Banârasî-dâs, «Histoire à demi : autobiographie d’un marchand jaïna du XVIIe siècle»

éd. Presses Sorbonne nouvelle, Paris

éd. Presses Sor­bonne nou­velle, Pa­ris

Il s’agit d’«His­toire à demi» («Ardha-ka­thâ­naka» 1), le pre­mier ré­cit au­to­bio­gra­phique de la lit­té­ra­ture hindi et de la lit­té­ra­ture in­dienne en gé­né­ral. Ce fut en 1641 apr. J.-C. qu’un mar­chand et poète nommé Ba­nâ­rasî-dâs 2, âgé de cin­quante-cinq ans, ré­di­gea ce ré­cit en vers. Il l’intitula «His­toire à demi» en fai­sant al­lu­sion à la du­rée de vie idéale qui, se­lon la re­li­gion jaïna, est de cent dix ans. Les dé­bâcles com­mer­ciales et les échecs rythment vé­ri­ta­ble­ment la vie de cet homme qui, au fil de son ré­cit, se ré­vèle aussi mé­diocre mar­chand que pas­sable poète. Il dé­buta dans son mé­tier à l’âge de vingt et un ans. Son père ras­sem­bla les mar­chan­dises dont dis­po­sait la fa­mille — des pierres pré­cieuses, deux grandes gourdes d’huile, vingt me­sures de beurre cla­ri­fié, des châles de Jaun­pur — et après avoir fait ve­nir son fils, Ba­nâ­rasî-dâs, il lui ex­pli­qua ses vues, di­sant : «Prends toutes ces af­faires. Va à Agra et vends les ar­ticles. Dé­sor­mais, le far­deau de la mai­son, c’est toi qui le prends sur les épaules. Il fau­dra que tu nour­risses toute la fa­mille» 3. Ces mots durent pe­ser bien lourd sur les épaules d’un jeune homme tout juste re­penti d’avoir passé le plus clair de son temps dans l’amour des jeunes filles, où il avait «dé­laissé l’honneur fa­mi­lial et la pu­deur du monde» 4. Ayant chargé les mar­chan­dises sur une char­rette, il se ren­dit non sans mal à Agra. Il tâ­cha de vendre tout, sans vrai­ment en connaître la va­leur, et se fit lar­ge­ment es­cro­quer par les ache­teurs. Il don­nait à qui of­frait, ne sa­chant pas dis­cer­ner «qui était hon­nête, qui était mal­hon­nête» 5. Pire en­core, il avait at­ta­ché un étui de perles à la cein­ture de son pan­ta­lon : la cein­ture se cassa, et le pré­cieux étui fut perdu. Il avait aussi ca­ché des ru­bis dans la dou­blure de son pan­ta­lon : il le mit à sé­cher au so­leil; des vo­leurs pas­sèrent et l’emportèrent. Il tomba dans la ban­que­route pour la pre­mière fois. Ce ne fut pas la der­nière. À chaque fois, il se consola, se consi­dé­rant heu­reux dans son mal­heur : «Le bon­heur et le mal­heur», dit-il 6, «sont vus comme deux choses [dif­fé­rentes par] l’ignorant. Dans la for­tune et l’infortune, le sa­vant [au contraire] se tient d’une seule ma­nière. Il est comme un so­leil le­vant qui ne dé­lais­se­rait pas la nuit; comme un so­leil cou­chant qui ne dé­lais­se­rait pas la splen­deur du jour». Telle est sans doute la le­çon la plus utile de ce ré­cit.

le pre­mier ré­cit au­to­bio­gra­phique de la lit­té­ra­ture hindi et de la lit­té­ra­ture in­dienne en gé­né­ral

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière de Ba­nâ­rasî-dâs : «En [1605], le mois de “kâr­tika” 7 ar­riva, les pluies ces­sèrent. Sa Ma­jesté le [roi], l’Empereur Ak­bar mou­rut dans la ville d’Agra. La nou­velle ar­riva à Jaun­pur. Pri­vée de maître, la po­pu­la­tion était or­phe­line. Le cœur agité, le vi­sage pâle, les gens de la ville étaient sai­sis par la peur. Lorsque [j’]appris sou­dai­ne­ment la mort d’Akbar, j’étais as­sis sur les marches d’un es­ca­lier. Mon es­prit de­vint confus, agité. Je tom­bai dans le pro­lon­ge­ment de l’escalier, per­sonne n’avait pu me re­te­nir. Je m’ouvris le front, le sang coula. Je n’avais eu le temps que de dire “Sei­gneur!”» 8

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  1. En hindi «अर्ध-कथानक». Par­fois trans­crit «Ard­ha­ka­tha­nak». Haut
  2. En hindi बनारसीदास. Par­fois trans­crit Banā­rasīdāsa. Haut
  3. p. 89. Haut
  4. p. 76. Haut
  1. p. 92. Haut
  2. p. 72. Haut
  3. Le mois de «kâr­tika» (कार्तिक), qui est le hui­tième mois du ca­len­drier lu­naire in­dien, cor­res­pond à oc­tobre-no­vembre. Haut
  4. p. 85. Haut