Il s’agit de « Des choses à vivre, une histoire française », roman de M. Jacques Der Alexanian 1. Jetés hors de leur pays, les parents de M. Der Alexanian avaient été accueillis en France et y avaient refait leur vie. Comme tous ceux de leur génération, ils ne vivaient pas totalement heureux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui restait inconsolable. Le souvenir de leur patrie n’avait cessé de les poursuivre. Là où ils situaient le paradis terrestre ; là où se dressaient jadis les magnifiques monuments de la chrétienté ; dans cette contrée que les dépêches appelaient l’Anatolie orientale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus aucun Arménien. Ses villages avaient été débaptisés, ses étymologies trahies, ses gens tués ou déportés, ses monastères pervertis en prisons et ne tenant encore debout que pour rappeler cette page honteuse et sanglante au livre de l’histoire turque. Il ne se passait pas de semaine à la maison Der Alexanian sans visite de parents ou de voisins arméniens pour raconter les drames auxquels ils avaient été mêlés. M. Der Alexanian demeurait, notamment, frappé par l’une des proches amies de ses parents. Par des allusions, par des demi-mots, cette femme en apparence si calme laissait entendre qu’elle avait dû subir, toute jeune fille, les pires atrocités. Dépouillée de tous ses vêtements, battue, violentée par les Turcs, elle avait été laissée pour morte. Par quel miracle avait-elle survécu ? Toujours est-il qu’elle avait erré des semaines, des mois durant à travers des montagnes sauvages, vivant d’herbes, de racines et de baies. Les parents de M. Der Alexanian, Gazaros 2 et Nevarte, eux, parlaient peu ; ou ils parlaient seulement de la France et de tout le respect que leur inspirait cette seconde patrie, disant quelquefois, avec M. Charles Aznavour : « La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma religion » 3.
Turquie
pays, gentilé ou langue
Der Alexanian, « Il s’est écoulé un siècle : roman »
Il s’agit d’« Il s’est écoulé un siècle », roman de M. Jacques Der Alexanian 1. Jetés hors de leur pays, les parents de M. Der Alexanian avaient été accueillis en France et y avaient refait leur vie. Comme tous ceux de leur génération, ils ne vivaient pas totalement heureux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui restait inconsolable. Le souvenir de leur patrie n’avait cessé de les poursuivre. Là où ils situaient le paradis terrestre ; là où se dressaient jadis les magnifiques monuments de la chrétienté ; dans cette contrée que les dépêches appelaient l’Anatolie orientale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus aucun Arménien. Ses villages avaient été débaptisés, ses étymologies trahies, ses gens tués ou déportés, ses monastères pervertis en prisons et ne tenant encore debout que pour rappeler cette page honteuse et sanglante au livre de l’histoire turque. Il ne se passait pas de semaine à la maison Der Alexanian sans visite de parents ou de voisins arméniens pour raconter les drames auxquels ils avaient été mêlés. M. Der Alexanian demeurait, notamment, frappé par l’une des proches amies de ses parents. Par des allusions, par des demi-mots, cette femme en apparence si calme laissait entendre qu’elle avait dû subir, toute jeune fille, les pires atrocités. Dépouillée de tous ses vêtements, battue, violentée par les Turcs, elle avait été laissée pour morte. Par quel miracle avait-elle survécu ? Toujours est-il qu’elle avait erré des semaines, des mois durant à travers des montagnes sauvages, vivant d’herbes, de racines et de baies. Les parents de M. Der Alexanian, Gazaros 2 et Nevarte, eux, parlaient peu ; ou ils parlaient seulement de la France et de tout le respect que leur inspirait cette seconde patrie, disant quelquefois, avec M. Charles Aznavour : « La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma religion » 3.
Der Alexanian, « Arménie, Arménies. [Tome III.] Un Nom pour héritage (1987-2000) »
Il s’agit d’« Arménie, Arménies », reportage d’après le cahier de son père de M. Jacques Der Alexanian 1. Jetés hors de leur pays, les parents de M. Der Alexanian avaient été accueillis en France et y avaient refait leur vie. Comme tous ceux de leur génération, ils ne vivaient pas totalement heureux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui restait inconsolable. Le souvenir de leur patrie n’avait cessé de les poursuivre. Là où ils situaient le paradis terrestre ; là où se dressaient jadis les magnifiques monuments de la chrétienté ; dans cette contrée que les dépêches appelaient l’Anatolie orientale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus aucun Arménien. Ses villages avaient été débaptisés, ses étymologies trahies, ses gens tués ou déportés, ses monastères pervertis en prisons et ne tenant encore debout que pour rappeler cette page honteuse et sanglante au livre de l’histoire turque. Il ne se passait pas de semaine à la maison Der Alexanian sans visite de parents ou de voisins arméniens pour raconter les drames auxquels ils avaient été mêlés. M. Der Alexanian demeurait, notamment, frappé par l’une des proches amies de ses parents. Par des allusions, par des demi-mots, cette femme en apparence si calme laissait entendre qu’elle avait dû subir, toute jeune fille, les pires atrocités. Dépouillée de tous ses vêtements, battue, violentée par les Turcs, elle avait été laissée pour morte. Par quel miracle avait-elle survécu ? Toujours est-il qu’elle avait erré des semaines, des mois durant à travers des montagnes sauvages, vivant d’herbes, de racines et de baies. Les parents de M. Der Alexanian, Gazaros 2 et Nevarte, eux, parlaient peu ; ou ils parlaient seulement de la France et de tout le respect que leur inspirait cette seconde patrie, disant quelquefois, avec M. Charles Aznavour : « La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma religion » 3.
Der Alexanian, « Arménie, Arménies. Tome II. Les Héritiers du pays oublié (1922-1987) »
Il s’agit d’« Arménie, Arménies », reportage d’après le cahier de son père de M. Jacques Der Alexanian 1. Jetés hors de leur pays, les parents de M. Der Alexanian avaient été accueillis en France et y avaient refait leur vie. Comme tous ceux de leur génération, ils ne vivaient pas totalement heureux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui restait inconsolable. Le souvenir de leur patrie n’avait cessé de les poursuivre. Là où ils situaient le paradis terrestre ; là où se dressaient jadis les magnifiques monuments de la chrétienté ; dans cette contrée que les dépêches appelaient l’Anatolie orientale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus aucun Arménien. Ses villages avaient été débaptisés, ses étymologies trahies, ses gens tués ou déportés, ses monastères pervertis en prisons et ne tenant encore debout que pour rappeler cette page honteuse et sanglante au livre de l’histoire turque. Il ne se passait pas de semaine à la maison Der Alexanian sans visite de parents ou de voisins arméniens pour raconter les drames auxquels ils avaient été mêlés. M. Der Alexanian demeurait, notamment, frappé par l’une des proches amies de ses parents. Par des allusions, par des demi-mots, cette femme en apparence si calme laissait entendre qu’elle avait dû subir, toute jeune fille, les pires atrocités. Dépouillée de tous ses vêtements, battue, violentée par les Turcs, elle avait été laissée pour morte. Par quel miracle avait-elle survécu ? Toujours est-il qu’elle avait erré des semaines, des mois durant à travers des montagnes sauvages, vivant d’herbes, de racines et de baies. Les parents de M. Der Alexanian, Gazaros 2 et Nevarte, eux, parlaient peu ; ou ils parlaient seulement de la France et de tout le respect que leur inspirait cette seconde patrie, disant quelquefois, avec M. Charles Aznavour : « La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma religion » 3.
Der Alexanian, « [Arménie, Arménies.] Tome I. Le ciel était noir sur l’Euphrate »
Il s’agit d’« Arménie, Arménies », reportage d’après le cahier de son père de M. Jacques Der Alexanian 1. Jetés hors de leur pays, les parents de M. Der Alexanian avaient été accueillis en France et y avaient refait leur vie. Comme tous ceux de leur génération, ils ne vivaient pas totalement heureux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui restait inconsolable. Le souvenir de leur patrie n’avait cessé de les poursuivre. Là où ils situaient le paradis terrestre ; là où se dressaient jadis les magnifiques monuments de la chrétienté ; dans cette contrée que les dépêches appelaient l’Anatolie orientale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus aucun Arménien. Ses villages avaient été débaptisés, ses étymologies trahies, ses gens tués ou déportés, ses monastères pervertis en prisons et ne tenant encore debout que pour rappeler cette page honteuse et sanglante au livre de l’histoire turque. Il ne se passait pas de semaine à la maison Der Alexanian sans visite de parents ou de voisins arméniens pour raconter les drames auxquels ils avaient été mêlés. M. Der Alexanian demeurait, notamment, frappé par l’une des proches amies de ses parents. Par des allusions, par des demi-mots, cette femme en apparence si calme laissait entendre qu’elle avait dû subir, toute jeune fille, les pires atrocités. Dépouillée de tous ses vêtements, battue, violentée par les Turcs, elle avait été laissée pour morte. Par quel miracle avait-elle survécu ? Toujours est-il qu’elle avait erré des semaines, des mois durant à travers des montagnes sauvages, vivant d’herbes, de racines et de baies. Les parents de M. Der Alexanian, Gazaros 2 et Nevarte, eux, parlaient peu ; ou ils parlaient seulement de la France et de tout le respect que leur inspirait cette seconde patrie, disant quelquefois, avec M. Charles Aznavour : « La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma religion » 3.
Pamuk, « Les Nuits de la peste : roman »
éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris
Il s’agit du roman « Les Nuits de la peste » (« Veba Geceleri ») de M. Orhan Pamuk, écrivain turc pour lequel le centre du monde est Istanbul, non seulement parce qu’il y a passé toute sa vie, mais aussi parce que toute sa vie il en a raconté les recoins les plus intimes. En 1850, Gustave Flaubert, en arrivant à Istanbul, frappé par la gigantesque bigarrure de cette ville, par le côtoiement de « tant d’individualités séparées, dont l’addition formidable aplatit la vôtre », avait écrit que Constantinople deviendrait « plus tard la capitale de la Terre » 1. Cette naïve prédiction n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de disparaître, et la capitale de perdre son nom de Constantinople, vidée de ses Grecs, ses Arméniens, ses Juifs. À la naissance de M. Pamuk, tout juste un siècle après le séjour de Flaubert, Istanbul, en tant que ville mondiale, n’était plus qu’une ombre crépusculaire et vivait les jours les plus faibles, les moins glorieux de ses deux mille ans d’histoire. La douce tristesse de ses rues fanées et flétries, de son passé tombé en disgrâce perçait de toute part ; elle avait une présence visible dans le paysage et chez les gens ; elle recouvrait tel un brouillard « les vieilles fontaines brisées ici et là, taries depuis des années, les boutiques de bric et de broc apparues… aux abords immédiats des vieilles mosquées…, les trottoirs sales, tout tordus et défoncés…, les vieux cimetières égrenés sur les hauteurs…, les lampadaires falots », dit M. Pamuk 2. Parce que cette tristesse était causée par le fait d’être des rejetons d’un ancien Empire, les Stambouliotes préféraient faire table rase du passé. Ils arrachaient des pierres aux murailles et aux vénérables édifices afin de s’en servir pour leurs propres constructions. Détruire, brûler, ériger à la place un immeuble occidental et moderne était leur manière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour effacer le souvenir douloureux d’une ancienne maîtresse, se débarrasse en hâte des vêtements, des bijoux, des photographies et des meubles. Au bout du compte, ce traitement de choc et ces destructions par le feu ne faisaient qu’accroître le sentiment de tristesse, en lui ajoutant le ton du désespoir et de la misère. « L’effort d’occidentalisation », dit M. Pamuk 3, « ouvrit la voie… à la transformation des intérieurs domestiques en musées d’une culture jamais vécue. Des années après, j’ai éprouvé toute cette incongruité… Ce sentiment de tristesse, enfoui définitivement dans les tréfonds de la ville, me fit prendre conscience de la nécessité de construire mon propre imaginaire, si je ne voulais pas être prisonnier… » Un soir, après avoir poussé la porte de la maison familiale, franchi le seuil et longuement marché dans ces rues qui lui apportaient consolation et réconfort, M. Pamuk rentra au milieu de la nuit et s’assit à sa table pour restituer quelque chose de leur atmosphère et de leur alchimie. Le lendemain, il annonça à sa famille qu’il serait écrivain.
« Les Folles Histoires du sage Nasredin »
Il s’agit des plaisanteries de Nasreddin Hodja 1, productions légères de la littérature turque qui tiennent une place qui ne leur est disputée par aucun autre ouvrage. On peut même dire qu’elles constituent, à elles seules, un genre spécial : le genre plaisant. L’immense popularité accordée, dans sa patrie, au Hodja et à ses facéties extravagantes permet de voir en lui la personnification même de cette belle humeur joviale, souvent effrontée, dédaignant toutes les convenances, hardie jusqu’à l’impudence, mais spirituelle, mordante, malicieuse, parfois grosse d’enseignements, qui fait la base de la conversation turque. Ici, point de ces métaphores ambitieuses dont les lettrés orientaux peuvent, seuls, apprécier le mérite ; point de ces longues périodes où la sophistication et la recherche des expressions font perdre à l’auteur le fil de son raisonnement. Au lieu de ces ornements qui troublent le commun des mortels, on trouve de la bonne et franche gaieté ; un style simple, concis et naturel ; une verve naïve dont les éclairs inattendus commandent le rire aux gens les plus savants comme aux plus ignorants, trop heureux de dérider leurs fronts soucieux, de distraire la monotonie de leurs réflexions, de tromper l’ennui de leurs veilles. « Il est peu probable de trouver dans le monde entier », dit un critique 2, « un héros du folklore poétique qui jouisse d’un tel intérêt ou qui attire d’une telle force l’attention d’auteurs et de lecteurs que Nasreddin Hodja… La forme serrée qui enveloppe l’idée des [anecdotes] aide à les retenir facilement dans la mémoire et à les diffuser… Il faut ajouter également que le personnage de Nasreddin Hodja marche sur les chemins poussiéreux de l’Anatolie, dans les steppes de l’Azerbaïdjan et du Tadjikistan et dans les villages de [la péninsule balkanique] avec un défaut inné, ayant troublé plusieurs fois les orientalistes et les folkloristes : il s’agit du caractère contradictoire du héros qui est représenté tantôt comme un sot en trois lettres peu perspicace et imprévoyant, tantôt comme un sage prévoyant et juste ; en tant que juge, il rend des sentences équitables ; en tant que défenseur des accusés, il tranche des procès embrouillés que les juges officiels ne sont pas capables de juger. »
- En turc Nasreddin Hoca. On le désigne également comme Mulla (Molla) Nasreddin, c’est-à-dire Maître Nasreddin. Parfois transcrit Nasredin, Nasradin, Nasridin, Nasrettin, Nastradin, Nastratin, Nasretdin, Nasruddin, Nassr Eddin ou Nazr-ed-din.
Çetin, « Le Livre de ma grand-mère • Les Fontaines de Havav »
Il s’agit du « Livre de ma grand-mère » (« Anneannem » 1) et des « Fontaines de Havav : histoire d’une restauration » (« Habap çeşmeleri : bir restorasyonun öyküsü ») de Mme Fethiye Çetin, avocate au barreau d’Istanbul, militante des droits de l’homme. Peu avant de s’éteindre, la grand-mère de Mme Çetin, Seher, une bonne musulmane qui ne sortait jamais sans foulard, l’appela un jour auprès d’elle : « Si tu n’es pas occupée, viens un peu près de moi, j’ai quelque chose à te dire ». Seher prit les mains de Mme Çetin dans les siennes et lui confia ceci : « Mon nom était Héranouche 2, ma mère s’appelait Iskouhi 3… J’avais deux frères » 4. Le ton neutre et le timbre de sa voix laissaient entrevoir combien la décision de révéler son prénom arménien avait dû être difficile. Elle avait attendu d’avoir plus de soixante-dix ans pour lever, enfin, le voile du secret. Le regard rivé sur un point du tapis, elle serrait les mains de sa petite-fille, interrompait souvent le cours de son récit par la phrase « Que ces jours s’en aillent et ne reviennent jamais ! », puis le reprenait sur les insistances de Mme Çetin. Voici en substance ce récit. En 1915, Héranouche avait dix ans. Elle vivait au village de Havav (turcisé en Habap). Blotti dans l’ombre protectrice du monastère de la Sainte-Mère de Dieu à la Délectable Vue (Kaghtsrahayats Sourp Asdvadzadzin 5), avec ses deux écoles, ses neuf moulins, ses charpentiers, ses tailleurs de pierre et ses forgerons, ce village était le plus étendu et le plus florissant des environs. Un jour, les gendarmes envahirent le village. Le maire, Nigoghos aga, qui grâce à sa maîtrise de la langue turque servait d’interprète aux paysans, fut immédiatement exécuté sur la place publique. Puis, très vite, tous les hommes valides furent regroupés sur cette même place. Les gendarmes les attachèrent deux par deux, avant de les amener. La mère de Héranouche, Iskouhi, pressentit combien l’heure était grave. Elle réunit ses sœurs et leur demanda de se couper les cheveux et de se vêtir des plus vils haillons. Toutes suivirent ses conseils, sauf la coquette Siranouche. Ce même soir, des hommes envahirent le village et enlevèrent les belles jeunes filles et femmes, dont Siranouche, qu’ils amenèrent en la traînant par ses longs cheveux. Iskouhi s’enfuit avec ses enfants vers un autre village arménien, qui avait été épargné par les attaques. Cependant, peu de temps après, les gendarmes arrivèrent là aussi et entassèrent femmes et enfants dans la cour d’une église, laissant les hommes à l’extérieur. Au bout d’un moment, des cris à fendre l’âme se firent entendre au-dehors. Les murs de la cour étaient bien hauts. Les femmes, pétrifiées, ne pouvaient voir ce qui se passait, jusqu’à ce qu’elles hissassent une fillette sur leurs épaules. Une fois redescendue, il fallut un long moment avant que celle-ci ne pût leur décrire la scène : « Ils égorgent les hommes et les jettent dans la rivière »
Pamuk, « Istanbul : souvenirs d’une ville »
Il s’agit d’« Istanbul : souvenirs d’une ville » (« İstanbul : Hatıralar ve Şehir ») 1 de M. Orhan Pamuk, écrivain turc pour lequel le centre du monde est Istanbul, non seulement parce qu’il y a passé toute sa vie, mais aussi parce que toute sa vie il en a raconté les recoins les plus intimes. En 1850, Gustave Flaubert, en arrivant à Istanbul, frappé par la gigantesque bigarrure de cette ville, par le côtoiement de « tant d’individualités séparées, dont l’addition formidable aplatit la vôtre », avait écrit que Constantinople deviendrait « plus tard la capitale de la Terre » 2. Cette naïve prédiction n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de disparaître, et la capitale de perdre son nom de Constantinople, vidée de ses Grecs, ses Arméniens, ses Juifs. À la naissance de M. Pamuk, tout juste un siècle après le séjour de Flaubert, Istanbul, en tant que ville mondiale, n’était plus qu’une ombre crépusculaire et vivait les jours les plus faibles, les moins glorieux de ses deux mille ans d’histoire. La douce tristesse de ses rues fanées et flétries, de son passé tombé en disgrâce perçait de toute part ; elle avait une présence visible dans le paysage et chez les gens ; elle recouvrait tel un brouillard « les vieilles fontaines brisées ici et là, taries depuis des années, les boutiques de bric et de broc apparues… aux abords immédiats des vieilles mosquées…, les trottoirs sales, tout tordus et défoncés…, les vieux cimetières égrenés sur les hauteurs…, les lampadaires falots », dit M. Pamuk 3. Parce que cette tristesse était causée par le fait d’être des rejetons d’un ancien Empire, les Stambouliotes préféraient faire table rase du passé. Ils arrachaient des pierres aux murailles et aux vénérables édifices afin de s’en servir pour leurs propres constructions. Détruire, brûler, ériger à la place un immeuble occidental et moderne était leur manière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour effacer le souvenir douloureux d’une ancienne maîtresse, se débarrasse en hâte des vêtements, des bijoux, des photographies et des meubles. Au bout du compte, ce traitement de choc et ces destructions par le feu ne faisaient qu’accroître le sentiment de tristesse, en lui ajoutant le ton du désespoir et de la misère. « L’effort d’occidentalisation », dit M. Pamuk 4, « ouvrit la voie… à la transformation des intérieurs domestiques en musées d’une culture jamais vécue. Des années après, j’ai éprouvé toute cette incongruité… Ce sentiment de tristesse, enfoui définitivement dans les tréfonds de la ville, me fit prendre conscience de la nécessité de construire mon propre imaginaire, si je ne voulais pas être prisonnier… » Un soir, après avoir poussé la porte de la maison familiale, franchi le seuil et longuement marché dans ces rues qui lui apportaient consolation et réconfort, M. Pamuk rentra au milieu de la nuit et s’assit à sa table pour restituer quelque chose de leur atmosphère et de leur alchimie. Le lendemain, il annonça à sa famille qu’il serait écrivain.
Pamuk, « La Femme aux cheveux roux : roman »
éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris
Il s’agit du roman « La Femme aux cheveux roux » (« Kırmızı Saçlı Kadın ») de M. Orhan Pamuk, écrivain turc pour lequel le centre du monde est Istanbul, non seulement parce qu’il y a passé toute sa vie, mais aussi parce que toute sa vie il en a raconté les recoins les plus intimes. En 1850, Gustave Flaubert, en arrivant à Istanbul, frappé par la gigantesque bigarrure de cette ville, par le côtoiement de « tant d’individualités séparées, dont l’addition formidable aplatit la vôtre », avait écrit que Constantinople deviendrait « plus tard la capitale de la Terre » 1. Cette naïve prédiction n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de disparaître, et la capitale de perdre son nom de Constantinople, vidée de ses Grecs, ses Arméniens, ses Juifs. À la naissance de M. Pamuk, tout juste un siècle après le séjour de Flaubert, Istanbul, en tant que ville mondiale, n’était plus qu’une ombre crépusculaire et vivait les jours les plus faibles, les moins glorieux de ses deux mille ans d’histoire. La douce tristesse de ses rues fanées et flétries, de son passé tombé en disgrâce perçait de toute part ; elle avait une présence visible dans le paysage et chez les gens ; elle recouvrait tel un brouillard « les vieilles fontaines brisées ici et là, taries depuis des années, les boutiques de bric et de broc apparues… aux abords immédiats des vieilles mosquées…, les trottoirs sales, tout tordus et défoncés…, les vieux cimetières égrenés sur les hauteurs…, les lampadaires falots », dit M. Pamuk 2. Parce que cette tristesse était causée par le fait d’être des rejetons d’un ancien Empire, les Stambouliotes préféraient faire table rase du passé. Ils arrachaient des pierres aux murailles et aux vénérables édifices afin de s’en servir pour leurs propres constructions. Détruire, brûler, ériger à la place un immeuble occidental et moderne était leur manière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour effacer le souvenir douloureux d’une ancienne maîtresse, se débarrasse en hâte des vêtements, des bijoux, des photographies et des meubles. Au bout du compte, ce traitement de choc et ces destructions par le feu ne faisaient qu’accroître le sentiment de tristesse, en lui ajoutant le ton du désespoir et de la misère. « L’effort d’occidentalisation », dit M. Pamuk 3, « ouvrit la voie… à la transformation des intérieurs domestiques en musées d’une culture jamais vécue. Des années après, j’ai éprouvé toute cette incongruité… Ce sentiment de tristesse, enfoui définitivement dans les tréfonds de la ville, me fit prendre conscience de la nécessité de construire mon propre imaginaire, si je ne voulais pas être prisonnier… » Un soir, après avoir poussé la porte de la maison familiale, franchi le seuil et longuement marché dans ces rues qui lui apportaient consolation et réconfort, M. Pamuk rentra au milieu de la nuit et s’assit à sa table pour restituer quelque chose de leur atmosphère et de leur alchimie. Le lendemain, il annonça à sa famille qu’il serait écrivain.
Pamuk, « Cette chose étrange en moi : roman »
éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris
Il s’agit du roman « Cette chose étrange en moi » (« Kafamda Bir Tuhaflık ») de M. Orhan Pamuk, écrivain turc pour lequel le centre du monde est Istanbul, non seulement parce qu’il y a passé toute sa vie, mais aussi parce que toute sa vie il en a raconté les recoins les plus intimes. En 1850, Gustave Flaubert, en arrivant à Istanbul, frappé par la gigantesque bigarrure de cette ville, par le côtoiement de « tant d’individualités séparées, dont l’addition formidable aplatit la vôtre », avait écrit que Constantinople deviendrait « plus tard la capitale de la Terre » 1. Cette naïve prédiction n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de disparaître, et la capitale de perdre son nom de Constantinople, vidée de ses Grecs, ses Arméniens, ses Juifs. À la naissance de M. Pamuk, tout juste un siècle après le séjour de Flaubert, Istanbul, en tant que ville mondiale, n’était plus qu’une ombre crépusculaire et vivait les jours les plus faibles, les moins glorieux de ses deux mille ans d’histoire. La douce tristesse de ses rues fanées et flétries, de son passé tombé en disgrâce perçait de toute part ; elle avait une présence visible dans le paysage et chez les gens ; elle recouvrait tel un brouillard « les vieilles fontaines brisées ici et là, taries depuis des années, les boutiques de bric et de broc apparues… aux abords immédiats des vieilles mosquées…, les trottoirs sales, tout tordus et défoncés…, les vieux cimetières égrenés sur les hauteurs…, les lampadaires falots », dit M. Pamuk 2. Parce que cette tristesse était causée par le fait d’être des rejetons d’un ancien Empire, les Stambouliotes préféraient faire table rase du passé. Ils arrachaient des pierres aux murailles et aux vénérables édifices afin de s’en servir pour leurs propres constructions. Détruire, brûler, ériger à la place un immeuble occidental et moderne était leur manière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour effacer le souvenir douloureux d’une ancienne maîtresse, se débarrasse en hâte des vêtements, des bijoux, des photographies et des meubles. Au bout du compte, ce traitement de choc et ces destructions par le feu ne faisaient qu’accroître le sentiment de tristesse, en lui ajoutant le ton du désespoir et de la misère. « L’effort d’occidentalisation », dit M. Pamuk 3, « ouvrit la voie… à la transformation des intérieurs domestiques en musées d’une culture jamais vécue. Des années après, j’ai éprouvé toute cette incongruité… Ce sentiment de tristesse, enfoui définitivement dans les tréfonds de la ville, me fit prendre conscience de la nécessité de construire mon propre imaginaire, si je ne voulais pas être prisonnier… » Un soir, après avoir poussé la porte de la maison familiale, franchi le seuil et longuement marché dans ces rues qui lui apportaient consolation et réconfort, M. Pamuk rentra au milieu de la nuit et s’assit à sa table pour restituer quelque chose de leur atmosphère et de leur alchimie. Le lendemain, il annonça à sa famille qu’il serait écrivain.
Pamuk, « D’Autres Couleurs : essais »
éd. Gallimard, coll. Du monde entier, Paris
Il s’agit de « D’Autres Couleurs » (« Öteki Renkler ») de M. Orhan Pamuk, écrivain turc pour lequel le centre du monde est Istanbul, non seulement parce qu’il y a passé toute sa vie, mais aussi parce que toute sa vie il en a raconté les recoins les plus intimes. En 1850, Gustave Flaubert, en arrivant à Istanbul, frappé par la gigantesque bigarrure de cette ville, par le côtoiement de « tant d’individualités séparées, dont l’addition formidable aplatit la vôtre », avait écrit que Constantinople deviendrait « plus tard la capitale de la Terre » 1. Cette naïve prédiction n’empêcha pas l’Empire turc de s’écrouler et de disparaître, et la capitale de perdre son nom de Constantinople, vidée de ses Grecs, ses Arméniens, ses Juifs. À la naissance de M. Pamuk, tout juste un siècle après le séjour de Flaubert, Istanbul, en tant que ville mondiale, n’était plus qu’une ombre crépusculaire et vivait les jours les plus faibles, les moins glorieux de ses deux mille ans d’histoire. La douce tristesse de ses rues fanées et flétries, de son passé tombé en disgrâce perçait de toute part ; elle avait une présence visible dans le paysage et chez les gens ; elle recouvrait tel un brouillard « les vieilles fontaines brisées ici et là, taries depuis des années, les boutiques de bric et de broc apparues… aux abords immédiats des vieilles mosquées…, les trottoirs sales, tout tordus et défoncés…, les vieux cimetières égrenés sur les hauteurs…, les lampadaires falots », dit M. Pamuk 2. Parce que cette tristesse était causée par le fait d’être des rejetons d’un ancien Empire, les Stambouliotes préféraient faire table rase du passé. Ils arrachaient des pierres aux murailles et aux vénérables édifices afin de s’en servir pour leurs propres constructions. Détruire, brûler, ériger à la place un immeuble occidental et moderne était leur manière d’oublier — un peu comme un amant qui, pour effacer le souvenir douloureux d’une ancienne maîtresse, se débarrasse en hâte des vêtements, des bijoux, des photographies et des meubles. Au bout du compte, ce traitement de choc et ces destructions par le feu ne faisaient qu’accroître le sentiment de tristesse, en lui ajoutant le ton du désespoir et de la misère. « L’effort d’occidentalisation », dit M. Pamuk 3, « ouvrit la voie… à la transformation des intérieurs domestiques en musées d’une culture jamais vécue. Des années après, j’ai éprouvé toute cette incongruité… Ce sentiment de tristesse, enfoui définitivement dans les tréfonds de la ville, me fit prendre conscience de la nécessité de construire mon propre imaginaire, si je ne voulais pas être prisonnier… » Un soir, après avoir poussé la porte de la maison familiale, franchi le seuil et longuement marché dans ces rues qui lui apportaient consolation et réconfort, M. Pamuk rentra au milieu de la nuit et s’assit à sa table pour restituer quelque chose de leur atmosphère et de leur alchimie. Le lendemain, il annonça à sa famille qu’il serait écrivain.
« Poètes turcs des XVIᵉ, XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles »
Il s’agit d’une anthologie de la poésie ottomane. Dès la fixation des Turcs en Anatolie, deux poésies s’affrontent, dont la première finira par l’emporter à l’époque ottomane, mais dont la seconde triomphera entièrement dans la Turquie moderne : d’un côté, celle des seigneurs et des citadins, dont le but sera de transposer en un turc bourré d’arabe et de persan les manières littéraires de ces deux grandes langues musulmanes, dans des vers fondés sur la quantité longue et brève des syllabes ; de l’autre, celle des paysans et des nomades, peut-être moins savants, mais doués d’un sens plus vif de leur langue maternelle, souvent nourris de chansons populaires, qui entreprendront d’exprimer leur sensibilité et leur pensée selon le génie national, dans des vers fondés sur le seul nombre des syllabes. Les succès prestigieux, au XIVe siècle, du seigneur turc Othman, qui soumet avec le secours de l’islamisme toute l’Anatolie avant de se lancer à la conquête des Balkans et du Proche-Orient, ont pour conséquence inéluctable, en même temps qu’une centralisation du pouvoir, la réunion à la Cour de tous les poètes de renom, qui deviennent ainsi « des écrivains professionnels et courtisans, aristocrates et pédants, vivant en vase clos et de façon artificielle, coupés du reste de la nation » 1. Au XVIe siècle, avec l’apogée de l’Empire sous le règne du sultan Soliman coïncide, comme de juste, la maturité de la poésie ottomane, incarnée par Bâkî 2. Poète de génie, Bâkî doit à son seul talent une brillante réputation et une haute fortune ; car s’il débute sa vie comme fils d’un pauvre muezzin, il finit sa carrière comme vizir. « Ses ghazels — courts poèmes lyriques de ton généralement léger — où ce grave ecclésiastique chante l’amour et le vin en des termes qui nous surprennent, mais dont les commentateurs orthodoxes assurent qu’ils sont symboliques, sont parmi les plus célèbres » 3. Je leur préfère, cependant, la perfection classique de son « Oraison funèbre du sultan Soliman » 4, laquelle évoque avec un grand art cette période où l’Empire ottoman était sans doute le plus puissant du monde
- Louis Bazin, « Littérature turque ».
- Autrefois transcrit Bâqî ou Baqui.