Il s’agit du poème « Regards jetés dans l’éternité » (« Blicke der Ewigkeit ») et autres écrits de Susanna von Klettenberg, dite Susanne de Klettenberg 1 (XVIIIe siècle), mystique allemande, piétiste et occultiste, âme exaltée s’adonnant à l’alchimie, amie de la mère de Gœthe. Les deux familles, Gœthe et Klettenberg, étaient apparentées. Selon toute apparence, Susanne de Klettenberg connut dès son plus jeune âge l’enfant précoce qui devait, un jour, subjuguer l’Allemagne et le monde entier ; selon toute apparence aussi, Gœthe dut à cette noble religieuse beaucoup des impressions qui entourèrent son enfance et sa jeunesse. Elle se trouve mêlée, de manière très intime, à tout son développement moral et intellectuel. Écoutons la description que l’immense poète a laissée d’elle dans ses mémoires : « Elle était », dit-il 2, « d’une taille svelte, de grandeur moyenne… Sa mise très soignée rappelait le costume des sœurs hernutes 3. La sérénité et le repos de l’âme ne la quittaient jamais. Elle considérait sa maladie comme un élément nécessaire de sa passagère existence terrestre ; elle souffrait avec la plus grande patience, et dans les intervalles, elle était vive et causante ». Susanne de Klettenberg appartenait par sa naissance au monde le plus distingué de Francfort ; mais elle s’en était éloignée de bonne heure. Sa santé faible, son éducation relevée, la vivacité et l’originalité de son esprit, son penchant pour le surnaturel l’avaient poussée au mysticisme chrétien ; aux doctrines de l’occultisme aussi : c’était le temps où le comte de Cagliostro séduisait toutes les imaginations. Elle écrivait en 1769 : « Le Seigneur n’est pas inactif dans notre ville, non plus ; Il souffle de mille façons sur les petites étincelles et les rallume… Il n’a cesse jusqu’à ce qu’Il ait trouvé la dernière de Ses brebis » 4. Le fils de son amie allait devenir pour elle cette « brebis » égarée. Aux environs de sa vingtième année, Gœthe était un étudiant tourmenté, désemparé, « en quelque sorte comme un naufragé » (« als ein Schiffbrüchiger »), qui semblait « plus souffrir encore de l’âme que du corps » 5. Elle trouva en ce jeune homme que la vie avait déçu tout ce qu’elle demandait : une nature jeune et impressionnable, qui aspirât comme elle à quelque félicité inconnue, et sur qui elle pût prendre de l’ascendant. « Déjà, elle avait étudié en secret l’“Opus mago-cabalisticum” de Welling », dit Gœthe 6, « mais comme [cet] auteur obscurcit et fait disparaître aussitôt la lumière qu’il communique, elle cherchait un ami qui lui tînt compagnie dans ces alternatives de lumière et d’obscurité ; elle n’eut pas besoin de grands efforts pour m’inoculer aussi ce [germe] ». Sous sa direction, Gœthe porta à cette magie cabalistique l’ardeur qu’il mettait en toutes choses.
- Parfois transcrit Suzanne de Klettenberg.
- « Œuvres ; trad. par Jacques Porchat. Tome VIII. Mémoires », p. 293.
- Les hernutes, plus communément appelés moraves, étaient des sectaires chrétiens d’une grande pureté de mœurs.
- Hippolyte Loiseau, « L’Évolution morale de Gœthe : les années de libre formation (1749-1794) » (éd. F. Alcan, Paris), p. 98.
- « Œuvres ; trad. par Jacques Porchat. Tome VIII. Mémoires », p. 292.
- id. p. 295.