Mencius, « Œuvres »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de Men­cius 1 (ou Meng-tseu 2), qui fleu­ris­sait en à la même époque qu’Aris­tote en . On ra­conte que sa mère ha­bi­tait près d’un ci­me­tière. Le pe­tit Men­cius al­lait au mi­lieu des et imi­tait par amu­se­ment les cé­ré­mo­nies et les la­men­ta­tions qui s’y fai­saient. «Ce n’est pas un en­droit où de­meu­rer avec mon fils» 3, se dit sa mère qui s’en fut lo­ger près d’un mar­ché. Son fils imita par jeu les mar­chands qui criaient et ven­daient leurs mar­chan­dises. «Ce n’est pas un lieu où ha­bi­ter avec mon fils», se dit en­core sa mère qui dé­mé­na­gea de nou­veau et alla de­meu­rer près d’une école. Son fils imita dès lors les éco­liers qui ap­pre­naient à dis­po­ser les tables et les vases de bois pour les of­frandes, à sa­luer, à té­moi­gner du , à se pré­sen­ter et à se re­ti­rer avec po­li­tesse. «Voici l’endroit qui convient à mon fils!», se dit-elle. Tou­te­fois, le goût de Men­cius pour les études ne pa­raît pas avoir été aussi pro­noncé que chez Confu­cius. Un jour qu’il était ren­tré après avoir aban­donné l’école, il trouva sa mère oc­cu­pée à tis­ser. Elle lui de­manda : «Où en es-tu dans tes études?» L’enfant ré­pon­dit : «Comme ci, comme ça». Elle tran­cha d’un coup de cou­teau le tissu. Ef­frayé, Men­cius lui de­manda la de son geste. Elle ré­pli­qua : «Si tu aban­donnes tes études, tu ne pour­ras échap­per au ser­vage et tu ne dis­po­se­ras pas des moyens d’écarter les pires mal­heurs. En quoi se­rait-ce dif­fé­rent de ce in­ter­rompu?… Ne man­que­rions-nous pas sans cesse de nour­ri­ture?»

un ton , sou­vent acerbe, to­ta­le­ment ab­sent des «En­tre­tiens»

La doc­trine de Men­cius n’est qu’une co­pie de celle de . Et même si je re­con­nais dans ce dis­ciple (in­di­rect) un dé­fen­seur zélé du maître, un édu­ca­teur nourri de la lec­ture des et de l’ , il n’atteint que de loin la sim­pli­cité de Confu­cius et cette conci­sion si éner­gique qui donne des ailes aux pen­sées, en ou­vrant un vaste champ aux ré­flexions. Men­cius a les formes lourdes d’un in­tel­lect qui se jus­ti­fie lon­gue­ment de­vant ses , et quand il se ré­fère à ces der­niers, c’est sur un ton po­lé­mique, sou­vent acerbe, to­ta­le­ment ab­sent des «En­tre­tiens» : «Alors que les pro­pos de Confu­cius, un siècle plus tôt, re­pré­sen­taient une sorte d’âge d’ où la sor­tait sans ef­fort, Men­cius doit pas­ser son à four­bir ses , fai­sant flèche de tout bois pour re­le­ver les et pa­rer aux at­taques. À l’époque où s’affrontent cent écoles, Men­cius a af­faire à une rude concur­rence», dit Mme Anne Cheng 4. Au reste, ses «Œuvres» durent at­tendre long­temps avant d’être ad­mises parmi les ca­no­niques, et ce, jusqu’au XIIe siècle apr. J.-C.

Il n’existe pas moins de six tra­duc­tions fran­çaises des «Œuvres», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle du père .

「宋人有閔其苗之不長而揠之者,芒芒然歸,謂其人曰:『今日病矣,予助苗長矣』.其子趨而往視之,苗則槁矣.天下之不助苗長者寡矣……助之長者,揠苗者也,非徒無益,而又害之.」

 Pas­sage dans la ori­gi­nale

«Un cer­tain vil­la­geois de Soung… voyant avec peine que sa mois­son ne gran­dis­sait pas, tira les tiges avec la main (pour les al­lon­ger). De re­tour chez lui, ce ni­gaud dit aux per­sonnes de sa mai­son : “Aujourd’hui je suis très fa­ti­gué; j’ai aidé la mois­son à gran­dir”. Ses fils cou­rurent voir son tra­vail. Les tiges étaient déjà des­sé­chées. Dans le , il est peu d’hommes qui ne tra­vaillent pas à faire gran­dir la mois­son par des moyens in­sen­sés… Ceux qui em­ploient des moyens vio­lents pour en dé­ve­lop­per plus vite l’énergie, font comme cet in­sensé qui ar­ra­cha sa mois­son. Leurs ef­forts ne sont pas seule­ment in­utiles; ils sont nui­sibles.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion du père Cou­vreur

«Il y avait, en ef­fet, à Song un pay­san qui s’attristait que ses pousses ne croissent pas plus vite et il les tira par en haut. Il re­vint chez lui épuisé et dit aux gens de sa mai­son­née : “Je suis fourbu, car j’ai aidé les pousses de cé­réales à croître”. Son fils s’empressa d’aller vé­ri­fier, et voilà que toutes les pousses de cé­réales s’étaient flé­tries. Peu nom­breux sont les gens dans le monde qui n’aident pas leurs pousses de cé­réales à croître… Ceux qui veulent en hâ­ter la crois­sance les tirent par en haut, ce qui non seule­ment ne leur ap­porte au­cun avan­tage, mais les blesse.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Charles Le Blanc (éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris)

«Un du royaume de Song se la­men­tait que ses pousses ne gran­dis­saient pas as­sez vite et il tira des­sus. Fa­ti­gué après cela, il ren­tra chez lui en di­sant à sa  : “Aujourd’hui, je n’en peux plus, car j’ai aidé les à pous­ser”. Son fils alla voir dans les champs : les pousses étaient toutes fa­nées.

Dans l’Empire, rares sont ceux qui n’aident pas les plantes à pous­ser… Mais ceux qui croient les ai­der en ti­rant des­sus, en fait les tuent.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M.  (dans « de la clas­sique», éd. Ph. Pic­quier, Arles)

«Il y avait dans l’État de Soung un homme qui était dans la dé­so­la­tion de ce que ses blés ne crois­saient pas; il alla les ar­ra­cher à moi­tié, pour les faire croître plus vite. Il s’en re­vint l’air tout hé­bété, et dit aux per­sonnes de sa fa­mille : Aujourd’hui je suis bien fa­ti­gué; j’ai aidé nos blés à croître. Ses fils ac­cou­rurent avec em­pres­se­ment pour voir ces blés; mais toutes les tiges avaient sé­ché!

Ceux qui, dans le monde, n’aident pas leurs blés à croître sont bien rares… Ceux qui veulent ai­der pré­ma­tu­ré­ment le dé­ve­lop­pe­ment de leur es­prit vi­tal sont comme ce­lui qui aide à croître ses blés en les ar­ra­chant à moi­tié. Non seule­ment dans ces cir­cons­tances on n’aide pas, mais on .»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Guillaume Pau­thier (XIXe siècle)

«Un homme de Song se dé­so­lait du manque de crois­sance de ses pousses : après avoir tiré des­sus, il était ren­tré en ti­tu­bant de fa­tigue et avait an­noncé à ses proches : “Je suis crevé! Ouf, j’ai fini d’aider les pousses à gran­dir”. Quand son fils cou­rut voir, elles étaient des­sé­chées. Rares sont ceux qui ne pré­tendent ai­der les pousses à croître en ce monde… Ti­rer des­sus pour les ai­der à croître, c’est non seule­ment in­utile, mais en­core nui­sible.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M.  (éd. Payot & Ri­vages, coll. Ri­vages poche-Pe­tite Bi­blio­thèque, Pa­ris)

«Fa­mo­sus re­gni “Sum” in­cola, cum do­le­ret suam pul­lu­lan­tem se­ge­tem non sa­tis ce­le­ri­ter cres­cere, cœ­pit eam vel­li­care, et emota ra­dice in al­tum at­tol­lere; deinde per­tur­bato vultu do­mum fes­tine re­dux, dixit suis do­mes­ti­cis : “Ho­die, proh, quam de­fes­sus re­deo! Quam im­mo­dico la­bore nos­træ se­ge­tis her­bes­cen­tis in­cre­men­tum pro­movi!” Ejus fi­lii ignari quid lo­que­re­tur, mox se­quenti die in agros per­rexe­runt, fa­taque in­vi­se­runt. Sed ecce to­tam campi fa­ciem ari­dam, om­nem se­ge­tem ex­suc­cam et emor­tuam in­ve­ne­runt. Sic in­ter ho­mines, qui in fo­venda vi­tali aura, her­bes­cen­tis suæ se­ge­tis in­cre­men­tum præ­ci­pite et cæco ar­dore non pro­mo­veant, pau­cos re­pe­rias… Isti, qui præ­pro­pero im­petu vo­lunt suæ vi­ta­lis auræ in­cre­men­tum, ul­ti­mamque per­fec­tio­nem ac­ce­le­rare, si­miles sunt præ­fato agri­colæ, qui emota suæ se­ge­tis ra­dice, non tan­tum non illi pro­dest, sed illam om­nino per­dit.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine du père Fran­çois (XVIIIe siècle)

«[Un] la­bou­reur, voyant que ses blés ne crois­saient pas as­sez vite, les éleva en les dé­ra­ci­nant, et ren­trant bien fa­ti­gué chez lui, dit à ses  : “Je suis ex­trê­me­ment fa­ti­gué; mais j’ai pro­curé un grand ac­crois­se­ment à nos blés”. Les en­fants ne com­prirent rien à ce qu’il di­sait; mais al­lant vi­si­ter leurs blés le len­de­main, ils les trou­vèrent des­sé­chés et morts. Parmi ceux qui en­tre­prennent de s’élever à la dont nous par­lons, com­bien y en a-t-il qui, sem­blables à notre la­bou­reur, perdent par une ar­deur im­pru­dente le fruit de leurs pre­miers ef­forts!… Non seule­ment [ils] ne font point fruc­ti­fier leurs blés, ils les ar­rachent et dé­truisent ab­so­lu­ment leur mois­son.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion in­di­recte de l’abbé Fran­çois-An­dré-Adrien Plu­quet 5 (XVIIIe siècle)

Icône Avertissement Cette tra­duc­tion n’a pas été faite sur l’original.

«In­ter re­gni “Soung” ho­mines, qui­dam fuit qui do­lens quod suæ se­getes non gran­des­ce­bant, tunc ex­tra­xit illas. Mente tur­bata re­diens, com­pel­la­vit suæ do­mus vi­ros di­cens : “Ho­dierno die valde de­fes­sus sum. Ego ad­ju­vando se­getes adauxi eas”. Ejus fi­lii ac­cur­rentes ve­ne­runt ut vi­derent illud. Sed se­getes tunc arue­rant.

In Im­pe­rio, ho­mines qui non ad­ju­vant se­ge­tem ut eam adau­geant, pauci sunt… Qui vo­lunt ad­ju­vando illum adau­gere, si­miles sunt præ­dicto agri­colæ qui e terra ex­tra­xit suas se­getes. Non so­lum illi non sunt emo­lu­mento, sed etiam nocent illi.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine de (XIXe siècle)

«In­ter “Soung” re­gni in­co­las erat qui do­le­bat quod sua seges non cres­ce­ret, et manu traxit ejus (caules, ut eas lon­giores fa­ce­ret). Sto­lide, do­mum re­ver­sus, al­lo­quens suos do­mes­ti­cos ho­mines ait : “Ho­dierno die fa­ti­ga­tus sum; ego ad­juvi se­ge­tem ut cres­ce­ret”. Ejus fi­lii pro­pe­ra­runt et ive­runt 6 ut vi­derent eam. Seges jam arue­rat (quia tractu ra­dices re­vulsæ erant). Sub cælo, qui non ad­ju­vant (sto­li­dis ra­tio­ni­bus) se­ge­tem ut cres­cat, pauci sunt. Qui exis­ti­mant sen­sum ni­hil pro­desse et ne­gli­gunt eum, (sunt si­miles agri­co­lis) qui a noxiis her­bis non pur­gant se­ge­tem. Qui ad­ju­vant eum (sto­li­dis ra­tio­ni­bus) ut cres­cat, (si­miles sunt ho­mini) qui evel­lit se­ge­tem. Non so­lum non pro­sunt, sed etiam nocent ei.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion la­tine du père Cou­vreur

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  1. Au­tre­fois trans­crit Mem­cius ou Man­cius. «Il est resté peu de traces de cet usage sin­gu­lier, que les pre­miers avaient in­tro­duit, en écri­vant en sur l’histoire et la lit­té­ra­ture des , d’ajouter des ter­mi­nai­sons la­tines aux des et des hommes cé­lèbres, pour in­di­quer les rap­ports gram­ma­ti­caux qui liaient ces noms aux autres par­ties des phrases… Deux noms seuls ont conservé la forme eu­ro­péenne qu’on leur avait don­née d’abord, ce sont ceux de… Confu­cius et Men­cius», dit Abel Ré­mu­sat. Icône Haut
  2. En chi­nois 孟子. Par­fois trans­crit Mong-tsée, Mong Tseû, Mem Tsu, Meng-tzu, Meng Tzeu, Meng-tse, Meng-tsze ou Mengzi. Icône Haut
  3. Liu Xiang, «列女傳» (« des illustres»), in­édit en . Icône Haut
  1. «His­toire de la pen­sée chi­noise», p. 151-152. Icône Haut
  2. Cette tra­duc­tion a été faite sur la pré­cé­dente. Icône Haut
  3. Va­riante d’«ie­runt». Icône Haut