Komachi, « Visages cachés, Sentiments mêlés : le livre poétique »

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit d’Ono no Ko­ma­chi1, poé­tesse ja­po­naise (IXe siècle apr. J.-C.) cé­lèbre par sa beauté, et qui fut la seule femme à fi­gu­rer dans la liste des « six gé­nies de la poé­sie » (« rok­ka­sen »2) de son temps. Quand on évoque Ko­ma­chi, on parle et on fait par­ler in­évi­ta­ble­ment deux fi­gures : la réelle et la lé­gen­daire. Les traits de la Ko­ma­chi réelle nous échappent et ne se laissent guère fixer ; en dé­pit de tous les ef­forts, elle reste en grande par­tie mys­té­rieuse : « Le flou, le voilé dans la brume qui l’enveloppent au tra­vers d’une poi­gnée de poèmes — dont on est cer­tain qu’elle fut l’auteur — et dans les quelques re­pères de son exis­tence énig­ma­tique ont les nuances in­fimes d’un la­vis si dé­lavé qu’il en émane en per­ma­nence le vague à l’âme… dans le­quel se plaît à se re­flé­ter l’âme ja­po­naise », disent MM. Ar­men Go­del et Koi­chi Kano3. Elle ne nous est at­tes­tée que par les qua­rante-cinq poèmes ir­ré­fu­tables qu’on lui connaît et qui fi­gurent dans les an­tho­lo­gies poé­tiques, et par le té­moi­gnage contem­po­rain de Ki no Tsu­rayuki qui la dé­crit ainsi : « Ono no Ko­ma­chi émeut, mais manque de force : pour ainsi dire pa­reille à une femme dont le charme se mê­le­rait de mé­lan­co­lique fai­blesse »4. Quant à la Ko­ma­chi lé­gen­daire, elle laissa mou­rir de froid, dit-on, le ca­pi­taine de Fu­ka­kusa5, à qui elle im­posa cent nuits de veille de­vant sa porte : le mal­heu­reux amant mou­rut au terme de la quatre-vingt-dix-neu­vième. Tou­jours se­lon la lé­gende, elle en fut cruel­le­ment pu­nie, puisqu’elle tomba dans une très pro­fonde tris­tesse. En­fin, les an­nées vinrent et la ren­dirent hor­rible et dé­cré­pite. Elle fi­nit par er­rer en men­diant sur les che­mins. Elle al­lait d’école en école, ré­ci­tant aux en­fants ses vers qu’elle ne vou­lait pas trans­mettre par écrit à un monde qu’elle dé­tes­tait.

la seule femme à fi­gu­rer dans la liste des « six gé­nies de la poé­sie »

« Il est un trait de sa vie, au mo­ment de ses suc­cès, trans­mis par la tra­di­tion, que tous les Ja­po­nais connaissent : c’est l’aventure ap­pe­lée le la­vage du livre », ra­conte Théo­dore Du­ret6. « À un concours de poé­sie se te­nant de­vant l’Empereur, Ono no Ko­ma­chi de­vait avoir pour com­pé­ti­teur Ôtomo no Ku­ro­nu­shi7. Ce­lui-ci, aux écoutes, s’embusqua près de sa mai­son et fit si bien qu’il lui en­ten­dit dé­cla­mer le vers, sur le­quel elle fon­dait son es­poir de suc­cès. Il l’inscrivit alors dans un livre de poé­sie. Le jour du concours, Ko­ma­chi ré­cita son fa­meux vers qui fut très ad­miré et qui al­lait lui ob­te­nir le prix, lorsque Ku­ro­nu­shi pro­dui­sit le livre où il avait ins­crit le vers et ac­cusa Ko­ma­chi de pla­giat. Celle-ci, de­vi­nant la su­per­che­rie, prit de l’eau qu’elle passa sur la page en­tière du livre. L’encre fraîche dont était tracé son vers dis­pa­rut, pen­dant que les autres poé­sies écrites de­puis long­temps et dont l’encre était sèche de­meu­raient. La su­per­che­rie de Ku­ro­nu­shi fut ainsi dé­voi­lée, et le prix de poé­sie — donné à Ko­ma­chi. »

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière d’Ono no Ko­ma­chi :
« In­to­lé­rable est
La per­sis­tance du dé­sir
Aussi dans la nuit
Noire de jais ma che­mise
Ah ! je vais la re­tour­ner
8 »9.

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. En ja­po­nais 小野小町. Au­tre­fois trans­crit Ono no Ko­mat­chi ou Ono-no Ko-maţi. Haut
  2. En ja­po­nais 六歌仙. Au­tre­fois trans­crit « rok­ka­çenn ». Haut
  3. p. 5. Haut
  4. « Le Mo­nu­ment poé­tique de Heian : le “Ko­kin­shû”. Tome I. Pré­face de Ki no Tsu­rayuki », p. 71. Haut
  5. En ja­po­nais 深草少将. Par­fois trans­crit Fou­ka­kousa-Chô­chô ou Fu­ka­kusa no Shō­shō. Haut
  1. « Livres et Al­bums illus­trés du Ja­pon », p. 103. Haut
  2. En ja­po­nais 大友黒主. Au­tre­fois trans­crit Oh­tomo no Kou­ro­nou­shi ou Otomo no Ku­ro­no­shi. Haut
  3. Al­lu­sion à la su­per­sti­tion qui consis­tait, pour une femme dé­si­reuse de faire ve­nir un amant vai­ne­ment at­tendu, à re­tour­ner sa che­mise. Haut
  4. p. 39. Haut