Mot-clefEmpire ottoman

su­jet

Çetin, «Le Livre de ma grand-mère • Les Fontaines de Havav»

éd. Parenthèses, coll. Diasporales, Marseille

éd. Pa­ren­thèses, coll. Dia­spo­rales, Mar­seille

Il s’agit du «Livre de ma grand-mère» («An­nean­nem» 1) et des «Fon­taines de Ha­vav : his­toire d’une res­tau­ra­tion» («Ha­bap çeş­me­leri : bir res­to­ra­syo­nun öyküsü») de Mme Fe­thiye Çe­tin, avo­cate au bar­reau d’Istanbul, mi­li­tante des droits de l’homme. Peu avant de s’éteindre, la grand-mère de Mme Çe­tin, Se­her, une bonne mu­sul­mane qui ne sor­tait ja­mais sans fou­lard, l’appela un jour au­près d’elle : «Si tu n’es pas oc­cu­pée, viens un peu près de moi, j’ai quelque chose à te dire». Se­her prit les mains de Mme Çe­tin dans les siennes et lui confia ceci : «Mon nom était Hé­ra­nouche 2, ma mère s’appelait Is­kouhi 3… J’avais deux frères» 4. Le ton neutre et le timbre de sa voix lais­saient en­tre­voir com­bien la dé­ci­sion de ré­vé­ler son pré­nom ar­mé­nien avait dû être dif­fi­cile. Elle avait at­tendu d’avoir plus de soixante-dix ans pour le­ver, en­fin, le voile du se­cret. Le re­gard rivé sur un point du ta­pis, elle ser­rait les mains de sa pe­tite-fille, in­ter­rom­pait sou­vent le cours de son ré­cit par la phrase «Que ces jours s’en aillent et ne re­viennent ja­mais!», puis le re­pre­nait sur les in­sis­tances de Mme Çe­tin. Voici en sub­stance ce ré­cit. En 1915, Hé­ra­nouche avait dix ans. Elle vi­vait au vil­lage de Ha­vav (tur­cisé en Ha­bap). Blotti dans l’ombre pro­tec­trice du mo­nas­tère de la Sainte-Mère de Dieu à la Dé­lec­table Vue (Kaghts­ra­hayats Sourp Asd­vad­zad­zin 5), avec ses deux écoles, ses neuf mou­lins, ses char­pen­tiers, ses tailleurs de pierre et ses for­ge­rons, ce vil­lage était le plus étendu et le plus flo­ris­sant des en­vi­rons. Un jour, les gen­darmes en­va­hirent le vil­lage. Le maire, Ni­go­ghos aga, qui grâce à sa maî­trise de la langue turque ser­vait d’interprète aux pay­sans, fut im­mé­dia­te­ment exé­cuté sur la place pu­blique. Puis, très vite, tous les hommes va­lides furent re­grou­pés sur cette même place. Les gen­darmes les at­ta­chèrent deux par deux, avant de les ame­ner. La mère de Hé­ra­nouche, Is­kouhi, pres­sen­tit com­bien l’heure était grave. Elle réunit ses sœurs et leur de­manda de se cou­per les che­veux et de se vê­tir des plus vils haillons. Toutes sui­virent ses conseils, sauf la co­quette Si­ra­nouche. Ce même soir, des hommes en­va­hirent le vil­lage et en­le­vèrent les belles jeunes filles et femmes, dont Si­ra­nouche, qu’ils ame­nèrent en la traî­nant par ses longs che­veux. Is­kouhi s’enfuit avec ses en­fants vers un autre vil­lage ar­mé­nien, qui avait été épar­gné par les at­taques. Ce­pen­dant, peu de temps après, les gen­darmes ar­ri­vèrent là aussi et en­tas­sèrent femmes et en­fants dans la cour d’une église, lais­sant les hommes à l’extérieur. Au bout d’un mo­ment, des cris à fendre l’âme se firent en­tendre au-de­hors. Les murs de la cour étaient bien hauts. Les femmes, pé­tri­fiées, ne pou­vaient voir ce qui se pas­sait, jusqu’à ce qu’elles his­sassent une fillette sur leurs épaules. Une fois re­des­cen­due, il fal­lut un long mo­ment avant que celle-ci ne pût leur dé­crire la scène : «Ils égorgent les hommes et les jettent dans la ri­vière»

  1. Par­fois tra­duit «Ma grand-mère». Haut
  2. En ar­mé­nien Հրանուշ. Par­fois trans­crit He­ra­nuş ou Hé­ra­nouch. Haut
  3. En ar­mé­nien Իսկուհի. Par­fois trans­crit İsg­uhi ou Is­quhi. Haut
  1. p. 62. Haut
  2. En ar­mé­nien Քաղցրահայեաց Սուրբ Աստուածածին. Par­fois trans­crit Keğa­hayyats-Surp Asd­vad­zad­zin, Kaghts­ra­hayats Sourp Asd­wad­zad­zin, Kaghts­ra­hayats Sourp Asd­vad­sad­sine, Kaghts­ra­hayiats Soorp Asd­vad­zad­zin ou Kaghts­ra­hayiats Surb Ast­vat­sat­sin. Haut

Chalcondyle, «L’Histoire de la décadence de l’Empire grec et établissement de celui des Turcs»

XVIᵉ siècle

XVIe siècle

Il s’agit de Lao­nic Chal­con­dyle, Athé­nien du XVe siècle apr. J.-C. qui a ré­digé «L’Histoire de la dé­ca­dence de l’Empire grec et éta­blis­se­ment de ce­lui des Turcs», ou lit­té­ra­le­ment «Dé­mons­tra­tions his­to­riques, en dix livres» («Apo­deixeis his­to­riôn deka» 1). J’adopte la ma­nière com­mune d’orthographier son nom de fa­mille, qui est de sup­pri­mer une des syl­labes pour évi­ter le re­dou­ble­ment, écri­vant Chal­con­dyle au lieu de Chal­co­con­dyle 2. Quant à son pré­nom de Lao­nic ou Lao­ni­cos 3, quelques-uns pré­fèrent le chan­ger en ce­lui de Ni­co­las, dont il est le ver­lan. Quoi qu’il en soit, «L’Histoire» de Chal­con­dyle parle avec éten­due des guerres des Grecs et autres chré­tiens contre les Turcs; elle com­mence vers l’an 1300 (date de­puis la­quelle les af­faires des Grecs al­lèrent tou­jours de mal en pis) jusqu’à leur des­truc­tion et ruine fi­nale par Meh­med II, qui prit Constan­ti­nople en l’an 1453. Chassé de sa pa­trie par ces fu­nestes évé­ne­ments, Chal­con­dyle a évo­qué, mieux qu’aucun autre avant lui, les souf­frances de sa Grèce na­tale et a ainsi rap­pelé vers l’Orient l’attention de l’Europe ou­blieuse et in­dif­fé­rente. La dou­leur qu’il res­sent d’être exilé, ne le rend pas in­juste pour au­tant. Il fait preuve d’une grande ob­jec­ti­vité à l’égard des Turcs; il vante leurs qua­li­tés et leur ri­gou­reuse dis­ci­pline, qu’il op­pose aux dis­cordes et aux vices de ses com­pa­triotes. Par ailleurs, mal­gré l’inaction de l’Europe, il montre une sin­cère es­time pour les États qui té­moignent du moins quelque sym­pa­thie à la cause grecque, sur­tout pour la France qui, tant de fois, prit l’initiative des croi­sades. Écou­tons-le épui­ser toutes les for­mules d’une vive ad­mi­ra­tion pour le nom fran­çais : «Je di­rai… ceci des Fran­çais», dit-il, «que c’est une na­tion très noble et fort an­cienne; riche, opu­lente et de grand pou­voir. Et d’autant qu’[en] toutes ces choses ils sur­montent et passent de bien loin tous les autres peuples de l’Occident, aussi… c’est à eux [que], de droit, l’autorité sou­ve­raine et l’administration de l’Empire ro­main doit ap­par­te­nir». Et aussi : «On sait as­sez que cette na­tion est fort an­cienne sur toutes [les] autres, et qu’elle s’est da­van­tage ac­quis une très grande et ma­gni­fique gloire pour avoir, tant de fois, vaincu et rem­barré les bar­bares qui étaient sor­tis de l’Afrique, du­rant même que 4 l’Empire ro­main était comme an­nexé et hé­ré­di­taire à [sa] cou­ronne».

  1. En grec «Ἀποδείξεις ἱστοριῶν δέκα». Haut
  2. En grec Χαλκοκονδύλης. Par­fois trans­crit Chal­con­dile, Chal­co­con­dyle, Chal­ko­kon­dyle, Chal­ko­kon­dy­lis, Chal­kon­dy­las, Chal­co­con­dy­las, Chal­co­con­dyles ou Chal­ko­kon­dy­lès. Haut
  1. En grec Λαόνικος. Par­fois trans­crit Lao­nice, Lao­nique, Lao­ni­kos ou Lao­ni­cus. Haut
  2. «Du­rant même que» si­gni­fie «au mo­ment même où, dans le même temps que». Haut