Il s’agit du « nāṅ Tēṅ an1 »1 (« La Reine exilée et son Fils », ou littéralement « La Dame Tēṅ an1 »), un des romans épiques du Laos. Les Laotiens ont une prédilection marquée pour les longs récits en vers, imprégnés de bouddhisme, et relevés par la fantaisie et par l’agencement des aventures. Ils les appellent « bœ̄n2 vănnaḥgaḥtī »2 (« textes littéraires »). Ils les lisent dans les réunions ; ils les récitent pendant la nuit aux jeunes femmes récemment accouchées, pour les empêcher de succomber au sommeil et de devenir ainsi une proie facile pour les mauvais esprits. Certains de ces romans épiques sont d’une longueur accablante : le « dāv2 kālaḥket »3, par exemple, compte à peu près dix mille vers, et le « cāṃPā sī1 Tŏn2 »4 — environ quatorze mille. « Il faut croire que les péripéties qui forment la trame du récit en font tolérer la longueur », dit Louis Finot5. « Pourtant ni les acteurs ni les incidents du drame ne brillent par la variété : les mêmes figures et les mêmes scènes se représentent sans cesse avec une monotonie qui lasserait le lecteur le plus intrépide, mais qui ne paraît pas déplaire aux âmes simples pour lesquelles des bardes anonymes ont composé ces enfantines rhapsodies. » Je l’avoue : ces romans épiques, en général fort maladroits, tracés pour la plupart par des mains laborieuses, m’ont touché. Je les ai ouverts souvent avec dédain, et presque jamais je ne les ai fermés sans être ému. La forme, à très peu d’exceptions près, en est défectueuse, mais cela par rudesse plutôt que par mauvais goût. Ils respirent tant de sincérité, de sympathie, de bonne volonté ; on y trouve des sentiments si respectables dans leur naïveté, que moi, qui étais décidé à en rire, j’ai toujours fini par m’y plaire. Jamais je n’accueillerai par la raillerie cette confession honnête d’un poète :
« Moi, qui ai composé ce récit versifié,
Je me suis enfui au loin, tout comme la petite [héroïne dont je vous parle] !
Car moi, votre serviteur, couche en solitaire ;
Je suis bien seul, dans ma chambre, les bras pendant dans le vide…
Depuis que j’ai quitté ma maison pour aller chez les Thaï où je n’ai pas d’amis,
Je m’efforce d’écrire des vers pour me réchauffer le cœur.
Tout au fond de mon être… je me dis que je finirai par rentrer chez moi.
Ils sont évidemment bien éloignés l’un de l’autre, la cité d’or et le pays natal ! »6
longs récits en vers, imprégnés de bouddhisme
Voici un passage qui donnera une idée du style du « nāṅ Tēṅ an1 » : « Alors, elle s’habilla. Elle était extrêmement belle, de corps et de visage, comme un enfant d’Indra. Son chignon était piqué de cent mille joyaux et surmonté de rangées de fleurs. Ses doigts longs et fuselés étaient recouverts d’or. Elle se saupoudra de fragrante poudre de santal et mit ses boucles d’oreilles et son ornement pectoral d’or et de pierreries. Elle piqua, aussi, son chignon d’un bijou serti de pierres gemmes et mit son diadème, couvrant ses cheveux et entourant son visage. Elle prit une étoffe de soie pour la porter en sautoir et quitta le palais, escortée de ses dames d’atours. Elle ressemblait à un cygne d’or se mouvant sur les flots d’un grand fleuve ! Un cygne s’en allant jouer sur les vastes plans d’eau ! »7
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Louis Finot, « Recherches sur la littérature laotienne » dans « Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient », vol. 17, no 5, p. 1-220 [Source : Persée]
- Anatole-Roger Peltier, « Le Roman classique lao » (éd. École française d’Extrême-Orient, coll. Publications de l’École française d’Extrême-Orient, Paris)
- Phouvong Phimmasone, « Littérature [laotienne] » dans « France-Asie », vol. 12, no 118-120, p. 1006-1013.