé­rité et les mal­heurs des na­tions; sur quels prin­cipes en­fin doivent s’établir la paix des so­cié­tés et le bon­heur des hommes.» Mais pour vi­si­ter ces pays avec fruit, il fal­lait en connaître la langue : «Sans la langue, l’on ne sau­rait ap­pré­cier le gé­nie et le ca­rac­tère d’une na­tion : la tra­duc­tion des in­ter­prètes n’a ja­mais l’effet d’un en­tre­tien di­rect», pen­sait-il 3. Cette dif­fi­culté ne re­buta point Vol­ney. Au lieu d’apprendre l’arabe en Eu­rope, il alla s’enfermer du­rant huit mois dans un couvent du Li­ban, jusqu’à ce qu’il fût en état de par­ler cette langue com­mune à tant d’Orientaux.

  1. Éga­le­ment connu sous le titre de «Ca­té­chisme du ci­toyen fran­çais». Haut
  2. «Les Ruines», p. 19. Haut
  1. «Pré­face à “Voyage en Sy­rie et en Égypte”». Haut

Chateaubriand, «Mémoires d’outre-tombe. Tome II»

éd. Gallimard, coll. Quarto, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Quarto, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires d’outre-tombe» de Fran­çois René de Cha­teau­briand, au­teur et po­li­tique fran­çais, père du ro­man­tisme chré­tien. Le mal, le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne mo­nar­chie, de l’ancienne aris­to­cra­tie, il se plaça contre la Ré­vo­lu­tion fran­çaise, dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la fa­mille de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mé­lan­co­lie mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au sou­ve­nir de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large so­leil». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la réa­lité dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette vie», écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune pen­sée ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la re­li­gion chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec cha­leur et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses en­fants, ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le scep­ti­cisme de mon “Es­sai sur les Ré­vo­lu­tions”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son em­pri­son­ne­ment. Ces deux voix sor­ties du tom­beau, cette mort qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Haut
  1. «Études his­to­riques». Haut

Chateaubriand, «Mémoires d’outre-tombe. Tome I»

éd. Gallimard, coll. Quarto, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Quarto, Pa­ris

Il s’agit des «Mé­moires d’outre-tombe» de Fran­çois René de Cha­teau­briand, au­teur et po­li­tique fran­çais, père du ro­man­tisme chré­tien. Le mal, le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne mo­nar­chie, de l’ancienne aris­to­cra­tie, il se plaça contre la Ré­vo­lu­tion fran­çaise, dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la fa­mille de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mé­lan­co­lie mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au sou­ve­nir de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large so­leil». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la réa­lité dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette vie», écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune pen­sée ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la re­li­gion chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec cha­leur et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses en­fants, ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le scep­ti­cisme de mon “Es­sai sur les Ré­vo­lu­tions”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son em­pri­son­ne­ment. Ces deux voix sor­ties du tom­beau, cette mort qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Haut
  1. «Études his­to­riques». Haut

Faxian, «Mémoire sur les pays bouddhiques»

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit du «Mé­moire sur les pays boud­dhiques» 1Fo guo ji» 2) de Faxian 3. La vaste lit­té­ra­ture de la Chine contient une sé­rie de bio­gra­phies et de mé­moires où se trouvent re­la­tés les voyages d’éminents moines boud­dhistes qui — à des dates dif­fé­rentes, mais com­prises pour la plu­part entre le Ve et le VIIe siècle — sor­tirent de leur propre pa­trie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bra­vant des dif­fi­cul­tés in­sur­mon­tables : «Ils sont al­lés jusqu’aux li­mites du monde et ils ont vu là où toutes choses fi­nissent» 4. L’immense en­tre­prise sino-in­dienne de ces pè­le­rins, qui s’en al­laient cher­cher une idée plus claire de leur foi, doit être sa­luée — au-delà de son sens re­li­gieux — comme l’une des ma­ni­fes­ta­tions les plus évi­dentes de l’humanisme. Non contents de re­mon­ter, sur les pas du Boud­dha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude ap­pre­naient le sans­crit et se pro­cu­raient des masses de ma­nus­crits, qu’ils em­me­naient avec eux au re­tour et qu’ils consa­craient tout le reste de leur vie à tra­duire, en­tou­rés de dis­ciples. Leur im­por­tance dans l’histoire spi­ri­tuelle de l’Asie fut in­ouïe. N’eût été leur rôle de mé­dia­teurs, le sen­ti­ment boud­dhique ne se fût sans doute ja­mais per­pé­tué en Chine. Pour­tant, les pé­rils et les dan­gers que ren­con­traient ces voya­geurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, au­raient pu dé­cou­ra­ger même les plus vaillants. Ceux qui pas­saient par terre de­vaient tra­ver­ser des dé­serts épou­van­tables où la route à suivre était mar­quée par les os­se­ments des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort; ceux qui, à l’inverse, choi­sis­saient la voie de mer ha­sar­daient leur vie sur de lourdes jonques qui som­braient corps et bien au pre­mier gros temps. L’un d’eux 5 dé­clare en pré­am­bule de sa «Re­la­tion sur les moines émi­nents qui al­lèrent cher­cher la Loi dans les contrées de l’Ouest» : «Consi­dé­rons de­puis les temps an­ciens ceux qui [par­tis de Chine] ont été à l’étranger en fai­sant peu de cas de la vie et en se sa­cri­fiant pour la Loi… Tous comp­taient re­ve­nir, [et] ce­pen­dant, la voie triom­phante était se­mée de dif­fi­cul­tés; les lieux saints étaient éloi­gnés et vastes. Pour des di­zaines qui ver­dirent et fleu­rirent, et pour plu­sieurs qui en­tre­prirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des ré­sul­tats vé­ri­tables, et il y en eut peu qui ache­vèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les im­men­si­tés des dé­serts pier­reux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du so­leil qui crache son ar­deur; ou les masses d’eau des vagues sou­le­vées par le pois­son gi­gan­tesque».

  1. Au­tre­fois tra­duit «Re­la­tion des royaumes boud­dhiques». Haut
  2. En chi­nois «佛國記». Au­tre­fois trans­crit «Foĕ kouĕ ki», «Foe kue ki», «Fo kouo ki» ou «Fo kuo chi». Éga­le­ment connu sous le titre de «法顯傳» («Fa xian zhuan»), c’est-à-dire «Bio­gra­phie de Faxian». Au­tre­fois trans­crit «Fa-hien-tch’ouen», «Fa-hien tchouan» ou «Fa-hsien chuan». Haut
  3. En chi­nois 法顯. Par­fois trans­crit Fă Hian, Fah-hiyan, Fa-hein, Fa-hien ou Fa-hsien. Haut
  1. Dans Lévy, «Les Pè­le­rins chi­nois en Inde». Haut
  2. Yi­jing. Haut

Huili et Yancong, «Histoire de la vie de Xuanzang et de ses voyages dans l’Inde, depuis l’an 629 jusqu’en 645»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de la «Bio­gra­phie de Xuan­zang», ou lit­té­ra­le­ment «Bio­gra­phie du Maître des Trois Cor­beilles de la Loi du mo­nas­tère de la Grande Bien­veillance» 1Da ci en si san zang fa shi zhuan» 2) de Huili 3 et Yan­cong 4. La vaste lit­té­ra­ture de la Chine contient une sé­rie de bio­gra­phies et de mé­moires où se trouvent re­la­tés les voyages d’éminents moines boud­dhistes qui — à des dates dif­fé­rentes, mais com­prises pour la plu­part entre le Ve et le VIIe siècle — sor­tirent de leur propre pa­trie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bra­vant des dif­fi­cul­tés in­sur­mon­tables : «Ils sont al­lés jusqu’aux li­mites du monde et ils ont vu là où toutes choses fi­nissent» 5. L’immense en­tre­prise sino-in­dienne de ces pè­le­rins, qui s’en al­laient cher­cher une idée plus claire de leur foi, doit être sa­luée — au-delà de son sens re­li­gieux — comme l’une des ma­ni­fes­ta­tions les plus évi­dentes de l’humanisme. Non contents de re­mon­ter, sur les pas du Boud­dha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude ap­pre­naient le sans­crit et se pro­cu­raient des masses de ma­nus­crits, qu’ils em­me­naient avec eux au re­tour et qu’ils consa­craient tout le reste de leur vie à tra­duire, en­tou­rés de dis­ciples. Leur im­por­tance dans l’histoire spi­ri­tuelle de l’Asie fut in­ouïe. N’eût été leur rôle de mé­dia­teurs, le sen­ti­ment boud­dhique ne se fût sans doute ja­mais per­pé­tué en Chine. Pour­tant, les pé­rils et les dan­gers que ren­con­traient ces voya­geurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, au­raient pu dé­cou­ra­ger même les plus vaillants. Ceux qui pas­saient par terre de­vaient tra­ver­ser des dé­serts épou­van­tables où la route à suivre était mar­quée par les os­se­ments des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort; ceux qui, à l’inverse, choi­sis­saient la voie de mer ha­sar­daient leur vie sur de lourdes jonques qui som­braient corps et bien au pre­mier gros temps. L’un d’eux 6 dé­clare en pré­am­bule de sa «Re­la­tion sur les moines émi­nents qui al­lèrent cher­cher la Loi dans les contrées de l’Ouest» : «Consi­dé­rons de­puis les temps an­ciens ceux qui [par­tis de Chine] ont été à l’étranger en fai­sant peu de cas de la vie et en se sa­cri­fiant pour la Loi… Tous comp­taient re­ve­nir, [et] ce­pen­dant, la voie triom­phante était se­mée de dif­fi­cul­tés; les lieux saints étaient éloi­gnés et vastes. Pour des di­zaines qui ver­dirent et fleu­rirent, et pour plu­sieurs qui en­tre­prirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des ré­sul­tats vé­ri­tables, et il y en eut peu qui ache­vèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les im­men­si­tés des dé­serts pier­reux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du so­leil qui crache son ar­deur; ou les masses d’eau des vagues sou­le­vées par le pois­son gi­gan­tesque».

  1. Au­tre­fois tra­duit «His­toire de la vie de Hiouen-thsang», «His­toire du Maître de la Loi des Trois Cor­beilles du couvent de la Grande Bien­fai­sance», «La Vie de Maître San­zang du mo­nas­tère de la Grande Bien­veillance», «Bio­gra­phie du Maître Tri­piṭaka du temple de la Grande Com­pas­sion» ou «Bio­gra­phie du Maître de la Loi des Trois Cor­beilles du mo­nas­tère de la Grande Com­pas­sion». Haut
  2. En chi­nois «大慈恩寺三藏法師傳». Au­tre­fois trans­crit «Ta-ts’e-’en-sse-san-thsang-fa-sse-tch’ouen», «Ta-ts’eu-ngen-sseu san-tsang fa-che tchouan», «Ta-tz’u-en-szu san-tsang fa-shih chuan» ou «Ta-tz’u-en-ssu san-tsang fa-shih chuan». Éga­le­ment connu sous le titre al­longé de «大唐大慈恩寺三藏法師傳» («Da Tang da ci en si san zang fa shi zhuan»), c’est-à-dire «Bio­gra­phie du Maître des Trois Cor­beilles de la Loi ré­si­dant au mo­nas­tère de la Grande Bien­veillance à l’époque des grands Tang». Haut
  3. En chi­nois 慧立. Par­fois trans­crit Hoeï-li, Houei-li, Kwui Li ou Hwui-li. Haut
  1. En chi­nois 彥悰. Par­fois trans­crit Yen-thsang, Yen-thsong, Yen-ts’ong ou Yen Ts’ung. Haut
  2. Dans Lévy, «Les Pè­le­rins chi­nois en Inde». Haut
  3. Yi­jing. Haut