Schiller, « Histoire du soulèvement des Pays-Bas contre la domination espagnole »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de l’« His­toire du sou­lè­ve­ment des Pays-Bas contre la do­mi­na­tion es­pa­gnole »1 (« Ges­chichte des Ab­falls der ve­rei­nig­ten Nie­der­lande von der spa­ni­schen Re­gie­rung ») de Frie­drich Schil­ler. En 1782, « Les Bri­gands » furent joués pour la pre­mière fois sur le théâtre de Mann­heim, de­vant une foule pres­sée de spec­ta­teurs ac­cou­rus de près et de loin. L’affluence fut telle que, si l’on n’avait ré­servé une place à Schil­ler, il eût pu dif­fi­ci­le­ment as­sis­ter à sa propre pièce. Ce fut un triomphe, un en­thou­siasme comme on n’en avait ja­mais vu en Al­le­magne. Ce­pen­dant, cette heu­reuse cir­cons­tance, notre poète l’expiait par de cruels sou­cis dus à la même cause. Car les dettes qu’il avait contrac­tées en fai­sant im­pri­mer cette pièce à ses frais et à ses risques de­ve­naient de jour en jour plus criantes. Tous les exem­plaires s’étaient ven­dus, mais les bé­né­fices étaient pour le li­braire. Notre poète, déses­péré, ne sut vers qui se tour­ner. Et le di­rec­teur du théâtre lui fit la sourde oreille quand, se dé­bat­tant contre la pau­vreté, Schil­ler vint im­plo­rer son aide gé­né­reuse et la fa­veur d’un congé, en pro­met­tant de dire bien haut : « C’est à un dieu que nous de­vons ces loi­sirs ; car il sera pour moi, tou­jours, un dieu » (« Deus no­bis hæc otia fe­cit ; namque erit ille mihi sem­per deus »2). Le re­fus du di­rec­teur dé­ter­mina notre poète à ré­si­gner ses fonc­tions de dra­ma­turge. Libre, mais tou­jours sans res­sources, il es­saya un moyen de sa­lut qui, dans ce temps-là comme main­te­nant, était bien pré­caire. Il fonda une re­vue lit­té­raire. « La Tha­lie du Rhin »3 (« Rhei­nische Tha­lia »), tel fut le titre de ce re­cueil. Les abon­nés firent dé­faut. Les dé­trac­teurs, en re­vanche, s’acharnèrent sur Schil­ler, à tel point que le sé­jour à Mann­heim lui de­vint im­pos­sible, in­to­lé­rable. Il par­tit à Goh­lis, un vil­lage des en­vi­rons de Leip­zig, où il loua une mo­deste chambre de pay­san, pla­cée sous les combles. C’est là qu’il alla cher­cher re­fuge pour mû­rir ses pen­sées et pour ache­ver ses pièces, en écou­tant le concert des voix de la na­ture. Un ma­tin, le ha­sard de sa pro­me­nade le condui­sit dans un bos­quet sur les bords de la Pleisse. À quelques pas de­vant lui, il aper­çut un jeune homme pâle, les yeux ha­gards, les poi­gnets liés par un ban­deau, prêt à se je­ter dans l’abîme. Schil­ler, sa­chant lui aussi de quel poids pèsent sur le cœur cer­tains mo­ments de la vie, poussa les branches et lia conver­sa­tion avec le mi­sé­rable. C’était un étu­diant en théo­lo­gie, presque un ado­les­cent, qui de­puis six mois vi­vait seule­ment de pain et d’eau, et à qui il ne res­tait plus ni forces phy­siques pour sup­por­ter ces pri­va­tions ni forces mo­rales pour es­pé­rer. Notre poète lui donna le peu qu’il avait sur lui, et lui de­manda en échange la pro­messe de re­tar­der de huit jours son pro­jet de sui­cide. Le len­de­main ou le sur­len­de­main, Schil­ler as­sis­tait à une fête de ma­riage dans une riche fa­mille de Leip­zig. Au mo­ment où l’assemblée était la plus bruyante, il se leva sou­dain, il ra­conta avec cha­leur et élo­quence la scène dont il avait été té­moin, il ré­clama de tous les in­vi­tés des se­cours pour le mal­heu­reux et il fit lui-même la quête, une as­siette à la main. La col­lecte fut si consi­dé­rable qu’elle suf­fit à sou­te­nir le pauvre étu­diant jusqu’au jour où il eut une place.

l’ode « À la joie » marque une époque nou­velle dans le ta­lent de Schil­ler

Le soir même, exalté par le bien­fait qu’il ve­nait d’accomplir, Schil­ler vou­lut rendre hom­mage à la joie bien­veillante qui tend la main, confiante en elle-même ; la joie qui, ne s’embarrassant pas des dis­tances, des écarts, des di­ver­gences, élève et agran­dit le cœur, l’ouvrant au sen­ti­ment de la fra­ter­nité uni­ver­selle. Et en quelques heures, il com­posa un de ses plus beaux hymnes, un hymne mêlé de chœurs : l’ode « À la joie ». « Plus tard, Bee­tho­ven ve­nait d’achever les trois pre­mières par­ties de la neu­vième sym­pho­nie. Dans une heure de re­pos, il ou­vrit le re­cueil des poé­sies de Schil­ler, et le ha­sard vou­lut que ce fût à cette page su­blime. “Moi aussi”, s’écria-t-il, “je veux m’associer à la pen­sée de Schil­ler ; je veux cé­lé­brer la Pro­vi­dence et l’humanité…” ; et ce fi­nale co­los­sal, cette œuvre unique que l’avenir éga­lera peut-être, mais ne sur­pas­sera pas — le fi­nale de la sym­pho­nie avec chœurs — fut créé ! »4 Pa­rue d’abord dans le deuxième nu­méro de « La Tha­lie du Rhin » en 1786, l’ode « À la joie » marque une époque nou­velle dans le ta­lent de Schil­ler. Tout en sa­cri­fiant en­core à la muse de la poé­sie, il consa­crera un temps égal à celle de l’histoire. Car les re­cherches qu’il fai­sait à l’occasion de son drame « Don Car­los » lui ins­pi­rèrent l’idée de ré­di­ger une « His­toire du sou­lè­ve­ment des Pays-Bas », tout comme sa tri­lo­gie de « Wal­len­stein » le pous­sera à écrire une « His­toire de la guerre de Trente Ans ». Est-ce bien là des œuvres his­to­riques sé­rieuses ? Voici la ré­ponse d’un pro­fes­seur5 : « Nous ré­pon­dons har­di­ment oui, et voici nos rai­sons. D’abord, quoi qu’en puissent dire [cer­tains], le style de Schil­ler est ex­cellent. N’est-ce pas là un point es­sen­tiel pour des élèves qui cherchent un mo­dèle de la bonne prose al­le­mande ?… Au point de vue même des faits, nous ne croyons pas que l’on puisse re­pro­cher à Schil­ler des faus­se­tés… Il connais­sait la guerre de Trente Ans… Elle l’avait vi­ve­ment in­té­ressé ; dès le dé­but, il y voyait la ma­tière d’un drame. »

Il n’existe pas moins de trois tra­duc­tions fran­çaises de l’« His­toire du sou­lè­ve­ment des Pays-Bas », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Jean-Jo­seph de Cloet.

« Eine der merkwür­dig­sten Staats­be­ge­ben­hei­ten, die das XVI. Jah­rhun­dert zum glän­zend­sten der Welt ge­macht ha­ben, dünkt mir die Grün­dung der nie­derlän­di­schen Frei­heit. Wenn die schim­mern­den Tha­ten der Ruhm­sucht und ei­ner ver­der­bli­chen Herr­sch­be­gierde auf un­sere Be­wun­de­rung Ans­pruch ma­chen, wie viel­mehr eine Be­ge­ben­heit, wo die be­drängte Men­sch­heit um ihre edel­sten Rechte ringt, wo mit der gu­ten Sache un­gewöhn­liche Kräfte sich paa­ren und die Hilf­smit­tel ent­schlos­se­ner Verz­wei­flung über die furcht­ba­ren Künste der Ty­ran­nei in un­glei­chem Wett­kampf sie­gen. Groß und be­ru­hi­gend ist der Ge­danke, daß ge­gen die trot­zi­gen An­maßun­gen der Fürs­ten­ge­walt end­lich noch eine Hilfe vo­rhan­den ist, daß ihre be­rech­nets­ten Plane an der men­schli­chen Frei­heit zu Schan­den wer­den, daß ein herz­haf­ter Wi­ders­tand auch den ges­treck­ten Arm eines Des­po­ten beu­gen, hel­denmü­thige Be­har­rung seine schre­ck­li­chen Hilf­squel­len end­lich er­schöp­fen kann. »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« De tous les évé­ne­ments po­li­tiques qui ont illus­tré le XVIe siècle, l’établissement de la li­berté dans les Pays-Bas me pa­raît être un des plus re­mar­quables. Si les ex­ploits éblouis­sants, ins­pi­rés par l’ambition ou par un des­po­tisme des­truc­teur, com­mandent notre ad­mi­ra­tion, à com­bien plus juste titre ne la de­vons-nous pas à ces évé­ne­ments glo­rieux où la bonne cause, sou­te­nue par des ef­forts ex­tra­or­di­naires et par l’énergie d’un af­freux déses­poir, triomphe, dans une lutte in­égale, des odieux ar­ti­fices de la ty­ran­nie ? Qu’elle est su­blime et conso­lante, cette pen­sée que l’on trouve tôt ou tard un re­fuge contre les or­gueilleuses pré­ten­tions du des­po­tisme ; que ses plans les mieux com­bi­nés échouent contre les ef­forts de la li­berté ; qu’une ré­sis­tance cou­ra­geuse peut rompre les me­sures les mieux concer­tées d’un des­pote ; et qu’une per­sé­vé­rance hé­roïque épuise à la longue ses ter­ribles res­sources. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Cloet

« Las an­nales du monde n’offrent point d’événement po­li­tique plus re­mar­quable, à mon avis, parmi ceux qui ont illus­tré le XVIe siècle, que la fon­da­tion de la li­berté des Pays-Bas. Si les ac­tions écla­tantes, en­fan­tées par l’ambition et l’amour ex­clu­sif du pou­voir, pré­tendent à notre ad­mi­ra­tion, nous la de­vons à plus juste titre aux ef­forts ma­gna­nimes d’un peuple op­primé com­bat­tant pour les droits les plus sa­crés, fai­sant des sa­cri­fices ex­tra­or­di­naires pour le triomphe d’une cause aussi belle, usant de toutes les res­sources qui res­tent au déses­poir, et dans un com­bat in­égal, l’emportant à la fin sur une ty­ran­nie re­dou­table au­tant qu’artificieuse. Qu’elle est grande et conso­lante, cette pen­sée qu’il existe en­core des moyens de lut­ter avec suc­cès contre les usur­pa­tions au­da­cieuses du des­po­tisme ; que l’amour de la li­berté, gravé dans le cœur des hommes, fait échouer les plans les mieux com­bi­nés pour leur as­ser­vis­se­ment ; qu’une ré­sis­tance cou­ra­geuse peut faire ployer le bras tendu d’un des­pote ; et qu’une noble per­sé­vé­rance ta­rit en­fin les sources de son odieux pou­voir ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Hippolyte de Châ­teau­gi­ron (XIXe siècle)

« Un des plus mé­mo­rables évé­ne­ments po­li­tiques qui ont fait du XVIe siècle, entre tous les âges du monde, le plus brillant me pa­raît être la fon­da­tion de la li­berté des Pays-Bas. Si les ex­ploits écla­tants ins­pi­rés par la pas­sion de la gloire et une am­bi­tion fu­neste pré­tendent à notre ad­mi­ra­tion, com­bien plus est-elle due à un évé­ne­ment où nous voyons l’humanité op­pri­mée com­battre pour ses plus nobles droits, où des forces ex­tra­or­di­naires se trouvent as­so­ciées à la bonne cause, où les res­sources d’un cou­ra­geux déses­poir triomphent, dans une lutte in­égale, des re­dou­tables ar­ti­fices de la ty­ran­nie ! Elle est grande et ras­su­rante, la pen­sée qu’il existe en­core après tout un se­cours contre les ar­ro­gantes pré­ten­tions du des­po­tisme des rois ; que leurs plans les mieux cal­cu­lés échouent hon­teu­se­ment de­vant la li­berté hu­maine ; qu’une cou­ra­geuse ré­sis­tance peut faire plier le bras qu’étend un des­pote, et une hé­roïque per­sé­vé­rance épui­ser en­fin les sources de son ter­rible pou­voir. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Adolphe Re­gnier (XIXe siècle)

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  1. Par­fois tra­duit « His­toire du sou­lè­ve­ment des Pays-Bas sous Phi­lippe II, roi d’Espagne », « His­toire de la ré­volte qui dé­ta­cha les Pays-Bas de la do­mi­na­tion es­pa­gnole » ou « His­toire de la dé­fec­tion des Pays-Bas réunis de l’Espagne ». Haut
  2. Vir­gile, « Bu­co­liques », poème I, v. 6-7. Haut
  3. Par­fois tra­duit « La Tha­lie rhé­nane ». Tha­lie, muse de la co­mé­die et de la poé­sie pas­to­rale, tient dans la main droite le bâ­ton re­courbé des ber­gers et porte de la main gauche un masque co­mique. Haut
  1. Kreut­zer, « So­ciété Sainte-Cé­cile • M. Vieux­temps • So­ciété des concerts ». Haut
  2. Henri Schmidt. Haut