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pays, gen­tilé ou langue

Der Alexanian, « Des choses à vivre, une histoire française : roman »

éd. Edilivre, Paris

éd. Edi­livre, Pa­ris

Il s’agit de «Des choses à vivre, une fran­çaise», de M.  1. Je­tés hors de leur pays, les pa­rents de M. Der Alexa­nian avaient été ac­cueillis en et y avaient re­fait leur . Comme tous ceux de leur gé­né­ra­tion, ils ne vi­vaient pas to­ta­le­ment heu­reux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui res­tait in­con­so­lable. Le de leur pa­trie n’avait cessé de les pour­suivre. Là où ils si­tuaient le pa­ra­dis ter­restre; là où se dres­saient ja­dis les ma­gni­fiques de la chré­tienté; dans cette contrée que les dé­pêches ap­pe­laient l’Anatolie orien­tale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus au­cun . Ses avaient été dé­bap­ti­sés, ses éty­mo­lo­gies tra­hies, ses gens tués ou dé­por­tés, ses mo­nas­tères per­ver­tis en et ne te­nant en­core de­bout que pour rap­pe­ler cette page hon­teuse et san­glante au livre de l’histoire turque. Il ne se pas­sait pas de se­maine à la mai­son Der Alexa­nian sans vi­site de pa­rents ou de voi­sins ar­mé­niens pour ra­con­ter les drames aux­quels ils avaient été mê­lés. M. Der Alexa­nian de­meu­rait, no­tam­ment, frappé par l’une des proches amies de ses pa­rents. Par des al­lu­sions, par des demi-mots, cette femme en ap­pa­rence si calme lais­sait en­tendre qu’elle avait dû su­bir, toute jeune fille, les pires atro­ci­tés. Dé­pouillée de tous ses , bat­tue, vio­len­tée par les Turcs, elle avait été lais­sée pour morte. Par quel mi­racle avait-elle sur­vécu? Tou­jours est-il qu’elle avait erré des se­maines, des mois du­rant à tra­vers des sau­vages, vi­vant d’herbes, de ra­cines et de baies. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian, Ga­za­ros 2 et Ne­varte, eux, par­laient peu; ou ils par­laient seule­ment de la France et de tout le que leur ins­pi­rait cette se­conde pa­trie, di­sant quel­que­fois, avec M. Charles Az­na­vour : «La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma » 3.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de M. Jacques Alexan. Icône Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ga­zar et Gha­za­ros. Icône Haut
  1. Dans Aïda Az­na­vour-Gar­va­rentz, «Pe­tit frère; avec le concours de De­nys de La Pa­tel­lière» (éd. élec­tro­nique). Icône Haut

Der Alexanian, « Il s’est écoulé un siècle : roman »

éd. L’Harmattan, Paris

éd. L’Harmattan, Pa­ris

Il s’agit d’«Il s’est écoulé un siècle», de M.  1. Je­tés hors de leur pays, les pa­rents de M. Der Alexa­nian avaient été ac­cueillis en et y avaient re­fait leur . Comme tous ceux de leur gé­né­ra­tion, ils ne vi­vaient pas to­ta­le­ment heu­reux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui res­tait in­con­so­lable. Le de leur pa­trie n’avait cessé de les pour­suivre. Là où ils si­tuaient le pa­ra­dis ter­restre; là où se dres­saient ja­dis les ma­gni­fiques de la chré­tienté; dans cette contrée que les dé­pêches ap­pe­laient l’Anatolie orien­tale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus au­cun . Ses avaient été dé­bap­ti­sés, ses éty­mo­lo­gies tra­hies, ses gens tués ou dé­por­tés, ses mo­nas­tères per­ver­tis en et ne te­nant en­core de­bout que pour rap­pe­ler cette page hon­teuse et san­glante au livre de l’ turque. Il ne se pas­sait pas de se­maine à la mai­son Der Alexa­nian sans vi­site de pa­rents ou de voi­sins ar­mé­niens pour ra­con­ter les drames aux­quels ils avaient été mê­lés. M. Der Alexa­nian de­meu­rait, no­tam­ment, frappé par l’une des proches amies de ses pa­rents. Par des al­lu­sions, par des demi-mots, cette femme en ap­pa­rence si calme lais­sait en­tendre qu’elle avait dû su­bir, toute jeune fille, les pires atro­ci­tés. Dé­pouillée de tous ses , bat­tue, vio­len­tée par les Turcs, elle avait été lais­sée pour morte. Par quel mi­racle avait-elle sur­vécu? Tou­jours est-il qu’elle avait erré des se­maines, des mois du­rant à tra­vers des sau­vages, vi­vant d’herbes, de ra­cines et de baies. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian, Ga­za­ros 2 et Ne­varte, eux, par­laient peu; ou ils par­laient seule­ment de la France et de tout le que leur ins­pi­rait cette se­conde pa­trie, di­sant quel­que­fois, avec M. Charles Az­na­vour : «La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma » 3.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de M. Jacques Alexan. Icône Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ga­zar et Gha­za­ros. Icône Haut
  1. Dans Aïda Az­na­vour-Gar­va­rentz, «Pe­tit frère; avec le concours de De­nys de La Pa­tel­lière» (éd. élec­tro­nique). Icône Haut

Der Alexanian, « Arménie, Arménies. [Tome III.] Un Nom pour héritage (1987-2000) »

éd. L’Harmattan, Paris-Montréal-Budapest-Turin

éd. L’Harmattan, Pa­ris-Mont­réal-Bu­da­pest-Tu­rin

Il s’agit d’«Ar­mé­nie, Ar­mé­nies», d’après le ca­hier de son père de M.  1. Je­tés hors de leur pays, les pa­rents de M. Der Alexa­nian avaient été ac­cueillis en et y avaient re­fait leur . Comme tous ceux de leur gé­né­ra­tion, ils ne vi­vaient pas to­ta­le­ment heu­reux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui res­tait in­con­so­lable. Le de leur pa­trie n’avait cessé de les pour­suivre. Là où ils si­tuaient le pa­ra­dis ter­restre; là où se dres­saient ja­dis les ma­gni­fiques de la chré­tienté; dans cette contrée que les dé­pêches ap­pe­laient l’Anatolie orien­tale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus au­cun . Ses avaient été dé­bap­ti­sés, ses éty­mo­lo­gies tra­hies, ses gens tués ou dé­por­tés, ses mo­nas­tères per­ver­tis en et ne te­nant en­core de­bout que pour rap­pe­ler cette page hon­teuse et san­glante au livre de l’ turque. Il ne se pas­sait pas de se­maine à la mai­son Der Alexa­nian sans vi­site de pa­rents ou de voi­sins ar­mé­niens pour ra­con­ter les drames aux­quels ils avaient été mê­lés. M. Der Alexa­nian de­meu­rait, no­tam­ment, frappé par l’une des proches amies de ses pa­rents. Par des al­lu­sions, par des demi-mots, cette femme en ap­pa­rence si calme lais­sait en­tendre qu’elle avait dû su­bir, toute jeune fille, les pires atro­ci­tés. Dé­pouillée de tous ses , bat­tue, vio­len­tée par les Turcs, elle avait été lais­sée pour morte. Par quel mi­racle avait-elle sur­vécu? Tou­jours est-il qu’elle avait erré des se­maines, des mois du­rant à tra­vers des sau­vages, vi­vant d’herbes, de ra­cines et de baies. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian, Ga­za­ros 2 et Ne­varte, eux, par­laient peu; ou ils par­laient seule­ment de la France et de tout le que leur ins­pi­rait cette se­conde pa­trie, di­sant quel­que­fois, avec M. Charles Az­na­vour : «La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma » 3.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de M. Jacques Alexan. Icône Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ga­zar et Gha­za­ros. Icône Haut
  1. Dans Aïda Az­na­vour-Gar­va­rentz, «Pe­tit frère; avec le concours de De­nys de La Pa­tel­lière» (éd. élec­tro­nique). Icône Haut

Der Alexanian, « Arménie, Arménies. Tome II. Les Héritiers du pays oublié (1922-1987) »

éd. R. Laffont, Paris

éd. R. Laf­font, Pa­ris

Il s’agit d’«Ar­mé­nie, Ar­mé­nies», d’après le ca­hier de son père de M.  1. Je­tés hors de leur pays, les pa­rents de M. Der Alexa­nian avaient été ac­cueillis en et y avaient re­fait leur . Comme tous ceux de leur gé­né­ra­tion, ils ne vi­vaient pas to­ta­le­ment heu­reux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui res­tait in­con­so­lable. Le de leur pa­trie n’avait cessé de les pour­suivre. Là où ils si­tuaient le pa­ra­dis ter­restre; là où se dres­saient ja­dis les ma­gni­fiques de la chré­tienté; dans cette contrée que les dé­pêches ap­pe­laient l’Anatolie orien­tale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus au­cun . Ses avaient été dé­bap­ti­sés, ses éty­mo­lo­gies tra­hies, ses gens tués ou dé­por­tés, ses mo­nas­tères per­ver­tis en et ne te­nant en­core de­bout que pour rap­pe­ler cette page hon­teuse et san­glante au livre de l’ turque. Il ne se pas­sait pas de se­maine à la mai­son Der Alexa­nian sans vi­site de pa­rents ou de voi­sins ar­mé­niens pour ra­con­ter les drames aux­quels ils avaient été mê­lés. M. Der Alexa­nian de­meu­rait, no­tam­ment, frappé par l’une des proches amies de ses pa­rents. Par des al­lu­sions, par des demi-mots, cette femme en ap­pa­rence si calme lais­sait en­tendre qu’elle avait dû su­bir, toute jeune fille, les pires atro­ci­tés. Dé­pouillée de tous ses , bat­tue, vio­len­tée par les Turcs, elle avait été lais­sée pour morte. Par quel mi­racle avait-elle sur­vécu? Tou­jours est-il qu’elle avait erré des se­maines, des mois du­rant à tra­vers des sau­vages, vi­vant d’herbes, de ra­cines et de baies. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian, Ga­za­ros 2 et Ne­varte, eux, par­laient peu; ou ils par­laient seule­ment de la France et de tout le que leur ins­pi­rait cette se­conde pa­trie, di­sant quel­que­fois, avec M. Charles Az­na­vour : «La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma » 3.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de M. Jacques Alexan. Icône Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ga­zar et Gha­za­ros. Icône Haut
  1. Dans Aïda Az­na­vour-Gar­va­rentz, «Pe­tit frère; avec le concours de De­nys de La Pa­tel­lière» (éd. élec­tro­nique). Icône Haut

Der Alexanian, « [Arménie, Arménies.] Tome I. Le ciel était noir sur l’Euphrate »

éd. R. Laffont, Paris

éd. R. Laf­font, Pa­ris

Il s’agit d’«Ar­mé­nie, Ar­mé­nies», d’après le ca­hier de son père de M.  1. Je­tés hors de leur pays, les pa­rents de M. Der Alexa­nian avaient été ac­cueillis en et y avaient re­fait leur . Comme tous ceux de leur gé­né­ra­tion, ils ne vi­vaient pas to­ta­le­ment heu­reux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui res­tait in­con­so­lable. Le de leur pa­trie n’avait cessé de les pour­suivre. Là où ils si­tuaient le pa­ra­dis ter­restre; là où se dres­saient ja­dis les ma­gni­fiques de la chré­tienté; dans cette contrée que les dé­pêches ap­pe­laient l’Anatolie orien­tale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus au­cun . Ses avaient été dé­bap­ti­sés, ses éty­mo­lo­gies tra­hies, ses gens tués ou dé­por­tés, ses mo­nas­tères per­ver­tis en et ne te­nant en­core de­bout que pour rap­pe­ler cette page hon­teuse et san­glante au livre de l’ turque. Il ne se pas­sait pas de se­maine à la mai­son Der Alexa­nian sans vi­site de pa­rents ou de voi­sins ar­mé­niens pour ra­con­ter les drames aux­quels ils avaient été mê­lés. M. Der Alexa­nian de­meu­rait, no­tam­ment, frappé par l’une des proches amies de ses pa­rents. Par des al­lu­sions, par des demi-mots, cette femme en ap­pa­rence si calme lais­sait en­tendre qu’elle avait dû su­bir, toute jeune fille, les pires atro­ci­tés. Dé­pouillée de tous ses , bat­tue, vio­len­tée par les Turcs, elle avait été lais­sée pour morte. Par quel mi­racle avait-elle sur­vécu? Tou­jours est-il qu’elle avait erré des se­maines, des mois du­rant à tra­vers des sau­vages, vi­vant d’herbes, de ra­cines et de baies. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian, Ga­za­ros 2 et Ne­varte, eux, par­laient peu; ou ils par­laient seule­ment de la France et de tout le que leur ins­pi­rait cette se­conde pa­trie, di­sant quel­que­fois, avec M. Charles Az­na­vour : «La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma » 3.

  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de M. Jacques Alexan. Icône Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ga­zar et Gha­za­ros. Icône Haut
  1. Dans Aïda Az­na­vour-Gar­va­rentz, «Pe­tit frère; avec le concours de De­nys de La Pa­tel­lière» (éd. élec­tro­nique). Icône Haut

Pamuk, « Les Nuits de la peste : roman »

éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Du en­tier, Pa­ris

Il s’agit du «Les Nuits de la » («Veba Ge­ce­leri») de M. , écri­vain pour le­quel le centre du monde est Is­tan­bul, non seule­ment parce qu’il y a passé toute sa , mais aussi parce que toute sa vie il en a ra­conté les re­coins les plus in­times. En 1850, Gus­tave Flau­bert, en ar­ri­vant à Is­tan­bul, frappé par la gi­gan­tesque bi­gar­rure de cette ville, par le cô­toie­ment de «tant d’individualités sé­pa­rées, dont l’addition for­mi­dable apla­tit la vôtre», avait écrit que de­vien­drait «plus tard la ca­pi­tale de la » 1. Cette naïve pré n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de dis­pa­raître, et la ca­pi­tale de perdre son nom de Constan­ti­nople, vi­dée de ses Grecs, ses Ar­mé­niens, ses Juifs. À la nais­sance de M. Pa­muk, tout juste un siècle après le sé­jour de Flau­bert, Is­tan­bul, en tant que ville mon­diale, n’était plus qu’une ombre cré­pus­cu­laire et vi­vait les jours les plus faibles, les moins glo­rieux de ses deux mille ans d’. La douce tris­tesse de ses rues fa­nées et flé­tries, de son passé tombé en dis­grâce per­çait de toute part; elle avait une pré­sence vi­sible dans le et chez les gens; elle re­cou­vrait tel un brouillard «les vieilles fon­taines bri­sées ici et là, ta­ries de­puis des an­nées, les bou­tiques de bric et de broc ap­pa­rues… aux abords im­mé­diats des vieilles mos­quées…, les trot­toirs sales, tout tor­dus et dé­fon­cés…, les vieux ci­me­tières égre­nés sur les hau­teurs…, les lam­pa­daires fa­lots», dit M. Pa­muk 2. Parce que cette tris­tesse était cau­sée par le fait d’être des re­je­tons d’un an­cien Em­pire, les Stam­bou­liotes pré­fé­raient faire table rase du passé. Ils ar­ra­chaient des pierres aux mu­railles et aux vé­né­rables édi­fices afin de s’en ser­vir pour leurs propres construc­tions. Dé­truire, brû­ler, éri­ger à la place un im­meuble oc­ci­den­tal et mo­derne était leur ma­nière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour ef­fa­cer le dou­lou­reux d’une an­cienne maî­tresse, se dé­bar­rasse en hâte des , des bi­joux, des et des meubles. Au bout du compte, ce trai­te­ment de choc et ces des­truc­tions par le ne fai­saient qu’accroître le sen­ti­ment de tris­tesse, en lui ajou­tant le ton du déses­poir et de la mi­sère. «L’effort d’occidentalisation», dit M. Pa­muk 3, «ou­vrit la voie… à la trans­for­ma­tion des in­té­rieurs do­mes­tiques en mu­sées d’une ja­mais vé­cue. Des an­nées après, j’ai éprouvé toute cette in­con­gruité… Ce sen­ti­ment de tris­tesse, en­foui dé­fi­ni­ti­ve­ment dans les tré­fonds de la ville, me fit prendre de la né­ces­sité de construire mon propre ima­gi­naire, si je ne vou­lais pas être pri­son­nier…» Un soir, après avoir poussé la porte de la mai­son fa­mi­liale, fran­chi le seuil et lon­gue­ment mar­ché dans ces rues qui lui ap­por­taient et ré­con­fort, M. Pa­muk ren­tra au mi­lieu de la et s’assit à sa table pour res­ti­tuer quelque chose de leur at­mo­sphère et de leur . Le len­de­main, il an­nonça à sa qu’il se­rait écri­vain.

  1. «Lettre à Louis Bouil­het du 14.XI.1850». Icône Haut
  2. «Is­tan­bul», p. 68-69. Icône Haut
  1. id. p. 54-55. Icône Haut

« Les Folles Histoires du sage Nasredin »

éd. L’Iconoclaste-Allary, Paris

éd. L’Iconoclaste-Allary, Pa­ris

Il s’agit des plai­san­te­ries de Nas­red­din Hodja 1, pro­duc­tions lé­gères de la qui tiennent une place qui ne leur est dis­pu­tée par au­cun autre ou­vrage. On peut même dire qu’elles consti­tuent, à elles seules, un genre spé­cial : le genre plai­sant. L’immense po­pu­la­rité ac­cor­dée, dans sa pa­trie, au Hodja et à ses fa­cé­ties ex­tra­va­gantes per­met de voir en lui la per­son­ni­fi­ca­tion même de cette belle hu­meur jo­viale, sou­vent ef­fron­tée, dé­dai­gnant toutes les conve­nances, har­die jusqu’à l’impudence, mais spi­ri­tuelle, mor­dante, ma­li­cieuse, par­fois grosse d’enseignements, qui fait la base de la conver­sa­tion turque. Ici, point de ces mé­ta­phores am­bi­tieuses dont les let­trés orien­taux peuvent, seuls, ap­pré­cier le mé­rite; point de ces longues pé­riodes où la so­phis­ti­ca­tion et la des ex­pres­sions font perdre à l’auteur le fil de son . Au lieu de ces or­ne­ments qui troublent le com­mun des mor­tels, on trouve de la bonne et franche gaieté; un simple, concis et na­tu­rel; une verve naïve dont les éclairs in­at­ten­dus com­mandent le aux gens les plus comme aux plus igno­rants, trop heu­reux de dé­ri­der leurs fronts sou­cieux, de dis­traire la mo­no­to­nie de leurs ré­flexions, de trom­per l’ennui de leurs veilles. «Il est peu pro­bable de trou­ver dans le en­tier», dit un  2, «un hé­ros du qui jouisse d’un tel in­té­rêt ou qui at­tire d’une telle force l’attention d’auteurs et de lec­teurs que Nas­red­din Hodja… La forme ser­rée qui en­ve­loppe l’idée des [] aide à les re­te­nir fa­ci­le­ment dans la et à les dif­fu­ser… Il faut ajou­ter éga­le­ment que le per­son­nage de Nas­red­din Hodja marche sur les che­mins pous­sié­reux de l’Anatolie, dans les steppes de l’ et du Tad­ji­kis­tan et dans les de [la pé­nin­sule bal­ka­nique] avec un dé­faut inné, ayant trou­blé plu­sieurs fois les et les folk­lo­ristes : il s’agit du ca­rac­tère contra­dic­toire du hé­ros qui est re­pré­senté tan­tôt comme un sot en trois lettres peu pers­pi­cace et im­pré­voyant, tan­tôt comme un pré­voyant et juste; en tant que juge, il rend des équi­tables; en tant que dé­fen­seur des ac­cu­sés, il tranche des em­brouillés que les juges of­fi­ciels ne sont pas ca­pables de ju­ger.»

  1. En Nas­red­din Hoca. On le dé­signe éga­le­ment comme Mulla (Molla) Nas­red­din, c’est-à-dire Maître Nas­red­din. Par­fois trans­crit Nas­re­din, Nas­ra­din, Nas­ri­din, Nas­ret­tin, Nas­tra­din, Nas­tra­tin, Nas­ret­din, Nas­rud­din, Nassr Ed­din ou Nazr-ed-din. Icône Haut
  1. M. Vé­lit­chko Valt­chev. Icône Haut

Çetin, « Le Livre de ma grand-mère • Les Fontaines de Havav »

éd. Parenthèses, coll. Diasporales, Marseille

éd. Pa­ren­thèses, coll. Dia­spo­rales, Mar­seille

Il s’agit du «Livre de ma grand-mère» («An­nean­nem» 1) et des «Fon­taines de Ha­vav : d’une res­tau­ra­tion» («Ha­bap çeş­me­leri : bir res­to­ra­syo­nun öyküsü») de Mme Fe­thiye Çe­tin, avo­cate au bar­reau d’Istanbul, mi­li­tante des de l’. Peu avant de s’éteindre, la grand-mère de Mme Çe­tin, Se­her, une bonne mu­sul­mane qui ne sor­tait ja­mais sans fou­lard, l’appela un jour au­près d’elle : «Si tu n’es pas oc­cu­pée, viens un peu près de , j’ai quelque chose à te dire». Se­her prit les mains de Mme Çe­tin dans les siennes et lui confia ceci : «Mon nom était Hé­ra­nouche 2, ma mère s’appelait Is­kouhi 3… J’avais deux » 4. Le ton neutre et le timbre de sa lais­saient en­tre­voir com­bien la dé­ci­sion de ré­vé­ler son pré­nom avait dû être dif­fi­cile. Elle avait at­tendu d’avoir plus de soixante-dix ans pour le­ver, en­fin, le voile du se­cret. Le rivé sur un point du , elle ser­rait les mains de sa pe­tite-fille, in­ter­rom­pait sou­vent le cours de son ré­cit par la phrase «Que ces jours s’en aillent et ne re­viennent ja­mais!», puis le re­pre­nait sur les in­sis­tances de Mme Çe­tin. Voici en sub­stance ce ré­cit. En 1915, Hé­ra­nouche avait dix ans. Elle vi­vait au vil­lage de Ha­vav (tur­cisé en Ha­bap). Blotti dans l’ombre pro­tec­trice du mo­nas­tère de la Sainte-Mère de à la Dé­lec­table Vue (Kaghts­ra­hayats Sourp Asd­vad­zad­zin 5), avec ses deux écoles, ses neuf mou­lins, ses char­pen­tiers, ses tailleurs de et ses for­ge­rons, ce vil­lage était le plus étendu et le plus flo­ris­sant des en­vi­rons. Un jour, les gen­darmes en­va­hirent le vil­lage. Le maire, Ni­go­ghos aga, qui grâce à sa maî­trise de la turque ser­vait d’interprète aux pay­sans, fut im­mé­dia­te­ment exé­cuté sur la place pu­blique. Puis, très vite, tous les hommes va­lides furent re­grou­pés sur cette même place. Les gen­darmes les at­ta­chèrent deux par deux, avant de les ame­ner. La mère de Hé­ra­nouche, Is­kouhi, pres­sen­tit com­bien l’heure était grave. Elle réunit ses sœurs et leur de­manda de se cou­per les che­veux et de se vê­tir des plus vils haillons. Toutes sui­virent ses conseils, sauf la co­quette Si­ra­nouche. Ce même soir, des hommes en­va­hirent le vil­lage et en­le­vèrent les belles jeunes et , dont Si­ra­nouche, qu’ils ame­nèrent en la traî­nant par ses longs che­veux. Is­kouhi s’enfuit avec ses vers un autre vil­lage ar­mé­nien, qui avait été épar­gné par les at­taques. Ce­pen­dant, peu de après, les gen­darmes ar­ri­vèrent là aussi et en­tas­sèrent femmes et en­fants dans la cour d’une église, lais­sant les hommes à l’extérieur. Au bout d’un mo­ment, des cris à fendre l’ se firent en­tendre au-de­hors. Les murs de la cour étaient bien hauts. Les femmes, pé­tri­fiées, ne pou­vaient voir ce qui se pas­sait, jusqu’à ce qu’elles his­sassent une fillette sur leurs épaules. Une fois re­des­cen­due, il fal­lut un long mo­ment avant que celle-ci ne pût leur dé­crire la scène : «Ils égorgent les hommes et les jettent dans la ri­vière»

  1. Par­fois tra­duit «Ma grand-mère». Icône Haut
  2. En ar­mé­nien Հրանուշ. Par­fois trans­crit He­ra­nuş ou Hé­ra­nouch. Icône Haut
  3. En ar­mé­nien Իսկուհի. Par­fois trans­crit İsg­uhi ou Is­quhi. Icône Haut
  1. p. 62. Icône Haut
  2. En ar­mé­nien Քաղցրահայեաց Սուրբ Աստուածածին. Par­fois trans­crit Keğa­hayyats-Surp Asd­vad­zad­zin, Kaghts­ra­hayats Sourp Asd­wad­zad­zin, Kaghts­ra­hayats Sourp Asd­vad­sad­sine, Kaghts­ra­hayiats Soorp Asd­vad­zad­zin ou Kaghts­ra­hayiats Surb Ast­vat­sat­sin. Icône Haut

Pamuk, « Istanbul : souvenirs d’une ville »

éd. Gallimard, Paris

éd. Gal­li­mard, Pa­ris

Il s’agit d’«Is­tan­bul : sou­ve­nirs d’une ville» («İst­anbul : Hatı­ra­lar ve Şe­hir») 1 de M. , écri­vain pour le­quel le centre du est Is­tan­bul, non seule­ment parce qu’il y a passé toute sa , mais aussi parce que toute sa vie il en a ra­conté les re­coins les plus in­times. En 1850, Gus­tave Flau­bert, en ar­ri­vant à Is­tan­bul, frappé par la gi­gan­tesque bi­gar­rure de cette ville, par le cô­toie­ment de «tant d’individualités sé­pa­rées, dont l’addition for­mi­dable apla­tit la vôtre», avait écrit que de­vien­drait «plus tard la ca­pi­tale de la » 2. Cette naïve pré n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de dis­pa­raître, et la ca­pi­tale de perdre son nom de Constan­ti­nople, vi­dée de ses Grecs, ses Ar­mé­niens, ses Juifs. À la nais­sance de M. Pa­muk, tout juste un siècle après le sé­jour de Flau­bert, Is­tan­bul, en tant que ville mon­diale, n’était plus qu’une ombre cré­pus­cu­laire et vi­vait les jours les plus faibles, les moins glo­rieux de ses deux mille ans d’. La douce tris­tesse de ses rues fa­nées et flé­tries, de son passé tombé en dis­grâce per­çait de toute part; elle avait une pré­sence vi­sible dans le et chez les gens; elle re­cou­vrait tel un brouillard «les vieilles fon­taines bri­sées ici et là, ta­ries de­puis des an­nées, les bou­tiques de bric et de broc ap­pa­rues… aux abords im­mé­diats des vieilles mos­quées…, les trot­toirs sales, tout tor­dus et dé­fon­cés…, les vieux ci­me­tières égre­nés sur les hau­teurs…, les lam­pa­daires fa­lots», dit M. Pa­muk 3. Parce que cette tris­tesse était cau­sée par le fait d’être des re­je­tons d’un an­cien Em­pire, les Stam­bou­liotes pré­fé­raient faire table rase du passé. Ils ar­ra­chaient des pierres aux mu­railles et aux vé­né­rables édi­fices afin de s’en ser­vir pour leurs propres construc­tions. Dé­truire, brû­ler, éri­ger à la place un im­meuble oc­ci­den­tal et mo­derne était leur ma­nière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour ef­fa­cer le dou­lou­reux d’une an­cienne maî­tresse, se dé­bar­rasse en hâte des , des bi­joux, des et des meubles. Au bout du compte, ce trai­te­ment de choc et ces des­truc­tions par le ne fai­saient qu’accroître le sen­ti­ment de tris­tesse, en lui ajou­tant le ton du déses­poir et de la mi­sère. «L’effort d’occidentalisation», dit M. Pa­muk 4, «ou­vrit la voie… à la trans­for­ma­tion des in­té­rieurs do­mes­tiques en mu­sées d’une ja­mais vé­cue. Des an­nées après, j’ai éprouvé toute cette in­con­gruité… Ce sen­ti­ment de tris­tesse, en­foui dé­fi­ni­ti­ve­ment dans les tré­fonds de la ville, me fit prendre de la né­ces­sité de construire mon propre ima­gi­naire, si je ne vou­lais pas être pri­son­nier…» Un soir, après avoir poussé la porte de la mai­son fa­mi­liale, fran­chi le seuil et lon­gue­ment mar­ché dans ces rues qui lui ap­por­taient et ré­con­fort, M. Pa­muk ren­tra au mi­lieu de la et s’assit à sa table pour res­ti­tuer quelque chose de leur at­mo­sphère et de leur . Le len­de­main, il an­nonça à sa qu’il se­rait écri­vain.

  1. Éga­le­ment connu sous le titre d’«Is­tan­bul illus­tré» («Re­simli İst­anbul»). Icône Haut
  2. «Lettre à Louis Bouil­het du 14.XI.1850». Icône Haut
  1. «Is­tan­bul», p. 68-69. Icône Haut
  2. id. p. 54-55. Icône Haut

Pamuk, « La Femme aux cheveux roux : roman »

éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Du en­tier, Pa­ris

Il s’agit du «La Femme aux che­veux roux» («Kırmızı Sa­çlı Kadın») de M. , écri­vain pour le­quel le centre du monde est Is­tan­bul, non seule­ment parce qu’il y a passé toute sa , mais aussi parce que toute sa vie il en a ra­conté les re­coins les plus in­times. En 1850, Gus­tave Flau­bert, en ar­ri­vant à Is­tan­bul, frappé par la gi­gan­tesque bi­gar­rure de cette ville, par le cô­toie­ment de «tant d’individualités sé­pa­rées, dont l’addition for­mi­dable apla­tit la vôtre», avait écrit que de­vien­drait «plus tard la ca­pi­tale de la » 1. Cette naïve pré n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de dis­pa­raître, et la ca­pi­tale de perdre son nom de Constan­ti­nople, vi­dée de ses Grecs, ses Ar­mé­niens, ses Juifs. À la nais­sance de M. Pa­muk, tout juste un siècle après le sé­jour de Flau­bert, Is­tan­bul, en tant que ville mon­diale, n’était plus qu’une ombre cré­pus­cu­laire et vi­vait les jours les plus faibles, les moins glo­rieux de ses deux mille ans d’. La douce tris­tesse de ses rues fa­nées et flé­tries, de son passé tombé en dis­grâce per­çait de toute part; elle avait une pré­sence vi­sible dans le et chez les gens; elle re­cou­vrait tel un brouillard «les vieilles fon­taines bri­sées ici et là, ta­ries de­puis des an­nées, les bou­tiques de bric et de broc ap­pa­rues… aux abords im­mé­diats des vieilles mos­quées…, les trot­toirs sales, tout tor­dus et dé­fon­cés…, les vieux ci­me­tières égre­nés sur les hau­teurs…, les lam­pa­daires fa­lots», dit M. Pa­muk 2. Parce que cette tris­tesse était cau­sée par le fait d’être des re­je­tons d’un an­cien Em­pire, les Stam­bou­liotes pré­fé­raient faire table rase du passé. Ils ar­ra­chaient des pierres aux mu­railles et aux vé­né­rables édi­fices afin de s’en ser­vir pour leurs propres construc­tions. Dé­truire, brû­ler, éri­ger à la place un im­meuble oc­ci­den­tal et mo­derne était leur ma­nière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour ef­fa­cer le dou­lou­reux d’une an­cienne maî­tresse, se dé­bar­rasse en hâte des , des bi­joux, des et des meubles. Au bout du compte, ce trai­te­ment de choc et ces des­truc­tions par le ne fai­saient qu’accroître le sen­ti­ment de tris­tesse, en lui ajou­tant le ton du déses­poir et de la mi­sère. «L’effort d’occidentalisation», dit M. Pa­muk 3, «ou­vrit la voie… à la trans­for­ma­tion des in­té­rieurs do­mes­tiques en mu­sées d’une ja­mais vé­cue. Des an­nées après, j’ai éprouvé toute cette in­con­gruité… Ce sen­ti­ment de tris­tesse, en­foui dé­fi­ni­ti­ve­ment dans les tré­fonds de la ville, me fit prendre de la né­ces­sité de construire mon propre ima­gi­naire, si je ne vou­lais pas être pri­son­nier…» Un soir, après avoir poussé la porte de la mai­son fa­mi­liale, fran­chi le seuil et lon­gue­ment mar­ché dans ces rues qui lui ap­por­taient et ré­con­fort, M. Pa­muk ren­tra au mi­lieu de la et s’assit à sa table pour res­ti­tuer quelque chose de leur at­mo­sphère et de leur . Le len­de­main, il an­nonça à sa qu’il se­rait écri­vain.

  1. «Lettre à Louis Bouil­het du 14.XI.1850». Icône Haut
  2. «Is­tan­bul», p. 68-69. Icône Haut
  1. id. p. 54-55. Icône Haut

Pamuk, « Cette chose étrange en moi : roman »

éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Du en­tier, Pa­ris

Il s’agit du «Cette chose étrange en » («Ka­famda Bir Tu­ha­flık») de M. , écri­vain pour le­quel le centre du monde est Is­tan­bul, non seule­ment parce qu’il y a passé toute sa , mais aussi parce que toute sa vie il en a ra­conté les re­coins les plus in­times. En 1850, Gus­tave Flau­bert, en ar­ri­vant à Is­tan­bul, frappé par la gi­gan­tesque bi­gar­rure de cette ville, par le cô­toie­ment de «tant d’individualités sé­pa­rées, dont l’addition for­mi­dable apla­tit la vôtre», avait écrit que de­vien­drait «plus tard la ca­pi­tale de la » 1. Cette naïve pré n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de dis­pa­raître, et la ca­pi­tale de perdre son nom de Constan­ti­nople, vi­dée de ses Grecs, ses Ar­mé­niens, ses Juifs. À la nais­sance de M. Pa­muk, tout juste un siècle après le sé­jour de Flau­bert, Is­tan­bul, en tant que ville mon­diale, n’était plus qu’une ombre cré­pus­cu­laire et vi­vait les jours les plus faibles, les moins glo­rieux de ses deux mille ans d’. La douce tris­tesse de ses rues fa­nées et flé­tries, de son passé tombé en dis­grâce per­çait de toute part; elle avait une pré­sence vi­sible dans le et chez les gens; elle re­cou­vrait tel un brouillard «les vieilles fon­taines bri­sées ici et là, ta­ries de­puis des an­nées, les bou­tiques de bric et de broc ap­pa­rues… aux abords im­mé­diats des vieilles mos­quées…, les trot­toirs sales, tout tor­dus et dé­fon­cés…, les vieux ci­me­tières égre­nés sur les hau­teurs…, les lam­pa­daires fa­lots», dit M. Pa­muk 2. Parce que cette tris­tesse était cau­sée par le fait d’être des re­je­tons d’un an­cien Em­pire, les Stam­bou­liotes pré­fé­raient faire table rase du passé. Ils ar­ra­chaient des pierres aux mu­railles et aux vé­né­rables édi­fices afin de s’en ser­vir pour leurs propres construc­tions. Dé­truire, brû­ler, éri­ger à la place un im­meuble oc­ci­den­tal et mo­derne était leur ma­nière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour ef­fa­cer le dou­lou­reux d’une an­cienne maî­tresse, se dé­bar­rasse en hâte des , des bi­joux, des et des meubles. Au bout du compte, ce trai­te­ment de choc et ces des­truc­tions par le ne fai­saient qu’accroître le sen­ti­ment de tris­tesse, en lui ajou­tant le ton du déses­poir et de la mi­sère. «L’effort d’occidentalisation», dit M. Pa­muk 3, «ou­vrit la voie… à la trans­for­ma­tion des in­té­rieurs do­mes­tiques en mu­sées d’une ja­mais vé­cue. Des an­nées après, j’ai éprouvé toute cette in­con­gruité… Ce sen­ti­ment de tris­tesse, en­foui dé­fi­ni­ti­ve­ment dans les tré­fonds de la ville, me fit prendre de la né­ces­sité de construire mon propre ima­gi­naire, si je ne vou­lais pas être pri­son­nier…» Un soir, après avoir poussé la porte de la mai­son fa­mi­liale, fran­chi le seuil et lon­gue­ment mar­ché dans ces rues qui lui ap­por­taient et ré­con­fort, M. Pa­muk ren­tra au mi­lieu de la et s’assit à sa table pour res­ti­tuer quelque chose de leur at­mo­sphère et de leur . Le len­de­main, il an­nonça à sa qu’il se­rait écri­vain.

  1. «Lettre à Louis Bouil­het du 14.XI.1850». Icône Haut
  2. «Is­tan­bul», p. 68-69. Icône Haut
  1. id. p. 54-55. Icône Haut

Pamuk, « D’Autres Couleurs : essais »

éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Du en­tier, Pa­ris

Il s’agit de «D’Autres » («Öteki Renk­ler») de M. , écri­vain pour le­quel le centre du monde est Is­tan­bul, non seule­ment parce qu’il y a passé toute sa , mais aussi parce que toute sa vie il en a ra­conté les re­coins les plus in­times. En 1850, Gus­tave Flau­bert, en ar­ri­vant à Is­tan­bul, frappé par la gi­gan­tesque bi­gar­rure de cette ville, par le cô­toie­ment de «tant d’individualités sé­pa­rées, dont l’addition for­mi­dable apla­tit la vôtre», avait écrit que de­vien­drait «plus tard la ca­pi­tale de la » 1. Cette naïve pré n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de dis­pa­raître, et la ca­pi­tale de perdre son nom de Constan­ti­nople, vi­dée de ses Grecs, ses Ar­mé­niens, ses Juifs. À la nais­sance de M. Pa­muk, tout juste un siècle après le sé­jour de Flau­bert, Is­tan­bul, en tant que ville mon­diale, n’était plus qu’une ombre cré­pus­cu­laire et vi­vait les jours les plus faibles, les moins glo­rieux de ses deux mille ans d’. La douce tris­tesse de ses rues fa­nées et flé­tries, de son passé tombé en dis­grâce per­çait de toute part; elle avait une pré­sence vi­sible dans le et chez les gens; elle re­cou­vrait tel un brouillard «les vieilles fon­taines bri­sées ici et là, ta­ries de­puis des an­nées, les bou­tiques de bric et de broc ap­pa­rues… aux abords im­mé­diats des vieilles mos­quées…, les trot­toirs sales, tout tor­dus et dé­fon­cés…, les vieux ci­me­tières égre­nés sur les hau­teurs…, les lam­pa­daires fa­lots», dit M. Pa­muk 2. Parce que cette tris­tesse était cau­sée par le fait d’être des re­je­tons d’un an­cien Em­pire, les Stam­bou­liotes pré­fé­raient faire table rase du passé. Ils ar­ra­chaient des pierres aux mu­railles et aux vé­né­rables édi­fices afin de s’en ser­vir pour leurs propres construc­tions. Dé­truire, brû­ler, éri­ger à la place un im­meuble oc­ci­den­tal et mo­derne était leur ma­nière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour ef­fa­cer le dou­lou­reux d’une an­cienne maî­tresse, se dé­bar­rasse en hâte des , des bi­joux, des et des meubles. Au bout du compte, ce trai­te­ment de choc et ces des­truc­tions par le ne fai­saient qu’accroître le sen­ti­ment de tris­tesse, en lui ajou­tant le ton du déses­poir et de la mi­sère. «L’effort d’occidentalisation», dit M. Pa­muk 3, «ou­vrit la voie… à la trans­for­ma­tion des in­té­rieurs do­mes­tiques en mu­sées d’une ja­mais vé­cue. Des an­nées après, j’ai éprouvé toute cette in­con­gruité… Ce sen­ti­ment de tris­tesse, en­foui dé­fi­ni­ti­ve­ment dans les tré­fonds de la ville, me fit prendre de la né­ces­sité de construire mon propre ima­gi­naire, si je ne vou­lais pas être pri­son­nier…» Un soir, après avoir poussé la porte de la mai­son fa­mi­liale, fran­chi le seuil et lon­gue­ment mar­ché dans ces rues qui lui ap­por­taient et ré­con­fort, M. Pa­muk ren­tra au mi­lieu de la et s’assit à sa table pour res­ti­tuer quelque chose de leur at­mo­sphère et de leur . Le len­de­main, il an­nonça à sa qu’il se­rait écri­vain.

  1. «Lettre à Louis Bouil­het du 14.XI.1850». Icône Haut
  2. «Is­tan­bul», p. 68-69. Icône Haut
  1. id. p. 54-55. Icône Haut

« Poètes turcs des XVIᵉ, XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles »

éd. Ari, coll. Ankara Üniversitesi Yayımları-Edebi İncelemeler, Istanbul

éd. Ari, coll. An­kara Üni­ver­si­tesi Yayım­ları-Edebi İnc­el­em­eler, Is­tan­bul

Il s’agit d’une de la ot­to­mane. Dès la fixa­tion des Turcs en Ana­to­lie, deux poé­sies s’affrontent, dont la pre­mière fi­nira par l’emporter à l’époque ot­to­mane, mais dont la se­conde triom­phera en­tiè­re­ment dans la mo­derne : d’un côté, celle des sei­gneurs et des ci­ta­dins, dont le but sera de trans­po­ser en un bourré d’ et de les ma­nières lit­té­raires de ces deux grandes langues mu­sul­manes, dans des vers fon­dés sur la quan­tité longue et brève des syl­labes; de l’autre, celle des pay­sans et des no­mades, peut-être moins , mais doués d’un sens plus vif de leur ma­ter­nelle, sou­vent nour­ris de po­pu­laires, qui en­tre­pren­dront d’exprimer leur sen­si­bi­lité et leur se­lon le na­tio­nal, dans des vers fon­dés sur le seul nombre des syl­labes. Les pres­ti­gieux, au XIVe siècle, du sei­gneur turc Oth­man, qui sou­met avec le se­cours de l’islamisme toute l’Anatolie avant de se lan­cer à la conquête des Bal­kans et du Proche-, ont pour consé­quence iné­luc­table, en même qu’une cen­tra­li­sa­tion du pou­voir, à la Cour de tous les de re­nom, qui de­viennent ainsi «des pro­fes­sion­nels et cour­ti­sans, aris­to­crates et pé­dants, vi­vant en vase clos et de fa­çon ar­ti­fi­cielle, cou­pés du reste de la » 1. Au XVIe siècle, avec l’apogée de l’Empire sous le règne du sul­tan So­li­man coïn­cide, comme de juste, la ma­tu­rité de la poé­sie ot­to­mane, in­car­née par Bâkî 2. Poète de gé­nie, Bâkî doit à son seul ta­lent une brillante ré­pu­ta­tion et une haute for­tune; car s’il dé­bute sa comme fils d’un pauvre muez­zin, il fi­nit sa comme vi­zir. «Ses — courts poèmes ly­riques de ton gé­né­ra­le­ment lé­ger — où ce grave ec­clé­sias­tique chante l’ et le en des termes qui nous sur­prennent, mais dont les com­men­ta­teurs or­tho­doxes as­surent qu’ils sont sym­bo­liques, sont parmi les plus cé­lèbres» 3. Je leur pré­fère, ce­pen­dant, la clas­sique de son «Orai­son fu­nèbre du sul­tan So­li­man» 4, la­quelle évoque avec un grand art cette pé­riode où l’ était sans le plus puis­sant du

  1. Louis Ba­zin, «». Icône Haut
  2. Au­tre­fois trans­crit Bâqî ou Ba­qui. Icône Haut
  1. Louis Ba­zin, «Lit­té­ra­ture turque». Icône Haut
  2. En turc «Mer­siye-i sul­tân Sü­ley­mân». Icône Haut