Il s’agit d’une traduction partielle de Kaga no Tchiyo-jo 1, poétesse et nonne japonaise (XVIIIe siècle apr. J.-C.), également connue sous le surnom de Tchiyo-ni 2 (« Tchiyo la nonne »). Un maître du haïku, Roghennbô 3, passa par la ville de province où habitait Tchiyo, encore toute jeune. « N’importe comment », pensa-t-elle, « je solliciterai d’un haïkiste aussi célèbre des conseils sur l’art de composer… » Et poussée par le démon de la poésie, elle s’en alla frapper à la porte de l’auberge et prier Roghennbô de lui donner une leçon de poésie. Fatigué par le long voyage, il lui dit de prendre l’encre et le papier et de composer quelque chose sur un sujet tout indiqué par la saison : le coucou. Puis, sans plus s’inquiéter d’elle, il commença à dormir en ronflant. Après avoir longuement réfléchi, Tchiyo composa une poésie et demanda timidement : « Excusez-moi, s’il vous plaît… — Qu’est-ce qu’il y a ? », dit le poète brusquement réveillé. Et toujours allongé, il lut la poésie qui lui était présentée sur un rouleau de papier. Il fut très surpris de voir qu’une fille de quinze ans était capable d’écrire avec tant de talent ; mais cachant son véritable sentiment, il déclara : « Voici une poésie qui n’a pas de sens. Compose donc quelque chose de plus vivant ». Et peu après, il se remit à ronfler. L’élève continua à méditer et à écrire. Elle composa vingt poésies, trente poésies, sans oser les montrer. À mesure que les heures s’écoulaient, des tas de papiers noircis s’entassaient. Ayant perdu la notion du temps, elle se désola : « Ah ! Dieu n’a pas voulu m’accorder le talent d’une vraie poétesse. Dès aujourd’hui, c’est fini ; je renonce complètement à écrire ». Au même instant, le son d’une cloche, venant on ne sait d’où, annonça l’arrivée de l’aurore. Roghennbô, qui était moine, se souleva d’un bond sur sa couche : « Comme j’ai bien dormi ! Mais… serait-ce déjà le matin ? » 4 Au bruit de la voix qui frappait l’air, Tchiyo revint tout à coup à la réalité. Sans penser, désespérément, elle murmura cette exquise poésie :
« Coucou !
Coucou ! à ces mots,
Le jour est venu » 5.
« En ce jour, je suis devenue nonne. Ce n’est pas parce que je déteste la vie humaine ou même ma personne si disgracieuse que j’ai choisi cette vie »
Devant ces quelques mots si simples et si expressifs, Roghennbô s’inclina, en déclarant que Tchiyo n’avait plus besoin de leçons. Vingt ans plus tard, l’élève et le professeur se revirent. Elle, elle avait eu le malheur de perdre son mari et son fils. Lui, il s’était voûté et s’était orné d’une longue barbe. Ayant aussitôt deviné sa souffrance, Roghennbô reçut Tchiyo dans la salle d’études du temple et il s’appliqua à la guérir, peu à peu, des blessures de son cœur, en lui expliquant la doctrine compatissante du Bouddha. Séduite par des idées si consolantes auxquelles elle ne s’était jamais sérieusement arrêtée, Tchiyo sentit son âme reprendre de nouvelles forces. Elle comprit qu’il lui manquait une mystique, une foi qui la soutînt. Lorsqu’elle entra dans le chemin du salut, elle traça ces lignes : « En ce jour, je suis devenue nonne. Ce n’est pas parce que je déteste la vie humaine ou même ma personne si disgracieuse que j’ai choisi cette vie : c’est pour chanter l’esprit de l’eau qui coule jour et nuit 6, comme disaient les Anciens » 7.
Voici un passage qui donnera une idée de la manière de Tchiyo :
« La belle de nuit
Qu’aurait-elle à faire
D’un rayon de soleil ? » 8
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- Traduction partielle de Conrad Meili (1951) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Traduction partielle de Michel Revon (1923) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1918) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1910) [Source : Bibliothèque nationale de France].
- En japonais 加賀千代女. Parfois transcrit Kaga no Chiyo-jo.
- En japonais 千代尼. Parfois transcrit Chiyo-ni.
- En japonais 盧元坊. Parfois transcrit Rogenbō.
- « Une Poétesse japonaise au XVIIIe siècle : Kaga no Tchiyo-jo », p. 91-93.
- Traduction de Michel Revon.
- Référence aux « Entretiens de Confucius », IX, 17 : « Le Maître était au bord d’une rivière. Il dit : “Oh, aller ainsi de l’avant, sans trêve, jour et nuit !” » ; ainsi qu’aux « Œuvres » de Mencius : « L’eau qui vient d’une source, sort à gros bouillons, coule sans cesse jour et nuit… C’est cette continuité d’écoulement qui inspirait des réflexions à Confucius. Au contraire, l’eau qui ne vient pas de source fait bientôt défaut ».
- « Une Poétesse japonaise au XVIIIe siècle : Kaga no Tchiyo-jo », p. 110.
- p. 40.