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su­jet

Hugo, «Les Chants du crépuscule • Les Voix intérieures • Les Rayons et les Ombres»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Rayons et les Ombres» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Hugo, «Les Orientales • Les Feuilles d’automne»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Feuilles d’automne» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Hugo, «Odes et Ballades»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Odes et Bal­lades» et autres œuvres de Vic­tor Hugo (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des écri­vains de langue fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un droit vrai­ment ab­solu à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’histoire lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La cri­tique qui vou­drait dé­mê­ler cette fi­gure ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau don Qui­chotte, cet homme est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au phy­sique et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la mer, com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du so­leil, as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide po­li­tique, tan­tôt chargé d’apitoyer le monde sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la na­ture. Avec sa mort, c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce gé­nie éveille l’idée de l’infini. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’arbres et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Haut

Schiller, «La Pucelle d’Orléans»

éd. L’Arche, coll. Scène ouverte, Paris

éd. L’Arche, coll. Scène ou­verte, Pa­ris

Il s’agit de «La Pu­celle d’Orléans» 1Die Jung­frau von Or­leans») de Frie­drich Schil­ler 2, poète et dra­ma­turge al­le­mand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se re­con­naît im­mé­dia­te­ment comme sienne par un mé­lange par­ti­cu­lier qui tient à la poé­sie par les pas­sions et à la phi­lo­so­phie par le goût pour les ré­flexions — un mé­lange qui a tant im­pré­gné l’art dra­ma­tique en Al­le­magne «que de­puis lors il est dif­fi­cile de par­ler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schil­ler”» 3. L’inclination de Schil­ler pour le théâtre al­lait, pour­tant, à l’encontre des lois de l’École mi­li­taire où il fut édu­qué. Huit an­nées du­rant, son en­thou­siasme lutta contre la dis­ci­pline que lui im­po­saient ses ins­ti­tu­teurs. La sur­veillance, l’uniformité ré­pé­tée des mêmes gestes, les pu­ni­tions cor­po­relles qui sui­vaient de près les me­naces, bles­saient pro­fon­dé­ment un jeune homme qui sen­tait en lui-même des pen­chants plus éle­vés, plus purs et plus di­vins que la di­rec­tion où il était poussé de force. Elles au­raient dû étouf­fer sa pas­sion pour le théâtre; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. «Les Bri­gands» qu’il écri­vit en ca­chette étant élève ré­vé­lèrent au monde un poète uni­ver­sel à l’intelligence trop éten­due pour voir les li­mites de l’humanité dans les fron­tières de sa pa­trie : «J’écris en ci­toyen du monde qui ne sert au­cun prince. J’ai perdu, jeune, ma pa­trie pour l’échanger contre le vaste monde…», dit-il 4. Com­bien il est sin­gu­lier, d’ailleurs, que les pièces de Schil­ler pro­mènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent tou­jours les in­ter­prètes du pa­trio­tisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec «Don Car­los», la France avec «La Pu­celle d’Orléans», la Suisse avec «Guillaume Tell», l’Écosse avec «Ma­rie Stuart». Quand la mort vint le sai­sir, il tra­vaillait en­core à «Dé­mé­trius», dont il avait ins­tallé l’intrigue dans une Rus­sie où il n’était pas da­van­tage allé que dans les autres pays. Il n’y a que «Wal­len­stein» qui soit réel­le­ment al­le­mand; mais non pas l’Allemagne mo­derne, celle du Saint-Em­pire. «Ci­toyen de l’univers qui ac­cueille dans sa fa­mille tous les vi­sages hu­mains et em­brasse avec fra­ter­nité l’intérêt col­lec­tif, je me sens ap­pelé à pour­suivre l’homme der­rière tous les dé­cors de la vie en so­ciété, à le re­cher­cher dans tous les cercles, et si je puis em­ployer cette image, à po­ser sur son cœur l’aiguille de la bous­sole», dit-il 5. On com­prend pour­quoi la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment éta­blie, qui ap­pe­lait l’humanité à ve­nir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les na­tions le titre de ci­toyen fran­çais par un dé­cret si­gné par Dan­ton en 1792.

  1. Par­fois tra­duit «Jeanne d’Arc». Haut
  2. Au­tre­fois trans­crit Fré­dé­ric Schil­ler. Haut
  3. Mann, «Es­sai sur Schil­ler». Haut
  1. «Écrits sur le théâtre», p. 101. Haut
  2. id. p. 104. Haut

Schiller, «Démétrius»

dans « Œuvres dramatiques. Tome III » (XIXᵉ siècle)

dans «Œuvres dra­ma­tiques. Tome III» (XIXe siècle)

Il s’agit de «Dé­mé­trius» de Frie­drich Schil­ler 1, poète et dra­ma­turge al­le­mand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se re­con­naît im­mé­dia­te­ment comme sienne par un mé­lange par­ti­cu­lier qui tient à la poé­sie par les pas­sions et à la phi­lo­so­phie par le goût pour les ré­flexions — un mé­lange qui a tant im­pré­gné l’art dra­ma­tique en Al­le­magne «que de­puis lors il est dif­fi­cile de par­ler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schil­ler”» 2. L’inclination de Schil­ler pour le théâtre al­lait, pour­tant, à l’encontre des lois de l’École mi­li­taire où il fut édu­qué. Huit an­nées du­rant, son en­thou­siasme lutta contre la dis­ci­pline que lui im­po­saient ses ins­ti­tu­teurs. La sur­veillance, l’uniformité ré­pé­tée des mêmes gestes, les pu­ni­tions cor­po­relles qui sui­vaient de près les me­naces, bles­saient pro­fon­dé­ment un jeune homme qui sen­tait en lui-même des pen­chants plus éle­vés, plus purs et plus di­vins que la di­rec­tion où il était poussé de force. Elles au­raient dû étouf­fer sa pas­sion pour le théâtre; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. «Les Bri­gands» qu’il écri­vit en ca­chette étant élève ré­vé­lèrent au monde un poète uni­ver­sel à l’intelligence trop éten­due pour voir les li­mites de l’humanité dans les fron­tières de sa pa­trie : «J’écris en ci­toyen du monde qui ne sert au­cun prince. J’ai perdu, jeune, ma pa­trie pour l’échanger contre le vaste monde…», dit-il 3. Com­bien il est sin­gu­lier, d’ailleurs, que les pièces de Schil­ler pro­mènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent tou­jours les in­ter­prètes du pa­trio­tisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec «Don Car­los», la France avec «La Pu­celle d’Orléans», la Suisse avec «Guillaume Tell», l’Écosse avec «Ma­rie Stuart». Quand la mort vint le sai­sir, il tra­vaillait en­core à «Dé­mé­trius», dont il avait ins­tallé l’intrigue dans une Rus­sie où il n’était pas da­van­tage allé que dans les autres pays. Il n’y a que «Wal­len­stein» qui soit réel­le­ment al­le­mand; mais non pas l’Allemagne mo­derne, celle du Saint-Em­pire. «Ci­toyen de l’univers qui ac­cueille dans sa fa­mille tous les vi­sages hu­mains et em­brasse avec fra­ter­nité l’intérêt col­lec­tif, je me sens ap­pelé à pour­suivre l’homme der­rière tous les dé­cors de la vie en so­ciété, à le re­cher­cher dans tous les cercles, et si je puis em­ployer cette image, à po­ser sur son cœur l’aiguille de la bous­sole», dit-il 4. On com­prend pour­quoi la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment éta­blie, qui ap­pe­lait l’humanité à ve­nir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les na­tions le titre de ci­toyen fran­çais par un dé­cret si­gné par Dan­ton en 1792.

  1. Au­tre­fois trans­crit Fré­dé­ric Schil­ler. Haut
  2. Mann, «Es­sai sur Schil­ler». Haut
  1. «Écrits sur le théâtre», p. 101. Haut
  2. id. p. 104. Haut

Schiller, «La Fiancée de Messine, ou les Frères ennemis : tragédie avec chœurs»

éd. Aubier-Montaigne, coll. bilingue des classiques étrangers, Paris

éd. Au­bier-Mon­taigne, coll. bi­lingue des clas­siques étran­gers, Pa­ris

Il s’agit de «La Fian­cée de Mes­sine» («Die Braut von Mes­sina») de Frie­drich Schil­ler 1, poète et dra­ma­turge al­le­mand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se re­con­naît im­mé­dia­te­ment comme sienne par un mé­lange par­ti­cu­lier qui tient à la poé­sie par les pas­sions et à la phi­lo­so­phie par le goût pour les ré­flexions — un mé­lange qui a tant im­pré­gné l’art dra­ma­tique en Al­le­magne «que de­puis lors il est dif­fi­cile de par­ler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schil­ler”» 2. L’inclination de Schil­ler pour le théâtre al­lait, pour­tant, à l’encontre des lois de l’École mi­li­taire où il fut édu­qué. Huit an­nées du­rant, son en­thou­siasme lutta contre la dis­ci­pline que lui im­po­saient ses ins­ti­tu­teurs. La sur­veillance, l’uniformité ré­pé­tée des mêmes gestes, les pu­ni­tions cor­po­relles qui sui­vaient de près les me­naces, bles­saient pro­fon­dé­ment un jeune homme qui sen­tait en lui-même des pen­chants plus éle­vés, plus purs et plus di­vins que la di­rec­tion où il était poussé de force. Elles au­raient dû étouf­fer sa pas­sion pour le théâtre; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. «Les Bri­gands» qu’il écri­vit en ca­chette étant élève ré­vé­lèrent au monde un poète uni­ver­sel à l’intelligence trop éten­due pour voir les li­mites de l’humanité dans les fron­tières de sa pa­trie : «J’écris en ci­toyen du monde qui ne sert au­cun prince. J’ai perdu, jeune, ma pa­trie pour l’échanger contre le vaste monde…», dit-il 3. Com­bien il est sin­gu­lier, d’ailleurs, que les pièces de Schil­ler pro­mènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent tou­jours les in­ter­prètes du pa­trio­tisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec «Don Car­los», la France avec «La Pu­celle d’Orléans», la Suisse avec «Guillaume Tell», l’Écosse avec «Ma­rie Stuart». Quand la mort vint le sai­sir, il tra­vaillait en­core à «Dé­mé­trius», dont il avait ins­tallé l’intrigue dans une Rus­sie où il n’était pas da­van­tage allé que dans les autres pays. Il n’y a que «Wal­len­stein» qui soit réel­le­ment al­le­mand; mais non pas l’Allemagne mo­derne, celle du Saint-Em­pire. «Ci­toyen de l’univers qui ac­cueille dans sa fa­mille tous les vi­sages hu­mains et em­brasse avec fra­ter­nité l’intérêt col­lec­tif, je me sens ap­pelé à pour­suivre l’homme der­rière tous les dé­cors de la vie en so­ciété, à le re­cher­cher dans tous les cercles, et si je puis em­ployer cette image, à po­ser sur son cœur l’aiguille de la bous­sole», dit-il 4. On com­prend pour­quoi la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment éta­blie, qui ap­pe­lait l’humanité à ve­nir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les na­tions le titre de ci­toyen fran­çais par un dé­cret si­gné par Dan­ton en 1792.

  1. Au­tre­fois trans­crit Fré­dé­ric Schil­ler. Haut
  2. Mann, «Es­sai sur Schil­ler». Haut
  1. «Écrits sur le théâtre», p. 101. Haut
  2. id. p. 104. Haut

Schiller, «Guillaume Tell : tragédie en cinq actes»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «Guillaume Tell» («Wil­helm Tell») de Frie­drich Schil­ler 1, poète et dra­ma­turge al­le­mand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se re­con­naît im­mé­dia­te­ment comme sienne par un mé­lange par­ti­cu­lier qui tient à la poé­sie par les pas­sions et à la phi­lo­so­phie par le goût pour les ré­flexions — un mé­lange qui a tant im­pré­gné l’art dra­ma­tique en Al­le­magne «que de­puis lors il est dif­fi­cile de par­ler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schil­ler”» 2. L’inclination de Schil­ler pour le théâtre al­lait, pour­tant, à l’encontre des lois de l’École mi­li­taire où il fut édu­qué. Huit an­nées du­rant, son en­thou­siasme lutta contre la dis­ci­pline que lui im­po­saient ses ins­ti­tu­teurs. La sur­veillance, l’uniformité ré­pé­tée des mêmes gestes, les pu­ni­tions cor­po­relles qui sui­vaient de près les me­naces, bles­saient pro­fon­dé­ment un jeune homme qui sen­tait en lui-même des pen­chants plus éle­vés, plus purs et plus di­vins que la di­rec­tion où il était poussé de force. Elles au­raient dû étouf­fer sa pas­sion pour le théâtre; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. «Les Bri­gands» qu’il écri­vit en ca­chette étant élève ré­vé­lèrent au monde un poète uni­ver­sel à l’intelligence trop éten­due pour voir les li­mites de l’humanité dans les fron­tières de sa pa­trie : «J’écris en ci­toyen du monde qui ne sert au­cun prince. J’ai perdu, jeune, ma pa­trie pour l’échanger contre le vaste monde…», dit-il 3. Com­bien il est sin­gu­lier, d’ailleurs, que les pièces de Schil­ler pro­mènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent tou­jours les in­ter­prètes du pa­trio­tisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec «Don Car­los», la France avec «La Pu­celle d’Orléans», la Suisse avec «Guillaume Tell», l’Écosse avec «Ma­rie Stuart». Quand la mort vint le sai­sir, il tra­vaillait en­core à «Dé­mé­trius», dont il avait ins­tallé l’intrigue dans une Rus­sie où il n’était pas da­van­tage allé que dans les autres pays. Il n’y a que «Wal­len­stein» qui soit réel­le­ment al­le­mand; mais non pas l’Allemagne mo­derne, celle du Saint-Em­pire. «Ci­toyen de l’univers qui ac­cueille dans sa fa­mille tous les vi­sages hu­mains et em­brasse avec fra­ter­nité l’intérêt col­lec­tif, je me sens ap­pelé à pour­suivre l’homme der­rière tous les dé­cors de la vie en so­ciété, à le re­cher­cher dans tous les cercles, et si je puis em­ployer cette image, à po­ser sur son cœur l’aiguille de la bous­sole», dit-il 4. On com­prend pour­quoi la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment éta­blie, qui ap­pe­lait l’humanité à ve­nir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les na­tions le titre de ci­toyen fran­çais par un dé­cret si­gné par Dan­ton en 1792.

  1. Au­tre­fois trans­crit Fré­dé­ric Schil­ler. Haut
  2. Mann, «Es­sai sur Schil­ler». Haut
  1. «Écrits sur le théâtre», p. 101. Haut
  2. id. p. 104. Haut

Schiller, «Wallenstein : poème dramatique»

éd. L. Mazenod, coll. Les Écrivains célèbres-Le Romantisme, Paris

éd. L. Ma­ze­nod, coll. Les Écri­vains cé­lèbres-Le Ro­man­tisme, Pa­ris

Il s’agit de «Wal­len­stein» 1 de Frie­drich Schil­ler 2, poète et dra­ma­turge al­le­mand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se re­con­naît im­mé­dia­te­ment comme sienne par un mé­lange par­ti­cu­lier qui tient à la poé­sie par les pas­sions et à la phi­lo­so­phie par le goût pour les ré­flexions — un mé­lange qui a tant im­pré­gné l’art dra­ma­tique en Al­le­magne «que de­puis lors il est dif­fi­cile de par­ler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schil­ler”» 3. L’inclination de Schil­ler pour le théâtre al­lait, pour­tant, à l’encontre des lois de l’École mi­li­taire où il fut édu­qué. Huit an­nées du­rant, son en­thou­siasme lutta contre la dis­ci­pline que lui im­po­saient ses ins­ti­tu­teurs. La sur­veillance, l’uniformité ré­pé­tée des mêmes gestes, les pu­ni­tions cor­po­relles qui sui­vaient de près les me­naces, bles­saient pro­fon­dé­ment un jeune homme qui sen­tait en lui-même des pen­chants plus éle­vés, plus purs et plus di­vins que la di­rec­tion où il était poussé de force. Elles au­raient dû étouf­fer sa pas­sion pour le théâtre; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. «Les Bri­gands» qu’il écri­vit en ca­chette étant élève ré­vé­lèrent au monde un poète uni­ver­sel à l’intelligence trop éten­due pour voir les li­mites de l’humanité dans les fron­tières de sa pa­trie : «J’écris en ci­toyen du monde qui ne sert au­cun prince. J’ai perdu, jeune, ma pa­trie pour l’échanger contre le vaste monde…», dit-il 4. Com­bien il est sin­gu­lier, d’ailleurs, que les pièces de Schil­ler pro­mènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent tou­jours les in­ter­prètes du pa­trio­tisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec «Don Car­los», la France avec «La Pu­celle d’Orléans», la Suisse avec «Guillaume Tell», l’Écosse avec «Ma­rie Stuart». Quand la mort vint le sai­sir, il tra­vaillait en­core à «Dé­mé­trius», dont il avait ins­tallé l’intrigue dans une Rus­sie où il n’était pas da­van­tage allé que dans les autres pays. Il n’y a que «Wal­len­stein» qui soit réel­le­ment al­le­mand; mais non pas l’Allemagne mo­derne, celle du Saint-Em­pire. «Ci­toyen de l’univers qui ac­cueille dans sa fa­mille tous les vi­sages hu­mains et em­brasse avec fra­ter­nité l’intérêt col­lec­tif, je me sens ap­pelé à pour­suivre l’homme der­rière tous les dé­cors de la vie en so­ciété, à le re­cher­cher dans tous les cercles, et si je puis em­ployer cette image, à po­ser sur son cœur l’aiguille de la bous­sole», dit-il 5. On com­prend pour­quoi la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment éta­blie, qui ap­pe­lait l’humanité à ve­nir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les na­tions le titre de ci­toyen fran­çais par un dé­cret si­gné par Dan­ton en 1792.

  1. On ren­contre aussi la gra­phie «Wall­stein». Haut
  2. Au­tre­fois trans­crit Fré­dé­ric Schil­ler. Haut
  3. Mann, «Es­sai sur Schil­ler». Haut
  1. «Écrits sur le théâtre», p. 101. Haut
  2. id. p. 104. Haut

Schiller, «Esthétique»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Lettres sur l’éducation es­thé­tique de l’homme» («Briefe über die äs­the­tische Er­zie­hung des Men­schen») et autres trai­tés phi­lo­so­phiques de Schil­ler. L’espace com­pris entre les an­nées 1792 et 1795 marque un ré­pit dans les pro­duc­tions théâ­trales de Schil­ler. Don­nant quelque at­ten­tion aux ten­dances de son temps, le dra­ma­turge se livre à de grandes ré­flexions sur l’écart qu’il ob­serve entre la forme mo­derne de l’humanité et la forme an­cienne — la grecque par­ti­cu­liè­re­ment. Se­lon Schil­ler, à l’époque de l’heureux éveil grec, l’homme, à la fois phi­lo­sophe et ar­tiste, à la fois dé­li­cat et éner­gique, ne ren­fer­mait pas son ac­ti­vité dans les li­mites de ses fonc­tions; il pos­sé­dait en soi l’essence to­tale de l’humanité; et fa­vo­rable in­dif­fé­rem­ment à toutes les ma­ni­fes­ta­tions hu­maines, il n’en pro­té­geait au­cune ex­clu­si­ve­ment. «Comme il en est au­tre­ment chez nous autres, mo­dernes!», dit Schil­ler 1. Chez nous, l’image de l’espèce est dis­tri­buée, dis­per­sée dans les in­di­vi­dus à l’état de frag­ments, de telle sorte que les forces spi­ri­tuelles de l’humanité se montrent sé­pa­rées, et qu’il faut ad­di­tion­ner la sé­rie des in­di­vi­dus pour re­cons­ti­tuer la to­ta­lité de l’espèce. «Chez nous… nous voyons non seule­ment des in­di­vi­dus iso­lés, mais des classes en­tières d’hommes ne dé­ve­lop­per qu’une par­tie de leurs fa­cul­tés», dit Schil­ler 2. C’est la ci­vi­li­sa­tion elle-même qui a fait cette bles­sure au monde mo­derne. Aus­si­tôt que, d’une part, une ex­pé­rience plus éten­due eut amené une di­vi­sion plus exacte des sciences, et que, de l’autre, la ma­chine com­pli­quée des États eut rendu né­ces­saire une sé­pa­ra­tion plus ri­gou­reuse des classes et des tâches so­ciales, le lien in­time de la na­ture hu­maine fut rompu. Une per­ni­cieuse lutte suc­céda à l’harmonie qui ré­gnait entre les di­verses sphères hu­maines. «La rai­son in­tui­tive et la rai­son spé­cu­la­tive se ren­fer­mèrent hos­ti­le­ment dans leurs do­maines sé­pa­rés, dont elles com­men­cèrent à gar­der les fron­tières avec mé­fiance et ja­lou­sie», dit Schil­ler 3. Éter­nel­le­ment en­chaîné à un seul pe­tit frag­ment du tout, l’homme mo­derne ne se forme que comme frag­ment; n’ayant sans cesse dans l’oreille que le bruit mo­no­tone de la roue qu’il fait tour­ner, il ne dé­ve­loppe ja­mais l’harmonie de sa na­ture; et au lieu d’imprimer à son être le ca­chet de l’humanité, il fi­nit par n’être plus que l’empreinte de l’occupation à la­quelle il se consacre, de la science qu’il cultive. Et Schil­ler de conclure : «Quel que soit le pro­fit ré­sul­tant… de ce per­fec­tion­ne­ment dis­tinct et spé­cial des fa­cul­tés hu­maines, on ne peut nier que ce… soit une cause de souf­france et comme une ma­lé­dic­tion pour les in­di­vi­dus. Les exer­cices du gym­nase forment, il est vrai, des corps ath­lé­tiques, mais ce n’est que par le jeu libre et égal des membres que se dé­ve­loppe la beauté. De même, la ten­sion des forces spi­ri­tuelles iso­lées peut créer des hommes ex­tra­or­di­naires; mais ce n’est que l’équilibre… de ces forces qui peut pro­duire des hommes heu­reux et ac­com­plis»

  1. p. 202. Haut
  2. id. Haut
  1. p. 203. Haut

Schiller, «Don Carlos»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de «Don Car­los» («Don Kar­los») de Frie­drich Schil­ler 1, poète et dra­ma­turge al­le­mand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se re­con­naît im­mé­dia­te­ment comme sienne par un mé­lange par­ti­cu­lier qui tient à la poé­sie par les pas­sions et à la phi­lo­so­phie par le goût pour les ré­flexions — un mé­lange qui a tant im­pré­gné l’art dra­ma­tique en Al­le­magne «que de­puis lors il est dif­fi­cile de par­ler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schil­ler”» 2. L’inclination de Schil­ler pour le théâtre al­lait, pour­tant, à l’encontre des lois de l’École mi­li­taire où il fut édu­qué. Huit an­nées du­rant, son en­thou­siasme lutta contre la dis­ci­pline que lui im­po­saient ses ins­ti­tu­teurs. La sur­veillance, l’uniformité ré­pé­tée des mêmes gestes, les pu­ni­tions cor­po­relles qui sui­vaient de près les me­naces, bles­saient pro­fon­dé­ment un jeune homme qui sen­tait en lui-même des pen­chants plus éle­vés, plus purs et plus di­vins que la di­rec­tion où il était poussé de force. Elles au­raient dû étouf­fer sa pas­sion pour le théâtre; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. «Les Bri­gands» qu’il écri­vit en ca­chette étant élève ré­vé­lèrent au monde un poète uni­ver­sel à l’intelligence trop éten­due pour voir les li­mites de l’humanité dans les fron­tières de sa pa­trie : «J’écris en ci­toyen du monde qui ne sert au­cun prince. J’ai perdu, jeune, ma pa­trie pour l’échanger contre le vaste monde…», dit-il 3. Com­bien il est sin­gu­lier, d’ailleurs, que les pièces de Schil­ler pro­mènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent tou­jours les in­ter­prètes du pa­trio­tisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec «Don Car­los», la France avec «La Pu­celle d’Orléans», la Suisse avec «Guillaume Tell», l’Écosse avec «Ma­rie Stuart». Quand la mort vint le sai­sir, il tra­vaillait en­core à «Dé­mé­trius», dont il avait ins­tallé l’intrigue dans une Rus­sie où il n’était pas da­van­tage allé que dans les autres pays. Il n’y a que «Wal­len­stein» qui soit réel­le­ment al­le­mand; mais non pas l’Allemagne mo­derne, celle du Saint-Em­pire. «Ci­toyen de l’univers qui ac­cueille dans sa fa­mille tous les vi­sages hu­mains et em­brasse avec fra­ter­nité l’intérêt col­lec­tif, je me sens ap­pelé à pour­suivre l’homme der­rière tous les dé­cors de la vie en so­ciété, à le re­cher­cher dans tous les cercles, et si je puis em­ployer cette image, à po­ser sur son cœur l’aiguille de la bous­sole», dit-il 4. On com­prend pour­quoi la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment éta­blie, qui ap­pe­lait l’humanité à ve­nir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les na­tions le titre de ci­toyen fran­çais par un dé­cret si­gné par Dan­ton en 1792.

  1. Au­tre­fois trans­crit Fré­dé­ric Schil­ler. Haut
  2. Mann, «Es­sai sur Schil­ler». Haut
  1. «Écrits sur le théâtre», p. 101. Haut
  2. id. p. 104. Haut

Schiller, «Marie Stuart»

éd. Aubier, coll. bilingue des classiques étrangers, Paris

éd. Au­bier, coll. bi­lingue des clas­siques étran­gers, Pa­ris

Il s’agit de «Ma­rie Stuart» («Ma­ria Stuart») de Frie­drich Schil­ler 1, poète et dra­ma­turge al­le­mand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se re­con­naît im­mé­dia­te­ment comme sienne par un mé­lange par­ti­cu­lier qui tient à la poé­sie par les pas­sions et à la phi­lo­so­phie par le goût pour les ré­flexions — un mé­lange qui a tant im­pré­gné l’art dra­ma­tique en Al­le­magne «que de­puis lors il est dif­fi­cile de par­ler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schil­ler”» 2. L’inclination de Schil­ler pour le théâtre al­lait, pour­tant, à l’encontre des lois de l’École mi­li­taire où il fut édu­qué. Huit an­nées du­rant, son en­thou­siasme lutta contre la dis­ci­pline que lui im­po­saient ses ins­ti­tu­teurs. La sur­veillance, l’uniformité ré­pé­tée des mêmes gestes, les pu­ni­tions cor­po­relles qui sui­vaient de près les me­naces, bles­saient pro­fon­dé­ment un jeune homme qui sen­tait en lui-même des pen­chants plus éle­vés, plus purs et plus di­vins que la di­rec­tion où il était poussé de force. Elles au­raient dû étouf­fer sa pas­sion pour le théâtre; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. «Les Bri­gands» qu’il écri­vit en ca­chette étant élève ré­vé­lèrent au monde un poète uni­ver­sel à l’intelligence trop éten­due pour voir les li­mites de l’humanité dans les fron­tières de sa pa­trie : «J’écris en ci­toyen du monde qui ne sert au­cun prince. J’ai perdu, jeune, ma pa­trie pour l’échanger contre le vaste monde…», dit-il 3. Com­bien il est sin­gu­lier, d’ailleurs, que les pièces de Schil­ler pro­mènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent tou­jours les in­ter­prètes du pa­trio­tisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec «Don Car­los», la France avec «La Pu­celle d’Orléans», la Suisse avec «Guillaume Tell», l’Écosse avec «Ma­rie Stuart». Quand la mort vint le sai­sir, il tra­vaillait en­core à «Dé­mé­trius», dont il avait ins­tallé l’intrigue dans une Rus­sie où il n’était pas da­van­tage allé que dans les autres pays. Il n’y a que «Wal­len­stein» qui soit réel­le­ment al­le­mand; mais non pas l’Allemagne mo­derne, celle du Saint-Em­pire. «Ci­toyen de l’univers qui ac­cueille dans sa fa­mille tous les vi­sages hu­mains et em­brasse avec fra­ter­nité l’intérêt col­lec­tif, je me sens ap­pelé à pour­suivre l’homme der­rière tous les dé­cors de la vie en so­ciété, à le re­cher­cher dans tous les cercles, et si je puis em­ployer cette image, à po­ser sur son cœur l’aiguille de la bous­sole», dit-il 4. On com­prend pour­quoi la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment éta­blie, qui ap­pe­lait l’humanité à ve­nir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les na­tions le titre de ci­toyen fran­çais par un dé­cret si­gné par Dan­ton en 1792.

  1. Au­tre­fois trans­crit Fré­dé­ric Schil­ler. Haut
  2. Mann, «Es­sai sur Schil­ler». Haut
  1. «Écrits sur le théâtre», p. 101. Haut
  2. id. p. 104. Haut

Schiller, «Les Brigands : drame en cinq actes»

XVIIIᵉ siècle

XVIIIe siècle

Il s’agit des «Bri­gands» («Die Räu­ber») de Frie­drich Schil­ler 1, poète et dra­ma­turge al­le­mand (XVIIIe-XIXe siècle) dont l’œuvre se re­con­naît im­mé­dia­te­ment comme sienne par un mé­lange par­ti­cu­lier qui tient à la poé­sie par les pas­sions et à la phi­lo­so­phie par le goût pour les ré­flexions — un mé­lange qui a tant im­pré­gné l’art dra­ma­tique en Al­le­magne «que de­puis lors il est dif­fi­cile de par­ler, de s’exprimer au théâtre sans “faire du Schil­ler”» 2. L’inclination de Schil­ler pour le théâtre al­lait, pour­tant, à l’encontre des lois de l’École mi­li­taire où il fut édu­qué. Huit an­nées du­rant, son en­thou­siasme lutta contre la dis­ci­pline que lui im­po­saient ses ins­ti­tu­teurs. La sur­veillance, l’uniformité ré­pé­tée des mêmes gestes, les pu­ni­tions cor­po­relles qui sui­vaient de près les me­naces, bles­saient pro­fon­dé­ment un jeune homme qui sen­tait en lui-même des pen­chants plus éle­vés, plus purs et plus di­vins que la di­rec­tion où il était poussé de force. Elles au­raient dû étouf­fer sa pas­sion pour le théâtre; elles ne firent, au contraire, que l’attiser. «Les Bri­gands» qu’il écri­vit en ca­chette étant élève ré­vé­lèrent au monde un poète uni­ver­sel à l’intelligence trop éten­due pour voir les li­mites de l’humanité dans les fron­tières de sa pa­trie : «J’écris en ci­toyen du monde qui ne sert au­cun prince. J’ai perdu, jeune, ma pa­trie pour l’échanger contre le vaste monde…», dit-il 3. Com­bien il est sin­gu­lier, d’ailleurs, que les pièces de Schil­ler pro­mènent aux quatre coins de l’Europe et se fassent tou­jours les in­ter­prètes du pa­trio­tisme d’autres peuples : les Pays-Bas avec «Don Car­los», la France avec «La Pu­celle d’Orléans», la Suisse avec «Guillaume Tell», l’Écosse avec «Ma­rie Stuart». Quand la mort vint le sai­sir, il tra­vaillait en­core à «Dé­mé­trius», dont il avait ins­tallé l’intrigue dans une Rus­sie où il n’était pas da­van­tage allé que dans les autres pays. Il n’y a que «Wal­len­stein» qui soit réel­le­ment al­le­mand; mais non pas l’Allemagne mo­derne, celle du Saint-Em­pire. «Ci­toyen de l’univers qui ac­cueille dans sa fa­mille tous les vi­sages hu­mains et em­brasse avec fra­ter­nité l’intérêt col­lec­tif, je me sens ap­pelé à pour­suivre l’homme der­rière tous les dé­cors de la vie en so­ciété, à le re­cher­cher dans tous les cercles, et si je puis em­ployer cette image, à po­ser sur son cœur l’aiguille de la bous­sole», dit-il 4. On com­prend pour­quoi la Ré­pu­blique fran­çaise nou­vel­le­ment éta­blie, qui ap­pe­lait l’humanité à ve­nir se joindre à elle, conféra à ce poète de toutes les na­tions le titre de ci­toyen fran­çais par un dé­cret si­gné par Dan­ton en 1792.

  1. Au­tre­fois trans­crit Fré­dé­ric Schil­ler. Haut
  2. Mann, «Es­sai sur Schil­ler». Haut
  1. «Écrits sur le théâtre», p. 101. Haut
  2. id. p. 104. Haut

Pseudo-Longin, «Du sublime»

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit du traité «Du su­blime» («Peri hyp­sous» 1). Ce pe­tit traité mys­té­rieux consti­tue le som­met de la cri­tique lit­té­raire gréco-ro­maine. Nous ne sa­vons pas s’il a eu beau­coup de suc­cès à l’époque de sa ré­dac­tion; mais de­puis sa tra­duc­tion par Boi­leau, il en a eu énor­mé­ment et qu’il mé­rite. Non seule­ment les phi­lo­sophes des Lu­mières ont été char­més par les beaux frag­ments lit­té­raires qui y sont ci­tés; mais ils ont été sur­pris par la hau­teur, par la force, par la vé­hé­mence des ju­ge­ments qui y sont por­tés sur tous les grands écri­vains de l’Antiquité. L’auteur in­connu de ce traité, quel qu’il soit 2, ne s’amusait pas, comme les rhé­teurs de son temps (Ier siècle apr. J.-C.), à faire des di­vi­sions mi­nu­tieuses des par­ties du dis­cours; et il ne se conten­tait pas, comme Aris­tote ou comme Her­mo­gène, à nous énu­mé­rer des pré­ceptes tout secs et dé­pouillés d’ornements. Au contraire : en trai­tant des beau­tés lit­té­raires, il em­ployait toutes les fi­nesses lit­té­raires : «Sou­vent il fait la fi­gure qu’il en­seigne, et en par­lant du su­blime, il est lui-même très su­blime», comme dit Boi­leau 3. Chez ce Grec, point de pré­ju­gés na­tio­naux. Il li­sait les écri­vains la­tins et il sa­vait se pas­sion­ner pour eux : il com­pa­rait Ci­cé­ron à Dé­mos­thène et il sen­tait fort bien les qua­li­tés de l’un et de l’autre. Chose plus sur­pre­nante : il n’était pas étran­ger aux pre­miers ver­sets de la Bible. En­fin, ad­mi­rons en lui l’honnête homme. Nul An­cien n’a mieux que lui com­pris et ex­primé à quel point la gran­deur lit­té­raire est liée à celle du cœur et de l’esprit. Et c’est un hon­neur pour ce cri­tique in­gé­nieux de s’être ren­con­tré en cela avec Pla­ton, et d’avoir dé­fendu la no­blesse et la pu­reté de l’art d’écrire, en com­men­çant par don­ner aux écri­vains la conscience de leur de­voir hu­main et le res­pect de ce même de­voir.

  1. En grec «Περὶ ὕψους». Haut
  2. Les plus an­ciens ma­nus­crits du traité «Du su­blime» n’en in­diquent pas l’auteur avec cer­ti­tude : ils nous laissent le choix entre «De­nys ou Lon­gin» (Διονυσίου ἢ Λογγίνου). Mais les pre­miers édi­teurs, n’ayant pas eu sous les yeux ces an­ciens ma­nus­crits, ont suivi aveu­glé­ment les ma­nus­crits où la par­ti­cule «ou» avait dis­paru par la né­gli­gence des co­pistes, et pen­dant trois cents ans, ce traité a été édité, tra­duit, com­menté comme l’œuvre de «De­nys Lon­gin». Haut
  1. «Pré­face au “Traité du su­blime, ou Du mer­veilleux dans le dis­cours”». Haut