Il s’agit des « Œuvres » de Mencius1 (ou Meng-tseu2), moraliste qui fleurissait en Chine à la même époque qu’Aristote en Grèce. On raconte que sa mère habitait près d’un cimetière. Le petit Mencius allait au milieu des tombes et imitait par amusement les cérémonies et les lamentations qui s’y faisaient. Sa mère se dit : « Ce n’est pas un endroit où demeurer avec mon fils ». Elle alla demeurer auprès d’un marché. Son fils imita par jeu les marchands qui criaient et vendaient leurs marchandises. Elle se dit encore : « Ce n’est pas un lieu où habiter avec mon fils ». Elle changea de nouveau et alla demeurer auprès d’une école. Son fils imita par jeu les écoliers qui apprenaient à disposer les supports et les vases de bois pour les offrandes, à saluer, à témoigner du respect, à se présenter et à se retirer avec politesse. Elle se dit : « Voici l’endroit qui convient à mon fils ! »3 La doctrine de Mencius n’est qu’une copie de celle de Confucius. Et même si je reconnais dans le disciple un défenseur zélé du maître, un éducateur nourri de la lecture des lois et de l’histoire politique, il n’atteint que de loin la simplicité sublime de Confucius et cette concision si énergique qui donne des ailes aux pensées, en ouvrant un vaste champ aux réflexions. Son style a les formes lourdes et pleines d’un intellect qui se justifie devant ses adversaires. Et quand il se réfère à ces derniers, c’est sur un ton acerbe et souvent partial. « Alors que les propos de Confucius, un siècle plus tôt, représentaient une sorte d’âge d’or où la parole sortait sans effort, Mencius doit passer son temps à fourbir ses armes, faisant flèche de tout bois pour relever les défis et parer aux attaques. À l’époque où s’affrontent cent écoles, Mencius a affaire à une rude concurrence… On perçoit dans les “Œuvres” de Mencius un ton nettement polémique et défensif, totalement absent des “Entretiens” », dit Mme Anne Cheng4. Au reste, le livre de Mencius dut attendre longtemps avant d’être admis parmi les canoniques, et ce, jusqu’au XIIe siècle apr. J.-C.
Il n’existe pas moins de six traductions françaises des « Œuvres », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle du père Séraphin Couvreur.
「宋人有閔其苗之不長而揠之者,芒芒然歸,謂其人曰:『今日病矣,予助苗長矣』.其子趨而往視之,苗則槁矣.天下之不助苗長者寡矣……助之長者,揠苗者也,非徒無益,而又害之.」
— Passage dans la langue originale
« Un certain villageois de Soung… voyant avec peine que sa moisson ne grandissait pas, tira les tiges avec la main (pour les allonger). De retour chez lui, ce nigaud dit aux personnes de sa maison : “Aujourd’hui je suis très fatigué ; j’ai aidé la moisson à grandir”. Ses fils coururent voir son travail. Les tiges étaient déjà desséchées. Dans le monde, il est peu d’hommes qui ne travaillent pas à faire grandir la moisson par des moyens insensés… Ceux qui emploient des moyens violents pour en développer plus vite l’énergie, font comme cet insensé qui arracha sa moisson. Leurs efforts ne sont pas seulement inutiles ; ils sont nuisibles. »
— Passage dans la traduction du père Couvreur
« Il y avait, en effet, à Song un paysan qui s’attristait que ses pousses ne croissent pas plus vite et il les tira par en haut. Il revint chez lui épuisé et dit aux gens de sa maisonnée : “Je suis fourbu, car j’ai aidé les pousses de céréales à croître”. Son fils s’empressa d’aller vérifier, et voilà que toutes les pousses de céréales s’étaient flétries. Peu nombreux sont les gens dans le monde qui n’aident pas leurs pousses de céréales à croître… Ceux qui veulent en hâter la croissance les tirent par en haut, ce qui non seulement ne leur apporte aucun avantage, mais les blesse. »
— Passage dans la traduction de M. Charles Le Blanc (éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris)
« Un homme du royaume de Song se lamentait que ses pousses ne grandissaient pas assez vite et il tira dessus. Fatigué après cela, il rentra chez lui en disant à sa famille : “Aujourd’hui, je n’en peux plus, car j’ai aidé les plantes à pousser”. Son fils alla voir dans les champs : les pousses étaient toutes fanées.
Dans l’Empire, rares sont ceux qui n’aident pas les plantes à pousser… Mais ceux qui croient les aider en tirant dessus, en fait les tuent. »
— Passage dans la traduction de M. Jacques Pimpaneau (dans « Anthologie de la littérature chinoise classique », éd. Ph. Picquier, Arles)
« Il y avait dans l’État de Soung un homme qui était dans la désolation de ce que ses blés ne croissaient pas ; il alla les arracher à moitié, pour les faire croître plus vite. Il s’en revint l’air tout hébété, et dit aux personnes de sa famille : Aujourd’hui je suis bien fatigué ; j’ai aidé nos blés à croître. Ses fils accoururent avec empressement pour voir ces blés ; mais toutes les tiges avaient séché !
Ceux qui, dans le monde, n’aident pas leurs blés à croître sont bien rares… Ceux qui veulent aider prématurément le développement de leur esprit vital sont comme celui qui aide à croître ses blés en les arrachant à moitié. Non seulement dans ces circonstances on n’aide pas, mais on nuit. »
— Passage dans la traduction de Guillaume Pauthier (XIXe siècle)
« Un homme de Song se désolait du manque de croissance de ses pousses : après avoir tiré dessus, il était rentré en titubant de fatigue et avait annoncé à ses proches : “Je suis crevé ! Ouf, j’ai fini d’aider les pousses à grandir”. Quand son fils courut voir, elles étaient desséchées. Rares sont ceux qui ne prétendent aider les pousses à croître en ce monde… Tirer dessus pour les aider à croître, c’est non seulement inutile, mais encore nuisible. »
— Passage dans la traduction de M. André Lévy (éd. Payot & Rivages, coll. Rivages poche-Petite Bibliothèque, Paris)
« Famosus regni “Sum” incola, cum doleret suam pullulantem segetem non satis celeriter crescere, cœpit eam vellicare, et emota radice in altum attollere ; deinde perturbato vultu domum festine redux, dixit suis domesticis : “Hodie, proh, quam defessus redeo ! Quam immodico labore nostræ segetis herbescentis incrementum promovi !” Ejus filii ignari quid loqueretur, mox sequenti die in agros perrexerunt, fataque inviserunt. Sed ecce totam campi faciem aridam, omnem segetem exsuccam et emortuam invenerunt. Sic inter homines, qui in fovenda vitali aura, herbescentis suæ segetis incrementum præcipite et cæco ardore non promoveant, paucos reperias… Isti, qui præpropero impetu volunt suæ vitalis auræ incrementum, ultimamque perfectionem accelerare, similes sunt præfato agricolæ, qui emota suæ segetis radice, non tantum non illi prodest, sed illam omnino perdit. »
— Passage dans la traduction latine du père François Noël (XVIIIe siècle)
« [Un] laboureur, voyant que ses blés ne croissaient pas assez vite, les éleva en les déracinant, et rentrant bien fatigué chez lui, dit à ses enfants : “Je suis extrêmement fatigué ; mais j’ai procuré un grand accroissement à nos blés”. Les enfants ne comprirent rien à ce qu’il disait ; mais allant visiter leurs blés le lendemain, ils les trouvèrent desséchés et morts. Parmi ceux qui entreprennent de s’élever à la justice dont nous parlons, combien y en a-t-il qui, semblables à notre laboureur, perdent par une ardeur imprudente le fruit de leurs premiers efforts !… Non seulement [ils] ne font point fructifier leurs blés, ils les arrachent et détruisent absolument leur moisson. »
— Passage dans la traduction indirecte de l’abbé François-André-Adrien Pluquet5 (XVIIIe siècle)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
« Inter regni “Soung” homines, quidam fuit qui dolens quod suæ segetes non grandescebant, tunc extraxit illas. Mente turbata rediens, compellavit suæ domus viros dicens : “Hodierno die valde defessus sum. Ego adjuvando segetes adauxi eas”. Ejus filii accurrentes venerunt ut viderent illud. Sed segetes tunc aruerant.
In Imperio, homines qui non adjuvant segetem ut eam adaugeant, pauci sunt… Qui volunt adjuvando illum adaugere, similes sunt prædicto agricolæ qui e terra extraxit suas segetes. Non solum illi non sunt emolumento, sed etiam nocent illi. »
— Passage dans la traduction latine de Stanislas Julien (XIXe siècle)
« Inter “Soung” regni incolas erat qui dolebat quod sua seges non cresceret, et manu traxit ejus (caules, ut eas longiores faceret). Stolide, domum reversus, alloquens suos domesticos homines ait : “Hodierno die fatigatus sum ; ego adjuvi segetem ut cresceret”. Ejus filii properarunt et iverunt6 ut viderent eam. Seges jam aruerat (quia tractu radices revulsæ erant). Sub cælo, qui non adjuvant (stolidis rationibus) segetem ut crescat, pauci sunt. Qui existimant sensum nihil prodesse et negligunt eum, (sunt similes agricolis) qui a noxiis herbis non purgant segetem. Qui adjuvant eum (stolidis rationibus) ut crescat, (similes sunt homini) qui evellit segetem. Non solum non prosunt, sed etiam nocent ei. »
— Passage dans la traduction latine du père Couvreur
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Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Anne Cheng, « Histoire de la pensée chinoise » (éd. du Seuil, Paris)
- le père Pierre-Martial Cibot, « Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts, les mœurs, les usages, etc. des Chinois. Tome I » (XVIIIe siècle) [Source : Bibliothèque nationale de France].
- Autrefois transcrit Memcius ou Mancius. « Il est resté peu de traces de cet usage singulier, que les premiers missionnaires avaient introduit, en écrivant en latin sur l’histoire et la littérature des Chinois, d’ajouter des terminaisons latines aux noms des Empereurs et des hommes célèbres, pour indiquer les rapports grammaticaux qui liaient ces noms aux autres parties des phrases… Deux noms seuls ont conservé la forme européenne qu’on leur avait donnée d’abord, ce sont ceux de… Confucius et Mencius », explique Abel Rémusat.
- En chinois 孟子. Parfois transcrit Mong-tsée, Mong Tseû, Mem Tsu, Meng-tzu, Meng Tzeu, Meng-tse, Meng-tsze ou Mengzi.
- Liu Xiang, « 列女傳 » (« Biographies des femmes illustres »), inédit en français.