Volney, « Leçons d’histoire, prononcées à l’École normale en l’an III de la République française »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Le­çons d’» de Constan­tin-Fran­çois de Chas­sebœuf, voya­geur et lit­té­ra­teur , plus connu sous le sur­nom de Vol­ney (XVIIIe-XIXe siècle). Il per­dit sa mère à deux ans et fut laissé entre les mains d’une vieille pa­rente, qui l’abandonna dans un pe­tit col­lège d’Ancenis. Le ré­gime de ce col­lège était fort mau­vais, et la des y était à peine soi­gnée; le di­rec­teur était un bru­tal, qui ne par­lait qu’en gron­dant et ne gron­dait qu’en frap­pant. Vol­ney souf­frait d’autant plus que son père ne ve­nait ja­mais le voir et ne pa­rais­sait ja­mais avoir pour lui cette sol­li­ci­tude que té­moigne un père en­vers son fils. L’enfant avan­çait pour­tant dans ses études et était à la tête de ses classes. Soit par , soit par suite de l’abandon de son père, soit les deux, il se plai­sait dans la so­li­taire et ta­ci­turne, et son n’attendait que d’être li­béré pour se dé­ve­lop­per et pour prendre un es­sor ra­pide. L’occasion ne tarda pas à se pré­sen­ter : une mo­dique somme d’argent lui échut. Il ré­so­lut de l’employer à ac­qué­rir, dans un grand voyage, un fonds de connais­sances nou­velles. La et l’ lui pa­rurent les pays les plus propres aux ob­ser­va­tions his­to­riques et mo­rales dont il vou­lait s’occuper. «Je me sé­pa­re­rai», se pro­mit-il 1, «des so­cié­tés cor­rom­pues; je m’éloignerai des où l’ se dé­prave par la sa­tiété, et des ca­banes où elle s’avilit par la mi­sère; j’irai dans la vivre parmi les ruines; j’interrogerai les an­ciens… par quels mo­biles s’élèvent et s’abaissent les Em­pires; de quelles naissent la pros­pé­rité et les mal­heurs des na­tions; sur quels prin­cipes en­fin doivent s’établir la des so­cié­tés et le des hommes.» Mais pour vi­si­ter ces pays avec fruit, il fal­lait en connaître la  : «Sans la langue, l’on ne sau­rait ap­pré­cier le gé­nie et le ca­rac­tère d’une  : la tra­duc­tion des in­ter­prètes n’a ja­mais l’effet d’un en­tre­tien di­rect», pen­sait-il 2. Cette dif­fi­culté ne re­buta point Vol­ney. Au lieu d’apprendre l’ en , il alla s’enfermer du­rant huit mois dans un couvent du Li­ban, jusqu’à ce qu’il fût en état de par­ler cette langue com­mune à tant d’Orientaux.

«Tou­jours à la de la , Vol­ney avait re­noncé à la trou­ver parmi les hommes», ex­plique un contem­po­rain 3. «Il sui­vait avec avi­dité les traces des an­ciens pour dé­cou­vrir le sort des gé­né­ra­tions pré­sentes. Oc­cupé de hautes pen­sées, il ai­mait à er­rer au mi­lieu des ruines… Là, il s’abandonnait à des rê­ve­ries pro­fondes. As­sis sur les mo­nu­ments presque en pous­sière des gran­deurs pas­sées, il mé­di­tait sur la fra­gi­lité des gran­deurs pré­sentes; il s’accoutumait à suivre les pro­grès de la des­truc­tion gé­né­rale, à me­su­rer d’un tran­quille cet hor­rible abîme où vont s’engouffrer les Em­pires et les gé­né­ra­tions, où vont s’évanouir les chi­mères des hommes.» Ces rê­ve­ries ré­veillaient par­fois en notre voya­geur le de sa pa­trie; et tour­nant vers elle ses pen­sées, il son­geait à la si­tua­tion où il l’avait quit­tée. Se rap­pe­lant ses cam­pagnes si ri­che­ment culti­vées, ses routes si somp­tueu­se­ment tra­cées, ses ha­bi­tées par un im­mense, ses flottes ré­pan­dues sur toutes les mers, ses ports cou­verts des tri­buts des , il se plai­sait à re­trou­ver l’ancienne splen­deur de l’ dans la mo­derne. Mais bien­tôt le charme fai­sait place à la ; et ré­flé­chis­sant aux ruines so­li­taires, aux murs si­len­cieux qu’il contem­plait : «Qui sait», se di­sait-il 4, «si tel ne sera pas, un jour, l’abandon de nos propres contrées? Qui sait si, sur les rives de la Seine… là où main­te­nant, dans le tour­billon de tant de jouis­sances, le cœur et les yeux ne peuvent suf­fire à la mul­ti­tude des sen­sa­tions; qui sait si un voya­geur comme ne s’assiéra pas, un jour, sur de muettes ruines et ne pleu­rera pas so­li­taire sur la cendre des peuples…?» À ces mots, ses yeux se rem­plis­saient de larmes; et cou­vrant sa tête du pan de son man­teau, tout à coup il se tai­sait.

«As­sis sur les mo­nu­ments presque en pous­sière des gran­deurs pas­sées, il mé­di­tait sur la fra­gi­lité des gran­deurs pré­sentes»

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du des «Le­çons d’histoire» : «La seule tra­duc­tion d’une langue en une autre n’est-elle pas déjà une forte al­té­ra­tion des pen­sées, de leurs teintes, sans comp­ter les er­reurs des mots? Mais dans une même langue, dans un même pays, sous vos propres yeux, voyez ce qui se passe tous les jours. Un évé­ne­ment ar­rive près de nous, dans la même ville, dans la même en­ceinte : en­ten­dez-en le ré­cit par di­vers té­moins. Sou­vent, pas un seul ne s’accordera sur les cir­cons­tances, quel­que­fois sur le fonds. On en fait une as­sez pi­quante en voya­geant. Un fait se sera passé dans une ville; -même on l’aura vu. Eh bien! à dix lieues de là, on l’entend ra­con­ter d’une autre ma­nière, et de ville en ville, d’écho en écho, on fi­nit par ne plus le re­con­naître, et en voyant la confiance des autres, on se­rait tenté de dou­ter de la sienne…» 5

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  1. «Les Ruines», p. 19. Icône Haut
  2. «Pré­face à “Voyage en Sy­rie et en Égypte”». Icône Haut
  3. Adolphe Bos­sange. Icône Haut
  1. «Les Ruines», p. 10. Icône Haut
  2. p. 23-24. Icône Haut