Schiller, « Histoire de la guerre de Trente Ans. Tome II »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de l’« His­toire de la guerre de Trente Ans » (« Ges­chichte des Dreißig­jäh­ri­gen Kriegs ») de Frie­drich Schil­ler. En 1782, « Les Bri­gands » furent joués pour la pre­mière fois sur le théâtre de Mann­heim, de­vant une foule pres­sée de spec­ta­teurs ac­cou­rus de près et de loin. L’affluence fut telle que, si l’on n’avait ré­servé une place à Schil­ler, il eût pu dif­fi­ci­le­ment as­sis­ter à sa propre pièce. Ce fut un triomphe, un en­thou­siasme comme on n’en avait ja­mais vu en Al­le­magne. Ce­pen­dant, cette heu­reuse cir­cons­tance, notre poète l’expiait par de cruels sou­cis dus à la même cause. Car les dettes qu’il avait contrac­tées en fai­sant im­pri­mer cette pièce à ses frais et à ses risques de­ve­naient de jour en jour plus criantes. Tous les exem­plaires s’étaient ven­dus, mais les bé­né­fices étaient pour le li­braire. Notre poète, déses­péré, ne sut vers qui se tour­ner. Et le di­rec­teur du théâtre lui fit la sourde oreille quand, se dé­bat­tant contre la pau­vreté, Schil­ler vint im­plo­rer son aide gé­né­reuse et la fa­veur d’un congé, en pro­met­tant de dire bien haut : « C’est à un dieu que nous de­vons ces loi­sirs ; car il sera pour moi, tou­jours, un dieu » (« Deus no­bis hæc otia fe­cit ; namque erit ille mihi sem­per deus »1). Le re­fus du di­rec­teur dé­ter­mina notre poète à ré­si­gner ses fonc­tions de dra­ma­turge. Libre, mais tou­jours sans res­sources, il es­saya un moyen de sa­lut qui, dans ce temps-là comme main­te­nant, était bien pré­caire. Il fonda une re­vue lit­té­raire. « La Tha­lie du Rhin »2 (« Rhei­nische Tha­lia »), tel fut le titre de ce re­cueil. Les abon­nés firent dé­faut. Les dé­trac­teurs, en re­vanche, s’acharnèrent sur Schil­ler, à tel point que le sé­jour à Mann­heim lui de­vint im­pos­sible, in­to­lé­rable. Il par­tit à Goh­lis, un vil­lage des en­vi­rons de Leip­zig, où il loua une mo­deste chambre de pay­san, pla­cée sous les combles. C’est là qu’il alla cher­cher re­fuge pour mû­rir ses pen­sées et pour ache­ver ses pièces, en écou­tant le concert des voix de la na­ture. Un ma­tin, le ha­sard de sa pro­me­nade le condui­sit dans un bos­quet sur les bords de la Pleisse. À quelques pas de­vant lui, il aper­çut un jeune homme pâle, les yeux ha­gards, les poi­gnets liés par un ban­deau, prêt à se je­ter dans l’abîme. Schil­ler, sa­chant lui aussi de quel poids pèsent sur le cœur cer­tains mo­ments de la vie, poussa les branches et lia conver­sa­tion avec le mi­sé­rable. C’était un étu­diant en théo­lo­gie, presque un ado­les­cent, qui de­puis six mois vi­vait seule­ment de pain et d’eau, et à qui il ne res­tait plus ni forces phy­siques pour sup­por­ter ces pri­va­tions ni forces mo­rales pour es­pé­rer. Notre poète lui donna le peu qu’il avait sur lui, et lui de­manda en échange la pro­messe de re­tar­der de huit jours son pro­jet de sui­cide. Le len­de­main ou le sur­len­de­main, Schil­ler as­sis­tait à une fête de ma­riage dans une riche fa­mille de Leip­zig. Au mo­ment où l’assemblée était la plus bruyante, il se leva sou­dain, il ra­conta avec cha­leur et élo­quence la scène dont il avait été té­moin, il ré­clama de tous les in­vi­tés des se­cours pour le mal­heu­reux et il fit lui-même la quête, une as­siette à la main. La col­lecte fut si consi­dé­rable qu’elle suf­fit à sou­te­nir le pauvre étu­diant jusqu’au jour où il eut une place.

l’ode « À la joie » marque une époque nou­velle dans le ta­lent de Schil­ler

Le soir même, exalté par le bien­fait qu’il ve­nait d’accomplir, Schil­ler vou­lut rendre hom­mage à la joie bien­veillante qui tend la main, confiante en elle-même ; la joie qui, ne s’embarrassant pas des dis­tances, des écarts, des di­ver­gences, élève et agran­dit le cœur, l’ouvrant au sen­ti­ment de la fra­ter­nité uni­ver­selle. Et en quelques heures, il com­posa un de ses plus beaux hymnes, un hymne mêlé de chœurs : l’ode « À la joie ». « Plus tard, Bee­tho­ven ve­nait d’achever les trois pre­mières par­ties de la neu­vième sym­pho­nie. Dans une heure de re­pos, il ou­vrit le re­cueil des poé­sies de Schil­ler, et le ha­sard vou­lut que ce fût à cette page su­blime. “Moi aussi”, s’écria-t-il, “je veux m’associer à la pen­sée de Schil­ler ; je veux cé­lé­brer la Pro­vi­dence et l’humanité…” ; et ce fi­nale co­los­sal, cette œuvre unique que l’avenir éga­lera peut-être, mais ne sur­pas­sera pas — le fi­nale de la sym­pho­nie avec chœurs — fut créé ! »3 Pa­rue d’abord dans le deuxième nu­méro de « La Tha­lie du Rhin » en 1786, l’ode « À la joie » marque une époque nou­velle dans le ta­lent de Schil­ler. Tout en sa­cri­fiant en­core à la muse de la poé­sie, il consa­crera un temps égal à celle de l’histoire. Car les re­cherches qu’il fai­sait à l’occasion de son drame « Don Car­los » lui ins­pi­rèrent l’idée de ré­di­ger une « His­toire du sou­lè­ve­ment des Pays-Bas », tout comme sa tri­lo­gie de « Wal­len­stein » le pous­sera à écrire une « His­toire de la guerre de Trente Ans ». Est-ce bien là des œuvres his­to­riques sé­rieuses ? Voici la ré­ponse d’un pro­fes­seur4 : « Nous ré­pon­dons har­di­ment oui, et voici nos rai­sons. D’abord, quoi qu’en puissent dire [cer­tains], le style de Schil­ler est ex­cellent. N’est-ce pas là un point es­sen­tiel pour des élèves qui cherchent un mo­dèle de la bonne prose al­le­mande ?… Au point de vue même des faits, nous ne croyons pas que l’on puisse re­pro­cher à Schil­ler des faus­se­tés… Il connais­sait la guerre de Trente Ans… Elle l’avait vi­ve­ment in­té­ressé ; dès le dé­but, il y voyait la ma­tière d’un drame. »

Il n’existe pas moins de six tra­duc­tions fran­çaises de l’« His­toire de la guerre de Trente Ans », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle du comte de Champ­feu.

« Sein schnel­ler Ab­schied von der Welt si­cherte dem deut­schen Reiche die Frei­heit und ihm selbst sei­nen schöns­ten Ruhm, wenn er ihm nicht gar die Krän­kung ers­parte, seine ei­ge­nen Bun­des­ge­nos­sen ge­gen ihn ge­waff­net zu se­hen und alle Früchte sei­ner Siege in ei­nem nach­thei­li­gen Frie­den zu ver­lie­ren. Schon neigte sich Sach­sen zum Ab­fall von sei­ner Par­tei ; Dä­ne­mark be­trach­tete seine Größe mit Un­ruh und Neide ; und selbst Fran­kreich, sein wich­tig­ster Al­liier­ter, auf­ges­chreckt durch das furcht­bare Wachs­thum sei­ner Macht und durch den stol­ze­ren Ton, den er führte, sah sich schon da­mals, als er den Lechs­trom pas­sierte, nach frem­den Bünd­nis­sen um, den sie­ghaf­ten Lauf des “Go­then” zu hem­men und das Gleich­ge­wicht der Macht in Eu­ropa wie­der her­zus­tel­len. »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« La mort pré­ci­pi­tée de Gus­tave as­sura à l’Empire ger­ma­nique sa li­berté et à lui-même la pu­reté de sa gloire, si tou­te­fois elle ne lui épar­gna pas la mor­ti­fi­ca­tion de voir ses al­liés ar­més contre lui et de perdre tous les fruits de ses vic­toires dans une paix désa­van­ta­geuse. Déjà la Saxe son­geait à dé­ser­ter son parti ; le Da­ne­mark voyait sa gran­deur avec in­quié­tude et ja­lou­sie ; et la France même, son al­lié le plus im­por­tant, ef­frayée de la fierté de son lan­gage et de l’accroissement for­mi­dable de sa puis­sance, cher­cha, dès son pas­sage du Lech, quelques al­liances étran­gères qui pussent ar­rê­ter le “Goth” dans sa marche triom­phante et ré­ta­blir l’équilibre des forces en Eu­rope. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion du comte de Champ­feu

« Sa mort pré­ma­tu­rée sauva donc et les li­ber­tés ger­ma­niques et la mé­moire de ce hé­ros ; peut-être même lui épar­gna-t-elle la dou­leur de voir ses al­liés s’armer contre lui pour le contraindre à re­non­cer, par une paix hon­teuse, à toutes les brillantes es­pé­rances que ses vic­toires lui avaient fait conce­voir. Avant sa mort déjà, la Saxe son­geait à l’abandonner ; le Da­ne­mark voyait ses conquêtes avec in­quié­tude et en­vie ; et la France, ef­frayée de l’agrandissement conti­nuel de son pou­voir en Al­le­magne et of­fen­sée du ton hau­tain qu’il pre­nait avec elle, cher­chait des al­liés pour l’aider à mettre un terme aux triomphes du “Goth” et à ré­ta­blir l’équilibre des puis­sances eu­ro­péennes. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de la ba­ronne Aloïse de Car­lo­witz (XIXe siècle)

« Son brusque dé­part de ce monde as­sura la li­berté de l’Allemagne et lui conserva son écla­tante re­nom­mée, si même il ne lui épar­gna pas la mor­ti­fi­ca­tion de voir ses propres al­liés s’armer contre lui et de perdre tout le fruit de ses vic­toires dans une paix désa­van­ta­geuse. Déjà la Saxe pen­chait vers la dé­fec­tion ; le Da­ne­mark en­viait sa pros­pé­rité ; et même la France, son puis­sant al­lié, alar­mée par le for­mi­dable ac­crois­se­ment de sa puis­sance et le ton hau­tain qu’il pre­nait, s’était déjà avi­sée, lors de son pas­sage du Lech, de contrac­ter d’autres al­liances pour ar­rê­ter la marche vic­to­rieuse du “Goth” et ré­ta­blir l’équilibre en Eu­rope. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Georges Lan­ghans (XIXe siècle)

« Son brusque dé­part de ce monde as­sura à l’Empire al­le­mand la li­berté et à lui-même sa plus belle gloire, si même il ne lui sauva pas la mor­ti­fi­ca­tion de voir ses propres al­liés ar­més contre lui et de perdre dans une paix désa­van­ta­geuse tous les fruits de ses vic­toires. Déjà la Saxe pen­chait à se dé­ta­cher de son parti ; le Da­ne­mark ob­ser­vait sa gran­deur avec in­quié­tude et ja­lou­sie ; et la France même, son al­lié le plus im­por­tant, alar­mée par le for­mi­dable ac­crois­se­ment de sa puis­sance et le ton plus fier qu’il pre­nait, cher­chait, dès le temps où il pas­sait le Lech, des al­liances étran­gères pour ar­rê­ter la marche vic­to­rieuse du “Goth” et ré­ta­blir en Eu­rope l’équilibre des forces. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Adolphe Re­gnier (XIXe siècle)

« La mort in­opi­née de ce mo­narque ras­sura la li­berté chan­ce­lante de l’Empire, et elle lui laissa sa gloire dans toute sa pu­reté, si elle ne lui épar­gna pas la dou­leur de voir ses al­liés ar­més contre lui, et tout le fruit de ses triomphes pas­sés dis­pa­raître dans une paix désa­van­ta­geuse. Déjà la Saxe me­na­çait de dé­ser­ter sa cause ; le Da­ne­mark voyait, d’un œil in­quiet et ja­loux, son élé­va­tion ; et la France elle-même, son al­lié le plus im­por­tant, ef­frayée de la fierté de son lan­gage et de l’accroissement for­mi­dable de sa puis­sance, cher­cha, dès son pas­sage du Lech, à for­mer des al­liances étran­gères pour ar­rê­ter ce conqué­rant dans sa marche triom­phante et ré­ta­blir l’équilibre des forces eu­ro­péennes. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Antoine Mail­her de Chas­sat (XIXe siècle)

« Sa mort pré­ma­tu­rée as­sura à l’Empire sa li­berté et à ce prince la plé­ni­tude de sa gloire ; peut-être même lui épar­gna-t-elle la mor­ti­fi­ca­tion de voir tous ses al­liés se dé­cla­rer contre lui et de perdre, par une paix désa­van­ta­geuse, tous les fruits de ses vic­toires. Le Da­ne­mark voyait avec in­quié­tude et avec ja­lou­sie la gran­deur de la Suède ; la France même, le plus puis­sant al­lié de Gus­tave, alar­mée de son agran­dis­se­ment et du ton de hau­teur qu’il avait pris, cher­chait déjà des al­liés pour ar­rê­ter la course vic­to­rieuse du hé­ros du Nord et pour ré­ta­blir l’équilibre du conti­nent. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Auguste-Simon d’Arnex, ou d’Arnay (XVIIIe siècle)

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  1. Vir­gile, « Bu­co­liques », poème I, v. 6-7. Haut
  2. Par­fois tra­duit « La Tha­lie rhé­nane ». Tha­lie, muse de la co­mé­die et de la poé­sie pas­to­rale, tient dans la main droite le bâ­ton re­courbé des ber­gers et porte de la main gauche un masque co­mique. Haut
  1. Kreut­zer, « So­ciété Sainte-Cé­cile • M. Vieux­temps • So­ciété des concerts ». Haut
  2. Henri Schmidt. Haut