Lâtifî, «Éloge d’Istanbul»

éd. Actes Sud-Sindbad, coll. La Bibliothèque turque, Arles

éd. Actes Sud-Sind­bad, coll. La Bi­blio­thèque turque, Arles

Il s’agit de l’«Éloge d’Istanbul» («Ev­sâf-ı İst­anbul» 1) de Lâ­tifî 2. Au XVIe siècle apr. J.-C., la ca­pi­tale de l’Empire ot­to­man for­mait un es­pace tel­le­ment vaste, que cha­cun de ses cô­tés com­po­sait un cli­mat, et cha­cun de ses quar­tiers équi­va­lait à une grande pro­vince. Sa ma­jesté et sa puis­sance in­fi­nies mé­ri­taient et confir­maient le ver­set du Co­ran : «une ville telle que ja­mais on n’en créa de sem­blable, dans au­cun pays» 3. Les re­ten­tis­santes ex­pé­di­tions de So­li­man, qui ébran­lèrent l’Europe et l’Asie, n’arrêtèrent pas les pa­ci­fiques tra­vaux des arts à Is­tan­bul. On éri­geait des mo­nu­ments su­perbes, parmi les­quels la mos­quée de So­li­man, chef-d’œuvre de gran­deur dont l’élégante cou­pole était or­née, de la main du cal­li­graphe Ah­med Ka­ra­hi­sari, de cet autre ver­set du Co­ran : «Dieu est la lu­mière des cieux et de la terre! Sa lu­mière est com­pa­rable à une niche où se trouve une lampe» 4; on bâ­tis­sait des ponts, des ba­zars; et deux cents poètes chan­taient et trou­vaient des au­di­teurs, au mi­lieu du fra­cas conti­nuel que la guerre ap­por­tait des deux rives du Bos­phore. Comme tout jeune pro­vin­cial, Lâ­tifî rê­vait de voir et de fré­quen­ter cette ville dont la re­nom­mée s’élevait jusqu’au fir­ma­ment. Quand le dé­sir de s’y pro­me­ner et de s’y dis­traire rem­plit tout son cœur et toutes ses pen­sées, cet homme de lettres quitta son Kas­ta­monu na­tal et loin­tain, et se ren­dit à Is­tan­bul. «Je dé­cou­vris», dit-il 5, «un tel en­semble de mer­veilles et une telle source de cu­rio­si­tés que ja­mais les yeux du monde n’en ont vu de pa­reilles. Au­cun chantre di­sert en ver­sets et au­cun pro­sa­teur par­fait du verbe, parmi les com­pi­la­teurs dé­bor­dant d’éloquence et les… or­fèvres du vers, n’a été ca­pable de grif­fon­ner ou de gri­bouiller un traité de belle com­po­si­tion ou un ar­ticle de bonne re­nom­mée, apte à of­frir un mi­roir d’écriture, une des­crip­tion et une ap­pré­cia­tion à ceux qui… ne l’ont pas vue.» Ce fut pour cette rai­son et par un dé­sir de gloire que Lâ­tifî en­tre­prit, mal­gré les «faibles et in­suf­fi­sants moyens» 6 que l’indifférence des ci­ta­dins lais­sait à sa dis­po­si­tion, de faire l’éloge de cette ville en­chan­te­resse, rem­plie de mul­ti­tude, de ce lieu digne d’émerveillement où pauvres et riches, nobles et vi­lains se cô­toyaient dans un pit­to­resque brou­haha.

«une ville telle que ja­mais on n’en créa de sem­blable, dans au­cun pays»

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière de Lâ­tifî : «Cette foule, in­nom­brable comme les grains du sable de la mer et les four­mis de la terre, at­teint une telle den­sité qu’on ne peut l’exprimer par la pa­role, ni la dé­crire ou la re­la­ter par la plume. Ses quar­tiers sont sans li­mite, et per­sonne ne connaît le nombre des rues de cha­cun d’entre eux. Dans la foule des hommes et la va­riété des êtres, on ne dis­tingue pas l’ami de l’ennemi, les proches ne se re­con­naissent pas et le fils ne sa­lue pas son père» 7.

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  1. Par­fois trans­crit «Awṣāf-i Is­tan­bul». Haut
  2. Par­fois trans­crit La­thifi ou La­thify. De son vrai nom Abdül­lâ­tif Çe­lebi, dont Lâ­tifî est la forme ad­jec­tive. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de Kas­ta­mo­nulu Lâ­tifî («Lâ­tifî, na­tif de Kas­ta­monu»). Haut
  3. LXXXIX, 8. Haut
  4. XXIV, 35. Haut
  1. p. 48-49. Haut
  2. p. 49. Haut
  3. p. 57. Haut