Schiller, « La Pucelle d’Orléans »

éd. L’Arche, coll. Scène ouverte, Paris

éd. L’Arche, coll. Scène ou­verte, Pa­ris

Il s’agit de « La Pu­celle d’Orléans »1 (« Die Jung­frau von Or­leans ») de Frie­drich Schil­ler2, poète et dra­ma­turge al­le­mand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se re­con­naît im­mé­dia­te­ment comme sienne par un mé­lange par­ti­cu­lier qui tient à la poé­sie par les pas­sions et à la phi­lo­so­phie par le goût pour les ré­flexions — un mé­lange qui a tant im­pré­gné l’art dra­ma­tique en Al­le­magne « que de­puis lors il est dif­fi­cile de par­ler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schil­ler” »3. L’inclination de Schil­ler pour le théâtre al­lait, pour­tant, à l’encontre des lois de l’École mi­li­taire où il fut édu­qué. Huit an­nées du­rant, son en­thou­siasme lutta contre la dis­ci­pline que lui im­po­saient ses ins­ti­tu­teurs. La sur­veillance, l’uniformité ré­pé­tée des mêmes gestes, les pu­ni­tions cor­po­relles qui sui­vaient de près les me­naces, bles­saient pro­fon­dé­ment un jeune homme qui sen­tait en lui-même des pen­chants plus éle­vés, plus purs et plus di­vins que la di­rec­tion où il était poussé de force. Elles au­raient dû étouf­fer sa pas­sion pour le théâtre ; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. « Les Bri­gands » qu’il écri­vit en ca­chette étant élève ré­vé­lèrent au monde un poète uni­ver­sel à l’intelligence trop éten­due pour voir les li­mites de l’humanité dans les fron­tières de sa pa­trie : « J’écris en ci­toyen du monde qui ne sert au­cun prince. J’ai perdu, jeune, ma pa­trie pour l’échanger contre le vaste monde… », dit-il4. Com­bien il est sin­gu­lier, d’ailleurs, que les pièces de Schil­ler pro­mènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent tou­jours les in­ter­prètes du pa­trio­tisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec « Don Car­los », la France avec « La Pu­celle d’Orléans », la Suisse avec « Guillaume Tell », l’Écosse avec « Ma­rie Stuart ». Quand la mort vint le sai­sir, il tra­vaillait en­core à « Dé­mé­trius », dont il avait ins­tallé l’intrigue dans une Rus­sie où il n’était pas da­van­tage allé que dans les autres pays. Il n’y a que « Wal­len­stein » qui soit réel­le­ment al­le­mand ; mais non pas l’Allemagne mo­derne, celle du Saint-Em­pire. « Ci­toyen de l’univers qui ac­cueille dans sa fa­mille tous les vi­sages hu­mains et em­brasse avec fra­ter­nité l’intérêt col­lec­tif, je me sens ap­pelé à pour­suivre l’homme der­rière tous les dé­cors de la vie en so­ciété, à le re­cher­cher dans tous les cercles, et si je puis em­ployer cette image, à po­ser sur son cœur l’aiguille de la bous­sole », dit-il5. On com­prend pour­quoi la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment éta­blie, qui ap­pe­lait l’humanité à ve­nir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les na­tions le titre de ci­toyen fran­çais par un dé­cret si­gné par Dan­ton en 1792.

Il n’existe pas moins de onze tra­duc­tions fran­çaises de « La Pu­celle d’Orléans », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Brice Ger­main.

« Uner­meß­liches
Ges­chütz ist auf­ge­bracht von al­len En­den,
Und wie der Bie­nen dun­kelnde Ges­ch­wa­der
Den Korb um­schwär­men in des Som­mers Ta­gen,
Wie aus ges­chwärz­ter Luft die Heu­schre­ck­wolke
He­run­terfällt und mei­len­lang die Fel­der
Be­deckt in unab­seh­ba­rem Ge­wim­mel,
So goß sich eine Krie­ges­wolke aus
Von Völ­kern über Or­leans Ge­filde,
Und von der Spra­chen un­verständ­li­chem
Ge­misch ver­wor­ren dumpf er­braust das La­ger. »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« D’innombrables
Pièces d’artillerie sont ap­por­tées de tous cô­tés,
Et comme les sombres es­saims d’abeilles
Vol­tigent au­tour de la cor­beille les jours d’été ;
Comme dans le ciel noirci la nuée de sau­te­relles
S’abat, cou­vrant les champs sur plu­sieurs lieues
Dans un grouille­ment im­pré­vi­sible :
Ainsi s’est étendu un nuage guer­rier
De peuples sur les plaines d’Orléans,
Et le cam­pe­ment gronde du bour­don­ne­ment confus
Causé par l’incompréhensible tu­multe des langues. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Ger­main

« Une ar­tille­rie in­nom­brable a été ras­sem­blée de toutes parts. Tels que de sombres es­saims d’abeilles se pressent au­tour de leur ruche pen­dant un jour d’été ; tels que ces mil­liers de sau­te­relles tom­bés des airs obs­cur­cis, four­millent sur nos champs et couvrent des lieues en­tières à perte de vue : telles se sont as­sem­blées vers les cam­pagnes d’Orléans les ar­mées de toutes les na­tions, et le bruit confus de leurs lan­gages di­vers re­ten­tit sour­de­ment dans leur camp. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Pros­per Bru­gière, ba­ron de Ba­rante (XIXe siècle)

« Venu de toutes parts,
Le ca­non des­truc­teur déjà les en­vi­ronne.
Comme en un jour d’été près des ruches bour­donne
Un in­nom­brable es­saim d’abeilles ; comme aussi,
En nuages sou­dains dont l’air est obs­curci,
Sur la terre par­fois tombent les sau­te­relles
Dont la masse en tu­multe au loin la couvre : telles,
Des peuples contre nous conju­rés, nous voyons
Dans les champs d’Orléans fondre les lé­gions.
De lan­gages di­vers, que l’on ne peut com­prendre,
Le mur­mure confus au camp se fait en­tendre. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Théo­dore Braun (XIXe siècle)

« Une ar­tille­rie for­mi­dable a été ame­née de tous les points, et telles que de sombres vo­lées d’abeilles se pressent en tour­billons, dans les jours d’été, au­tour de leur ruche ; tel qu’un nuage de sau­te­relles tombe des airs, obs­cur­cit et couvre les champs à d’immenses dis­tances, s’agitant dans un mou­ve­ment conti­nuel : tels se sont ré­pan­dus dans les cam­pagnes d’Orléans les guer­riers de toutes les na­tions, et un mé­lange in­com­pré­hen­sible de toutes les langues re­ten­tit sour­de­ment dans le camp. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de … Cap­pon (XIXe siècle)

« Une ar­tille­rie in­nom­brable se cha­rie de tous les cô­tés. Tels que des es­saims d’abeilles qui bour­donnent au­tour de la ruche au mi­lieu de l’été, des nuées de sol­dats, de com­bat­tants, for­mant un dé­luge im­mense, se sont ré­pan­dues sur les champs d’Orléans. Un mé­lange de voix in­com­pré­hen­sibles, de mille es­pèces de langues, re­ten­tit dans le camp en­nemi. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Karl Frie­drich Cra­mer, dit Charles-Fré­dé­ric Cra­mer (XIXe siècle)

« Bon nombre de ca­nons y vont de toutes parts.
Les abeilles, l’été en nom­breux corps épars,
Font chauf­fer le bu­tin qu’elles ont avec elles ;
Nom­breuses s’abattant aussi les sau­te­relles
Vont au loin re­cou­vrir nos fer­tiles sillons :
De même l’étranger en épais ba­taillons,
Tout au­tour d’Orléans a sub­mergé les plaines,
For­mant un bruit confus de vingt langues hu­maines. »
— Pas­sage dans une tra­duc­tion ano­nyme (XIXe siècle)

« De toutes parts d’immenses pré­pa­ra­tifs sont mis en œuvre, et de même qu’aux jours d’été, on voit les abeilles en épais es­saims en­ve­lop­per la ruche ; de même que ces lé­gions de sau­te­relles dont l’air est obs­curci s’abattent sur la cam­pagne qu’ils couvrent au loin par my­riades in­nom­brables : ainsi s’est abat­tue sur les plaines d’Orléans une nuée de peuples di­vers et confus dont le camp offre un mé­lange in­in­tel­li­gible de toutes les langues. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Xa­vier Mar­mier (XIXe siècle)

« Un im­mense ap­pa­reil de ma­chines de guerre
Est réuni déjà : l’on voit de tous cô­tés
Af­fluer leurs sol­dats. Comme en un jour d’été
L’essaim sort de la ruche et bour­donne au bo­cage,
En cher­chant son bu­tin ; comme un épais nuage
De sau­te­relles vient, obs­cur­cis­sant les airs,
S’abattre sur les blés et sur les ga­zons verts :
Telle, au­tour d’Orléans, une foule in­nom­brable,
Inon­dant le pays, s’amasse for­mi­dable,
Et le camp re­ten­tit du sourd bour­don­ne­ment
De lan­gages di­vers, mê­lés confu­sé­ment… »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ka­ro­lina Pav­lova, dite Ca­ro­line Pav­lof (XIXe siècle)

« Une ar­tille­rie in­nom­brable a été réunie de toutes parts, et tels que de sombres es­saims d’abeilles tour­billonnent au­tour de la ruche dans les jours d’été ; tel qu’un nuage de sau­te­relles tombe des airs obs­cur­cis et, cou­vrant des lieues en­tières, four­mille à perte de vue dans les champs : telle s’est ré­pan­due une nuée de guerre, une foule de peuples, dans les plaines d’Orléans, et le camp re­ten­tit sour­de­ment du mé­lange in­in­tel­li­gible et confus des langues. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Adolphe Re­gnier (XIXe siècle)

« On a, de toute part, amené une ar­tille­rie for­mi­dable ; et tels on voit en été ces sombres es­saims d’abeilles vo­ler en masse au­tour de leur ruche ; tels on voit tom­ber des nues qu’ils obs­cur­cissent ces nuages de sau­te­relles et cou­vrir les cam­pagnes, des lieues en­tières, de leur in­fi­nité confuse que l’œil ne peut sai­sir ; tel s’est épandu un dé­luge de guer­riers dans les plaines d’Orléans ; et leur camp re­ten­tit de l’incompréhensible jar­gon sourd et confus des lan­gages mê­lés. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de l’abbé Jean-Bap­tiste Daul­noy (XIXe siècle)

« Une ar­tille­rie in­nom­brable se ras­semble de tous les cô­tés. Tels que des es­saims d’abeilles qui, pen­dant l’été, comme un nuage épais, en­vi­ronnent leur ruche ; tels que ces mil­liers d’insectes qui, ame­nés par un vent fu­neste, en­va­hissent nos champs et dé­so­lent des lieues en­tières, à perte de vue ; tels se sont réunis, dans les cam­pagnes d’Orléans, les sol­dats de tous les pays ; un mé­lange confus de voix, de lan­gages di­vers re­ten­tit dans leur camp. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion in­di­recte de Louis-Sa­tur­nin Bris­sot-Thi­vars (XIXe siècle)

Avertissement Cette tra­duc­tion n’a pas été faite sur l’original.

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  1. Par­fois tra­duit « Jeanne d’Arc ». Haut
  2. Au­tre­fois trans­crit Fré­dé­ric Schil­ler. Haut
  3. Mann, « Es­sai sur Schil­ler ». Haut
  1. « Écrits sur le théâtre », p. 101. Haut
  2. id. p. 104. Haut