Il s’agit du « Voyage en Italie » et autres œuvres de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves » 1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il 2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
récits de voyages
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Chateaubriand, « Voyages en Amérique et en Italie. Tome I »
Il s’agit du « Voyage en Amérique » et autres œuvres de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves » 1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il 2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Bashô, « Seigneur ermite : l’intégrale des haïkus »
Il s’agit des haïkus de Matsuo Bashô 1, figure illustre de la poésie japonaise (XVIIe siècle apr. J.-C.). Par son éthique de vie, encore plus que par son œuvre elle-même, ce fils de samouraï a imposé la forme actuelle du haïku, mais surtout il en a défini la manière, l’esprit : légèreté, recherche de simplicité, extrême respect pour la nature, et ce quelque chose qu’on ne peut définir facilement et qu’il faut sentir — une élégance intérieure, comme revêtue de pudeur discrète, qui est foncièrement japonaise. Son poème de la rainette est un fameux exemple du saut par lequel le haïku se débarrasse de l’artificiel pour atteindre la sobriété nue : « Vieil étang / une rainette y plongeant / chuchotis de l’eau » 2. Ce haïku traduit et d’autres sont le premier ouvrage par lequel la poésie et la pensée asiatiques viennent jusqu’à Mme Marguerite Yourcenar qui a quinze ans : « Ce livre exquis a été l’équivalent pour moi d’une porte entrebâillée ; elle ne s’est plus jamais refermée depuis », écrit-elle dans une lettre datée de 1955. En 1982, pendant ses trois mois passés au Japon, elle suit sur les sentiers étroits la trace de Bashô ; et tandis qu’un ami japonais, qui la guide, commence à lui traduire « Elles mourront bientôt… », elle l’interrompt en citant par cœur la chute : « et pourtant n’en montrent rien / chant des cigales ». « Peut-être son plus beau poème », précise-t-elle dans un petit article intitulé « Bashô sur la route ». À Kyôto, elle visite la hutte qui a hébergé notre poète vers la fin de sa vie — Rakushisha 3 (« la chaumière où tombent les kakis » 4) qui lui « fait penser à la légère dépouille d’une cigale ». À l’intérieur, si on peut parler d’intérieur dans un lieu si ouvert aux intempéries, rien ou presque pour se protéger du passage des saisons, si présentes justement dans l’œuvre de Bashô « par les inconvénients et les malaises qu’elles apportent autant que par l’extase des yeux et de l’esprit que dispense leur beauté », comme explique Mme Yourcenar. Quant au maître lui-même : « Cet homme ambulant », écrit-elle, « qui a intitulé l’un de ses essais “Souvenirs d’un squelette exposé aux intempéries” voyage moins pour s’instruire… que pour subir. Subir est une faculté japonaise, poussée parfois jusqu’au masochisme [!], mais l’émotion et la connaissance chez Bashô naissent de cette soumission à l’événement ou à l’incident : la pluie, le vent, les longues marches, les ascensions sur les sentiers gelés des montagnes, les gîtes de hasard, comme celui de l’octroi à Shitomae où il partage une pièce au plancher de terre battue avec un cheval… » Sous des apparences de promenades, ces pèlerinages éveillaient la pensée de Bashô et mettaient sa vie en conformité avec la haute idée qu’il se faisait du haïku : « Le vent me transperce / résigné à y laisser mes os / je pars en voyage »
Volney, « Considérations sur la guerre actuelle des Turcs »
Il s’agit des « Considérations sur la guerre actuelle des Turcs » de Constantin-François de Chassebœuf, voyageur et littérateur français, plus connu sous le surnom de Volney (XVIIIe-XIXe siècle). Il perdit sa mère à deux ans et fut laissé entre les mains d’une vieille parente, qui l’abandonna dans un petit collège d’Ancenis. Le régime de ce collège était fort mauvais, et la santé des enfants y était à peine soignée ; le directeur était un homme brutal, qui ne parlait qu’en grondant et ne grondait qu’en frappant. Volney souffrait d’autant plus que son père ne venait jamais le voir et ne paraissait jamais avoir pour lui cette sollicitude que témoigne un père envers son fils. L’enfant avançait pourtant dans ses études et était à la tête de ses classes. Soit par nature, soit par suite de l’abandon de son père, soit les deux, il se plaisait dans la méditation solitaire et taciturne, et son génie n’attendait que d’être libéré pour se développer et pour prendre un essor rapide. L’occasion ne tarda pas à se présenter : une modique somme d’argent lui échut. Il résolut de l’employer à acquérir, dans un grand voyage, un fonds de connaissances nouvelles. La Syrie et l’Égypte lui parurent les pays les plus propres aux observations historiques et morales dont il voulait s’occuper. « Je me séparerai », se promit-il 1, « des sociétés corrompues ; je m’éloignerai des palais où l’âme se déprave par la satiété, et des cabanes où elle s’avilit par la misère ; j’irai dans la solitude vivre parmi les ruines ; j’interrogerai les monuments anciens… par quels mobiles s’élèvent et s’abaissent les Empires ; de quelles causes naissent la prospérité et les malheurs des nations ; sur quels principes enfin doivent s’établir la paix des sociétés et le bonheur des hommes. » Mais pour visiter ces pays avec fruit, il fallait en connaître la langue : « Sans la langue, l’on ne saurait apprécier le génie et le caractère d’une nation : la traduction des interprètes n’a jamais l’effet d’un entretien direct », pensait-il 2. Cette difficulté ne rebuta point Volney. Au lieu d’apprendre l’arabe en Europe, il alla s’enfermer durant huit mois dans un couvent du Liban, jusqu’à ce qu’il fût en état de parler cette langue commune à tant d’Orientaux.
Volney, « Leçons d’histoire, prononcées à l’École normale en l’an III de la République française »
Il s’agit des « Leçons d’histoire » de Constantin-François de Chassebœuf, voyageur et littérateur français, plus connu sous le surnom de Volney (XVIIIe-XIXe siècle). Il perdit sa mère à deux ans et fut laissé entre les mains d’une vieille parente, qui l’abandonna dans un petit collège d’Ancenis. Le régime de ce collège était fort mauvais, et la santé des enfants y était à peine soignée ; le directeur était un homme brutal, qui ne parlait qu’en grondant et ne grondait qu’en frappant. Volney souffrait d’autant plus que son père ne venait jamais le voir et ne paraissait jamais avoir pour lui cette sollicitude que témoigne un père envers son fils. L’enfant avançait pourtant dans ses études et était à la tête de ses classes. Soit par nature, soit par suite de l’abandon de son père, soit les deux, il se plaisait dans la méditation solitaire et taciturne, et son génie n’attendait que d’être libéré pour se développer et pour prendre un essor rapide. L’occasion ne tarda pas à se présenter : une modique somme d’argent lui échut. Il résolut de l’employer à acquérir, dans un grand voyage, un fonds de connaissances nouvelles. La Syrie et l’Égypte lui parurent les pays les plus propres aux observations historiques et morales dont il voulait s’occuper. « Je me séparerai », se promit-il 1, « des sociétés corrompues ; je m’éloignerai des palais où l’âme se déprave par la satiété, et des cabanes où elle s’avilit par la misère ; j’irai dans la solitude vivre parmi les ruines ; j’interrogerai les monuments anciens… par quels mobiles s’élèvent et s’abaissent les Empires ; de quelles causes naissent la prospérité et les malheurs des nations ; sur quels principes enfin doivent s’établir la paix des sociétés et le bonheur des hommes. » Mais pour visiter ces pays avec fruit, il fallait en connaître la langue : « Sans la langue, l’on ne saurait apprécier le génie et le caractère d’une nation : la traduction des interprètes n’a jamais l’effet d’un entretien direct », pensait-il 2. Cette difficulté ne rebuta point Volney. Au lieu d’apprendre l’arabe en Europe, il alla s’enfermer durant huit mois dans un couvent du Liban, jusqu’à ce qu’il fût en état de parler cette langue commune à tant d’Orientaux.
Hugo, « Les Chants du crépuscule • Les Voix intérieures • Les Rayons et les Ombres »
Il s’agit des « Rayons et les Ombres » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Les Orientales • Les Feuilles d’automne »
Il s’agit des « Feuilles d’automne » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Hugo, « Odes et Ballades »
Il s’agit des « Odes et Ballades » et autres œuvres de Victor Hugo (XIXe siècle). Il faut reconnaître que Hugo est non seulement le premier en rang des écrivains de langue française, depuis que cette langue a été fixée ; mais le seul qui ait un droit vraiment absolu à ce titre d’écrivain dans sa pleine acception. Toutes les catégories de l’histoire littéraire se trouvent en lui déjouées. La critique qui voudrait démêler cette figure titanique, stupéfiante, tenant quelque chose de la divinité, est en présence du problème le plus insoluble. Fut-il poète, romancier ou penseur ? Fut-il spiritualiste ou réaliste ? Il fut tout cela et plus encore. Nouveau don Quichotte, cet homme est allé porter ses pas sur tous les chemins de l’esprit, monter sur toutes les barricades qu’il rencontrait, soutien des faibles et pourfendeur des tyrans, sonneur de clairons et amant de la violette ; si bien qu’aucune des familles qui se partagent l’espèce humaine au physique et au moral ne peut se l’attribuer entièrement. Tantôt égal à la mer, comparé à la montagne, rapproché du soleil, assimilé à l’ouragan, tantôt philosophe, redresseur des abus du siècle, professeur d’histoire et guide politique, tantôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à genoux devant le vieillard pour le vénérer et devant l’enfant pour le consoler, il fut je ne sais quel succédané de la nature. Avec sa mort, c’est un monde cyclopéen d’idées et d’impressions qui est parti, un continent de granit qui s’est détaché et a roulé avec fracas au fond des abîmes. « Qui pourrait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo” ? », dit Édouard Drumont 1. « Comme l’océan, comme la montagne, comme la forêt, ce génie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues incessamment renouvelées ; ce qu’on aime dans la forêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces milliers d’arbres et ces milliers de feuilles qui confondent leur verdure et leur bruit. »
Volney, « La Loi naturelle, ou Principes physiques de la morale »
Il s’agit de « La Loi naturelle, ou Principes physiques de la morale » 1 de Constantin-François de Chassebœuf, voyageur et littérateur français, plus connu sous le surnom de Volney (XVIIIe-XIXe siècle). Il perdit sa mère à deux ans et fut laissé entre les mains d’une vieille parente, qui l’abandonna dans un petit collège d’Ancenis. Le régime de ce collège était fort mauvais, et la santé des enfants y était à peine soignée ; le directeur était un homme brutal, qui ne parlait qu’en grondant et ne grondait qu’en frappant. Volney souffrait d’autant plus que son père ne venait jamais le voir et ne paraissait jamais avoir pour lui cette sollicitude que témoigne un père envers son fils. L’enfant avançait pourtant dans ses études et était à la tête de ses classes. Soit par nature, soit par suite de l’abandon de son père, soit les deux, il se plaisait dans la méditation solitaire et taciturne, et son génie n’attendait que d’être libéré pour se développer et pour prendre un essor rapide. L’occasion ne tarda pas à se présenter : une modique somme d’argent lui échut. Il résolut de l’employer à acquérir, dans un grand voyage, un fonds de connaissances nouvelles. La Syrie et l’Égypte lui parurent les pays les plus propres aux observations historiques et morales dont il voulait s’occuper. « Je me séparerai », se promit-il 2, « des sociétés corrompues ; je m’éloignerai des palais où l’âme se déprave par la satiété, et des cabanes où elle s’avilit par la misère ; j’irai dans la solitude vivre parmi les ruines ; j’interrogerai les monuments anciens… par quels mobiles s’élèvent et s’abaissent les Empires ; de quelles causes naissent la prospérité et les malheurs des nations ; sur quels principes enfin doivent s’établir la paix des sociétés et le bonheur des hommes. » Mais pour visiter ces pays avec fruit, il fallait en connaître la langue : « Sans la langue, l’on ne saurait apprécier le génie et le caractère d’une nation : la traduction des interprètes n’a jamais l’effet d’un entretien direct », pensait-il 3. Cette difficulté ne rebuta point Volney. Au lieu d’apprendre l’arabe en Europe, il alla s’enfermer durant huit mois dans un couvent du Liban, jusqu’à ce qu’il fût en état de parler cette langue commune à tant d’Orientaux.
Chateaubriand, « Mémoires d’outre-tombe. Tome II »
Il s’agit des « Mémoires d’outre-tombe » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves » 1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il 2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Chateaubriand, « Mémoires d’outre-tombe. Tome I »
Il s’agit des « Mémoires d’outre-tombe » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves » 1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il 2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Faxian, « Mémoire sur les pays bouddhiques »
Il s’agit du « Mémoire sur les pays bouddhiques » 1 (« Fo guo ji » 2) de Faxian 3. La vaste littérature de la Chine contient une série de biographies et de mémoires où se trouvent relatés les voyages d’éminents moines bouddhistes qui — à des dates différentes, mais comprises pour la plupart entre le Ve et le VIIe siècle — sortirent de leur propre patrie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bravant des difficultés insurmontables : « Ils sont allés jusqu’aux limites du monde et ils ont vu là où toutes choses finissent » 4. L’immense entreprise sino-indienne de ces pèlerins, qui s’en allaient chercher une idée plus claire de leur foi, doit être saluée — au-delà de son sens religieux — comme l’une des manifestations les plus évidentes de l’humanisme. Non contents de remonter, sur les pas du Bouddha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude apprenaient le sanscrit et se procuraient des masses de manuscrits, qu’ils emmenaient avec eux au retour et qu’ils consacraient tout le reste de leur vie à traduire, entourés de disciples. Leur importance dans l’histoire spirituelle de l’Asie fut inouïe. N’eût été leur rôle de médiateurs, le sentiment bouddhique ne se fût sans doute jamais perpétué en Chine. Pourtant, les périls et les dangers que rencontraient ces voyageurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, auraient pu décourager même les plus vaillants. Ceux qui passaient par terre devaient traverser des déserts épouvantables où la route à suivre était marquée par les ossements des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort ; ceux qui, à l’inverse, choisissaient la voie de mer hasardaient leur vie sur de lourdes jonques qui sombraient corps et bien au premier gros temps. L’un d’eux 5 déclare en préambule de sa « Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées de l’Ouest » : « Considérons depuis les temps anciens ceux qui [partis de Chine] ont été à l’étranger en faisant peu de cas de la vie et en se sacrifiant pour la Loi… Tous comptaient revenir, [et] cependant, la voie triomphante était semée de difficultés ; les lieux saints étaient éloignés et vastes. Pour des dizaines qui verdirent et fleurirent, et pour plusieurs qui entreprirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des résultats véritables, et il y en eut peu qui achevèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les immensités des déserts pierreux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du soleil qui crache son ardeur ; ou les masses d’eau des vagues soulevées par le poisson gigantesque ».
- Autrefois traduit « Relation des royaumes bouddhiques ».
- En chinois « 佛國記 ». Autrefois transcrit « Foĕ kouĕ ki », « Foe kue ki », « Fo kouo ki » ou « Fo kuo chi ». Également connu sous le titre de « 法顯傳 » (« Fa xian zhuan »), c’est-à-dire « Biographie de Faxian ». Autrefois transcrit « Fa-hien-tch’ouen », « Fa-hien tchouan » ou « Fa-hsien chuan ».
- En chinois 法顯. Parfois transcrit Fă Hian, Fah-hiyan, Fa-hein, Fa-hien ou Fa-hsien.
Huili et Yancong, « Histoire de la vie de Xuanzang et de ses voyages dans l’Inde, depuis l’an 629 jusqu’en 645 »
Il s’agit de la « Biographie de Xuanzang », ou littéralement « Biographie du Maître des Trois Corbeilles de la Loi du monastère de la Grande Bienveillance » 1 (« Da ci en si san zang fa shi zhuan » 2) de Huili 3 et Yancong 4. La vaste littérature de la Chine contient une série de biographies et de mémoires où se trouvent relatés les voyages d’éminents moines bouddhistes qui — à des dates différentes, mais comprises pour la plupart entre le Ve et le VIIe siècle — sortirent de leur propre patrie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bravant des difficultés insurmontables : « Ils sont allés jusqu’aux limites du monde et ils ont vu là où toutes choses finissent » 5. L’immense entreprise sino-indienne de ces pèlerins, qui s’en allaient chercher une idée plus claire de leur foi, doit être saluée — au-delà de son sens religieux — comme l’une des manifestations les plus évidentes de l’humanisme. Non contents de remonter, sur les pas du Bouddha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude apprenaient le sanscrit et se procuraient des masses de manuscrits, qu’ils emmenaient avec eux au retour et qu’ils consacraient tout le reste de leur vie à traduire, entourés de disciples. Leur importance dans l’histoire spirituelle de l’Asie fut inouïe. N’eût été leur rôle de médiateurs, le sentiment bouddhique ne se fût sans doute jamais perpétué en Chine. Pourtant, les périls et les dangers que rencontraient ces voyageurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, auraient pu décourager même les plus vaillants. Ceux qui passaient par terre devaient traverser des déserts épouvantables où la route à suivre était marquée par les ossements des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort ; ceux qui, à l’inverse, choisissaient la voie de mer hasardaient leur vie sur de lourdes jonques qui sombraient corps et bien au premier gros temps. L’un d’eux 6 déclare en préambule de sa « Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées de l’Ouest » : « Considérons depuis les temps anciens ceux qui [partis de Chine] ont été à l’étranger en faisant peu de cas de la vie et en se sacrifiant pour la Loi… Tous comptaient revenir, [et] cependant, la voie triomphante était semée de difficultés ; les lieux saints étaient éloignés et vastes. Pour des dizaines qui verdirent et fleurirent, et pour plusieurs qui entreprirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des résultats véritables, et il y en eut peu qui achevèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les immensités des déserts pierreux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du soleil qui crache son ardeur ; ou les masses d’eau des vagues soulevées par le poisson gigantesque ».
- Autrefois traduit « Histoire de la vie de Hiouen-thsang », « Histoire du Maître de la Loi des Trois Corbeilles du couvent de la Grande Bienfaisance », « La Vie de Maître Sanzang du monastère de la Grande Bienveillance », « Biographie du Maître Tripiṭaka du temple de la Grande Compassion » ou « Biographie du Maître de la Loi des Trois Corbeilles du monastère de la Grande Compassion ».
- En chinois « 大慈恩寺三藏法師傳 ». Autrefois transcrit « Ta-ts’e-’en-sse-san-thsang-fa-sse-tch’ouen », « Ta-ts’eu-ngen-sseu san-tsang fa-che tchouan », « Ta-tz’u-en-szu san-tsang fa-shih chuan » ou « Ta-tz’u-en-ssu san-tsang fa-shih chuan ». Également connu sous le titre allongé de « 大唐大慈恩寺三藏法師傳 » (« Da Tang da ci en si san zang fa shi zhuan »), c’est-à-dire « Biographie du Maître des Trois Corbeilles de la Loi résidant au monastère de la Grande Bienveillance à l’époque des grands Tang ».
- En chinois 慧立. Parfois transcrit Hoeï-li, Houei-li, Kwui Li ou Hwui-li.