Der Alexanian, «Des choses à vivre, une histoire française : roman»

éd. Edilivre, Paris

éd. Edi­livre, Pa­ris

Il s’agit de «Des choses à vivre, une his­toire fran­çaise», ro­man de M. Jacques Der Alexa­nian 1. Je­tés hors de leur pays, les pa­rents de M. Der Alexa­nian avaient été ac­cueillis en France et y avaient re­fait leur vie. Comme tous ceux de leur gé­né­ra­tion, ils ne vi­vaient pas to­ta­le­ment heu­reux, et pas tristes non plus, avec quelque chose en eux qui res­tait in­con­so­lable. Le sou­ve­nir de leur pa­trie n’avait cessé de les pour­suivre. Là où ils si­tuaient le pa­ra­dis ter­restre; là où se dres­saient ja­dis les ma­gni­fiques mo­nu­ments de la chré­tienté; dans cette contrée que les dé­pêches ap­pe­laient l’Anatolie orien­tale, et qui était l’Arménie, il n’y avait plus au­cun Ar­mé­nien. Ses vil­lages avaient été dé­bap­ti­sés, ses éty­mo­lo­gies tra­hies, ses gens tués ou dé­por­tés, ses mo­nas­tères per­ver­tis en pri­sons et ne te­nant en­core de­bout que pour rap­pe­ler cette page hon­teuse et san­glante au livre de l’histoire turque. Il ne se pas­sait pas de se­maine à la mai­son Der Alexa­nian sans vi­site de pa­rents ou de voi­sins ar­mé­niens pour ra­con­ter les drames aux­quels ils avaient été mê­lés. M. Der Alexa­nian de­meu­rait, no­tam­ment, frappé par l’une des proches amies de ses pa­rents. Par des al­lu­sions, par des demi-mots, cette femme en ap­pa­rence si calme lais­sait en­tendre qu’elle avait dû su­bir, toute jeune fille, les pires atro­ci­tés. Dé­pouillée de tous ses vê­te­ments, bat­tue, vio­len­tée par les Turcs, elle avait été lais­sée pour morte. Par quel mi­racle avait-elle sur­vécu? Tou­jours est-il qu’elle avait erré des se­maines, des mois du­rant à tra­vers des mon­tagnes sau­vages, vi­vant d’herbes, de ra­cines et de baies. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian, Ga­za­ros 2 et Ne­varte, eux, par­laient peu; ou ils par­laient seule­ment de la France et de tout le res­pect que leur ins­pi­rait cette se­conde pa­trie, di­sant quel­que­fois, avec M. Charles Az­na­vour : «La France c’est mon pays, l’Arménie c’est ma re­li­gion» 3.

Puis, il y eut le ca­hier ré­vélé en 1945. Les pa­rents de M. Der Alexa­nian ve­naient d’avoir une vive dis­cus­sion, et Ga­za­ros bran­dit entre ses mains un ca­hier re­vêtu d’une cou­ver­ture bleue. Ne­varte ex­pli­qua, par la suite, que ce pré­cieux do­cu­ment avait été en­voyé aux États-Unis, au frère aîné de Ga­za­ros, en guise de té­moi­gnage; il re­ve­nait après que la Se­conde Guerre eut pris fin pour dor­mir dé­fi­ni­ti­ve­ment au fond d’un ti­roir in­ac­ces­sible, d’où il ne sor­tit plus. Quand, trente ans plus tard, la mort em­porta Ga­za­ros en peu de jours, Ne­varte tira du ti­roir où il était resté le fa­meux ca­hier et le confia à M. Der Alexa­nian. Ce der­nier re­con­nut tout de suite la cou­ver­ture bleu passé qu’il n’avait fait qu’entrevoir. C’est avec une cer­taine agi­ta­tion et une grande hâte d’en dé­cou­vrir le contenu qu’il se mit à le feuille­ter. Le four­mille­ment des dé­tails dans l’aventure de son père le laissa à la fois émer­veillé et ému. C’était un ré­cit de vie pro­fon­dé­ment hu­main, un ré­cit in­achevé et dont il in­com­bait dé­sor­mais à la piété du fils d’en écrire la suite.

«On ima­gine mal aujourd’hui ce qui fut l’extrême dé­nue­ment de ces exis­tences en sur­sis, en­core que la té­lé­vi­sion, chaque jour, ap­pe­san­tit son re­gard sur tous les tra­qués du monde. Mais ce qui donne au “re­por­tage” de Ga­za­ros le pou­voir poi­gnant d’émouvoir, c’est que le bon­heur d’hier, l’épreuve d’aujourd’hui, l’espoir d’une dé­li­vrance, voire d’un exil, sont ac­cep­tés dans la plus rus­tique sim­pli­cité. Cet homme ne mé­ri­tait pas toute cette souf­france. Il en as­sume sa part, avec une paix in­té­rieure qui confine au su­blime…; pour vivre, pour sur­vivre, pour re­trou­ver, ô ha­sard mi­ra­cu­leux, [Ne­varte] la fille du me­nui­sier de Mo­ré­nig, l’amour de sa vie… En ces temps où l’Arménie, sur son sol, connaît en­core l’épreuve, mais — en douce com­pen­sa­tion — la so­li­da­rité des siens et celle de la com­mu­nauté in­ter­na­tio­nale, on peut lire ou re­lire Der Alexa­nian, père et fils, et mur­mu­rer “Sa­cré peuple!”», dit M. Mi­chel Jo­bert 4.

un ré­cit in­achevé et dont il in­com­bait dé­sor­mais à la piété du fils d’en écrire la suite

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style de «Des choses à vivre, une his­toire fran­çaise» : «Le vil­lage de Mo­ré­nig, qui por­tait main­te­nant un nom turc, n’avait plus au­cun rap­port avec son sou­ve­nir. L’église, l’école avaient bien sûr dis­paru, et il n’était plus pos­sible de dé­cou­vrir le moindre signe de ce qu’avait été de son temps la pré­sence ar­mé­nienne… La grande ville toute proche de Khar­pert 5, avec son fa­meux Col­lège d’Anatolie tenu par les Ar­mé­niens, était dé­bap­ti­sée Elazığ (ve­nant de Ma­mu­ret ül-Aziz), et le Col­lège n’existait plus. Des Turcs de son âge sem­blaient re­con­naître Lé­von, se sou­ve­nir de lui. Il y en avait qui le sa­luaient, avec quelques hé­si­ta­tions, mais plus nom­breux étaient ceux qui le re­gar­daient sans bien­veillance. Qu’est-ce qu’il fai­sait là, pour­quoi était-il venu?» 6

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  1. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de M. Jacques Alexan. Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ga­zar et Gha­za­ros. Haut
  3. Dans Aïda Az­na­vour-Gar­va­rentz, «Pe­tit frère; avec le concours de De­nys de La Pa­tel­lière» (éd. élec­tro­nique). Haut
  1. «Compte rendu sur “Le ciel était noir sur l’Euphrate”». Haut
  2. En ar­mé­nien Խարբերդ. Par­fois trans­crit Khar­berd, Qar­berd, Xar­berd, Xar­pert, Char­pert ou Har­pert. Haut
  3. p. 151-152. Haut