
éd. Peeters, coll. Association pour la promotion de l’histoire et de l’archéologie orientales-Mémoires, Louvain
Il s’agit du « Journal » d’Antoine Galland, orientaliste et numismate français (XVIIe-XVIIIe siècle), à qui l’on doit une des œuvres qui modifièrent le plus l’imagination littéraire, sinon profondément, du moins dans la fantaisie, je veux dire les « Mille et une Nuits ». Toute sa vie, Galland vécut seul, presque sans autres amis que ses livres — les seuls qui ne le déçurent jamais. Savant de premier ordre, il s’attachait à étudier les langues orientales et les médailles antiques, propres à jeter quelque lumière — si infime fût-elle — sur les annales du passé. Voyageur, il cherchait les traits négligés par ses devanciers. Souvent heureux dans ses recherches, simple et laborieux, il était, cependant, d’une certaine humeur dans la lecture de ses contemporains, qu’il ne pouvait souffrir d’y voir imprimées des erreurs sans prendre la plume pour les corriger. « J’y trouvai », écrit-il au sujet d’un livre 1, « des explications si fort hors du bon sens, que je fus contraint de cesser la lecture pour la reprendre le matin, de crainte que je n’en puisse dormir. Mais je fus plus d’une heure et demie à m’endormir, nonobstant les efforts que je pus faire pour chasser de mon esprit ces extravagances, dont l’auteur, qui ne s’était pas nommé, se faisait néanmoins assez connaître ». Ses écrits restèrent toujours, pour le nombre et l’importance, au-dessous de son érudition. Un jour, il eut une discussion très vive à l’Académie des inscriptions ; dans une de ses répliques, on remarque ce passage qui montre l’étendue de son activité inlassable et sa haute rigueur : « Pythagore ne demandait à ses disciples que sept ans de silence pour s’instruire des principes de la philosophie avant que d’en écrire ou d’en vouloir juger. Sans que personne l’eût exigé, j’ai gardé un silence plus rigide et plus long dans l’étude des médailles. Ce silence a été de trente années. Pendant tout ce temps-là, je ne me suis pas contenté d’écouter un grand nombre de maîtres habiles, de lire et d’examiner leurs ouvrages ; j’ai encore manié et déchiffré plusieurs milliers de médailles grecques et latines, tant en France qu’en Syrie et en Palestine, à Smyrne, à Constantinople, à Alexandrie et dans les îles de l’Archipel » 2.
Il n’y a pas de plus humble et de plus pauvre origine, parmi les auteurs et artistes du siècle des « Lettres persanes », de « La Nouvelle Héloïse » et de l’« Encyclopédie », que l’origine d’Antoine Galland. Fils d’un pâtre et d’une mère rustique, il perdit son père à l’âge de quatre ans, se trouvant le dernier de sept enfants affamés. « Pauvre enfant, noble enfant, qui devais prodiguer de tes mains toutes-puissantes les perles, les diamants, les couronnes plus que royales, à peine avais-tu de ta mère un sourire ! », dit Jules Janin. Sa mère, réduite à vivre du très modique travail de ses mains, ne pouvait subvenir aux dépenses qu’aurait exigées l’achèvement de ses études littéraires, de sorte que Galland dut prendre un métier et renoncer aux lettres. Il ne put supporter qu’un an cette cruelle distraction et il partit du logis de sa mère, à pied, pour l’immense Paris, sans autre ressource que l’adresse d’une vieille parente qui y était. La hardiesse de sa résolution intervint en sa faveur : le sous-principal du collège du Plessis lui fit continuer ses études, puis le confia aux soins d’un docteur de la Sorbonne. Rien de plus heureux que ce dernier bienfait ne pouvait arriver à Galland ; et l’on peut dire que cela prépara et assura les succès de sa carrière littéraire. Il se fortifia dans l’hébreu ; et cela lui fit naître l’envie de se rendre familier des autres langues orientales, qui lui servirent à apprendre une infinité de choses : « Peut-on soutenir qu’il est inutile de connaître ce que tant d’excellents écrivains ont pensé », écrit-il dans sa préface à la « Bibliothèque orientale », « ce qu’ils ont écrit de leur religion, de leurs histoires, de leurs pays, de leurs coutumes, de leurs lois, des vertus qu’ils pratiquent, des vices qu’ils détestent ? Et par là, n’est-ce pas acquérir sans peine et sans sortir de chez soi ce que l’on devrait aller chercher… en voyageant pour se perfectionner et devenir un homme accompli, un homme qui juge sainement de toutes choses [et] qui en parle de même ? [C’est ce] que l’on ne peut exécuter qu’à proportion des connaissances que l’on a acquises, non seulement de ce qui se passe sous l’horizon où l’on respire l’air qui fait vivre, mais encore dans tout l’univers. » Galland travaillait sans cesse, en quelque situation qu’il se trouvât, prêtant peu d’attention à ses besoins, n’en prêtant aucune à ses commodités. « Homme vrai jusque dans les moindres choses », rapporte un contemporain 3, « il mourut le 17 février dernier d’un redoublement d’asthme, auquel se joignit, sur la fin, une fluxion de poitrine : il avait soixante-neuf ans. L’amour des lettres est la dernière chose qui s’est éteinte en lui. Il pensa, peu de jours avant sa mort, que ses ouvrages — l’unique bien qu’il laissait — pourraient être dissipés s’il n’y mettait ordre. Il le fit, et de la façon la plus simple et la plus militaire ».
« L’amour des lettres est la dernière chose qui s’est éteinte en lui »
Voici un passage qui donnera une idée du style du « Journal » : « Le matin, j’appris de M. l’abbé Couture, au Collège royal, que M. de Fiennes, ci-devant enfant de langue à Constantinople et depuis premier drogman de la nation française au Caire, avait été nommé professeur du Roi en langue arabe, à la place de M. Pétis [de La Croix], mort le 4 de décembre 1713.
L’après-dîner, après avoir continué pendant quelque temps l’explication grammaticale de la dix-huitième sourate de l’Alcoran, j’allai à la vente de la bibliothèque de M. l’abbé Gallois, où j’achetai l’ouvrage de Marc Aurèle “Ta eis heauton” 4 [c’est-à-dire “À soi-même”] de l’édition de Méric Casaubon, à Londres en 1643, in-12.
Le soir, je lus le livre dix-huitième de “L’Iliade” d’Homère, et le neuvième chapitre de l’“Histoire” de Diodore de Sicile, lequel est fort long.
Le temps fut couvert et obscur toute la journée » 5.
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- Extrait de l’édition de 2011-2015. Tome IV [Source : ORBi de l’Université de Liège].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Mohamed Abdel-Halim, « Antoine Galland : sa vie et son œuvre » (éd. A. G. Nizet, Paris)
- Amable Jourdain, « Galland (Antoine) » dans « Biographie universelle, ancienne et moderne » (XIXe siècle) [Source : Google Livres]
- Barthélemy d’Herbelot, « Bibliothèque orientale, ou Dictionnaire universel contenant tout ce qui fait connaître les peuples de l’Orient. Tome I » (XVIIe siècle) [Source : Google Livres].