
éd. D. de Brouwer, coll. de travaux de l’Académie internationale d’histoire des sciences, Bruges
Il s’agit de la « Quadrature de la parabole » et autres traités d’Archimède, le plus célèbre des inventeurs anciens (IIIe siècle av. J.-C.). Bien que toutes les sciences aient occupé Archimède, la géométrie et la physique sont néanmoins celles dans lesquelles éclata surtout son génie ; il était si passionné pour ces deux disciplines qu’il en « oubliait de boire et de manger, et négligeait tous les soins de son corps », rapporte Plutarque1. Il fut le premier à formuler ce principe qu’un corps plongé dans un liquide perd de son poids une quantité égale au poids du liquide qu’il déplace. La découverte de cette belle vérité lui causa tant de joie, rapporte Vitruve2, qu’il sortit entièrement nu du bain et courut dans Syracuse en criant : « J’ai trouvé ! j’ai trouvé ! » (« Heurêka ! heurêka ! »3). On met au nombre des inventions d’Archimède la fameuse vis qui porte son nom, et dont les Égyptiens se servirent par la suite pour l’irrigation de leurs champs. Il montra en outre les propriétés des leviers, des poulies, des roues dentées, et était si enthousiaste de leur pouvoir, rapporte Pappus4, qu’il déclarait un jour au roi Hiéron : « Donne-moi un point où je puisse me tenir, et j’ébranlerai la Terre » (« Dos moi pou stô, kai kinô tên Gên »5). Mais de toutes ses inventions, celle qui excita le plus l’admiration des contemporains, c’est sa sphère mouvante. Constellée d’étoiles, elle représentait les mouvements et les positions des corps célestes. Cicéron en parle comme d’une merveille ; Claudien lui dédie une épigramme entière6, dont voici les premiers vers : « Un jour que Jupiter voyait le ciel renfermé sous l’étroite enceinte d’un verre, il sourit et adressa ces paroles aux Immortels : “Voilà donc à quel point est portée l’adresse des mortels ! Dans un globe fragile est représenté mon ouvrage ; un vieillard dans Syracuse a transporté sur la terre par les efforts de son art les principes des cieux, l’harmonie des éléments et les lois des dieux…” » ; Cassiodore ajoute : « Ainsi une petite machine est chargée du poids du monde, c’est le ciel portatif, l’abrégé de l’univers, le miroir de la nature » (« Parvamque machinam gravidam mundo, cælum gestabile, compendium rerum, speculum naturæ »).
Mais on comprendrait bien mal Archimède si l’on réduisait son rôle à celui d’un habile mécanicien. Les sciences se sont enrichies, entre ses mains, de théories nouvelles et d’importantes solutions. Un des problèmes les plus célèbres que lui avaient légué les Anciens était celui de l’aire du cercle. Le premier, il donna une méthode permettant d’obtenir le rapport de la circonférence du cercle à son diamètre (c’est-à-dire le nombre π) dans le traité intitulé « Mesure du cercle » (« Kyklou metrêsis »7). Cette méthode consista à inscrire et à circonscrire au cercle deux polygones de 96 côtés chacun, sachant que la circonférence doit se trouver entre les deux contours du polygone inscrit et du polygone circonscrit. Il obtint 22/7 = 3,14285… et il eût pu pousser plus loin l’approximation ; mais il se contenta de cette fraction suffisante pour les besoins du temps. Il s’éleva ensuite à des considérations encore plus difficiles en étudiant les solides engendrés par la révolution d’ellipses, de paraboles et d’hyperboles autour de leur axe dans les traités intitulés « Des conoïdes et des sphéroïdes » (« Peri kônoeideôn kai sphairoeideôn »8), « Quadrature de la parabole » (« Tetragônismos parabolês »9) et « De la sphère et du cylindre » (« Peri sphairas kai kylindrou »10). On admire ces traités bien plus qu’on ne les lit et on les lit bien plus qu’on ne les comprend ; d’autant que les figures coniques n’avaient pas encore reçu, chez Archimède, les noms usuels qu’elles portent aujourd’hui. Il en résulte que la parabole est désignée par l’expression contournée de « section de cône droit rectangle » ; le paraboloïde qu’engendre la révolution de cette parabole — par celle de « conoïde rectangle » ; etc. Malgré l’obscurité de ces noms, malgré la circonvolution des calculs, il n’est pas de géomètre qui ne doive être curieux de voir par quel miracle Archimède a pu parvenir à des résultats scientifiques si neufs, si importants par des moyens si rudimentaires.
« Donne-moi un point où je puisse me tenir, et j’ébranlerai la Terre »
Le récit de la mort d’Archimède témoigne de la même application d’esprit, de la même profondeur de méditation. Tandis que les soldats romains pillaient Syracuse que les machines ingénieuses de notre savant n’avaient pas réussi à sauver, le vieux Archimède, oublieux de tout, méditait sur quelque problème ardu, l’œil et l’attention fixés sur le sol, у traçant des figures. Un soldat leva sur lui son glaive, lui demandant qui il était. Archimède, tout entier au problème dont il cherchait la solution, ne pensa pas à lui dire son nom ; mais, lui montrant le sable sillonné de lignes, il dit machinalement : « Ne dérange pas mes cercles ! », rapportent Valère Maxime et Tite-Live11. Le soldat, voyant dans cette réponse une insulte au pouvoir des vainqueurs, lui trancha la tête ; et le sang d’Archimède répandu sur le sable brouilla son œuvre. C’est ainsi que notre savant devint la victime la plus illustre des Romains. Le chef de ces derniers, Marcellus, en fut sincèrement désolé et lui fit dresser un monument, où il fit inscrire la figure du traité « De la sphère et du cylindre », laquelle permit, bien des années plus tard, à Cicéron12 de reconnaître le tombeau enseveli au milieu des ronces.
Il n’existe pas moins de trois traductions françaises de la « Quadrature de la parabole », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Paul Ver Eecke.
« Ἀρχιμήδης Δοσιθέῳ εὖ πράττειν.
Ἀκούσας Κόνωνα μὲν τετελευτηκέναι, ὃς ἦν οὐδὲν ἐπιλείπων ἡμῖν ἐν φιλίᾳ, τὶν δὲ Κόνωνος γνώριμον γεγενῆσθαι καὶ γεωμετρίας οἰκεῖον εἶμεν τοῦ μὲν τετελευτηκότος εἵνεκεν ἐλυπήθημες ὡς καὶ φίλου τοῦ ἀνδρὸς γεναμένου καὶ ἐν τοῖς μαθημάτεσσι θαυμαστοῦ τινος, ἐπροχειριξάμεθα δὲ ἀποστεῖλαί τοι γράψαντες, ὡς Κόνωνι γράφειν ἐγνωκότες ἦμες, γεωμετρικῶν θεωρημάτων, ὃ πρότερον μὲν οὐκ ἦν τεθεωρημένον, νῦν δὲ ὑφ’ ἡμῶν τεθεώρηται, πρότερον μὲν διὰ μηχανικῶν εὑρεθέν, ἔπειτα δὲ καὶ διὰ τῶν γεωμετρικῶν ἐπιδειχθέν. »
— Début dans la langue originale
« Archimède à Dosithée, prospérité !
Lorsque j’appris que Conon, dont l’amitié à mon égard ne fut jamais en défaut, était mort ; que tu avais été lié avec Conon, et que tu étais habile en géométrie ; je fus affligé de la mort d’un homme qui était à la fois un ami et un mathématicien distingué, et je m’occupai de te faire parvenir par écrit, comme j’avais pensé d’en écrire à Conon, un théorème de géométrie qui n’avait pas encore été examiné, et qu’après l’avoir étudié maintenant moi-même, j’ai trouvé d’abord par la mécanique, puis démontré par la géométrie. »
— Début dans la traduction de Ver Eecke
« Archimède à Dosithée, prospérité !
Quand j’appris que Conon, dont l’amitié ne m’avait jamais fait défaut, était mort ; que tu avais été lié avec Conon et que tu es expert en géométrie ; je fus affligé de la mort d’un homme qui était à la fois un ami et un esprit remarquable en mathématiques, et je pensai à t’envoyer par écrit, comme j’avais eu l’intention de le faire à Conon, un théorème de géométrie qui n’avait pas été étudié auparavant, mais que j’ai étudié maintenant, en le démontrant par la géométrie après l’avoir découvert par la mécanique. »
— Début dans la traduction de M. Charles Mugler (éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris)
« Archimède à Dosithée, salut !
Lorsque j’eus appris que Conon, le seul de mes amis qui me restait encore, était mort ; que tu étais étroitement lié d’amitié avec lui, et très versé dans la géométrie ; je fus grandement affligé de la mort d’un homme qui était mon ami et qui avait dans les sciences mathématiques une sagacité tout à fait admirable ; et je pris la résolution de t’envoyer, comme je l’aurais fait à lui-même, un théorème de géométrie, dont personne ne s’était encore occupé et qu’enfin j’ai voulu examiner. J’ai découvert ce théorème d’abord par des considérations de mécanique, et ensuite par des raisonnements géométriques. »
— Début dans la traduction de François Peyrard (XIXe siècle)
« Archimedes Dositheo salutem.
Cum audivissem, Cononem mortuum esse, qui, dum vixit, nobis amicitia conjunctus erat, te autem Cononi familiarem fuisse et geometriæ esse peritum, demortui causa dolore adfecti sumus, quippe qui et amicus et in mathematicis admirabili acumine præditus esset, suscepimus autem ad te per litteras, sicuti ad Cononem mittere constitueramus, geometricum theorema quoddam mittere, quod antea perspectum non erat, nunc vero a nobis perspectum est, prius per mechanica inventum, postea autem etiam per geometrica demonstratum. »
— Début dans la traduction latine de Johan Ludvig Heiberg (XIXe siècle)
« Archimedes Dositheo salutem.
Cum audissem Cononem decessisse, qui amicorum unus adhuc mihi supererat, teque eo familiariter usum, peritumque esse geometriæ, dolui sane morte viri amici, et in mathematicis disciplinis plane admirabilis. Ad te autem mittere constitui, ut ad illum antea mittere consueveram, unum ex geometricis theorematibus, quod nemo adhuc cum attigerit, nunc ego demum contemplatus sum : mechanicis illud quidem primum rationibus inventum, deinde vero etiam geometricis demonstratum. »
— Début dans la traduction latine de Giuseppe Torelli (XVIIIe siècle)
« Archimedes Dositheo bene agere.
Cum audiissem defunctum esse Cononem, qui nobis reliquus erat in amicitia, tibique admodum fuerat familiaris, puta in geometria maxime versatus, virum quidem mortuum amare planxi, ut amicissimum, et hominem in mathematicis plane mirabilem. Atque tunc derepente statui mittere ad te, sicuti antea ad Cononem solebam, geometricum theorema, quod nemo quidem prius est contemplatus, nunc vero a nobis ostenditur, mechanice quidem primo inventum, deinde et geometrice demonstratum. »
— Début dans la traduction latine de David Rivault de Fleurance (XVIIe siècle)
« Archimedes Dositheo salutem dicit.
Cum Cononem, qui solus ex amicis mihi supererat, interiisse, teque eo familiariter usum, et geometriae peritum esse audissem : mortem quidem Cononis graviter, molesteque tuli, ut et hominis amici ; et artium, ac disciplinarum cognitione plane admirabilis. Ad te uero, ut ad Cononem antea constitueram, unum ex geometricis theorematibus mittere decrevi. Quod cum nemo ante hac attigerit, nunc a nobis pertractatum est : mechanicis illud quidem primum rationibus inventum, postea vero geometricis etiam demonstratum. »
— Début dans la traduction latine de Federico Commandino (XVIe siècle)
« Archimedes Dositheo recte agere.
Cum audissem Cononem mortuum esse, qui nobis adhuc in amicitia residebat : teque hominem Cononis antea admodum familiarem extitisse, et in geometria maxime versatum, ejus quidem vita privati desiderio, et dolore maximo affecti sumus, cum esset homo, cum mei amantissimus, tum in speculationibus ingenio admirali, ac prope divino. Tibi vero, veluti antea Cononi scribere consueveramus sæpissime, præconati sumus inter cætera geometricæ facultatis theoremata, hoc unum conscriptum mittere : quod cum antea tentatum esset a nullo, nuper a nobis inspectum, et deprehensum est : primo quidem mechanica ratione perquisitum, postea vero geometrica quoque demonstratum. »
— Début dans la traduction latine de Thomas Gechauff, dit Venatorius (XVIe siècle)
« Archimedes Dositheo bene agere.
Audiens Kononem quidem mortuum esse, quod erat nobis amicus, quemdam autem Kononis notum esse et geometriae domesticum fore, mortuum quidem graviter doluimus, tanquam viro amico existente et in mathematibus mirabile quodam, praeconati autem sumus mittere scribentes, ut Kononi scribere consueveramus, geometricorum theorematum, quod prius quidem non erat theorematum, nunc autem ab aliis speculatum est, prius quidem per mechanicam inventum, deinde autem per geometriam… »
— Début dans la traduction latine de Guillaume de Moerbeke, revue par Nicolas Tartaglia (XVIe siècle)
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- Traduction partielle de Pierre Forcadel, part. 1 (1565) [Source : Bibliothèque nationale de France]
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- Louis Figuier, « Vies des savants illustres. Tome I. Savants de l’Antiquité » (XIXe siècle) [Source : Google Livres]
- Jean-Étienne Montucla, « Histoire des mathématiques, dans laquelle on rend compte de leurs progrès depuis leur origine jusqu’à nos jours, 2e édition. Tome I » (XVIIIe siècle) [Source : Google Livres]
- Giulio Preti, « Archimède » dans « Dictionnaire des auteurs de tous les temps et de tous les pays » (éd. R. Laffont, coll. Bouquins, Paris).
- « Les Vies des hommes illustres », vie de Marcellus.
- « Les Dix Livres d’architecture », liv. IX.
- En grec « Εὕρηκα εὕρηκα ». Autrefois transcrit « Eurêka ! eurêka ! » ou « Eureca ! eureca ! ».
- « La Collection mathémathique », liv. VIII.
- En grec « Δός μοί ποῦ στῶ, καὶ κινῶ τὴν Γῆν ».
- L’épigramme « Sur la sphère d’Archimède » (« In sphæram Archimedis »).